Le 19 mars, la flamme du souvenir sera ravivée sous l’Arc de triomphe. Comme chaque année depuis 1963, les 345 000 adhérents de la Fédération nationale des anciens combattants en Afrique du Nord (Fnaca) y honoreront le souvenir des 30 000 soldats français tombés en Afrique du Nord. En cette date anniversaire du cessez-le-feu, décrété au lendemain de la signature des accords d’Evian entre la France et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), ils commémorent la fin de la guerre. Sans se formaliser des levées de boucliers des autres associations d’anciens combattants ou de rapatriés d’Algérie et de harkis.
« C’est un faux anniversaire pour un faux armistice, fustige Philippe Schmitt, président de l’Union nationale des combattants (UNC). Le 19 mars n’est pas l’anniversaire de la fin de la guerre, mais le début des massacres d’Européens et de harkis. » « Quid des 534 militairesmorts après cette date ? », poursuit-il. Pour l’UNC, commémorer le 19 mars est faire insulte à ces victimes. « Sans porter de jugement collectif sur ce drame, la Fnaca a choisi le cessez-le-feu qui est la date historique, rétorque Guy Darmanin, son président. Cette date a été approuvée par 90,8 % des Français de métropole à l’occasion du référendum organisé par de Gaulle le 8 avril 1962. »
Aux arguments avancés par la Fnaca, les anti-19 mars répondent que les accords d’Evian constituent une défaite politique et morale de la France, dont l’armée était victorieuse sur le terrain. « Ce serait comme commémorer le 24 juin 1940 », date de la signature de l’armistice entre la France et l’Italie fasciste, estime l’UNC. « Jusqu’à présent, lui accorde l’historien Guy Pervillé, les dates commémoratives ont été choisies pour être positives et rassembler, à l’instar du 11 novembre 1918 qui rassemble nationalistes comme pacifistes. »
Cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la bataille de la mémoire semble ainsi loin d’être tranchée. Les affrontements sur la date de commémoration « masquent un débat idéologique sur la signification à donner à la guerred’Algérie », déclarait déjà le socialiste Jean-Pierre Massenet, alors secrétaire d’Etat aux anciens combattants, lors d’un congrès de la Fnaca le 1er octobre 2000. Autour du 19 mars s’entre-déchirent ainsi deux mémoires de la guerre. Or, « le choix d’une date n’est qu’une étape vers le choix d’un message, entre Français, puis entre Français et Algériens, susceptible de rassembler et de permettre une réconciliation », éclaire Guy Pervillé.
Quand l’Etat s’est décidé, trente-sept ans après, à donner le nom de « guerre » aux « événements » survenus en Algérie du 1er novembre 1954 au 19 mars 1962, par la loi du 18 octobre 1999, la suite logique était de trouver une date pour en marquer la fin. L’année suivante, plusieurs propositions de loi, soutenues par la majorité de gauche et par des élus de droite, ont été déposées pour officialiser le 19 mars. L’approche des élections du printemps 2002 et les menaces des « anti-19 mars » ont eu raison de la détermination du gouvernement de Lionel Jospin.
Avec le retour de la droite au pouvoir, en mai 2002, « ces propositions de loi sont tombées aux oubliettes », commente Guy Pervillé. Le président Jacques Chirac a confié le soin de trancher à une commission nationale, au sein de laquelle l’historien Jean Favier a réuni la dizaine d’associations représentatives du monde combattant.
Exception faite de la Fnaca, un consensus s’est dégagé autour du 5 décembre, date anniversaire de l’inauguration en 2002 par le président Chirac du mémorial en l’honneur des militaires morts en Afrique du Nord, quai Branly à Paris. Par le décret du 26 septembre 2003, le 5 décembre devenait Journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie. « Pour nous, c’est la date officielle de la République française », dit Philippe Schmitt, qui espérait alors « que le 5 décembre apporterait une réponse finale à cette question ». Un voeu pieux, car avoir perdu la bataille n’a pas convaincu la Fnaca de mettre pied à terre.
L’opiniâtreté de la Fnaca tient certainement aux nombreux soutiens qu’elle compte parmi les autorités publiques et politiques. Onze régions sur vingt, pas moins de 20 000 communes et quelques personnalités politiques, à l’instar du maire de Paris, Bertrand Delanoë, ont pris son parti, s’enorgueillit Guy Darmanin. Chaque année, elles dépêchent leurs représentants aux commémorations du 19 mars. « Le gouvernement dit être attaché à la date du 5 décembre, mais plusieurs ministres et parlementaires assistent aux commémorations », blâme Thierry Rolando, président du Cercle algérianiste.
Toute l’ambiguïté de la politique mémorielle de Nicolas Sarkozy se mesure même, estiment les anti-19 mars, à la présence de certaines autorités préfectorales. Une proposition de loi, similaire à celle enterrée en 2002, a été déposée au Sénat le 5 janvier. « La Fnaca peut obtenir un changement de position officielle si la gauche l’emporte à l’élection présidentielle », estime Guy Pervillé.
Si la plupart des candidats en campagne ont bien veillé à ne pas entrer dans ce débat, Thierry Rolando ne se leurre pas à propos du candidat socialiste : « On ne fonde aucun espoir sur François Hollande. On sait qu’il est favorable à la reconnaissance du 19 mars. »
Hélène Sallon (Le Monde.fr)