CAQ et PQ ont fait une critique de droite du nettement pro-capital budget Libéral, claire dans le premier cas, ambiguë dans le deuxième. Québec solidaire l’a critiqué à gauche mais sur la base d’un budget alternatif qui ne rompt pas avec le néolibéralisme. Si c’était là le point de départ des prochaines élections, il n’y aurait rien pour galvaniser l’espérance d’un autre monde. Surgissant du printemps arabe, il y a eu le mouvement Occupons/Occupy qui est venu changer le fond de l’air, un air qui sent désormais la lutte de classe et la démocratie. La plus grande manifestation jamais vue dans l’histoire du Québec depuis des lustres est venu le confirmer. Mais le gouvernement Libéral, à l’image de celui d’Ottawa, en fait à celle de tous les pays du vieil impérialisme, s’entête à persister dans sa contre-réforme néolibérale. À quand l’implication dans la rue du mouvement syndical pour renverser le rapport de force ? À quand une intervention de Québec solidaire dans ce sens ?
Les réactions caquiste et péquiste droitières au budget Libéral
Le budget Libéral de mars 2012 confirme les deux précédents budgets ultra-libéraux basés sur la réduction drastique des dépenses sociales et sur l’augmentation des régressifs taxes et tarifs afin d’atteindre à la va-vite l’équilibre budgétaire. En prime, gouvernement et entreprises financières étatiques (Investissement Québec, Caisse de dépôt) continuent d’augmenter substantiellement leurs investissements, en partie ou totalement hors budget, tant dans l’anti-écologique système autoroutier — et rien de nouveau pour le transport public — sans compter les constructions en PPP, que dans les infrastructures du Plan Nord y compris sous forme de placements minoritaires dans les projets privés les plus risqués. À ce salmigondis s’ajoute le cadeau au capital financier d’un nouveau type quasi obligatoire de fonds de pension (presque) entièrement financé par les salaires.
Pendant que le patronat se réjouit de ce budget Libéral, la Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ) l’aurait voulu encore plus axé sur la réduction de la dette aux dépens des dépenses sociales… alors que son augmentation, relativement importante, n’a presque plus rien à voir avec les soi-disant dépenses d’épicierie mais tout à voir avec le soutien de l’entreprise privée, du complexe corrompue ABC (asphalte-bois-béton) aux transnationales du Plan Nord. On comprend que la bourgeoisie, au Québec, mette au feu deux partis, le Parti Libéral du Québec (PLQ) au pouvoir et la toute nouvelle CAQ ayant absorbée la très droitière mais moribonde ADQ et quelques dissidents péquistes dont son chef fondateur et ancien homme d’affaires à succès. La bourgeoisie souhaite que le PLQ et la CAQ deviennent les partis de l’alternance, reléguant le Parti québécois (PQ) au statut de tiers parti, au pire que le PQ ne prenne pas le pouvoir même s’il reste l’opposition officielle.
Le traumatisme du référendum de 1995 a laissé des traces profondes sans compter que le populisme nationaliste du PQ, malgré ses bons états de service envers la bourgeoisie, n’est pas plus compatible avec les exigences des régressions néolibérales que ne l’est, pour les bourgeoisies européennes, le « socialisme » de Hollande (et encore moins l’antilibéralisme du Front de gauche de Mélenchon). Sa confuse critique du budget Libéral penche plus finalement du côté de « la perte de contrôle des dépenses » et de la dette tout en refusant de s’engager sur les redevances minières et sur les frais de scolarité autrement qu’en rejetant les décisions du PLQ. Son éventuelle victoire ne serait finalement pour la bourgeoisie qu’une nuisance, pas une catastrophe, finalement moins traumatisante que celle de 1976. Le petit-bourgeois PQ, auquel, brouillant les pistes, se sont soudées les bureaucraties syndicales dans de lugubres sommets à la fin des années 90 bénissant de sombres coupures, a plus que démontré sa dure politique néolibérale de 1994 à 2003. Dans l’opposition, ensuite, a prédominé un clair discours tout aussi néolibéral jusqu’à sa crise interne du printemps 2011.
Il a appris à ses dépens qu’il ne conserve une base populaire que grâce à son apparent souverainisme progressiste. Mais même le rajustement en catastrophe de décembre 2011 (référendum d’initiative populaire, comité pour la souveraineté) n’a pas convaincu pour le moment les dissidents démissionnaires purzédurs les plus conséquents (Aussant, Lapointe) qui n’acceptent pas la manœuvre de la chef péquiste qui, après tout, maintient au programme la réalisation de « la souveraineté du Québec à la suite d’une consultation de la population par référendum tenu au moment jugé approprié par le gouvernement » et non plus à l’intérieur du premier mandat. L’objectif du PQ est passé de la souveraineté-association du référendum de 1980 à la souveraineté-partenariat de celui de 1995, tous deux une réforme du fédéralisme canadien, drastique il est vrai donc inacceptable par l’autre partie, malgré une possible dynamique indépendantiste qu’avait révélé l’aspect lutte de classe du référendum de 1995. Depuis, en attendant le référendum des Calendes grecques, le parti s’est replié vers la gouvernance souverainiste dans la Confédération canadienne.
La critique budgétaire de Québec solidaire entre social-libéralisme et antilibéralisme
Le réalignement électoraliste, social et national, du PQ vers le centre gauche, les deux pieds sur les freins, n’est pas sans influencer une partie des membres/électorat de Québec solidaire, ce que démontre une baisse marquée dans les sondages depuis la fin de la crise au PQ et la fondation d’Option nationale du dissident ex-député péquiste Aussant, parti indépendantiste au vernis de gauche prêt à revenir au bercail péquiste au moindre signal souverainiste de la chef. Québec solidaire comprend des sociaux-libéraux tièdes à la question nationale, des souverainistes soucieux de justice sociale mais aussi des antilibéraux électoralistes — ceux et celles qui veulent un « autre monde » non capitaliste mais qui, soi-disant pragmatiquement, ne veulent immédiatement qu’en combattre les/certaines conséquences en termes de justice sociale, d’écologie et de déficit démocratique.
La direction nationale a maintes fois prouvé son social-libéralisme, en particulier la programmatiquement déterminante proposition fiscale couragepolitique.org réitérée à maintes reprises y compris dans sa critique du budget Libéral. Québec solidaire promet d’annuler les nouveaux tarifs mais non la hausse de la taxe de vente, de loin la plus importante source régressive de revenu. Il compenserait par cinq milliards $ de nouveaux impôts sur le capital alors qu’il faudrait onze milliards $ pour combler le déficit dû à la crise de 2008 soit à la fois maintenir la croissance, modeste, des dépenses sociales à ce qu’elles étaient avant la crise et annuler complètement taxes et tarifs régressifs. Pour s’en tirer, en plus de ne contester ni la hausse de la taxe de vente ni, sinon mollement, la baisse du taux de croissance des dépenses à 2%, la direction du parti décroche du retour rapide de l’équilibre budgétaire, qui de toute façon masque un réel déficit dû aux dépenses d’immobilisation.
Comme l’absence d’une banque centrale, ce pour quoi il faudrait l’indépendance, rend impossible le recours à la planche à billets si allégrement utilisée par les banques centrales des États-Unis et de l’Union européenne, le recours au déficit maintient la dépendance de l’État envers le capital financier par l’intermédiaire de la dette publique. Que reste-il pour de nouvelles dépenses écologiques et sociales d’autant plus que la création d’emploi au Québec est en panne sèche depuis l’automne 2011 ?
On se demande, si ce n’était de son intransigeance néolibérale, pourquoi la bourgeoisie aurait peur de Québec solidaire. Cette intransigeance qui lui fait même craindre le PQ s’explique du fait que le Québec, en termes tant de programmes sociaux et de rapports de forces entre classes, est à l’ALÉNA ce que la France est à la zone euro. C’était la raison d’être du discours de la ré-ingénierie du PLQ au début du XXIiè siècle, depuis lors ravalé pour un discours « plan Nord » plus électoraliste habillant, fort mal, une politique réellement existante de démantèlement des acquis de la Révolution tranquille. C’est aujourd’hui la raison d’être de la mise sur pied de la CAQ, ce parti purement affairiste qui sert au minimum à faire pression sur le PLQ.
Plus structurellement, la bourgeoisie craint la base militante antilibérale de Québec solidaire issue du mouvement altermondialiste, dont une forte composante féministe et populaire, et de la gauche anticapitaliste dont les collectifs reconnus statutairement font tellement peur à la commentatrice de La Presse de Power Corporation (et du Globe and Mail), Lysiane Gagnon. Cette origine mouvementiste contraste avec celle du PQ issu de l’aile nationaliste du PLQ de la fin des années 1970 dont le noyau était cette petite-bourgeoise, inspirée par les mouvements de libération nationale d’alors, qui voyait l’occasion d’instrumentaliser une impressionnante mobilisation populaire en manque de direction politique à cause d’une immaturité sectaire de son noyau politique.
La réticence bourgeoise tant envers tant le PQ que Québec solidaire, à des degrés fort différents il est vrai, explique la valse-hésitation de la direction de Québec solidaire par rapport aux pactes avec le PQ que sa base militante rejette mais sans vouloir embarrasser la direction. La prise de position du congrès de mars 2011 contre les pactes et alliances avec le PQ s’est faite malgré la mauvaise humeur très visible du député et les réticences de la présidente-porte-parole. Heureusement pour la direction du parti, la chef péquiste a finalement fermé la porte à toute entente avec Québec solidaire. Mais qui dit que l’affaire ne reviendra pas sur le tapis avant, pendant ou après les élections dans l’éventualité probable ou réelle d’une union de facto entre les deux partis pour s’assurer la majorité parlementaire ?
Le soudain développement de la lutte sociale, avec la mobilisation étudiante dans le sillage du mouvement Occupons Montréal, exige de la part de Québec solidaire une mue antilibérale se ce n’est anticapitaliste. Il devient urgent de se démarquer sans aucune ambiguïté et publiquement du PQ, et de son ersatz de gauche, Option nationale, dont on peut se demander si la mission bien objective n’est pas de tirer le tapis souverainiste sous les pieds de Québec solidaire incapable de lier l’indépendantisme à la priorité qu’il donne, à juste titre, à la question sociale. La jointure ne peut se faire que sur le terrain de la lutte contre le capital financier : l’indépendance pour non seulement se débarrasser de la Cour suprême mais surtout pour avoir le pouvoir constitutionnel d’exproprier sans indemnités banques et consorts. Depuis la crise de 2008, cette perspective s’est imposée à l’ordre du jour.
Occupons-Montréal : tension entre lutte des classes et indépendance
Le mouvement Occupy/Occupons a marqué le retour de la lutte de classe, les 99% contre le 1% (le capital financier, les transnationales et leurs partis politiques) comme épine dorsale de la lutte sociale. L’échec de Québec solidaire de lier la lutte pour l’indépendance à celle contre le capital financier et la tentative de la direction de liquider le programme sur les questions des fermetures d’usine et de masquer l’ampleur des nationalisations dans les secteurs de l’énergie et des ressources naturelles (voir mon article « Bilan sommaire du congrès Québec solidaire de décembre 2011 – Un sérieux recul programmatique et démocratique », février 2012) ne vont pas dans cette direction. Le mouvement Occupy/Occupons se démarque aussi par sa radicalité démocratique contre le verticalisme des partis et des syndicats malgré un mouvement de pendule vers un paralysant horizontalisme consensuel ce qui était en voie d’ajustement au moment du démantèlement répressif des camps. Le mouvement de pendule lors du dernier congrès de Québec solidaire est plutôt allé dans l’autre direction.
Une troisième caractéristique du mouvement Occupy/Occupons a été la jonction avec le mouvement syndical et populaire. Cette jonction, particulièrement en évidence sur la Côte Ouest étasunienne et aussi à New York, l’était moins à Montréal où la question nationale a été un obstacle étant donné le fort bilinguisme du camp Occupons Montréal. Sauf les grévistes de l’Université McGill, le mouvement social québécois lui est resté tiède. Le même jour, le 29/10/11, Occupons-Montréal et Cap sur l’indépendance faisaient deux manifestations qui se sont ignorées même si elles se déroulaient presque en même temps et quasi au même endroit. Le parcours de la grande manifestation étudiante et populaire du 10/11/11 n’a pas consenti à faire un détour par le camp du Square Victoria malgré un modeste contingent Occupons-Montréal en son sein.
Le sectarisme du nationalisme étroit des uns a répondu à l’insensibilité chauvine des autres. C’est là une autre manifestation du jeu du chat et de la souris à savoir quelle sera la priorité entre question sociale et question nationale alors que l’orientation stratégique de l’indépendance pour exproprier les banques créerait la condition de leur jonction pour un renforcement commun présageant un renversement du rapport de forces. Heureusement, les acquis du mouvement Occupons, répercussion aux ÉU et au Canada/Québec du printemps arabe et des Indignés-e-s européens, ont changé le fond de l’air peut-être tout autant — on verra avec le temps — que ne l’a accompli le brusque tournant vers le néolibéralisme en 1979-80. On l’entrevoit dans les modalités du déploiement de la première phase — y en aura-t-il une deuxième ? — du mouvement étudiant dont près de 300 000, les trois quarts des effectifs post-secondaire — même le secondaire montréalais s’est partiellement mobilisé lors de la grande manifestation du 22 mars — sont en grève contre la hausse des frais de scolarité de 75% sur cinq ans.
Le nouvel espoir des « pingouins » québécois
Le mouvement étudiant prend systématiquement la rue, chaque jour, en contraste tranchant avec les très occasionnelles et rituelles, même si parfois impressionnantes, manifestations syndicales… lesquelles en 2005 puis 2010 ont débouché sur une capitulation sans combat, par la force de la loi la première fois, volontairement la seconde. La prise de la rue donne plus en plus lieu à de sporadiques blocages d’autoroutes et de ponts parfois aventuristes. Le mouvement étudiant se solidarise dans la rue, et non seulement en paroles, avec tout mouvement progressiste qui bouge, depuis le mouvement des femmes le 8 mars jusqu’à celui plus modeste contre la brutalité policière en passant par celui des Autochtones, cette dernière jonction passée malheureusement inaperçue dans les médias. La jonction avec le mouvement populaire, modestement commencé lors du blocage de la Tour de la Bourse le 16/02/12 alors que la grève n’avait pas encore débuté, se précise sur la rive sud de Montréal.
La jonction avec le mouvement syndical, le défi le plus coriace mais crucial pour faire reculer le gouvernement, se met en branle par la mise sur pied d’une organisation de professeur-e-s à la base et par l’appui précoce des syndicats de l’enseignement et celui tardif des grandes centrales paralysées par de pesants appareils bureaucratiques liés à l’État par l’impôt syndical et tablant sur la peur du chômage de la base. Invitées par l’association étudiante la plus combative, c’est trente mille personnes, en majorité des parents et grands-parents non organisés, qui se sont invitées lors de la manifestation familiale du 18/03/12 à Montréal, sans compter quelques milliers à Québec et à Sherbrooke. La grande manifestation des 200 000 du 22 mars, peut-être la plus grande de l’histoire du Québec, signale à la fois un saut du rapport de forces et l’amorce d’un mouvement de société. Ce début de mobilisation commence à ressembler au mouvement chilien des « pingouins » de par son ampleur et ses formes mais aussi parce que, comme lui, il pourrait se transformer en un mouvement social de rejet de l’ensemble des politiques des Libéraux et des Conservateurs et au-delà de ce capitalisme corrompue et réactionnaire qui suinte du corps social en crise.
On constate une très ferme résolution du gouvernement Libéral à défendre son œuvre tout autant que l’a fait le gouvernement chilien qui n’a pas bronché face à la grande mobilisation dans ce pays, laquelle a culminé en une grève générale de 48 heures en appui au mouvement étudiant en août dernier. On a ainsi une idée du rapport de force qui sera peut-être nécessaire. La grande manifestation du 22 mars ne suffira pas car les centrales syndicales ni aucun syndicat de base ne s’y sont solidarisés par une grève de 24 heures. C’est à peine si les bases des syndicats les plus combatives commencent à sympathiser avec la revendication étudiante tellement la propagande gouvernementale « les étudiants doivent faire leur part ; les hausses de bourses compenseront pour les plus pauvres ; les frais de scolarité sont les plus bas au Canada ; les frais de scolarité ne seront pas plus élevés en termes réels qu’il y a une génération » a fait des ravages. Un sondage commandité par une des deux fédérations étudiantes modérées, juste avant la grande manifestation, indique une opinion publique divisée par le milieu au sujet de la hausse m^me si la majorité souhaite une négociation.
Dans les milieux syndicaux les plus conscients, on parle d’un premier mai anti-budget monstre mais pas de grève de solidarité. Au mieux quelque part en mai et encore. C’est tard, très tard pour un mouvement gréviste qui s’est amorcé au début mars, ce qui mettra sur la table la bombe de la perte du semestre d’hiver que le gouvernement garde dans sa manche… mais pas l’annulation des frais scolaires ni des dettes à rembourser. Déjà, on invoque l’obligation légale de la durée fixe de la session au niveau collégial. La vitale jonction étudiant-syndicat nécessite de la pro-activité dans le sens d’une mobilisation anti-budget, Québec et Ottawa compris, dont la lutte étudiante serait le fer de lance. Déjà, encore trop timidement, les dirigeants étudiants les plus en pointe invoquent la nécessité d’une réforme fiscale, conscient que les demandes étudiantes remettent en question l’équilibre général de l’ensemble des mesures budgétaires, annoncées au printemps 2010, pour éliminer rapidement le déficit.
Le grand retard de la mobilisation syndicale essentielle à la victoire
Il est désolant d’entendre déjà les porte-parole des deux principales centrales syndicales, la CSN et de la FTQ, en syntonie avec les dirigeants de l’association étudiante la plus modérée, tout comme le PQ, en appeler à la « négociation », mot code signifiant pour eux concessions, par exemple un étalement et/ou une indexation au coût de la vie… alors que pour les plus militants négociations signifient de discuter d’un mode de financement par l’impôt sur le capital sur la base d’un rapport de forces. Déjà la demande étudiante est plutôt un plancher par rapport à la revendication de la gratuité scolaire, au programme de l’ASSÉ, l’association étudiante la plus combative, comme de Québec solidaire, et alors que l’heure est à la construction du rapport de forces dont la deuxième étape, après le 22 mars, passe par l’apport du mouvement syndical dans la rue.
N’y aurait-il pas lieu de rendre disponible aux syndiqué-e-s le matériel d’éducation des associations étudiantes, d’inviter leurs représentant-e-s dans des assemblées syndicales ? La Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics, composée de 140 organisations, intègre déjà lutte étudiante et lutte anti-budgétaire bien que ses mots d’ordre agitationnels soient quelque peu restrictifs, laissant tomber par exemple la hausse de la taxe de vente. À remarquer, cependant, que ses propositions fiscales, lesquelles malheureusement sont passées sous silence dans l’agitation de l’organisation, élargit l’horizon en proposant des alternatives fiscales permettant de mobiliser plus de neuf milliards $.
Reste qu’il sera très difficile à la Coalition de briser le mur de l’Alliance sociale, comprenant les trois grandes centrales syndicales et les deux plus grandes associations étudiantes modérées, sans que ne se manifeste une visible et contestataire opposition interne dans le milieu syndical au diapason de celle qui existe dans le milieu étudiant avec l’ASSÉ, la fédération d’associations étudiantes le plus radicale. L’ASSÉ, en regroupement autour de lui un grand nombre d’associations indépendantes dans la CLASSE, a jusqu’ici damé le pion aux deux autres regroupements membres de l’Alliance, contrairement à la mobilisation de 2005 où son leadership initial lui avait été soutiré par une collusion entre le gouvernement et les deux autres fédération. En avait résulté une « victoire » amère non seulement parce que la montagne de mobilisation avait accouché d’une souris mais surtout parce que la jonction dans la rue avec les syndicats du secteur public en lutte, dont l’enseignement, avait été complètement ratée du fait du refus des fédérations de l’enseignement.
Chose certaine, c’est toute une gageure pour la CLASSE de garder l’initiative après la grande manifestation du 22 mars après laquelle il faut prévoir une certaine désescalade au moment du renouvellement des mandats de grève. Il faudra bien combiner mobilisation citoyenne et désobéissance civile, sans tomber dans l’aventurisme, en attendant le mouvement syndical si ce n’est pas l’équivalent d’attendre Godot. Cette difficulté ne signifie en rien renoncer aux actions minoritaires telles des occupation, qui visent clairement l’ennemi, des universités populaires, qui sont éducatives et ouvertes au public, et même des blocages si ces actions se marient avec une agitation envers les « victimes ». Par exemple on peut ralentir la circulation en donnant des tracts au lieu de complètement boucher la voie ; on peut aussi le faire dans des centres d’achat sous forme de blitz. Ces actions, cependant, ne pourront nullement suffire à renverser le rapport de forces. Elle donne simplement le temps de la pénétration des idées alternatives dans un contexte de domination de l’opinion publique par les monopoles médiatiques sans compter la menace bien réelle de l’appareil répressif qui, après la grande manifestation a clairement fait voir sa sympathie aux deux fédérations modérées et son hostilité à la CLASSE.
Québec solidaire pourrait faire la différence
Même si la transformation du mouvement syndical est une tâche de longue haleine, l’Intersyndicale de Québec solidaire pourrait y aller immédiatement de son grain de sel d’autant plus facilement qu’une grande partie du chemin a déjà été parcourue par le parti. Non seulement Québec solidaire appuie-t-il la gratuité, dans le sillage du capitalisme scandinave qui est le modèle de sa direction sociale-libérale, mais il appuie aussi la grève, du moins son député-porte-parole le fait-il alors que le communiqué officiel sur le site le fasse plutôt indirectement sous forme de sa légitimité, et non pas de sa pertinence, face à la provocation et à la répression des forces policières qui savent pouvoir compter sur la confusion politique d’une poignée de casseurs qui font des forces policières la cible principale. L’Alliance sociale a appuyé la grande manifestation du 22 mars et la CSN a voté à son congrès de mai 2011 le principe d’une grève sociale sauf que la démoralisation due à la capitulation du secteur public en 2010 n’a pas aidé à sa préparation jusqu’ici.
On se dit que l’Intersyndicale pourrait miser sur ces décisions pour appeler publiquement à sa mise en œuvre pour mai (et y contribuer sur le terrain du mieux de ses forces), idéalement le 1er mai de sorte que la fête des travailleur-se-s devienne le nouveau grand rendez-vous, après celui du 22 mars mais en plus grand et en plus profond, propice à une escalade de moyens de pression et possiblement à une reprise des grèves étudiantes si jamais une partie des associations décidaient entre temps leur interruption. Cet appel se combinerait à une agitation interne au sein du parti de sorte à convaincre la direction du parti, non pas d’appeler à une grève sociale de 24 heures ce qui n’est pas de son ressort, mais d’en souhaiter publiquement la réalisation d’ici mai. Telle est la réalité d’un véritable parti de la rue, proactif, au-delà des suivistes appuis et des cortèges avec distribution de littérature, ce qui est tout de même ça de pris.
Marc Bonhomme, 23 mars 2012