« On a bien essayé de les isoler, on a même fait des barricades, mais ils avaient des matraques, des lances à eau, des lance-grenade, des lacrymos… Pas facile ! ». C’est par la dérision que les opposants à la ligne TGV Turin-Lyon dans le Val di Susa ont répondu à l’appel du gouvernement Monti à « isoler les violents ».
Car, en fin de comptes, après la manifestation de plus de 70’000 personnes le 25 février, l’assaut donné par les forces de l’ordre pour empêcher l’occupation des chantiers a frôlé la catastrophe, un jeune homme ayant failli y laisser sa peau…
Partie prenante du projet de l’Union européenne qui veut relier Lyon à l’Ukraine via Turin, Trieste, Ljubljana et Bucarest, la construction d’une ligne de trains à grande vitesse (TAV, treno ad alta velocità) dans le Val di Susa dans le Piémont suscite un fort mouvement de contestation. Soutenu sans réserves par l’establishment politique, des partis de la droite au parti démocrate en passant par le gouvernement Monti –au sein duquel se taille une part importante la Banque Intesa, l’un des investisseurs principaux du projet- le Turin-Lyon ferroviaire, le TLF, est âprement combattu par la population de la vallée ainsi que par des centaines de jeunes venus participer au blocage des chantiers.
Mais peut-on contester la construction d’une ligne de chemins de fer ?
C’est l’argument utilisé pour imposer ce projet qui impliquerait le percement de tunnels pour un total de 57 km dans le massif du Mont Ambin. L’argument écologique ne tient pas la rampe. Et pas seulement parce que, d’après une étude de l’Université de Sienne, si un train classique a une consommation énergétique inférieure de moitié à celle du trafic automobile, un TGV consomme le double d’énergie qu’un train classique, donc, autant que les voitures.
Les travaux prévus dans cette vallée étroite déjà sillonnée par la ligne ferroviaire du Fréjus -sa modernisation a été achevée en 2010-, par l’autoroute A32 et par deux routes nationales devraient durer jusqu’en 2023. Ils impliqueraient l’extraction de 16 millions de m3 de déblais que des camions devraient transporter ailleurs. De plus, la composition des roches dans la région est des plus problématiques : la construction de la galerie géognostique de la Maddalena a du être arrêtée du fait de la forte concentration dans la roche … d’amiante et d’uranium.
Circulation de camions, poussières et installation durable de chantiers viendraient s’ajouter au millier d’hectares de décharges de matériaux hautement toxiques que la vallée compte déjà et qui ont contribué, avec les dioxines et autre PCB émis par les aciéries, à faire de cette partie du Piémont la région avec les taux les plus élevés de cancers.
De plus, le recours à l’argument environnemental sonne particulièrement faux dans la bouche d’un gouvernement qui veut imposer la construction d’une autoroute qui, le long des côtes du sud de la Toscane et des parcs naturels, devrait relier Civitavecchia à Livourne !
Tous perdants, alors ?
Si les travaux devisés à 12-13 milliards d’euros -auxquels il faut ajouter les 400 millions par an pour l’entretien des tunnels- vont grever la dette publique, un certain nombre de privés en profiteraient. Parmi eux, les plus grands groupes bancaires et l’immense secteur des entreprises du bâtiment.
Mais le système, comme le dit l’ancien juge anti-mafia Imposimato, est bien plus généreux. Dans Corruzione ed alta velocità, Imposimato affirme que « dans les grands ouvrages publics comme la grande vitesse et les autoroutes coexistent en parfaite harmonie les protagonistes de toujours : grands commis de l’Etat, médiateurs-corrupteurs, coopératives, Cosa Nostra, Camorra, quelques magistrats et grands groupes financiers ».
Ainsi, lors de la construction de la ligne TGV Milan-Turin, nombreuses ont été les découvertes de décharges illégales de pneus, métaux lourds etc. enfouis sous les remblais de la ligne.
Bénéficiaire de marchés pour l’élimination de produits polluants, la mafia, notamment la Ndrangheta calabraise qui contrôle le bâtiment en Lombardie, enfouit à moindres frais les ordures qu’elle est payée pour retraiter tout en facturant à l’Etat les déblais extraits au titre de « fournitures de chantier ».
Il n’y a aucun doute quant à l’imbrication des mafias dans la Turin-Lyon : l’an passé, le directeur général de Turin-Lyon Ferroviaire a été condamné avec huit autres pour fraude dans l’attribution du marché public de la Turin-Lyon. Seul un ex-ministre, décédé avant le procès a échappé à la condamnation.
Les deniers de l’ordre armé
Toutefois, le gouvernement Monti reste particulièrement ferme et déterminé. C’est au nom d’un supposé intérêt général réputé plus important que les oppositions particulières, qu’il va de l’avant dans la réalisation du projet, tout en réprimant la mobilisation populaire.
En dépensant 100’000 euros par jour pour la protection militarisée du chantier de la Maddalena contre les militants du mouvement No Tav !
Il y isole les violents…
Paolo Gilardi