Le leader des conservateurs grecs Antonis Samaras s’est déclaré incapable, lundi soir 7 mai, de former un gouvernement de coalition, au lendemain d’un cinglant désaveu infligé par les électeurs aux deux partis qui avaient accepté les politiques d’austérité dictées par les bailleurs de fonds du pays. « Nous avons fait tout ce que nous pouvions. C’était impossible. Je remets mon mandat », a-t-il déclaré.
Le président Karolos Papoulias, qui l’avait chargé en premier lieu de former un gouvernement, va désormais confier cette tâche à la Coalition de la gauche radicale, Syriza, arrivée en deuxième position des législatives. Il recevra son chef de file Alexis Tsipras mardi à 14 heures (13 heures à Paris), qui aura trois jours pour former un exécutif. Alexis Tsipras a déclaré qu’il essaierait de former une coalition de gauche afin de rejeter les « mesures barbares » liées à l’accord sur le remboursement de la dette. « Nous allons épuiser toutes les possibilités de parvenir à un accord, en priorité avec les forces de gauche ».
Si la Grèce ne parvient pas à former un gouvernement à même de négocier une nouvelle tranche d’aide avec l’UE et le Fonds monétaire international (FMI), elle pourrait se retrouver à court de liquidités d’ici la fin du mois de juin, a-t-on appris auprès de trois responsables du ministère des finances. La Commission européenne a lancé un avertissement à Athènes, affirmant qu’elle devait mettre en œuvre les réformes auxquelles elle s’était engagée dans le cadre de son deuxième plan de renflouement.
L’AUSTÉRITÉ SANCTIONNÉE
Ces élections législatives infligent un coup au bipartisme qui a caractérisé la vie politique grecque depuis la chute de la dictature des colonels, en 1974. Les deux grands partis, le Pasok et Nouvelle Démocratie, les deux seuls à avoir soutenu les mesures d’austérité en échange de l’aide de l’UE et du FMI, ne rassemblent que 149 des 300 sièges du Parlement, sous la majorité absolue. Selon ces résultats quasi définitifs, les deux partis, Nouvelle Démocratie, avec 18,8 % des suffrages (108 sièges), et le Pasok, avec 13,2 % (41 sièges), ne pourraient former un gouvernement de coalition qu’avec l’appui d’un troisième parti. Ils recueillent à eux deux 32 % des voix, contre 77,4 % en 2009.
En incluant la formation néonazie qui fait son entrée au Parlement pour la première fois, les partis opposés à un accroissement de l’austérité ont raflé 151 sièges au Parlement, selon un décompte du ministère de l’intérieur après le dépouillement de 99 % des bulletins, lundi 7 mai. Face à eux, les deux partis qui prônent l’austérité, Nouvelle Démocratie et le Pasok - qui gouvernaient ensemble dans une coalition depuis novembre - s’effondrent.
Flanqué d’une quinzaine de jeunes hommes à la tête rasée, le dirigeant de la formation néonazie Chryssi Avghi (« Aube dorée »), dont l’emblème rappelle la svastika nazie, Nikolaos Michaloliakos, a affirmé dès dimanche soir que son groupe allait lutter contre les « usuriers mondiaux » et « l’esclavage » imposé selon lui au pays par l’UE et le FMI en échange de leur aide financière. « L’heure de la peur a sonné pour les traîtres à la patrie », a menacé ce quinquagénaire, affublé du sobriquet de « Führer » par la presse grecque.
Ex-groupuscule semi-clandestin, hostile aux immigrés, aux méthodes notoirement violentes et aux thèses racistes et antiparlementaires, encore inconnu il y a deux ans - il avait fait 0,23 % des voix aux précédentes législatives -, Aube dorée rejette l’appellation « néonazie » que lui attribuent les autres partis grecs. Arrivé dimanche en sixième position, avec 7 % des voix, il devrait faire son entrée au Parlement avec une vingtaine de députés. Une première pour un parti ultranationaliste depuis la chute du régime des colonels, en 1974. Le parti n’a pas attendu pour savourer sa « victoire », promettant d’expulser tous les immigrés illégaux, qualifiant les journalistes de « menteurs » et invitant les « traîtres » à se cacher.
* Le Monde.fr avec AFP et Reuters | 06.05.2012 à 16h14 • Mis à jour le 07.05.2012 à 21h42
Syriza, coalition de la gauche radicale, devance le Pasok
Par Alain Salles (Athènes, correspondant)
La surprise est venue d’extrême gauche. Dotée de 4,6 % des voix en 2009, la coalition de la gauche radicale (Syriza) est devenue le parti numéro deux du paysage politique grec, avec 16,75 % des voix, trois points derrière Nouvelle Démocratie (ND, droite) et surtout devant le Pasok, qui domine le paysage de la gauche depuis 1981.
Si Antonis Samaras, chef de ND, arrivée en tête, ne parvient pas à former un gouvernement, le président de la République devra donc demander à Alexis Tsipras, dirigeant du Syriza, de faire la même tentative.
« Notre programme est un gouvernement de gauche qui annule le mémorandum. Nous ferons tout pour que le pays ait un gouvernement qui dénonce l’accord de prêt », a expliqué M. Tsipras, qui s’est félicité de ce « message de révolution pacifique ».
Très hostile aux mémorandums signés avec la « troïka », qui imposent de sévères mesures d’austérité, M. Tsipras est favorable au maintien de la Grèce dans la zone euro.
UNE STRATÉGIE PROCHE DE CELLE DU FRONT DE GAUCHE
Le Syriza a construit son succès en s’adressant aux jeunes. « Il a mené une campagne cohérente et claire qui a séduit d’anciens électeurs déçus du Pasok et les jeunes. Il arrive en tête dans de nombreuses zones urbaines », explique l’analyste politique Georges Sefertzis.
Le parti doit son succès au style de son leader, un ingénieur de 37 ans qui tranche dans une classe politique en mal de renouvellement. Si son allure rappelle, en France, celle de l’ancien porte-parole du NPA Olivier Besancenot, sa stratégie est plus proche du Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon.
Le Syriza regroupe différents petits partis de gauche et d’anciens communistes, comme M. Tsipras lui-même. Il a également fait plusieurs tentatives pour rassembler les partis de gauche hostiles au mémorandum, mais s’est heurté aux refus du Parti communiste grec (KKE) et de la Gauche démocratique, un parti dissident du Syriza. Le KKE (8,4%) n’améliore que d’un point son score de 2009, tandis que la Gauche démocratique (6 %) est loin du score que lui prédisaient les sondages.
Alexis Tsipras a su s’entourer d’intellectuels et de grandes figures comme Manolis Glezos, le héros grec qui décrocha le drapeau nazi de l’Acropole en 1941. Triste ironie du sort, l’infatigable militant de 89 ans reviendra au Parlement comme député du Syriza, au moment où un parti néonazi, Aube dorée, y fait son entrée, avec près de 7 % des suffrages.
* LE MONDE | 07.05.2012 à 11h01 • Mis à jour le 07.05.2012 à 15h00