Roger Devaneuse – Salah, tu es arrivé en France depuis trois semaines déjà, et tu as pu te rendre dans de nombreuses villes, presque une par jour, pour rencontrer les comités qui avaient réclamé ta libération. Impressions ?
Salah Hamouri – C’est d’abord bien sûr une immense joie d’être avec les gens qui m’ont soutenu, qui ont réclamé ma libération (et celle de tous les prisonniers politiques) que je peux remercier pour leur combat. Je constate que les gens nombreux qui viennent à ces rendez-vous veulent savoir ; ils veulent savoir ce qu’est vraiment la vie des prisonniers palestiniens, les conditions de leur condamnation, les conditions de leur détention. Et moi, je leur apporte une confirmation : l’importance considérable du soutien à l’extérieur pour ceux qui vivent dans ces prisons. Tout le courrier n’arrive pas. Tous les messages n’arrivent pas. Mais beaucoup passent, des lettres arrivent. Ce sont autant de signes que nous ne sommes pas seuls. C’est déterminant pour nous. Je suis venu dire que votre défense des valeurs de l’être humain, c’est ce qui nous a permis d’effacer le mot désespoir de notre vocabulaire.
L’actualité des prisons israéliennes, c’est la grève de la faim.
C’est un mouvement extraordinaire qui est en train de se dérouler. Aujourd’hui, au 10e jour, 2 000 prisonniers sur 4 600 participent à ce mouvement. Il faut que vous l’imaginiez : pour que simultanément dans les 23 lieux de détention, autant de prisonniers participent à une même date à un tel mouvement, sur les mêmes revendications, malgré l’isolement, c’est près de deux ans de travail. Si un tel mouvement a pu être mis en place, c’est le signe de l’exaspération des prisonniers. 123 sont prisonniers depuis plus de 25 ans. On en compte 400 qui sont malades, dont 18 de cancers. Certains ont des handicaps lourds (chaises roulantes, handicapés mentaux, aveugles...). Des enfants ont été condamnés à cinq ans de prison pour des actes qui n’ont blessé personne, quand des colons prennent six mois pour avoir tué des Palestiniens ou sont acquittés pour « légitime défense ».
Les revendications qui sont avancées doivent être connues et popularisées, car elles montrent ce que sont les prisons de la « seule démocratie du Moyen-Orient » :
• Fin de l’isolement, qui est reconnu par les organismes internationaux comme une forme de torture ; cela concerne en ce moment 24 prisonniers.
• Fin de la détention administrative, cela concerne 300 prisonniers pour lesquels aucune procédure judiciaire n’est engagée, simplement un avis sur le fait que leur mise en liberté présenterait un risque pour la sécurité nationale (c’est une formule qui date du mandat britannique !) ; une décision renouvelable de six mois en six mois, et cela peut durer des années et des années, sans jugement et sans avocat !
• Droit aux études et accès aux livres, en particulier pour les enfants ; il y a 90 enfants de 8 à 16 ans dans les prisons israéliennes, condamnés par des tribunaux militaires et ils sont actuellement interdits d’études et de lecture ; pas d’autorisation aux associations pour les rencontrer, pas d’autorisation aux adultes de les aider ; six à sept mois parfois sans visite, et quand les parents viennent la rencontre se fait derrière une vitre et par téléphone ; Israël assassine l’enfance de ces enfants.
• Droit de visite des familles pour les emprisonnés de Gaza (actuellement 400) ; les Gazaouis sont interdits de toute visite depuis des années.
• Amélioration des conditions de détention qui sont franchement sordides.
Quel est ton message au mouvement de solidarité en France ?
Nous en sommes au 10e jour pour les 1 600 qui ont commencé la grève le 17 avril, d’autres se sont joints depuis. Il y a urgence absolue que partout dans le monde ce mouvement soit connu et soutenu, que les gouvernements du monde entier soient obligés d’interpeller Israël et mettre cet État devant ses responsabilités. Au-delà, vous avez une responsabilité pour l’élargissement du mouvement qui doit obtenir la fin de l’impunité d’Israël et son régime qui est pire que l’apartheid car il s’agit d’une volonté d’évacuer les Palestiniens. Pendant mon incarcération, les deux événements les plus importants ont été la victoire du peuple libanais en 2006 et le printemps arabe en cours, où des dictateurs qui avaient vendu les intérêts de leurs peuples ont été chassés. Votre première responsabilité ici, c’est d’obtenir un changement politique en France, que la France retrouve une attitude indépendante et cesse son alignement sur la politique des USA et d’Israël.
Propos recueillis par Roger Devaneuse, le 26 avril
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 147 (03/05/12).
Prisons palestiniennes : le témoignage de Salah Hamouri
Vendredi 20 avril, à Bagnolet, plus de 250 personnes étaient présentes pour participer à la « Soirée de solidarité avec la lutte du peuple palestinien - Libération de tous les prisonniers politiques » au côté de Salah Hamouri, libéré en décembre 2011, après avoir passé sept ans dans les prisons israéliennes.
Organisé par l’Appel des cent de Bagnolet et l’Association France Palestine solidarité, cette soirée a permis d’en savoir plus sur le combat de Salah Hamouri durant ces trop nombreuses années. Un témoignage émouvant et à la fois révolté de celui qui aujourd’hui peut raconter la violence des conditions de détention des prisonniers palestiniens – qui sont encore 4 610 à ce jour – et dans une détresse immense face à un État d’Israël toujours plus inhumain. Dans ces 20 prisons pour Palestiniens en Israël, il y a 400 enfants de 8 à 10 ans qui subissent le même traitement inacceptable que les autres adultes emprisonnés. Des enfants qui ne peuvent plus étudier, lire ou voir leurs parents parce qu’à un instant donné ils se sont révoltés. Des enfants que l’on abîme pour détruire en eux les Palestiniens qu’ils sont. Et puis il y a la détention administrative qui est sans cesse renouvelée, sans aucun motif valable, la violence de l’attente, et puis la maladie, les 400 prisonniers qui meurent à petit feu dans ces prisons inhumaines. Quant aux visites, depuis six ans elles sont impossibles pour les Gazaouis, pour les autres familles c’est un vrai parcours du combattant.
Salah Hamouri dresse ici un tableau terrible qui nous rappelle que l’État d’Israël viole impunément les lois internationales et les droits les plus élémentaires des Palestiniens. De cette soirée qui se clôturera par la joie de vivre de la compagnie Jolie Môme, on ne retiendra qu’une chose : le combat pour la Palestine et ses prisonniers sera long et douloureux mais il reste juste et nécessaire.
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 146 (26/04/12).