Le Comité NPA de Lodève (Hérault, France) a discuté de divers sites de la région où sont montrés au public des animaux terrestres, amphibies ou marins. Ceux-ci sont parfois détenus dans des conditions critiquables, voire choquantes ou inacceptables, et les conditions d’hygiène et/ou de sécurité qu’ont est en droit d’attendre de tels établissements recevant du public et des enfants peut poser problème, sans que ce soit le cas général. Ces établissements sont plus nombreux dans notre région en liaison avec l’afflux des touristes en saison. Sous l’impulsion des camarades Dominique et Bernard, le Comité de Lodève s’est proposé, en prenant le temps nécessaire, de visiter ces établissements et de se forger une opinion alors qu’un arsenal juridique apparaît concernant ces sites, et que le public est plus sensibilisé par la question de la « Défense animale ». Diverses obligations légales concernent la gestion de ces sites, et d’autres part la protection des espèces.
Concernant le « Reptilarium » de Sainte-Eulalie de Cernon, la visite a été faite par Yves Dachy (entomologiste, écologiste, NPA) et Jean Nicolas (herpétologiste, NPA). Ste-Eulalie de Cernon se situe à 15 km au Sud de Millau et à mi-chemin entre La Cavalerie et L’Hospitalet du Larzac (prendre sortie 48 sur l’A 75).
Ces notes ne sont pas rédigées pour un usage public. Nous souhaitons qu’elles soient intégrées à une série d’observations semblables dont seulement une synthèse pourrait être politiquement et publiquement utilisée. Si un document à usage public était prévu, nous souhaitons qu’il nous soit soumis pour avis avant diffusion.
Présentation du site
Dans la partie réservée au public, nous avons observé 6 crocodiliens dans des bassins semi amphibies : soit 5 crocodiles (origine africaine) et un caïman (origine américaine).
Dans des cages adaptées à chaque espèce, nous avons vu : 39 serpents, 31 lézards et 5 tortues.
Les reptiles et les crocodiliens se tiennent le plus souvent immobiles dans des conditions naturelles (la plupart ont leur propres prédateurs, qui peuvent être d’autres reptiles et des rapaces, et se défendent par des attitudes cryptiques). Ils ne se meuvent qu’à l’occasion de séquences de chasse et de déplacements souvent motivés par le mouvement du soleil et les jeux d’ombre. C’est pourquoi l’élevage de la plupart des espèces se fait dans des cages relativement petites, pourvu qu’elles soient pourvues d’une source ponctuelle de chaleur permettant à l’animal de se positionner selon le gradient de température qui lui convient. Tous sont des prédateurs attaquant des proies parfois de grande taille respectivement aux espèces considérées. Certaines espèces (par exemple des crocodiliens ou des serpents pythonidés comme le Molure présent au Reptilarium) peuvent consommer une masse très importante de nourriture carnée comparativement à leur poids, puis ne plus rien consommer pendant des mois. C’est pourquoi la discussion sur la taille des cages, qui étonnent parfois des protecteurs de la nature, ne fonctionne pas « en général » mais est un cas particulier pour chaque espèce, avec de grandes variations.
Dans un enclos extérieur, accessible au public l’été seulement, vivent 15 tortues.
Le public n’a aucune possibilité de toucher ou manipuler un animal. Plusieurs reptiles seraient tués par le stress si c’était le cas. Quelques uns pourraient mordre dangereusement (en provoquant une septicémie). Seule exception : les enfants peuvent toucher (ou caresser ?) le dos d’une placide tortue terrestre de grande taille d’Afrique occidentale occupée à se chauffer ou consommer des légumes sur le bord d’un enclos. Ce contact physique direct entre des enfants et un animal aussi emblématique et pacifique contribue à une prise de conscience du respect du vivant chez les enfants.
Chaque espèce est accompagnée d’un panneau assez détaillé, donnant une présentation pédagogique non spécialisée mais développée, avec les dénominations linnéennes complètes. Nous n’avons relevé aucune erreur ni aucune faute ou approximation par rapport aux règles de la systématique contemporaine.
La place des enfants est prévue, avec des marchepieds mobiles pour les petits enfants. Des visites guidées adaptées aux différents publics sont prévues. La vocation pédagogique du site nous a paru remarquable.
L’ensemble donne une impression de grande propreté et de compétence que nous n’avons vu autrement que chez des particuliers et dans quelques muséums nationaux. Des locaux n’émane aucune odeur. Les reptiles et les lézards ne présentent aucune blessure caractéristique des élevages bricolés, délaissés ou incompétents. Il n’y a pas de mélange d’espèces incompatibles.
Les locaux non accessibles au public, réservés au stockage des marchandises et aux élevages de proies pour les insectivores, que nous avons visités longuement, sont dans le même état de propreté et abritent les nouveaux-nés, des pontes en gestation et des animaux mis en isolement (maladie, parasitisme, quarantaine). Le propriétaire du Reptilarium ne vend pas d’animaux et préfère opérer des échanges pour rester dans le circuit des organismes spécialisés semblables au Reptilarium, comme des muséums et des herpétologistes éleveurs.
Les espèces présentées viennent d’élevages du Reptilarium ou d’échanges avec d’autres éleveurs. Les pontes sont recueillies et mises en élevage. Il n’y a pas d’animaux pris dans la nature. Plusieurs animaux sont des variétés d’élevages anciens comme on l’observe chez les chiens, les chats, les poules, etc. Le Reptilarium possède ainsi des serpents mutants (présentant des couleurs qui n’existent pas dans la nature) et un serpent albinos. Des informations sont données sur la législation concernant les élevages d’animaux non domestiques. Aucun animal directement venimeux n’est présent dans ce zoo ouvert à tous publics, pour le cas où un pensionnaire s’échapperait ou entrerait en contact avec un visiteur irresponsable. Le Reptilarium a fait l’objet d’inspections de divers services de police spécialisés. Il a été par exemple visité par une brigade spéciale de la gendarmerie : « la brigade de la Convention de Washington » qui contrôle la légalité de la détention d’animaux en regard de la Convention de Washington, « la brigade de gendarmerie pour la protection de la faune » basée à Salles-Curan (Aveyron) s’intéresse à d’éventuels détentions, commerce ou trafic d’espèces dont le prélèvement dans la nature est interdit, etc. Si, d’une part, les nombreux chasseurs peuvent dans les faits tirer sur « tout ce qui bouge », et ils ne s’en privent pas, les rares éleveurs, par contre, sont très surveillés et régis par des obligations et des textes complexes, nombreux… et parfois contradictoires. Les médias jouent un rôle trop souvent négatif quant à la détention d’animaux comme les reptiles et entretient de ce fait toutes sortes de phobies contre lesquelles il est difficile de lutter.
Discussion
Sans faire ici l’apologie du Reptilarium, nous pensons qu’il présente un choix d’espèces très judicieux, permettant même à des naturalistes expérimentés de recevoir des explications et de voir des animaux représentatifs de groupes et de comportements (évolution adaptative, mimétisme, par exemple) tout à fait importants. Nous avons regrettés l’absence de Batraciens, mais l’animateur du Reptilarium a choisi un secteur de l’herpétologie qu’il connaît bien et qui est cohérent.
Sans entrer ici dans des considérations sur la place du commerce dans cette activité (effectuer des élevages a un coût et le Reptilarium, qui est aussi une entreprise, a fixé un prix d’entrée – Un dépliant publicitaire diffusé par le Reptilarium comporte une formule mal venue : « Découvrez la vie secrète des reptiles » reprise en tête du site www.reptilarium-larzac.com. Dans la même veine, le Reptilarium vend des morceaux de mues de serpent présentées comme « porte-chance ». Des gris-gris en somme. Ces pratiques indiquent une pression marketing). A part cette dimension mercantile et chagrine, nous estimons que l’initiative du Reptilarium est remarquable. Nous en avons rarement observés qui présentaient une telle qualité.
Au rythme où les populations sauvages se réduisent en effectifs et où les espèces disparaissent, avec la pression de la chasse, l’empoisonnement des biotopes et des prélèvements et destructions de toutes sortes, il apparaît que de nombreuses espèces ont été sauvées par l’action des éleveurs, vivariophiles, terrariophiles ou aquariophiles, presque toujours amateurs, sans qui des espèces éteintes dans la nature auraient été définitivement perdues à l’instar du Cheval de Przewalski qui ne comptait plus en 1977 que 300 individus vivants tous en captivité à travers le monde (dont un élevage en France), et aujourd’hui en phase de réintroduction en Mongolie. Il en est ainsi, par exemple, pour les Cyclidés de lacs africains dévastés par des pêches excessives et l’introduction de la perche du Nil, et pour divers Reptiles mis au bord de l’extinction par le braconnage à outrance pour le commerce de leur peau. Le film d’Hubert Sauper (2004) « Le cauchemar de Darwin », centré sur le lac Victoria, rend compte de cette destruction d’une ichtyofaune endémique par des prélèvements forcenés, l’introduction catastrophique d’une espèce étrangère envahissante (la perche du Nil), à quoi s’ajoute une pollution effarante par les riverains du lac, pour un commerce anarchique motivé par la pauvreté et les trafics. Presque toutes les espèces de Cyclidés du lac Victoria, disparues dans leur biotope d’origine, ont survécues en élevage et se reproduisent chez des aquariophiles qui entretiennent la bonne santé génétique de leurs poissons par des échanges. Les aquariophiles spécialistes de la famille des Cyclidés disent, avec justesse, qu’il y a, à notre époque, « plus de Cyclidés dans les aquariums que dans les lacs africains » ! Un même phénomène commence à apparaître avec divers animaux d’élevage.
Voyons comment nous trouvons trace de cette réalité dans le Reptilarium de St-Eulalie de Cernon. Arrêtons-nous sur trois espèces extraordinaires présentes au Reptilarium :
Le Python Birman ou Molure (Python molurus, ssp. bivittatus) était autrefois relativement abondant en Asie tropicale (de la Birmanie au Sud de la Chine, Bornéo). Il existe une autre sous-espèce propre à l’Inde. Le molure est aujourd’hui en voie de disparition. Il est méthodiquement chassé à cause de sa peau splendide et réticulée très recherchée en maroquinerie. Ses populations ont déclinées au fur et à mesure que les habitants des campagnes dans son aire de répartition se sont adaptés au commerce capitaliste. Espèce atteignant une grande taille – un grand molure peut consommer un cochon moyen ou un mouton – elle ne comporte que peu d’individus au km2 et les grands exemplaires, moins arboricoles que les jeunes, sont relativement faciles à trouver. Il a donc été éradiqué sur de vastes surfaces pour enrichir quelques trafiquants de peaux, carapaces et fourrures. En outre, les biotopes qui l’abritaient on été pour partie remplacés par des plantations de palmiers à huile où il n’a plus sa place tout comme ses proies naturelles, et les zones urbanisées se déploient… La détention de Python vivant en élevage en France nécessite le CDC (Certificat de Capacité), du fait de sa grande taille (max. 6 m, 100 kg, des individus exceptionnels de 8 m ont été trouvés) et du danger potentiel qu’un animal de cette puissance peut présenter (il tue ses proies par étouffement).
Le Basilique (Basiliscus plumifrons), appelé en Amérique Centrale « Lézard à plumes » à cause de son aigrette ou « Lézard Jésus-Christ », parce qu’il est le seul lézard au monde capable de courir sur l’eau sans sombrer. Originaire d’Amérique centrale où ses populations se réduisent avec l’anthropisation des milieux et le commerce dont il fait l’objet à l’état vivant à cause de sa réputation christique, il est délicat à maintenir en élevage (nervosité, fragilité) mais des spécialistes y parviennent et leur expérience enrichit les connaissances sur cet animal prodigieux en vue de le pérenniser en élevage. Des cas de reproduction parthénogénétique ont été observés. Les paramètres expliquant sa faculté de courir sur un plan d’eau ont été démontrés récemment par une équipe de physiciens (qui confirment qu’aucun homme aux pieds nus n’a jamais et ne pourra jamais marcher sur l’eau !). Il est maintenu au Reptilarium dans des conditions optimum : l’animal ne présente pas les blessures rostrales typiques de ce lézard quand il est maintenu en mauvaise condition par des éleveurs inexpérimentés ou des commerçants incompétents.
Le Varan du Nil (Varanus niloticus, ssp ornatus), un géant du genre, prédateur opportuniste, farouche et nerveux en temps normal, donne des coups de queue surprenants par leur force et leur précision. Les populations de cette espèce africaine répandue du Nil au Cap de Bonne Espérance, et dans toute l’Afrique sauf l’Afrique du Nord et la Mauritanie se morcellent car il est désormais chassé par des populations humaines affamées (ce qui n’était pas le cas dans un passé récent à cause de sa viande plus ou moins toxique et malodorante, le Varan étant volontiers charognard). Maintenant sa viande – comestible quand elle a été bouillie – apparaît sur des marchés africains. Il est présenté au Reptilarium dans un état remarquable. L’animal (d’une taille record, soit dit au passage) est très calme et dans un état physique superbe. Il ne présente pas les blessures du museau signant les individus qui essaient de s’échapper. Il est ici conservé dans une cage de grandes dimensions (env. 15 m2), avec bassin, adaptée au besoin d’espace de ce prédateur semi aquatique qui fait de grands parcours dans ses biotopes naturels et réclame une certaine distance par rapport au public. Il est considéré comme « dangereux » par les habitants dans son aire d’origine
L’un de nous [Yves] l’a observé au Sénégal. Il s’introduit facilement dans les poulaillers et consomme œufs, poussins et poulets. Il déambule sans crainte autour des villages à la recherche de charognes et frappe cruellement les chiens qui osent l’approcher. Sa morsure provoque des envenimations très graves que les populations de brousse ne savent pas soigner. On peut prévoir sa raréfaction sinon sa disparition sur de vastes territoires s’il est systématiquement chassé, et alors que sa population est clairsemée partout et rare dans les zones arides.
Aux personnes qui s’opposent à toute forme de « zoos » ou d’élevage, nous rappelons que l’élevage par des gens compétents et sérieux est le seul pourvoyeur de projets de sauvetage d’espèces animales et végétales en voie d’extinction, et aussi de projets de réintroduction dans des milieux pouvant assurer la pérennité de l’espèce.
D’autre part, l’observation in natura d’un python birman ou d’un varan du Nil n’est pas accessible à tous et la question reste posée de la légitimité des élevages pédagogiques qui ne sont pas étrangers aux élevages de sauvetage.
Yves Dachy et Jean Nicolas, le 18 octobre 2009.