Depuis des mois déjà, une campagne de solidarité est en cours au Pakistan même [1] et sur le plan international [2] pour obtenir la libération de Baba Jan et de ses quatre camarades : Iftikhar Hussain, Amir Ali, Ameer Khan and Rashid Minhas. Ils ont incarcéré à Gilgit, dans le Nord himalayen du pays. Par deux fois sévèrement battus et torturés [3], ils ont été transférés fin avril dans une prison de haute criminalité où l’on pouvait craindre que leur vie soit en danger. L’objectif de ce transfert pouvait en effet être de les faire assassiner par des détenus de droit commun.
Il ne faut surtout pas prendre à la légère une telle situation. Non seulement des cadres d’organisations populaires (paysannes, syndicales…) sont tous les ans abattus dans le pays, mais des personnalités de premier plan peuvent être assassinés par les forces de sécurité, comme feu le gouverneur du Pendjab Salman Taseer [4], ou menacés de mort : c’est aujourd’hui le cas pour Asma Jahangir [5]. Ancienne présidente de l’Association du Barreau de la Cour suprême (Supreme Court Bar Association) et de la Commission des Droits humains du Pakistan (Human Rights Commission of Pakistan, une organisation non gouvernementale), elle a travaillé pour les Nations Unies en tant que Rapporteure spéciale sur la liberté de religions et de croyances. Rappelons aussi qu’une Première Ministre, Benazir Bhutto, a été abattue en plein jour et qu’une commission d’enquête de l’ONU a conclu que cet assassinat aurait pu « être évité » si les autorités lui avaient fourni une « protection effective » [6]…
Face à la menace pesant sur les « 5 de Hunza », la campagne de solidarité a été relancée dans l’urgence, a pris de l’ampleur et a obtenu de premiers résultats positifs : douze jours après avoir été blessés, Baba Jan et ses camarades ont enfin reçu la visite d’un médecin, des organisations de défense des droits humains se sont mobilisées et la presse pakistanaise a commencé à se faire l’écho de leur situation.
Alors que leur « crime » est d’avoir apporté leur soutien à une population victime tout d’abord d’inondations dévastatrices dans la vallée de Hunza, puis de violences policières – deux morts lors d’une manifestation –, Baba Jan et ses camarades (surnommés les « 5 de Hunza ») ont été traduits devant une juridiction antiterroriste. Ils ont fait appel de cette décision, mais l’audience ne cesse d’être reportée sous divers prétextes (elle est maintenant prévue pour le 13 juin). On peut craindre que le pouvoir veuille obtenir leur condamnation avant que leur appel puisse être entendu.
La campagne se solidarité doit donc s’intensifier d’urgence. Une semaine d’action internationale est notamment prévue du 20 au 27 juin prochains.
La campagne de solidarité : ce qui a déjà été fait
Les actions menées jusqu’à aujourd’hui ont permis de rompre l’isolement dans lequel étaient maintenus les « 5 de Honza », ce qui leur a peut-être sauvé la vie. Elles doivent aussi servir de point d’appui pour élargir la campagne de solidarité. Ce qui mérite d’être souligné ici, c’est que les initiatives impliquent un éventail assez large de personnalités et mouvements. Signalons notamment :
Appel international de personnalités. Le 7 mai, une « Lettre ouverte » a été publiée en défense de Baba Jan et de ses camarades, initialement signée de treize écrivains et universitaires de Grande-Bretagne et des USA, dont Tariq Ali, Noam Chomsky, Vijay Prashad [7]…
Appel d’organisations de défense des droits humains. Le 7 mai, la Commission des Droits humains du (HRCP) a lancé un « appel urgent » en défense des « 5 de Hunza » [8]. 10 mai, ce fut au tour de la Commission asiatique des droits humains (AHRC) de faire de même [9]. Le 26 septembre 2011 déjà, aux Philippines, ALTHAR – l’Alliance des Défenseurs des Trois-Peuples pour les Droits humains (Alliance of Tri-People Advocates for Human Rights) – avait envoyé une lettre au président pakistanais via l’ambassade de Manille [10].
Appel de réseaux écologistes radicaux. Ces appels ont notamment été suscités par le fait que Baba Jan et ses camarades sont poursuivis pour avoir pris la défense de populations victimes d’une catastrophe climato-écologique. Ils ont été lancés par Climate and Capitalism et par Natural Choices [11]. La Campagne contre le changement climatique groupe syndical de Grande-Bretagne (Campaign against Climate Change Trade union group Britain) s’est aussi jointe à la solidarité.
Soutiens par des mouvements sociaux en Asie. Le 10 mai, la Nouvelle Initiative syndicale (New Trade Union Initiative) d’Inde a envoyé une lettre de solidarité via la Fédération nationale des syndicats (National Trade Unions Federation) du Pakistan [12] – un geste de solidarité d’autan plus précieux que les gouvernements maintiennent ces deux pays en état de guerre latente l’un contre l’autre. Le 24 mai en Indonésie, une délégation unitaire du Secrétariat uni du Travail pour le Grand Jakarta (Joint Secretariat of Labor – Greater Jakarta), qui comprend bon nombre de syndicats, mouvements étudiants, etc., a porté une lettre de protestation à l’ambassadeur pakistanais [13].
Soutiens parlementaires. Des initiatives ont été annoncées au Parlement européen. En Australie, David Shoebridge, parlementaire, a écrit au Haut Commissaire et au Consul général Pakistan, demandant la libération Baba Jan et ses codétenus.
Soutiens socio-politiques. Baba Jan étant membres du comité fédéral du Parti du Travail (Labor Party Pakistan, LPP) et ses camarades étant des militants du LPP ou du Front des Jeunes progressistes (Progressive Youth Front, PYF), ils ont aussi reçu à ce titre le soutien d’organisations sœurs. Le 22 septembre 2011 déjà, une déclaration de solidarité avait été signée d’une trentaine d’organisations (politique, syndicales, etc.) [14] et d’autres initiatives ont été prises depuis. On note, parmi les pays concernés : l’Allemagne, l’Australie, le Bangladesh, la Croatie, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Malaisie, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, les Philippines, la Suisse….
Nombreuses actions au Pakistan même. A l’initiative du LPP et avec le soutien d’autres organisations, de nombreuses actions ont été menées au Pakistan, dont des manifestations dans diverses villes. Le 5 juin, Farooq Tariq a pu soulever le cas de Baba Jan et de ses camarades lors d’une rencontre collective avec Navi Pillay, Haut Commissaire de l’ON aux Droits humains. Des rassemblements ont eu lieu devant le Club de la Presse à Lahore, pour inciter les médias à informer la population de la situation faite aux « 5 de Hunza » – de même trois jours de grèves de la faim sont prévus par le Comité pour la libération de Baba Jan (FBJC) les 15, 16, 17 devant le Club de la presse de Karachi.
Ce point sur la solidarité menée jusqu’à ce jour est probablement incomplet et pourra être ultérieurement mis à jour.
La campagne de solidarité : la prochaine étape
Une nouvelle impulsion est donnée à la campagne de solidarité.
Appel à la semaine internationale du 20-27 juin pour la libération de Baba Jan et de tous les prisonniers politiques au Pakistan. Il est demandé a ce que des initiatives soient menées en direction des missions diplomatiques pakistanaises, dénonçant notamment l’usage par l’establishment des juridictions antiterroristes pour réprimer les militant.e.s des droits humains, les syndicalistes ou cadres paysans, les éléments progressistes.
L’important est que des actions (délégations, rassemblements et « pickets »…) soit menées dans le plus grand nombre de pays possible, pour mettre sous pression les pouvoirs pakistanais face à l’internationalisation croissante de la protestation et pour alerter les médias.
La semaine internationale servira aussi de coup d’envoi à la semaine d’action nationale qui la suivra immédiatement.
Une semaine d’action au Pakistan du 27 juin au 4 juillet. Outre les trois jours de grève de la faim à Karachi, une semaine d’action nationale est prévue fin-juin début juillet. Elle doit se conclure le 4 juillet sur un rassemblement national à Islamabad, la capitale.
Une conférence multipartis le 18 juillet. Le tout devrait déboucher sur la tenue d’une conférence multipartis concernant la situation au Gilgit-Baltistan (les « Territoires du Nord ») et l’utilisation abusive de l’Acte anti-terroriste.
Le LPP étudie la possibilité d’engager une action légale contre les articles de l’Acte antiterroriste qui contredisent les provisions contenues dans la Constitution pakistanaise en protection des droits humains.
Des enjeux considérables
Il faut sauver les « 5 de Hunza » et obtenir leur libération. Pour eux et aussi parce qu’ils constituent un cas d’école. Ils sont en effet loin d’être seuls concernés. Le recours à la torture par les forces de « sécurité » est fréquent l’utilisation des juridictions antiterroristes systématique. Les peines infligées sont souvent totalement arbitraires, terriblement lourdes. La criminalisation des mouvements sociaux progressistes a atteint des niveaux extrêmement graves. De Faisalabad à Karachi en passant par Lahore, les syndicalistes sont dans la ligne de mire [15], ainsi que les paysans et petits pêcheurs, d’Okara [16] à Karachi [17] en passant par Dehra Sehgal [18].
Défendre les défenseurs des droits humains. Sollicitée, Amnesty International n’a pas voulu prendre elle-même en charge la défense des « 5 de Hunza », tout en se félicitant que la Commission des Droits humains du Pakistan l’ai fait. On comprend qu’AI ne puisse traiter directement de tous les cas, dans le monde entier, et s’en remette à d’autres organisations. Mais il y a de nombreux appels pour que la défense des défenseurs des Droits humains soit plus systématiquement assurée – car en se solidarisant avec les réprimé.e.s, ils se mettent en danger et deviennent eux-mêmes la cible de la répression. C’est exactement ce qui est arrivé à Baba Jan et ses camarades : ils sont en détention pour avoir fait connaître à l’échelle fédérale ce qui se passait dans la vallée de Hunza.
Lutter contre la torture et le terrorisme d’Etat. Les sectes fondamentalistes sont responsables de bien des crimes au Pakistan, mais les appareils d’Etat aussi, de l’armée aux services secrets, de la police aux paramilitaires : c’est d’eux qu’il est question ici. Cet Etat, fractionné, est l’un des plus violents au monde ; ses composantes criminelles bénéficient d’une l’impunité rarement égalée [19]. La solidarité concerne très directement les associations qui se mobilisent contre la torture et l’impunité des Etats.
Mettre un terme à la criminalisation des luttes populaires. La politique de criminalisation des syndicats et mouvements populaires est très sensible à l’échelle internationale. Elle atteint un paroxysme au Pakistan. La défense des militant.e.s progressistes pakistanais est de la responsabilité du mouvement syndical mondial, des forums sociaux et de leurs composantes. Les liens sont actifs avec les réseaux opérant en l’Asie du Sud, mais il faut aujourd’hui aller au-delà.
Le droit à l’existence d’une gauche militante. La gauche militante pakistanaise n’a pas le même poids historique qu’en Inde ou au Bangladesh. Mais elle existe – comme en témoigne par exemple le LPP ou le Parti des travailleurs (Workers Party) – et elle donne naissance à des structures unitaires. Ses militant.e.s prennent de très gros risques en s’engageant dans les résistances sociales, en défendant les droits des femmes, en s’opposant tant aux fondamentalistes qu’à l’armée. La gauche militante est soumise à des attaques venant d’horizons variés : forces de sécurité, milices des patrons et propriétaires terriens, groupes fondamentalistes armés, partis mafieux comme le MQM à Karachi… Elle a besoin de notre aide, maintenant.
Une solidarité dans la durée. La prochaine étape de la campagne pour la libération des « 5 de Hunza » doit être l’occasion de faire connaître plus largement la situation pakistanaise et d’inscrire la solidarité dans la durée. La répression frappe dans tout le pays. Au-delà de Baba Jan et de ses camarades, c’est avec toutes les victimes de l’arbitraire étatique et de la violence sectaire, fondamentaliste, que nous devons nous identifier. Ouvriers, paysans, femmes, journalistes, étudiant.e.s, militant.e.s politiques. Toutes celles et tous ceux qui se dresse contre les pouvoirs en place sont menacés.
Il faut en conséquence élargir la solidarité dans toutes les directions : parlementaires, associations démocratiques, partis progressistes, syndicats, médias…
Le soutien financier. La défense des victimes du terrorisme d’Etat demande d’importants moyens : action juridique, travail d’information, mobilisations, voyages, aide aux familles qui ont perdu tout revenu avec l’emprisonnement d’un syndicaliste ou l’assassinat d’un villageois… Il faut poursuivre donc la campagne de solidarité financière engagée en 2011 [20].
La répression contre les résistances populaires s’est durcie. Il est clair que les partis au pouvoir dans bon nombre de provinces, les grandes familles possédantes et l’appareil de sécurité veulent casser les reins des mouvements progressistes. Une épreuve de force est engagée. C’est le moment d’affirmer notre solidarité.
Pierre Rousset
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Pierre Rousset
Danielle Sabai
pour ESSF