Si en 2002 le forum social de Porto Alegre 2 avait éclipsé son rival le forum économique de Davos, exceptionnellement réuni à New-York pour cause du 11 septembre, Porto Alegre 3 s’est imposé au monde et aux puissants sur le plan idéologique, médiatique et politique comme « l’Autre Forum ». Pour tous, il y a maintenant 2 forums sur la planète : le forum social et le forum économique. C’est le principal acquis du mouvement antimondialisation.
En parallèle, les participants ont gagné en force et en maturité. Porto Alegre est désormais un point de convergences des forces sociales de la planète, qui, après s’être rencontrées lors des nombreux forums « régionaux » (européen à Florence (Italie), asiatique à Hyderabad (Inde), Moyen-orient à Ramallah,...), se sont retrouvées au Brésil en cette fin janvier 03. Le FSM n’est pas une grand-messe de plus. C’est désormais le lieu où l’on fait le point pour agir ensemble, coordonner des campagnes à l’échelle planétaire, générant ainsi une dynamique propre, des forums dans le forum. Dans ce processus se sont tenus, comme une sorte de prologue, des forums thématiques : enseignant, média, chorale, syndical, parlementaire...
Forum parlementaire et forum syndical
Réuni également pour la troisième fois consécutive, le Forum parlementaire mondial (FPM) s’est tenu du 22 au 24 janvier 03. Il a rassemblé dans les locaux de l’Université catholique de Porto Alegre quelques 300 parlementaires, originaires de 29 pays et de différentes appartenance politiques. L’eurodéputée de la LCR, Roseline Vachetta y a activement participé, intervenant notamment sur les relations entre les partis politiques et les mouvements sociaux. Mais l’essentiel des débats de ce forum, et d’une manière générale pour l’ensemble du FSM, a été marqué par la logique de guerre en Irak. Après 3 jours de débats, les parlementaires ont adopté une résolution (cf. encart du réseau parlementaire international) contre les plans de guerre en Irak et pour l’arrêt de l’occupation des territoires palestiniens par Israël. Ils appellent à manifester le 15 février 03 dans toutes le capitales du monde contre la guerre avec ou sans l’ONU. Ils ont approuvé le principe de l’envoi d’une délégation d’élus à Bagdad avant le 5 février 03. Alain Krivine se rendra avec une délégation de 34 eurodéputés dans la capitale irakienne en soutien à la population et contre la dictature de Saddam Hussein.
L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui tiendra sa prochaine conférence ministérielle à Cancun (Mexique) du 10 au 14 septembre 03 était également dans la ligne de mire. Les nécessités de mettre en échec l’Accord général sur le Commerce des Services (AGCS) qui menace les services publics et la démocratie, de promouvoir une taxation des mouvements de capitaux et un développement alternatif ont été adoptées.
Enfin le Forum parlementaire a adopté une résolution de soutien au peuple vénézuélien. Dans ce document, il critique l’opposition au service des patrons et la manipulation des faits par les grands medias au services des putschistes vénézuéliens.
Dans un même esprit, des syndicalistes du monde entier se sont réunis les 22 et 23 janvier 2003 à Porto Alegre au sein d’un forum syndical mondial organisé conjointement par la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), la Confédération mondiale du travail (CMT) et la Confédération européenne des syndicats (CES). Des syndicalistes CGT, CFDT, FO, CFTC, FSU, UNSA, et G10 composaient la délégation française. Cette participation syndicale plus significative qu’auparavant marque-t-elle une nouvelle orientation et prise de conscience du syndicalisme ?
Dans un cas comme dans l’autre, ces forums ont été, certes des moments privilégiés d’échanges mais surtout des lieux d’élaboration et de construction de réseaux permanents fonctionnant à leur rythme, tout au long de l’année. Ces forums préparent ainsi les prochains mouvements sociaux. Porto Alegre 3 marque de ce point de vue un tournant et une accélération dans la structuration du mouvement antimondialisation.
Le Forum social mondial
Ce FSM est un succès à plus d’un titre. D’abord, la participation. 100 000 personnes (soit près du double de l’affluence enregistrée en 2002 ) - essentiellement latino-américaines - ont assisté à une centaine d’assemblées, de tables rondes, de séminaires et à une multitude d’ateliers (plus de 1700). Ensuite Porto Alegre 3 a su être en phase avec la nouvelle situation politique au Brésil, du continent sud-américain et de la donne internationale (cf encart appel des mouvements sociaux). Cela n’était pas joué d’avance. Le FSM aiguise à présent bien des appétits, aussi bien « philanthropiques » de la part, par exemple de la fondation Ford ou de la compagnie nationale pétrolière brésilienne Petrobras, que « humanistes » de la part de courants politiques qui ayant été au pouvoir dans leur pays ont appliqué sans retenue les doctrines néo-libérales... Les mouvements sociaux, et c’est le plus important, gardent cependant l’hégémonie et la centralité de l’événement. Enfin Porto Alegre a été un sommet de la jeunesse du monde ; un espace spécifique a regroupé près de 30 000 jeunes.
Le FSM s’est ouvert par une grande marche d’ouverture dans les artères de la capitale du Rio Grande do Sul. Une foule bigarrée, jeune et populaire a défilé contre la guerre en Irak, contre l’OMC et contre la zone de libre échange des Amériques (ZLEA, qui doit englober, à partir de 2005, tous les pays du continent à l’exception de Cuba). Les jours suivants, sur 4 sites dans la ville, des milliers de délégués originaires de 125 pays ont participé aux débats.
Signe des temps ou absence de campagne électorale imminente, seules quelques personnalités politiques françaises ont fait le déplacement au Brésil cette année. A peine a-t-on pu voir quelques heures François Hollande, secrétaire du PS errer dans le Forum parlementaire. La LCR avait dépêché Olivier Besancenot qui a animé des rencontres dans le camps jeunes.
Mais Porto Alegre 3 restera marqué par la venue d’invités très spéciaux : Luiz Inazio « Lula » Da Silva, le nouveau président du Brésil et Hugo Chavez, président du Venezuela. Dans un continent en pleine ébullition (Brésil, Equateur, Venezuela, Colombie, Argentine, Uruguay...), ces visites prenaient un sens tout à fait particulier. Le Brésil vient de connaître un changement politique historique avec la victoire du Parti des Travailleurs (PT). C’est une victoire des classes populaires contre l’impérialisme et les classes dominantes. Mais le nouveau gouvernement - auquel participe nos camarades de Démocratie Socialiste - est à l’heure des choix, choisir justement entre Porto Alegre et Davos. Ainsi Lula, juste avant son départ pour le Forum Economique Mondial de Davos où il a proposé aux « saigneurs » du monde la création d’un fonds international afin de lutter contre la faim et la misère du Tiers Monde et d’encourager la paix, était venue saluer les électeurs et les militants du PT. Devant une foule immense massée sur le Por do Sol, Lula a déclaré : « Je ne peux pas commettre d’erreurs parce que ce n’est pas grâce à l’appui d’une chaîne de télévision que j’ai été élu. Ce n’est pas grâce à l’appui des banques que j’ai été élu. Ce n’est pas grâce aux intérêts de grands groupes économiques. Ce n’est même pas pour ma capacité ou mon intelligence que j’ai été élu mais grâce au niveau élevé de conscience politique de la société brésilienne ».
Enfin le FSM s’est conclu par une marche pacifiste et anti-libérale rassemblant plusieurs milliers de personnes. Les nouvelles échéances du mouvement antimondialisation ont alors été annoncées. D’abord le sommet du G8 à Evian (France) du 29 mai au 1er juin 03. Pour les Européens, le forum social européen de Saint Denis (France) du 12 au 16 novembre 03. Et enfin, le prochain FSM. Après maintes discussions, le FSM quittera le Brésil pour l’Inde, et plus précisément l’Etat du Kerala, un des plus petits Etats de l’Inde du sud. Porto Alegre retrouvera son statut de capitale du monde en 2005.