À quatre jours des élections tout se désintègre. Le réel et ses perceptions, notre doxa politique ainsi que tous ses paradoxes réunis, désormais mis à nu. On nous « prépare » pour l’installation de la nouvelle version du système d’exploitation « eurosoft », le formatage serait en cours. Ainsi et par précaution, dans nos clusters ou dans nos caves, nous stockons déjà de la nourriture, de l’essence et de la patience. Au cas où... Visiblement, comme dans toute guerre, la peur se mêle à l’espoir à de proportions toujours plus improbables. Certains même, parmi les humbles « attitrés » de la première ligne, céderaient même à la panique. Citoyens disons lambda, des matricules et des comptes. Chez ceux, qui possèdent encore un peu d’économies, c’est sauve qui peut. Enfin et pour ne rien arranger, fatalement s’y ajoutent aussi, les « pertes collatérales », comme ce pharmacien, abattu à l’heure du repas de midi par les bandits du jour, nos pharmacies seront donc fermées demain vendredi, en signe de deuil et de protestation, car la criminalité rampante de ces derniers mois, est analysée et vécue, comme un fait politique.
Avant hier, Antonia, retraitée modeste de la Grèce rurale, a reçu son avis d’imposition de l’année 2012, et depuis, elle ne sait plus comment y faire face. Refrain connu, la retraite déjà maigre est amputée, tandis que l’imposition se trouve considérablement augmentée. Yannis, petit commerçant encore en activité voit son imposition tripler cette année, et il s’en sortira grâce à son épargne. Il est moins serein qu’il y un an : « J’ai 71 ans, je travaille depuis l’âge de seize ans, ce magasin je l’ai depuis quarante ans, je travaille encore, mais je vois que c’est fichu. Je veux que ce pays soit enfin gouverné par sa jeunesse, que tous ces anciens de la Nouvelle Démocratie et du PASOK disparaissent à jamais. Ils ont trop mangé durant trente ans, ils ont placé leurs sbires dans l’administration, ce n’est plus tolérable ». Un autre homme, la quarantaine passée, intervint alors dans la discussion : « Nous ne voulons plus les voir... et nous prendrons les armes... » Qui, comment, contre qui ? Mystère. Et la mort, nous guette, y compris dans un sens très politique. Un militaire à la retraite s’est suicidé hier, mais la nouvelle n’a pas été largement diffusée. Les médias ne rapportent plus grand chose à propos des suicides, propagande ou alors banalisation ?
Ici, le futur c’est pour demain matin. Notre Démocratie Hellénique ainsi brisée en mille morceaux... se terminerait, on le sent, et on assiste peut-être déjà, à son râle agonique. Car sa mise à mort est inscrite sur la feuille de route des bancocrates. C’est ouvertement exprimé à Bruxelles ou à Berlin, et on commence à le suggérer même depuis Paris : « Votez Mémorandum et on vous aidera ensuite ». C’est en résumé ce que le Président de la République française, a souhaité nous dire à sa manière, certes, et très gentiment mercredi soir, en accordant une interview à la chaine de télévision grecque « Mega », soit dit au passage, la télévision la plus « en phase » avec le régime bancocrate et le Pasokisme chez nous, pratiquant la déformation systématique des propos des adversaires politiques du système. C’est évident. Les intérêts des élites politiques et économiques françaises, souhaitent nous maintenir en... milieu carcéral eurolandais, nous avertissant d’ailleurs sans mentir, que parmi les « geôliers », certains étant plus « méchants », nous « prépareraient » alors pour le bagne. C’est finalement le seul sens réellement existant (et restant) de l’Union Européenne : anti-démocratique, anti-populaire, anti-social, anti-humaniste, et ceci, depuis étouffement du « Non » des Français au référendum sur le traité établissant une « Constitution pour l’Europe » de 2005, et jusqu’au vote anti-mémorandum grec du 6 mai 2012. L’histoire s’en souviendra et les historiens de l’après U.E., souligneront l’ironie dans toute sa diachronie. Un futur cas d’école à Sciences Po. Mais, il ne faudrait pas non plus accabler incommensurablement les politiques, il agissent rarement « hors saison », et avouons-le, même les historiens n’y arrivent pas parfois. Donc passons ? Sauf que la déclaration de François Hollande, peut aussi indiquer une porte de « sortie honorable », c’est à dire la négociation du Mémorandum, une thèse déjà... Syriziste, selon l’analyse de l’hebdomadaire satyrique « To Pontiki » jeudi 14 juin.
Depuis Athènes, on se montrera assez compréhensifs avec le futur encore une fois, à défaut de l’avoir suffisamment été avec le sens de l’histoire. « Votez mémorandum, car sinon, l’axe franco-allemand ou banco-allemand, ou banco-americain, (ou tout à la fois), ira passer le balai chez vous, et sur les derniers morceaux de votre miroir démocratique brisé ». Voilà le message d’alerte avant formatage. Pas de choix, le formatage de très bas niveau comme unique option. Pourquoi se rendre aux urnes, là où le droit de vote ne sera plus une fonction installée par le... système d’exploitation ? Question d’emballage peu-être, mais pas pour si longtemps et pas qu’en Grèce.
Là résiderait le sens profond du paradigme grec. Car faire croire aux opinions publiques de la perfide eurocratie, que le pays représentant 3% de l’économie de « l’Euro belt » détruira la dernière monnaie continentale gérée par l’Allemagne, ou que le méta-capitalisme mondial serait en péril parce 30% des Grecs ont fraudé vis à vis du fisc de leur pays, (à l’image du 100% des maîtres économiques de ce très monde) c’est courir le risque du bug pour... rien.
Le seul grand paradigme qui découle de l’affaire grecque se résumerait en cette volonté de pulvériser les institutions démocratiques dans un espace publique si proche du modèle occidental, et néanmoins si « exotique » pour pouvoir le stigmatiser, et ainsi permettre un des meilleurs « essais nature », avant la finalisation du projet ailleurs. Ce qui n’enlève rien à la responsabilité des Grecs eux-mêmes, car ils ont cru participer à la « fête » du turbocapitalisme et du consumérisme, faisant comme si, leur pays était une grande puissance géopolitique tout en cautionnant un pouvoir politique durablement petit et historiquement néfaste.
La Grèce n’est pas un pays européen au même titre que ceux de l’eurocentre, ni balkanique d’ailleurs de la même manière que ses voisins. Dépourvu d’authentique bourgeoisie industrielle, et sans vrai capitalisme non plus pour les mêmes raisons, ce pays fut le seul des Balkans à ne pas connaître le... réalisme du socialisme intégral de l’après 1945. La Guerre civile n’a rien arrangé (un épisode quasi inaugural d’ailleurs de la Guerre froide), et on se souvient encore, combien l’ambassadeur des États-Unis, pouvait également, administrer de gifles (au sens propre et figuré), aux « ministres » du « gouvernement » grec de l’époque. Depuis, le capitalisme familiocrate individualiste avant l’heure, s’est imposé comme « règlement intérieur » du pays.
Travail, famille et clan, voilà une dimension de taille dans le projet sociétal, et en plus, sans cette osmose entre le monde de la gauche et celui de la droite au sein du même État-nation, sans ces compromis nécessaires, initiateurs des trente glorieuses (comme en France dès 1944-1946), voilà une autre conséquence de la Guerre civile. Ainsi la Grèce a finalement basé son « essor » sur émigration de ses jeunes vers l’Allemagne, l’Australie et les États-Unis, sur la petite propriété et entreprise, sur la marine marchande et enfin sur le tourisme. Car il demeure significatif qu’encore de nos jours, les salariés du secteur privé employés des entreprises d’une certaine taille, disons capitalistique, demeurent minoritaires. Petite entreprise, individualisme acharné, clientélisme et microcapitalisme clanique ont relativement bien fonctionné jusqu’à l’avènement de la « parousie bancaire », et de sa sœur adoptive ou jumelle (c’est selon) l’Union Européenne, (et des autres structures porteuses du même projet « social ultraliberal » comme le FMI par exemple). La suite de l’histoire semble mieux connue, introduction de la monnaie euro-allemande (l’euro), et spéculation illimitée, accompagnée de l’endettement et d’une acculturation... globalisante.
Les politiciens n’ont jamais voulu expliquer ces enjeux à leurs clients, les « citoyens », et ses derniers, peu regardants sur les conséquences et le long terme, ils se sont contentés des facilités, comme avec « leurs » banquiers. Pourtant, il y a un paramètre très occidental, traversant l’altérité de « l’hybris » grecque. Le régime politique demeure démocratique (certes, porteur d’un sens dans le civisme assez atrophié), tandis que les libertés d’expression et de débat n’ont rien à envier à leurs équivalents, chez les autres démocraties à l’occidentale, de l’avant crise en tout cas. Une démocratie finalement para-bourgeoise, parachutée jusqu’au Kilimandjaro du néo-capitalisme des bancocrates, sans se donner la peine de passer (et sans le pouvoir) par le stade stabilisateur et créateur de structures et des mentalités « grand productives », celui de l’industrie et de l’innovation.
D’où l’immense intérêt du crash test grec : « Broyons le paradigme atypique pour mieux affiner les méthodes ailleurs ». Décidément, le siècle bancocrate soit il verra le jour dès demain sans la démocratie, soit les peuples redeviendront souverains et les travailleurs retravailleront, mais encore, il va falloir inventer à l’échèle du monde pour ainsi façonner un autre cadre international ou régional, en Europe déjà, ce qui n’est guère démontrable par avance ou par auto-proclamation.
Nul n’est prophète nulle part, et les Grecs qui n’ont rien « d’un peuple élu », et ceci, en dépit des inepties conspirationnistes racontées, très en vogue chez nous en ce moment. En revanche, ce qui est certain c’est que le peuple grec se trouve (presque) « malgré lui », sur la première ligne de la Troisième Grande guerre des monnaies et des géopolitiques en gestation à travers cette région « hypostasique » du monde. Et les enjeux de cette guerre, froide d’abord et potentiellement « chaude » par la suite, échappent (partiellement) à notre grille d’analyse en Grèce, pourtant, après deux années, vécues sous le memorandum.
Et on ira enfin revoter. Place Syntagma et derrière l’arbre de Dimitri, la Nouvelle Démocratie a installé son kiosque à l’ancienne. Mauvais présage ? Ainsi, les plus accablés parmi nous sont pessimistes sur le court terme - SYRIZA ou pas - car tout semble nous conduire vers la « gentille » Apocalypse, sauf qu’on peut aussi savourer ces rares moments créatifs dans l’action politique, à travers les terrasses des cafés, les meetings et enfin nos plages, très fréquentées. C’est vrai qu’à 35°C à l’ombre et au chômage, le temps ne manque plus. Pareillement, pour ceux qui travaillent encore, c’est désormais la semaine de quatre ou de trois jours, comme chez certaines maisons d’édition athéniennes. Cela fait aussi partie du formatage.
La désintégration se précise alors. Hier, mon ami S.P., instituteur, s’est rendu à « sa » banque, pour retirer 5.000 euros, c’est à dire l’ensemble de ses économies. Prétextant le changement de la législation ainsi que du règlement, les employés de l’agence, ont exigé la présentation d’un certain nombre de documents, (avis d’imposition par exemple) pour que la demande puisse aboutir. Mais à chaque fois, un nouveau document manquait, comme par hasard. S.P., excédé, s’est rendu enfin au commissariat le plus proche, pour... se faire aider, car il considère que la banque n’a pas le droit de refuser la restitution de cette somme. Les policiers, souriants et amers, lui ont alors expliqué que « tout simplement le clash commence et qu’on ne peut plus rien faire ».
Les économies restantes des particuliers seraient sans le dire en train d’être saisies par les banques, au même moment où « l’État grec », ne verse que les salaires et les retraites. Tout le reste s’effondre, système de santé, fournisseurs... et la violence court les rues. Bientôt la crise humanitaire sera ouverte, organisée par les bancocrates et tout serait bouclé guichets fermés. Les nantis et les « débrouillards » ont acheté de l’immobilier à Londres ou à Berlin et le meilleur « Syrizisme réel », aura du mal à imposer la fiscalité juste, déjà dans un pays sans économie. Et Samaras encore moins. Voilà ce que la logique nous suggérerait. Sauf que la création humaine n’est pas rationnelle et le totalitarisme bancocrate non plus.
Attendons le 17 juin et profitons de l’instant. Au théâtre d’Hérode Atticus, construit au pied de l’Acropole d’Athènes, une représentation de « Il Trovatore » de Guiseppe Verdi par L’Opéra National Grec a été fort appréciée. Moments achroniques enfin, véritablement européens, hors de la portée du système « eurosoft ».
Panagiotis Grigoriou