Alain Pojolat – Ce dimanche, la droite a gagné les élections en Grèce, dans un contexte très tendu. Quels échos ce résultat a-t-il eu dans les médias ?
Frédéric Lemaire – D’une manière générale, du côté des médias français, on a entendu le même son de cloche : la victoire de la droite en Grèce est une « bouffée d’air », elle est perçue comme un « soulagement ». Pour qui ? Pour le « monde économique » et « les Européens »… c’est-à-dire les marchés et les dirigeants européens. Une dépêche de l’AFP datée du 18 juin, donne le ton : « Élections en Grèce : les Européens, soulagés, tendent la main à Athènes ».
La couverture médiatique des élections grecques s’est caractérisée par un biais récurrent – que l’on avait déjà constaté lorsque Papandréou avait proposé un référendum sur les plans d’austérité imposés par la Troïka [1] : les médias se font les relais du discours, voire des menaces, des dirigeants européens. On retrouve ainsi assez largement l’idée que le vote Syriza serait synonyme d’une volonté de quitter l’euro. Or faut-il rappeler que Tsipras, le leader de Syriza, a déclaré que la Grèce devait rester dans la zone euro ? Ce sont les dirigeants européens qui ont agité la menace d’une sortie de l’euro, comme un chantage à l’exclusion. « C’est en agitant la peur d’une sortie de l’euro […] que Samaras a mené campagne » [2] peut-on lire dans Libération du 18 juin. Force est de constater que les médias français, en relayant le discours des dirigeants européens, ont eux aussi fait campagne pour Samaras.
Ce « soulagement » est-il partagé dans les médias étrangers ?
La pression médiatique sur le vote grec était véritablement internationale [3]. En Grèce, une partie de la presse a ouvertement fait campagne pour la droite. C’est le cas du quotidien de centre droit Kathimerini [4], qui savoure la victoire : « Un verdict en forme de soupir de soulagement ». Le quotidien des affaires Naftemporiki titre quant à lui : « Message des urnes : rester dans l’euro ». La presse anglo-saxonne n’a pas été en reste : pour The Guardian on a évité de peu le « drachmageddon ». Le Washington Post évoque quant à lui le pedigree rassurant du futur probable Premier ministre, sorti de Harvard, et « considéré par le Fonds monétaire international […] comme un partenaire constructif pour les discussions à venir ». Si c’est le FMI qui le dit…
L’édition allemande du Financial Times avait provoqué un scandale en Grèce en publiant un édito incendiaire à quelques jours des élections, appelant les Grecs à voter contre le parti Syriza. Il triomphe, lundi matin : « Les europhiles peuvent former une coalition ».
Comment interpréter la radicalisation du discours des grands médias vis-à-vis de la Grèce ?
Il faut effectivement prendre la mesure de la violence des propos à l’égard de la Grèce. Celle-ci témoigne d’une véritable bataille idéologique. Accabler le peuple grec, le présenter comme le responsable des maux et des châtiments que lui inflige la Troïka a assurément une fonction idéologique. La violence est proportionnelle au désaveu que subissent les politiques d’austérité, qui apparaissent de plus en plus clairement comme des politiques absurdes économiquement, injustes socialement, et qui protègent les intérêts d’une minorité au détriment du reste de la population.
Cette violence, on la retrouve quotidiennement dans les médias, dans les propos de certains éditorialistes (qui font souvent partie de cette minorité privilégiée), experts en « pédagogie » de l’austérité [5]. Ainsi, Christophe Barbier, dans un de ses burlesques éditoriaux-vidéo [6], explique que si la Grèce peine encore à trouver un gouvernement, il faudra lui imposer une « tutelle de la zone euro » (c’est-à-dire franco-allemande). Éric Israelewicz affirme quant à lui dans l’éditorial du Monde daté du 12 mai 2012 que « chaque Grec a déjà touché depuis janvier 2010 l’équivalent de 31 000 euros, acquittés d’une manière ou d’une autre par les contribuables européens […] Il n’est pas admissible qu’un petit pays, par son refus des règles du jeu, puisse continuer à mettre en danger l’ensemble du continent ». Et de conclure par une menace claire : « Aux Grecs de choisir. En espérant qu’ils feront le bon choix. Sinon, l’Europe devra en tirer les conséquences. Sans état d’âme. »
Face à cette radicalisation, il en va donc de la responsabilité de la gauche de gauche de désarmer le discours dominant, de forger les armes intellectuelles pour mettre en échec les rhétoriques nauséabondes d’un néolibéralisme à bout de souffle. Cela passe aussi par la mobilisation et des initiatives comme le meeting de solidarité avec le peuple grec du 23 juin doivent y contribuer !
Propos recueillis par Alain Pojolat