L’été s’installe pour de bon, comme la Troïka d’ailleurs. Le pays ne semble pas s’émouvoir de la prochaine réunion gouvernementale ni de l’Eurogroupe déjà passé, ce n’est pas étonnant. Il y a d’autres urgences : « gagner » un travail saisonnier, dénicher une résidence d’un cousin ou ami retrouvé pour les circonstances, à la mer et si possible en Grèce continentale, enfin stocker déjà le bois de chauffage pour l’hiver prochain. Aris, le voisin et cousin de Thessalie en a acheté pour 9 tonnes : « J’ai du travail en ce moment dans le bâtiment. Une maison à terminer au village de ma mère, c’est un oncle qui a pensé à moi, plus l’installation des photovoltaïques. Nous nous sommes spécialisés aussi dans l’installation des panneaux photovoltaïques depuis avril.
Nous travaillons désormais soit dans les champs ou sinon sur les toits des maison, cela nous procurera un certain revenu jusqu’en août, ensuite on avisera. J’ai aussi posé le carrelage chez Yorgos, le voisin carrossier de l’autre côté de la rue, en échange, il a repeint ma camionnette. Je pense que l’hiver prochain sera rude. On se débrouille comme on peut, mais on s’habitue et on s’habitue finalement à tout. Tiens, par exemple, Dimitri notre autre cousin au chômage depuis son licenciement de la menuiserie du coin, il a galéré durant plus d’un an. Le frère de son épouse, Christos le boulanger, lui a trouvé une charge provisoire donc... durable par les temps qui courent : il est embauché en CDD par la municipalité à surveiller et à distribuer l’eau de l’irrigation, car il y a une rotation à respecter et surtout à surveiller. C’est un travail pratiquement sept jours sur sept, et de nuit en ce moment, car de jour on n’arrose pas par telle chaleur. Il gagne 700 euros par mois et il est heureux. Christos est conseiller municipal, donc la parenté est encore utile. »
La parenté, les amitiés et les réseaux ont toujours été de bon usage dans ce pays, certes, on l’a compris. Entre temps, les sans parents, ceux qui se retrouvent privés de sens et de sens commun, les apostats attitrés du système, les exclus de chez les inclus dans notre univers concentrationnaire de la dette souveraine, deviennent des bouches inutiles à nourrir, comme ces concitoyens en hospitalisation psychiatrique sur l’île de Leros. Grâce à certains journalistes et à certains blogs francophones, le vaste monde peut au moins en être informé [1].
Ici, en Thessalie et plus précisément au département de Trikala, une vieille « tradition » a historiquement imposé que des établissements (privés) de ce type, soient bien nombreux, davantage que par la moyenne nationale, mais pour l’instant, la situation reste contrôlable, en milieu hospitalier Trikaliote, les repas sont servis. Giorgos Oikonomou doit bien être au courant de la situation de notre... pays réel en tout cas. Ce psychiatre et fils de Christos Oikonomou, psychiatre également et propriétaire de clinique à son époque. Détail... hors psychiatrie : le père Oikonomou, ex-secrétaire d’État à la santé a été depuis les années 1980, député PASOK du département. Son fils, a réussi son élection, décrochant le seul siège PASOK à Trikala en mai 2012, mais il n’a pas été réélu en juin. Giorgos Oikonomou a épousé la fille de Soula Merediti, également élue Pasokiste durant la législature 2009-2012. Donc la psychiatrie à Trikala se porterait plutôt bien.
En revanche, notre Sécurité Sociale après réunification forcée des multiples caisses de santé jadis organisées par branche, va très mal. Le nouvel organisme mis sur pied en Janvier 2012, cumule en six mois, 4,1 milliards d’euros de dettes sur un budget annuel estimé à 5,8 milliards d’euros. Cette nouvelle hyper-Caisse (EOPYY), doit 570 millions d’euros aux praticiens des laboratoires, 800 millions aux cliniques privées, 550 millions à l’industrie pharmaceutique, 540 millions aux pharmaciens et 1,7 milliard aux Hôpitaux Publics. Ainsi l’EOPYY serait à la recherche d’un nouvel emprunt, et déjà, les employés de la branche bancaire... ressuscitant leur propre organisme à part, ils ont récemment abandonné le radeau de la... « grande Sécu ».
Sans évoquer les effets... eugénistes de la mise à mal du système du tiers payant pour le grand ensemble populaire des... brebis socialement galeuses. G. Theodorakis, président à l’ordre des cardiologues grecs en a une certaine idée plus précise : « J’ai eu à m’occuper d’un patient qui avait subi un incident cardiaque assez sérieux, mais pendant cinq jours, il évitait pourtant l’hôpital par manque de moyens. Il a eu de la chance, car la mortalité dans ce type de pathologies s’élève à 20% des cas observés. Depuis plusieurs semaines, nous constatons par ailleurs l’arrivée aux urgence des cas de plus en plus fréquents d’œdème pulmonaire. Il s’agit des patients souffrant de pathologies cardiovasculaires et qui ont déjà arrêté le traitement, toujours par manque de moyens. Ces patients n’avouent pas si naturellement cette interruption volontaire de leur traitement car ils ont honte. [C’est seulement après les soins en réanimation], et suite à l’interrogatoire des médecins ayant pratiqué dans l’urgence qu’ils finissent par l’admettre. Nous constatons enfin, une recrudescence spectaculaire des décès par infarctus et par des hémorragies cérébrales, d’abord par manque de suivi mais aussi, la généralisation avérée des cas de dépression, suite à la crise », (communication issue du 8e colloque international de Cardiologie qui s’est tenu à Rhodes, reproduite par l’hebdomadaire satyrique To Pontiki, 28/06).
C’est vrai qu’à Athènes, la situation semble plus préoccupante qu’ailleurs, malgré son côté « occulte ». Et dans les campagnes parfois même, la crise serait tout simplement encore moins visible. Cette ville de Trikala par exemple, demeure paisible dans ses apparences. J’y remarque des cafés moins fréquentés puis ce vieil ami libraire introuvable, car il a fait faillite depuis avril. Et la Grèce se cherche, et elle se cherche aussi un moment de répit et de repos. Peu importe comment, il y a que le coût qui compte, et alors il faut qu’il soit moindre, toujours moindre. Stéphanos par contre, gérant et patron de la menuiserie du village se concentre sur d’autres soucis. Il a déjà licencié tous ses employés, dont Dimitri mon cousin reconverti dans... le partage des eaux, et il ne fabrique plus un seul placard, mais il attend. « La prison », comme il dit parfois en rigolant. Ses ex-associés ont pris leur retraite il y a un an, et se sont retirés de la mauvaise affaire. Lui, espérant encore toucher une retraite dans deux ans il reste, mais alors comment, en arriver un jour à la retraite, ce n’est plus évident. Le temps des évidences est terminé. Car cet ex-menuisier est toujours redevable à l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale pour indépendants, au impôts, à trois banques. Récemment, trois huissiers se sont présentés chez lui, « c’est ma Troïka à moi » comme il s’amuse à raconter. Sa petite entreprise était florissante encore il y a dix ans, et ses meubles vendus jusqu’en Crète, mais c’était avant IKEA et avant l’euro. La peau de l’ours est vendue et l’ours sera affamé. La mondialisation... soit elle t’aime, soit tu la quittes, pas elle, mais ta vie de petit patron.
On vient d’apprendre par un reportage du quotidien Kathimerini, qu’un ours affamé, s’est approché à plusieurs reprises des faubourgs de la ville de Kastoria, au Nord de la Grèce. Un éleveur, derrière le spectacle désolant des ses volailles et ses moutons en train de périr, a menacé de se suicider se jetant du bâtiment de l’administration régionale. Heureusement, il a changé d’avis après négociations avec les autorités, il a surtout obtenu la promesse de la Société de protection de la faune, que cet animal serait neutralisé, et ainsi endormi, il serait transporté dans une région du pays. Sur place on évoque inlassablement la crise, mais certains soulignent à juste titre, que les ours ont toujours été de notre faune sauvage familière... bien avant les Troïkans, donc acte.
Il devient d’ailleurs plus facile à négocier avec les ours, qu’avec la Troïka et les bancocrates, question de rapport de force sans doute, et ce n’est guère Thucydide qui dirait le contraire. Antonis Samaras et nos autres marionnettes de la gouvernance désormais élues, semble oublier toute velléité dans la négociation probbale des Traités et accords, passés avec le directoire de l’Euro-zonage. Chez SYRIZA, on réclame au moins, les mêmes clauses d’exception accordées à l’Italie et à l’Espagne. Est-ce encore possible que de le penser ? Les citoyens encore pensifs sont bien résignés : « Moi je laisse tomber, je ne m’occupe plus de rien du grand sort commun, je démissionne, je voudrais simplement partir une petite semaine à Rhodes, c’est tout », déclare S.P., mon ami instituteur.
« Pax Alemana ou sinon le Chaos », est le titre d’un papier publié par To Pontiki jeudi dernier : « L’Allemagne mise gros et son jeu de poker devient très serré, dans la mesure où elle recherche à pérenniser son contrôle complet sur la Zone euro, en passant par rétablissement désormais supranational des budgets ex-nationaux. Pour ce faire, et ceci d’une manière apparente ou dissimulée, les biens nationaux des pays en question seraient en quelque sorte hypothéqués, c’est aussi un des enjeux du sommet de Bruxelles. C’est surtout en cela que le cas grec, un cas de laboratoire, en devient crucial. Ce jeux se poursuivra prochainement en France, car le conflit pour le moment verbal entre François Hollande et Angela Merkel, plus la récente tentative de différenciation par le nouveau président de la France, tentative d’ailleurs vivement encouragée par Barack Obama, ne semble pas pour autant, mettre la France à l’abri des attaques des marchés et de sa dégradation toujours possible, qui est à craindre, par les agences de notation. Nous en ignorons les conséquences d’un tel scenario, d’autant plus, que la France n’appartient pas au club des pays pauvres et... perturbateurs du sud ».
Sauf que de Trikala à jusqu’à Paris on peut toujours ignorer les analystes et pour cause. Il y a les vacances, ou sinon le quotidien implacable ou pour certains, encore rassurant. Les prêtres, « nos » popes se portent bien, aux dires de mes amis ici, même si les baptêmes à l’église ne concernent désormais qu’un cercle familial restreint. Mais encore dans pareils cas... le kitsch ne ment toujours pas ! Entre-temps, j’apprends depuis Athènes, que dans la parentelle de mon ami Petros, une personne organise un mariage somptueux à Vouliagmeni dans les quartiers sud des bords de mer. De l’ostentatoire en pareille époque, est-ce encore possible, qui sont ces gens ? « Un oncle lointain et son épouse, la mariée c’est ma cousine. Lui il est retraité du corps diplomatique, et elle, de la Commission Européenne, une autre planète », a précisé Petros au téléphone, pour y ajouter : « Je ne pense pas m’y rendre. D’abord j’ai horreur des mariages, ensuite, il faut pouvoir s’habiller à la hauteur, ma compagne et moi cela fera des frais, et enfin, je ne peux pas financer un cadeau de mariage correspondant... à leur système solaire ».
Au bureau de la Poste de Trikala ce matin, il y a eu une altercation entre deux retraités du système solaire bien de chez nous : « Je touchais 1.800 euros de retraite, et elle a été réduite, je me retrouve à 1.400 euros seulement. On devrait aussi tailler sur les petites retraites aussi, même ceux qui sont à 500 euros devrait en souffrir ». « Tu parles c...ard, moi à 470 euros de retraite par mois, plus les nouvelles taxes à supporter je meurs ». « Et moi, j’avais cotisé, je ne l’avez pas volé ma retraite ». D’autres plus jeunes parmi les administrés et usagers de la Poste, actifs ou chômeurs se sont interposés pour calmer les ardeurs de notre troisième âge. Visiblement la prochaine Guerre civile éclatera... dans une maison de retraite. Pas loin de ce bureau de Poste, un autre retraité s’est effondré, le SAMU est arrivé rapidement, c’est vrai que l’hôpital est à dix minutes à pied. Tout le monde s’est senti rassuré pour une fois : « Voyez-vous, nous ne sommes pas complétement abandonnés », a dit une femme. Pas de réponse, c’était hier midi.
À la Poste, j’ai rencontré par hasard Giorgos, un ancien camarade de classe devenu expert comptable, témoin aussi de la scène, il s’est aussitôt emballé sur la crise : « Cette année c’est encore pire. Les pauvres, les chômeurs, les petits retraités seront durablement imposés sur leur patrimoine ou à partir de celui-ci. Une petite maison, un champ, une vieille voiture, les « critères » de richesse seront implacables. Les vrais « moyens possédants » s’en sortiront par contre. Des médecins ou des anciens promoteurs immobiliers du département, en ont déjà des sociétés offshore, ou ils se déclarent en Bulgarie, le transfert fiscal coûte moins de 3000 euros. Et même, lorsqu’il ne le font pas, craignant pour leur (relativement petite) richesse accumulée déjà planquée, ils paieront sans broncher toutes les taxes et les impositions exceptionnelles ou pas, surtout pour ne pas se mettre en porte-à-faux vis à vis de l’administration fiscale, les pauvres peut-être, iront encore en prison ».
Ou en Australie. Ici aussi dans les cafés de Trikala, des représentants de la génération des trentenaires, hommes et femmes, évoquent inlassablement leur possible sortie de la crise : « J’ai téléphoné au frère de ma mère à Sydney, j’irais en Septembre ». Sur un mur d’en face un graffiti : « Consommez moutons », dépassé je crois. Mais à gauche, et dans les colonnes du quotidien historique, proche de SYRIZA (Avghi), on analyse encore avec brio et sérieux le sens du vote : « les jeunes ont massivement voté à gauche c’est encourageant ».
On vient de l’apprendre, la prospection pétrolière s’accélère à l’Ouest du pays et le gouvernement se décide à exiger une imposition supplémentaire, toujours exceptionnelle sur les revenus de l’année dernière. Moutons et peau de l’ours, juillet 2012, été grec.
À la gloire de notre chien-manifestant Loukanikos, un bistrot de Madrid en porterait désormais le nom. Amis Madrilènes éclairez-nous
Panagiotis Grigoriou