Le secteur minier indien, soutenu par une demande internationale croissante, est en pleine expansion. En 2010-2011, le secteur a produit environ 44 milliards de dollars de minerais et la production totale a doublé entre 1993 et 2011.
Ce sont surtout les mégaprojets qui ont attiré l’attention médiatique. Mais le secteur est en fait constitué d’une myriade de petites exploitations. Sur ces 2 600 entreprises d’extraction, un voile d’illégalité s’étend. Son ampleur est difficile à saisir avec précision. Un ancien secrétaire général du ministère des Mines parle de phénomène « endémique ». La situation est en tout cas suffisamment sérieuse pour qu’une Commission d’enquête ait été instituée par le Parlement indien. Dirigée par un ancien juge de la Cour suprême, M. B. Shah, elle a constaté, dans son premier rapport intermédiaire début 2012 que : « il y a dans tous les Etats, à une énorme échelle, une exploitation illégale du minerai de fer et de manganèse, portant sur des milliers de crore [crore : dizaine de millions – ici de roupies –, réd.] chaque année. Elle entraîne des effets pernicieux et négatifs sur l’économie nationale, la bonne gouvernance, les fonctionnaires publics, la bureaucratie, l’ordre public ainsi que la loi et l’ordre. Elle a encouragé une corruption énorme, aux divers niveaux de la vie publique, favorisant la mafia dans la société et le pouvoir de l’argent… Il doit y être mis fin immédiatement et effectivement. » Pour donner une idée de ces opérations, citons le ministre des Mines, Dinsha Patel, qui parle de 82 000 cas d’extractions illégales en 2010 et de 47 000 autres entre janvier et septembre 2011, plusieurs cas pouvant se référer à la même opération. Les officiels estiment qu’un cas sur 30 est signalé dans le pays.
L’Etat regarde ailleurs
En principe, l’autorisation d’exploiter est accordée en fonction d’une enquête d’impact environnementale. Ces enquêtes sont le plus souvent largement inexactes sinon délibérément falsifiées, quand elles ne sont pas plus simplement inexistantes. Etablies à la demande et payées par les entreprises, elles se contentent quelquefois de couper/coller les conclusions d’un dossier à l’autre. Le cas le plus énorme est celui d’une mine au Maharashtra qui reçut son autorisation d’exploitation sur la base de données concernant une mine de bauxite… en Russie ! Quelque douzaines de fonctionnaires au niveau fédéral sont chargés de milliers de projets dans tout le pays et dépendent donc totalement du bon vouloir des entreprises. Cette sous-dotation des services publics se retrouve évidemment à l’échelon inférieur, celui des différents Etats de l’Union indienne.
Goa, ses plages de sable blanc et ses mines polluantes
Deux millions de vacanciers connaissent mieux les plages de Goa que les mines de fer qui, dans l’arrière-pays,ont, pourtant produit plus de 45 millions de tonnes de minerai en 2010, soit un cinquième de la production totale de l’Inde. Le contrôle de ces activités relève en principe du Bureau de contrôle de la pollution de l’Etat de Goa. Un bureau dont la fonction se résume, selon son ancien président, à celle d’un « simple bureau de poste » entre les opérateurs locaux et le gouvernement central. Douze techniciens ne suffisent de loin pas à assurer un quelconque contrôle. L’Etat de Goa ne connaît donc pas le volume de la production des mines situées sur son territoire, bien qu’il existe un système de quotas ; donc, il ignore si les entreprises paient correctement leurs taxes et leurs droits d’exploitation. Rien de surprenant si en septembre 2011, la commission de gestion de Goa s’est aperçue qu’il y avait une grosse différence entre les chiffres de la production et ceux de l’exportation minière…
Cette impuissance n’est pas le fruit d’une indolence étatique, mais bien le résultat d’une politique volontaire. Les responsables politiques de Goa ont en effet trouvé un créneau intéressant pour partager le gâteau. Ils sont devenus eux-mêmes, ou par le biais de membres de leur famille, des entrepreneurs contractuels de ces mines.
Les responsables de la police ont, quant à eux, investi dans le transport du minerai, ce qui est bien commode en matière de contraventions et leur donne toute l’impartialité nécessaire lorsqu’il s’agit d’intervenir contre les opposants à la dévastation minière.
Quels dommages ?
Comme il n’existe aucun suivi environnemental ou sanitaire, les évaluations des dégâts ne peuvent s’appuyer que sur les témoignages des populations concernées. La destruction ou la contamination des sources est attestée, comme la pollution des systèmes d’irrigation. La mousson se charge de distribuer loin à la ronde des mines leurs déchets, que l’on retrouve alors dans les champs, diminuant leur fertilité. La situation des nappes phréatiques est aussi douteuse. Quant aux convois de trains routiers surchargés, ils sont suspectés de répandre des poussières de minerai dans les villages traversés. Dans ces poussières, des particules dangereuses comme celles de la silice cristalline, à l’origine de la silicose. Autre dommage collatéral, la violence de la répression qui s’abat sur les communautés locales lorsqu’elles osent exposer ces problèmes. Goa n’est ici qu’un exemple parmi d’autres. C’est à l’échelle de toute l’Union que la voie choisie par l’« Inde qui brille » assombrit durablement la vie de populations entières et leur environnement.
Daniel Süri