Dans La Nuque raide, tu ne te contentes pas de raconter ton parcours carcéral...
Gabriel Mouesca - C’est vrai, le livre commence avec mes origines et, dans la foulée, j’évoque mes premiers engagements culturels à l’adolescence, puis mon militantisme politique (légal) et syndical. Il est ensuite question de mon action au sein d’une structure politico-militaire clandestine, Iparretarrak (en basque : « ceux du Nord »).
J’ai d’abord voulu expliquer ce qui m’avait amené à m’engager dans la lutte de libération du peuple basque, avant de m’exprimer sur la résistance à l’anéantissement carcéral pour finir avec le combat que nous menons aujourd’hui à l’Observatoire in-ternational des prisons (OIP).
Tu affirmes avoir puisé, dans ton engagement syndical, les plus beaux moments de ton existence...
G. Mouesca - À l’âge de dix-neuf ans, alors que l’élection présidentielle de 1981 approche, je participe à l’occupation de l’usine dans laquelle je travaille. Je connais alors cet état de grâce de l’ouvrier en lutte qui expérimente la solidarité dans la résistance et défie le patron sur son territoire. Malheureusement, après quatre mois de bras de fer, nous sommes tous licenciés, alors que le patron est incarcéré pour quatorze mois suite à des malversations que nous avons mises au jour. Un bilan plus que mitigé, mais l’expérience m’a marqué pour toujours. En ce temps-là, je porte mon bleu de travail avec la même fierté que d’autres lorsqu’ils arborent leur légion d’honneur.
Dix-sept années de prison, puis ta mission à la Croix-Rouge et ton engagement à l’OIP te procurent une solide connaissance du milieu carcéral. Que t’inspire la prison aujourd’hui ?
G. Mouesca - J’ai vécu l’enfermement, puis j’ai organisé l’intervention de type humanitaire en milieu carcéral pour la Croix-Rouge. Désormais, je suis à la tête de l’organisme qui est le contre-pouvoir du ministère de la Justice en matière de politique carcérale. Ce sont là trois expériences distinctes, trois regards différents sur la prison, mais ô combien complémentaires ! Plus je progresse dans la connaissance de l’univers carcéral, plus je suis convaincu que la prison est un outil indigne de notre niveau de civilisation, juste bon à servir les intérêts de ceux qui maintiennent le fonctionnement injuste de notre société et en organisent les déséquilibres. À l’inverse, les personnes qui désirent un monde plus juste et que toutes les formes d’exploitation humaine révoltent ne peuvent que refuser le système pénitentiaire. La prison a toujours été la peine du pauvre. D’ailleurs, la majorité des prisonniers sont issus du tiers monde et du quart monde. Si l’on s’attachait à résoudre les inégalités et les injustices, nous n’aurions plus besoin de prisons. Nous avons besoin d’écoles, de lits d’hôpitaux, de centres culturels... Et non de nouvelles prisons !
L’OIP organise les états généraux de la condition pénitentiaire. De quoi s’agit-il ?
G. Mouesca - L’OIP, mais également l’Union syndicale des magistrats (USM), le Syndicat de la magistrature (SM), le Conseil national des barreaux (CNB), la Fédération nationale des unions des jeunes avocats (Fnuja), le Syndicat des avocats de France (SAF), le Syndicat national des personnels de l’administration pénitentiaire (Snepap), la Confédération générale du travail (CGT pénitentiaire), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars) et Emmaüs sont à l’origine de cette démarche exceptionnelle, qui ambitionne de favoriser une profonde réforme du système carcéral et, plus généralement, de faire réfléchir la société française sur le rôle de la prison. Les états généraux consistent en une enquête menée auprès de l’ensemble des acteurs du monde judiciaire et pénitentiaire : les 8 500 magistrats, les 45 000 avocats, les 23 000 fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, les 25 000 intervenants en prison, ainsi que les 60 000 prisonniers eux-mêmes et leurs familles (un questionnaire par famille). Les personnes consultées répondront toutes au même questionnaire. C’est la première fois, dans l’histoire de la prison en France, qu’une telle opération est organisée et que les personnes détenues, habituellement « sans voix », pourront donner leur avis qui aura la même importance que celui des magistrats ou des surveillants. En l’occurrence, cela constitue une véritable révolution culturelle !
Ces états généraux sont parrainés par Robert Badinter, ancien garde des Sceaux. Les questionnaires, élaborés conjointement avec l’agence BVA, seront remis aux prisonniers par les délégués du médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye. Une consultation menée en totale indépendance du ministère de la Justice et de la direction de l’administration pénitentiaire.
À quoi vont servir, concrètement, ces états généraux de la condition pénitentiaire ?
G. Mouesca - Les objectifs de cette consultation consistent à libérer la parole des personnes qui vivent et travaillent en prison et à prendre en considération leur évaluation de la situation, ainsi que l’expression de leurs attentes. Dans un deuxième temps, nous souhaitons faire entendre à l’ensemble de la population la voix de « la France des prisons ». C’est pourquoi de grands débats régionaux seront organisés dans le courant de l’automne 2006. Enfin, nous présenterons, sous forme de « cahiers de doléances », le fruit de cette vaste consultation aux candidats à l’élection présidentielle du printemps 2007. Cette fois, il ne s’agira pas de dresser un constat alarmiste de plus, nous leur adresserons une véritable injonction d’agir !
La question carcérale devrait donc s’inviter dans la campagne des candidats ?
G. Mouesca - Oui, l’an prochain, la question carcérale sera au cœur du débat électoral. Plusieurs candidats déclarés ont déjà inclus dans leur programme des propositions relatives à la politique pénitentiaire, mais également à la politique pénale. Les forces de progrès doivent s’inscrire dans une dynamique résolument anticarcérale : il faut déconstruire chez nos contemporains l’idée que la prison est un mal nécessaire ! Une société ne pourra se targuer de justice que le jour où elle aura fermé toutes ses prisons.