L’incompétence hautaine de Rajoy
La batterie de mesures annoncées le 11 juillet par Rajoy au milieu des applaudissements indignes des membres de son parti constitue une attaque contre la majorité sociale et signifie une déclaration de guerre contre la population salariée. Parmi ces mesures se détache, de par le degré de mépris qu’elle représente envers les personnes les plus faibles, celle qui vise à réduire les allocations de chômage. Il n’est pas surprenant que ces mesures aient immédiatement suscité des réactions virulentes de la part des organisations syndicales et sociales.
Que ces mesures signifient de dures attaques anti-sociales, même le chef du gouvernement ne peut oser le nier. Que toutes les mesures d’ajustement budgétaire menées jusqu’ici concernent la réduction des dépenses et n’ont jamais abordé la question centrale de l’augmentation des recettes fiscales - en chute libre depuis des années - , c’est devenu un lieu commun de le constater. Malgré tout, Rajoy a présenté devant le Parlement ces mesures – suivant ainsi les diktats imposés par la BCE, la Commission européenne et le FMI – comme nécessaires et inévitables, comme la « seule » solution possible.
Plus encore ; tout comme il l’avait fait pour la contre-réforme du code du travail, il a attribué à ces mesures une efficacité intrinsèque censée garantir la récupération de l’économie. L’illusionniste tente à nouveau de nous tromper avec ses tours de passe-passe et son prétendu sens commun mais, par-dessus le marché, il le fait d’une manière terriblement contre productive pour l’avenir immédiat de l’économie. Et c’est là que réside son talon d’Achille.
Pendant ce temps le PSOE, avec Rubalcaba à sa tête, intervient sans capacité d’influer dans le débat politique, englué par son passé récent (le tournant en faveur de l’austérité pris en mai 2010), sa conception social-libérale de l’économie et de l’UE (qui l’empêchent d’avancer une alternative qui puisse faire la différence) et son rôle (que personne ne lui a octroyé et pour lequel personne ne le remercie) de parti qui fait de la politique institutionnelle aux moments où il faut faire une politique de majorité sociale face à la barbarie.
Créer de la récession
En 1966, le philosophe, linguiste et sociologue Maurice Godelier remettait en question la raison même du capitalisme dès le titre de l’une de ses œuvres : « Rationalité et irrationalité de l’économie ». Il semble bien qu’aujourd’hui Bruxelles, Berlin et Madrid se débattent à nouveau entre les deux termes de cette dichotomie étroitement liée à la nature contradictoire du capitalisme. D’un côté, les principaux gouvernements européens et les institutions de l’UE agissent comme des représentants des intérêts du capital financier, garantissant que les dettes soient remboursées aux créditeurs. Pour cela, le Mémorandum qui impose à l’Etat espagnol le « sauvetage » par l’UE oblige – avec l’objectif de recapitaliser les banques espagnoles pour que ces dernières remboursent les créditeurs étrangers – a dégager les ressources nécessaires au travers de coupes sombres dans les dépenses sociales, d’ajustements salariaux, d’augmentations d’impôts, etc.
Mais d’autre part, les mesures approuvées par Montoro, De Guindos [1] et Rajoy, constituent une bonne démonstration de l’irrationalité et de l’incompétence de ces serviteurs des marchés. En effet, ils les appliquent au nom d’un prétendu assainissement économique nécessaire afin de sortir le pays de la crise alors qu’elles ne font rien d’autre qu’empirer la récession. Ce trio ne semble pas très bien savoir ce qu’il faut faire, ni quelles seront les conséquences de leurs décisions en dépit du fait qu’elles placent clairement l’économie espagnole au milieu d’un bourbier sans fond.
L’arrogante décision - prise de manière précipitée - de Montoro d’imposer aux Communautés Autonomes un objectif de déficit encore plus drastique que celui « approuvé » il y a à peine deux mois, provoquera de nouvelles coupes sociales dans les services publics de base comme la santé, l’enseignement et les soins aux personnes âgées et handicapées, mais aussi un coup économique sévère porté contre plusieurs secteurs qui connaîtrons encore plus de récession et de chômage. La suppression de la prime de Noël pour des dizaines de milliers d’employés de la fonction publique représente la ixième agression salariale contre ce secteur de travailleurs et aura, également, ses effets sur leurs dépenses et la demande. La privatisation des restes des joyaux de la couronne des services publics comme RENFE [2] n’apportera que réduction des effectifs, dégradation des services et profits plus élevés pour le secteur privé. En tout état de cause, les « économies » ou les « recettes » espérées seront moindres que les pertes économiques qui seront générées dans l’ensemble de la société.
Au milieu de tout ce marasme, ils en profitent en outre pour annoncer la diminution des cotisations patronales à la sécurité sociale (un nouveau cadeau pour les patrons sur le dos de notre salaire et de notre couverture sociale), ainsi qu’un impôt sur l’énergie. Ce nouvel impôt, loin de résoudre l’escroquerie induit par le chaos tarifaire, se traduira pas une augmentation des prix finaux pour les petits consommateurs, sans que cela ne puisse pas non plus réduire la demande globale énergétique effective, ni stimuler les changements nécessaires en faveur des énergies renouvelables, qui seront au contraire mises en péril.
La nouveauté, dans la situation actuelle, ce n’est pas ces mesures, ni les indispensables mobilisations populaires en cours. Ce qui est nouveau c’est que, pour la première fois depuis la constitution du gouvernement du Parti Populaire, l’orientation prise par ce parti a provoqué des critiques très sévères dans certains secteurs patronaux autour de l’effet pernicieux qu’aura la diminution de la masse salariale des employés de la fonction publique et, surtout, de l’augmentation des taux de TVA à partir du 1er septembre. Une bonne partie du patronat et de leurs analystes craignent que l’augmentation des impôts indirects déprimera encore plus la demande. C’est notamment le cas pour le secteur du tourisme, pour lequel Exceltur estime que chaque point d’augmentation de la TVA qui se transfère directement aux prix provoquera une réduction estimée à 1,05 milliards d’euros par an, ce qui impliquera la destruction de milliers d’emplois. Rosell, le patron des patrons, continue à exprimer sa compréhension et son soutien aux mesures du PP, mais l’unité monolithique que le patronat avait affichée avec la réforme du code du travail s’est désormais fissurée.
Face à tout cela, nous ne pouvons que partager ce que soulignait Ernest Mandel en 1983 au cours d’une conférence donnée dans la ville aujourd’hui torturée et combative d’Athènes : « La société bourgeoise dans son ensemble se caractérise par une combinaison sui generis de rationalité partielle et d’irrationalité globale ».
L’augmentation de la TVA comme paradigme
Le PP a finalement décidé d’augmenter les rentrées fiscales en augmentant fortement les impôts. Mais, tout comme il l’avait fait récemment avec l’IRPF [3] sur les revenus salariaux, cette augmentation retombera principalement sur le dos de la classe ouvrière. La pièce centrale de l’augmentation des recettes réside dans l’augmentation de la TVA, les autres mesures d’imposition ayant moins d’incidence immédiate. Comme on le sait, la TVA est un impôt indirect payé par les consommateurs et elle à une forte charge régressive puisqu’elle comporte peu de modulations capables de corriger les effets pervers qu’elle provoque. C’est un impôt « facile » parce qu’il pèse sur toute la population - avec peu de possibilités d’y échapper - et non sur ceux qui possèdent le plus de richesses (et riches également en moyens de pression).
L’augmentation du taux « général » de la TVA de 18% à 21% et du taux de la TVA « réduite » de 8% à 10% signifie que 60% des biens et des services exprimés dans le PIB seront touchés par la mesure. En outre, divers biens et services cesseront d’être catalogués dans la TVA « réduite » et passeront au taux « général ». Autrement dit, non seulement le taux de TVA va augmenter pour des biens de luxe ou non indispensables, mais ce sera aussi le cas pour des produits de première nécessité comme les vêtements, le transport de voyageurs, le logement, l’électricité ou l’eau, et affectera des biens et des services tels que la téléphonie, les lunettes et les lentilles correctrices, les langes pour bébés, les salons de coiffure ou les aliments élaborés, ainsi que les bars, les restaurants et les hôtels.
Le taux de TVA « super-réduit » est maintenu à 4% et il concerne les aliments frais - comme le lait, les œufs, les fruits, les légumes - ; les livres et les journaux, le matériel scolaire ou les médicaments. Mais cela ne signifie pas que, par exemple, les prix des aliments ne vont pas augmenter puisque les producteurs vont répercuter sur leurs prix les 400 millions d’euros supplémentaires qu’ils devront payer à cause de l’augmentation de la TVA sur leur consommation et sur l’acquisition de machines et biens d’équipement.
Personne, donc, n’échappera à l’augmentation des prix. Ils vont monter de manière généralisée, contribuant ainsi à l’érosion du pouvoir d’achat et à une plus grande détérioration de la demande agrégée. Selon certaines estimation, cette augmentation des taux de TVA représentera en moyenne une dépense supplémentaire de 415 euros par an et par famille (d’autres avancent le chiffre de près de 800 euros).
Si nous ajoutons aux augmentations actuelles celles qui eurent lieu en juillet 2010 [4], quand le taux général était passé de 16% à 18% et le taux réduit de 7% à 8%, nous constatons que la TVA – tellement régressive en termes sociaux – a augmenté en deux ans de 23,8% pour le taux général et de 30% pour le taux réduit. Autrement dit, chaque famille dépensera en moyenne 800 euros en plus qu’en 2010, ce qui signifie que, pour une grande partie de la population, ce qui représente presque un salaire mensuel sera englouti par l’augmentation des taux de TVA.
En 2010, les recettes de la TVA augmentèrent de 5 milliards d’euros. Aujourd’hui, le gouvernement estime qu’elles augmenteront jusqu’à 7,5 milliards. Mais il s’agit d’une erreur crasse, car la situation actuelle de stagnation économique est bien plus grave qu’il y a deux ans. Il est plus que probable que les recettes n’augmenteront tout simplement pas, puisque l’augmentation des taux de TVA sera contre balancée par la baisse de l’activité.
Des médias gouvernementaux ont souligné que l’Allemagne avait augmenté de trois points la TVA en 2007, passant de 16% à 19%. Mais ce qu’on a omis de préciser, c’est qu’elle l’avait fait à un moment où son économie était en croissance, au dessus de 3%. Dans le cas espagnol, la prévision du gouvernement pour 2012 est que le PIB chutera de 1,7% et la demande interne de 4,4%.
Dans notre pays, du fait de la fin de la métastase immobilière, du laxisme envers la fraude fiscale et de la baisse continue des impôts sur les rentes du capital depuis 1996, la pression fiscale s’est située à des niveaux très en dessous de la moyenne communautaire, et particulièrement de sa zone euro. Cela a été l’une des principales causes de la rapide augmentation du déficit public, alors qu’en 2007 on connaissait une situation d’excédent. C’est, en conséquence, l’un des facteurs qui déterminent l’augmentation de la dette publique.
A partir de maintenant, on pourra constater ce paradoxe qui fait que l’Espagne constitue à la fois l’un des pays de l’UE avec le moins de pression fiscale, mais avec un des taux de TVA les plus élevés. Pour le dire autrement, l’iniquité fiscale s’est aggravée. Depuis le début de la crise actuelle, sur les 27 états membres de l’UE, 17 ont augmenté leurs taux de TVA. Seuls la Hongrie et la Roumanie ont approuvés une augmentation supérieure à celle annoncée par le gouvernement, mais ces pays partaient de taux très bas. Dans la zone euro, quatre pays seulement (la Grèce, l’Irlande, le Portugal et la Finlande) ont un taux de TVA de 23%, supérieur à l’espagnol.
Oui, nous pouvons
N’y aurait-il pas d’autres solutions que celles proposées par le trio Montoro, De Guindos, Rajoy et par la troïka communautaire ? Il y en a bel et bien, et de tous les ordres. Quelques unes suffisent pour ouvrir un autre horizon. Si nous parlons des dettes : faut-il que les citoyens payent les dettes des banques et des entreprises ? Toute la dette est-elle légitime ? Faut-il payer d’un coup toute la dette légitime ? Si nous parlons des finances : pourquoi ne pas transformer le secteur financier privé en une grande banque publique qui investisse dans l’activité productive et maximise le bien être social ? Pourquoi ne pas combattre la récession de la demande avec une augmentation généralisée des salaires et des pensions ? Si nous parlons du chômage et de la production : pourquoi ne pas répartir l’emploi en réduisant le temps de travail ? Pourquoi ne pas impulser des investissements massifs dans les énergies alternatives, la santé, l’enseignement ou la recherche ? Si nous parlons du déficit : pourquoi ne pas combattre et éradiquer la fraude fiscale, estimée à 6% du PIB (autrement dit une somme de 70 milliards d’euros, ce qui dépasse ce que le gouvernement veut économiser sur le dos des plus faibles) ? Pourquoi accepter les transactions avec les paradis fiscaux ? Pourquoi ne pas augmenter l’imposition sur les bénéfices patronaux et en finir avec les niches fiscales comme les SICAV dans un pays où l’impôt sur les sociétés tourne à peine autour de 10%, en dessous du taux nominal de l’Irlande avant son sauvetage et qui se situait à 12,5% ? Pourquoi ne pas rétablir l’impôt sur le patrimoine et créer en outre un impôt sur les grandes fortunes ?
Ces questions, et bien d’autres, pointent vers des alternatives crédibles et raisonnables qui rendraient possible que la crise ne soit pas payée par les classes populaires. Pour les mettre en œuvre, il est nécessaire d’accumuler les énergies sociales et politiques qui puissent en finir avec l’orientation antisociale actuelle que nous offrent ceux qui gouvernent dans l’UE et à Madrid.
Daniel Albarracín, Nacho Álvarez, Manuel Garí et Bibiana Medialdea