« Cultiver tous les terrains ! Se tenir prêt au brusque changement des formes ! Savoir prendre toutes les armes ! Telles sont bien les maximes d’une politique conçue comme l’art du contretemps et des possibilités effectives d’une conjoncture déterminée. » – Daniel Bensaïd (La politique comme art stratégique)
Ce texte s’inscrit dans un débat avec des membres de l’Union Communiste Libertaire qui porte sur le projet politique et stratégique que représente Québec Solidaire (QS). La dernière contribution de leur part en notre direction se trouve ci-dessous.
Au cœur du débat, il s’agit de savoir si QS peut devenir un « parti des urnes et de la rue » et une force visant la transformation radicale de la société ou si, comme le soutient l’UCL, cette organisation politique est condamnée à l’électoralisme et à la bureaucratisation. C’est un débat crucial, que nous sommes heureux de poursuivre. Nous tenterons ici de présenter plus en détails les fondements de notre réflexion et certaines des raisons profondes de notre engagement dans ce parti-processus.
Les classes comme processus et communautés à construire
L’UCL reproche aux membres de QS, et notamment à Amir Khadir, son député, de tirer profit du débat soulevé par la grève étudiante actuelle en rappelant que notre parti est pour la gratuité scolaire. « Le combat devrait se limiter à la rue », nous dit l’UCL, et l’aile parlementaire de QS n’a rien à y faire. D’abord, il faut rappeler que des membres de QS ont pris la rue et ont distribué deux journaux supportant la lutte étudiante dans les lieux publics, les manifestations, les boîtes aux lettres, les stations de métro, etc. Que ses militantEs participent activement à cette grève, soit directement ou en la socialisant... Mais on ne nous dit pas pourquoi le combat devrait se limiter à la rue, au lieu d’être aussi (mais jamais uniquement !) mené dans les médias et au parlement. De plus, pourquoi reprocher à une organisation politique d’appuyer un mouvement de lutte en rappelant qu’elle partage ses revendications et en appelant à intensifier la lutte, comme l’a fait Amir ? Pour nous, c’est le silence du député et du parti dans son ensemble qui aurait réellement été inquiétant face à une telle mobilisation populaire !
L’UCL reproche aussi à QS de développer un programme social-démocrate. QS, nous disent nos camarades anarchistes, souhaite un « dépassement du capitalisme » mais, de façon inconséquente, en ne remettant pas en question le salariat, la propriété privée des moyens de production, ni « l’idée même d’État-nation ». Il est vrai que le programme manque parfois de cohérence. Et nous voulons contribuer à ce qu’il remette plus clairement en question les piliers du système capitaliste et des autres formes de domination.
Mais le programme tel qu’il existe et qu’il continue d’être élaboré comporte aussi toute une série de points qui buttent fortement contre les mécanismes du capitalisme. Pour s’en rendre compte, il suffit de se pencher sur l’extrait du programme cité par l’UCL pour appuyer sa critique. QS souhaite en effet une « humanisation du travail [qui] doit […] passer par une politique de plein emploi, la reconnaissance du travail non rémunéré, la réduction du temps de travail [sans perte de rémunération], la protection des emplois existants, le renforcement des droits syndicaux, la lutte à la discrimination sur le marché du travail et l’augmentation du salaire minimum ». Et, on pourrait en rajouter d’autres : « interdiction des lock-out, mesures anti-licenciements, droit à la grève politique, nationalisations dans des secteurs comme les mines, l’énergie et la forêt, etc ». Dans la période actuelle, l’implantation ne serait-ce que d’une partie des points mentionnés ici impliquerait une remise en question du pouvoir du capital, et la reconnaissance du travail non rémunéré peut contribuer à remettre au moins partiellement en question le patriarcat.
Obtenir la satisfaction de telles revendications ne pourra pas simplement découler de l’élection d’un gouvernement solidaire. Des luttes seront nécessaires. Il faudra descendre dans la rue massivement et comme jamais. La lutte actuelle contre la hausse des droits de scolarité montre bien l’ampleur de la tâche. Certes, elle peut être un point de départ pour la mobilisation de nouvelles générations. Certes, elle offre un contexte favorable aux critiques globales de la société et du coup à la généralisations des mobilisations futures. Mais on parle d’une lutte de résistance où le gain maximal immédiat est le maintien de l’existant, une grève qui est la plus longue du mouvement étudiant québécois. Cela décrit le rapport de force défavorable que nous avons à affronter et … à modifier.
En ce sens, l’élaboration du programme de Québec solidaire participe à la redéfinition du bien commun. Les luttes qu’exigent l’implantation de ce programme s’inscrivent dans une logique de réappropriation sociale, de démarchandisation du monde, qui s’opposent radicalement à la logique de l’accumulation du capital. En réfléchissant aux exigences formulées dans ce programme et en luttant collectivement pour leur satisfaction, les gens peuvent faire des gains mais aussi – et c’est crucial ! – découvrir à travers leur propre expérience – et non pas parce qu’on leur lance des slogans à la tête – l’incompatibilité entre les exigences du capital et les leurs, et éventuellement saisir la nécessité d’un changement révolutionnaire.
Pour citer un vieux barbu : « nous n’allons pas au monde en doctrinaire pour lui apporter un principe nouveau. Nous ne lui disons pas : « Voici la vérité. Tombez à genoux ! » Nous développons pour le monde, à partir de ses propres principes, des principes nouveaux. Nous ne lui disons pas : « Cesse tes luttes ! Ce sont des niaiseries ! Nous allons te proclamer les vrais mots d’ordre de la bataille ». Tout ce que nous faisons, c’est lui montrer pourquoi il lutte, et de cela il s’en rendra compte même s’il ne le veut pas. » (Marx) Pour nous, il s’agit donc de s’engager dans les luttes que les gens mènent eux et elles-mêmes (et d’encourager le développement de nouvelles luttes) et de les relier entre elles, de montrer leur sources communes et profondes et de les radicaliser.
Nous savons qu’il existe dans nos sociétés une vaste majorité d’exploitéEs qui, malgré tout ce qui peut les diviser, possèdent des intérêts communs qui sont opposés à ceux de la classe dominante. Ces exploitéEs peuvent en venir à prendre conscience de leur condition et à faire preuve de solidarité. Cependant la classe des travailleurs-ses ne s’est pas simplement endormie et n’attend pas tout bonnement d’être éveillée par le bruit des slogans révolutionnaires ou d’un discours lui assurant que l’État-nation est une mauvaise chose. Notre classe a été largement désagrégée et atomisée par la défaite politique qui a ouvert la voie au néolibéralisme. Mais l’exploitation et l’antagonisme de classe n’a pas disparu pour autant. Il donne lieu à des conflits et à diverses résistances éparses. Il faut participer à ces résistances, contribuer à les relier et ainsi enclencher un processus de (re)construction de la classe des travailleurs-ses, comme ça s’est fait à plusieurs reprises par le passé.
La gauche radicale est largement marginalisée. Ses idées ne sont pas portées par la majorité des travailleurs-ses, loin s’en faut ! Mais les gens ont aussi pour la plupart une pensée et des valeurs contradictoires qui mêlent souvent des éléments de gauche et de droite et qui peuvent évoluer. Il s’agit de jouer sur ces contradictions et de s’inscrire dans cette évolution.
Nous sommes partie prenante d’une classe qui ne réalise actuellement pas la nécessité de sa propre émancipation et qui ne pourra en prendre conscience qu’en menant ses propres luttes. Comme le rappelait Hal Draper, l’émancipation ne s’apparente donc pas à un examen où les gens auraient à réciter par cœur un catéchisme révolutionnaire. Il s’agit d’un processus qui passe par l’auto-transformation, l’auto-développement des individus et des collectivités à travers leurs propres luttes et leurs propres efforts organisationnels.
En tentant de changer notre contexte politique et social, nous nous changeons nous-mêmes. Nous développons de nouvelles idées et de nouvelles capacités. Nous nous confrontons au pouvoir et nous pouvons être amenés à le remettre en question et à développer une nouvelle conception du champ des possibles politique. C’est ainsi que Marx définit la pratique révolutionnaire : la concordance de la transformation des circonstances et de l’auto-transformation des individus. Il s’agit d’un socialisme « par le bas » qui s’appuie sur une pratique d’auto-émancipation.
QS pourrait aussi – c’est ce que nous espérons – devenir une organisation de classe à travers un tel processus de transformation. On verra. En tous cas, pour nous, il ne s’agit pas de se proclamer mais de devenir une organisation de transformation sociale de masse à travers un processus de lutte et de réflexion collective. Comme le soulignait Bernard Rioux dans Presse-toi à gauche ! :
« Seule une organisation politique structurée, un parti politique, peut présenter un programme faisant la synthèse des revendications économiques, sociales, démocratiques et politiques et les intégrer en un projet global de société. Il est donc nécessaire que Québec solidaire occupe sans timidité ce terrain et favorise la rupture des mouvements sociaux d’avec le PQ et son social-libéralisme qui a été un facteur de recul et de démobilisation. Québec solidaire doit chercher à permettre l’expression de la résistance populaire dans le cours même des campagnes électorales. L’enracinement d’un projet de société et la construction d’un parti qui le porte ne sont pas d’abord le produit d’un travail d’éducation politique et de prise de parole publique mais sont liés aux combats concrets qui seront menées par la population du Québec pour ses revendications dans le sens d’une transformation sociale véritable. Québec solidaire est devant un défi essentiel : offrir un projet alternatif de gauche au cœur même de la résistance populaire.
Par son membership, Québec solidaire représente donc une force transversale aux mouvements sociaux. Son action vise à favoriser l’autonomie des mouvements sociaux face aux partis du patronat, à défendre l’unité dans l’action des différents mouvements sociaux et à défendre la constitution d’un front social et politique unitaire de résistance. » Pourquoi ce projet serait-il voué à l’échec ?
La bureaucratisation et l’électoralisme comme fatalité ?
L’UCL voit QS dans une nuit de la social-démocratie où tous les chats sont gris. Mais il faut nuancer. Chavez mérite d’être critiqué, parfois très sévèrement, mais, contrairement à ce que sous-entend l’UCL, il n’est pas Lula. Plus important pour notre propos, QS dit vouloir dépasser le capitalisme à une époque où les partis sociaux-démocrates (sociaux-libéraux) qui appliquent les plans d’austérité en Espagne, en Grèce et ailleurs ont depuis longtemps formellement renié toute volonté de dépassement du capitalisme. Ça n’est pas tout, mais ce n’est pas rien non plus !
Il est donc selon nous beaucoup plus juste de replacer notre parti dans une gauche de la gauche qui tente d’émerger internationalement et qui regroupe des partis tels que le Nouveau Parti anticapitaliste et le Parti de Gauche en France, Die Linke en Allemagne ou encore le Bloc de Gauche au Portugal. Dans cette mouvance co-existent des perspectives plus électoralistes alors que d’autres sont axées sur une politique d’auto-émancipation et de (re)construction de la classe des travailleurs-ses.
L’UCL nous met en garde contre le risque de voir un détachement entre une stratégie électoraliste et une autre « pro-rue ». Mais, en fait, les tendances à l’électoralisme existent depuis longtemps au sein du parti et précèdent même sa création ! Elles y existent pour les même raison qu’elles existent dans la société : parce que, comme nous l’avons dit dans notre intervention précédente, pour une large partie de la population la confrontation gauche-droite et ultimement les rapports de force entre classes se jouent encore dans le champ électoral.
Mais une contre-tendance existe aussi au sein du parti. Lors de son avant dernier congrès les délégués ont largement rejeté une proposition d’alliance électorale avec le PQ. De plus, une large part des militants-es actifs de QS proviennent « de la rue » et sont engagés dans divers mouvements sociaux : Organisations de défense collective des droits, organismes féministes, syndicaux, écologistes, collectifs anticapitalistes, etc. C’est encore trop peu, mais ce sont des tendances que nous devons contribuer à supporter au sein du parti. Ainsi, la « rue » et les « urnes » ne sont pas des espaces que nous séparons mécaniquement et nous travaillons afin que notre organisation l’assume progressivement.
Par ailleurs, encore une fois, il faut séparer électoralisme (qui implique de croire pouvoir changer la société, la transformer et renverser les rapports de force entre classes uniquement par les voies parlementaires) et participation aux élections (ce qui ne résout pas les contradictions entre les classes, mais les posent). Bien que nous soyons conscients des dangers que cela implique, nous ne croyons pas que le simple fait de participer aux élections mène automatiquement à l’électoralisme, pas plus que la formation d’un parti implique qu’il deviendra nécessairement une bureaucratie étouffant toute vie démocratique à l’interne.
La bureaucratisation et l’électoralisme ne sont pas des fatalités. Il s’agit de tendances, que l’État et le capital tentent toujours de renforcer et qui existent autant dans le champ syndical que dans le champ politique et ailleurs. Mais, justement, cela demeure des tendances. Il s’agit de processus contradictoires à l’intérieur desquels les individus et les groupes peuvent agir. Nous refusons donc de naturaliser l’autoritarisme et la bureaucratisation des partis. Ça n’est pas naturel : il s’agit de processus sociaux sur lesquels nous avons au moins partiellement prise. QS demeure un processus ouvert, qui ne s’est pas encore cristallisé et dans lequel nous pensons devoir nous inscrire en ayant en main les erreurs et les réussites du passé pour nous aider, tant bien que mal, à éclairer l’avenir.
Face à l’inconnu, une boussole collective
Comme nous l’avons déjà dit, nous sommes entrés dans une nouvelle période, après une défaite politique historique des espoirs révolutionnaires du 20e siècle et trois décennies de néolibéralisme. Nous entreprenons un long travail de reconstruction. Nous savons qu’il n’y a pas de certitude ni de recette pour changer le monde. Si nous avons des points de repères théoriques, nous savons aussi que les points de ruptures avec le capitalisme devront être trouvés dans la pratique, dans une longue marche qui va comporter des avancées et des reculs.
Notre engagement dans QS a sa part de risques. Mais, nous refusons le confort de la marge, Nous voulons contribuer à faire de QS un parti des urnes et de la rue qui nous permet de réfléchir – et parfois de nous tromper ! – ensemble. Il faut continuer d’en faire une boussole qui nous sert à avancer sur les terres inconnues du renouveau de la gauche anticapitaliste.
Solidairement, en notre propre nom
– Xavier Lafrance
– Jean Pierre Roy
– José Bazin
– Cynthia Bergeron
– Antoine Casgrain
– Daryl Hubert
– Philippe Lemmi
– Véronique Martineau
– Christian Pépin
– Marie-Eve Rancourt
– Roger Rashi
– Benoit Renaud
– Bernard Rioux
– Jessica Squires
– Alvaro Vargas
– Jonathan Vallée-Payette
membres de Québec Solidaire, 17 avril 2012
* http://www.pressegauche.org/spip.php?article10090
Réponse aux réactions de deux militants de Québec Solidaire au texte « Des moutons dans la tanière »
Plusieurs personnes de Québec Solidaire semblent avoir été dérangées par un récent article du Cause commune, certains et certaines ont réagi avec fougue et passion, d’autres ont préféré répondre en nous adressant la critique. Nous sommes ravis du débat soulevé par ce court texte, car n’oublions pas que nos deux tendances sont irréconciliables et qu’il est normal et approprié de s’adresser la critique une fois de temps en temps. L’axe principal autour duquel portait notre article reposait sur la contradiction principale, à nos yeux, de la stratégie de « parti des urnes et de la rue » chère à QS. L’UCL voulait démontrer que la rue est lieu d’édification d’un rapport de force et que l’urne n’est que délégation de pouvoir, espoir et attentisme.
Le parti des urnes et de la rue
La réponse de Xavier Lafrance et Jean-Pierre Roy (Au delà de l’ortodoxie) revient sur cet élément moteur de la stratégie de QS. On nous explique que « Qs est un parti de la rue en ce qu’il souhaite sincèrement le succès des mobilisations sociales et voit les mouvements comme des alliés objectifs. » Peut-être que QS souhaite sincèrement le succès de ces mobilisations, mais il y a lieu de se poser de nombreuses questions. Pourquoi QS cherche alors des personnalités fortes des mouvements sociaux, des leaders naturel-le-s et positifs de ces mouvements sociaux pour en faire de simples candidats ou candidates au risque de priver la rue d’éléments (certes non-essentiels) mais importants dans la lutte ? Pourquoi QS, en pleine grève générale étudiante, laisse son aile électorale prendre autant de place sur la scène publique alors que le combat devrait se limiter qu’à la rue ? Et qu’en est-il de certains candidats qui profitent de la manifestation nationale de la CLASSE du 23 février dernier pour rappeler haut et fort à tout le monde que QS est pour la gratuité scolaire ? Peut-on déjà parler d’opportunisme ?
Le risque d’une structure comme QS, c’est de voir le détachement (qui à notre sens est déjà commencé) entre une ligne stratégique électoraliste qui va, à terme, instrumentaliser la tendance « pro-rue ». D’ailleurs, pourquoi un parti qui se définirait par « la rue » construit l’ensemble de son organisation de base sur des associations de comtés plutôt que des groupes de quartiers qui correspondent plus à la réalité concrète du travail militant de base ? Ce détachement de l’aile parlementaire se produit dans la grande majorité des partis de gauche et ce partout à travers le monde. L’idée selon laquelle l’articulation rue/urnes ne vise qu’à donner davantage de pouvoir à la rue et à poser le conflit de classe nous apparaît idéaliste. C’est un refus de voir l’historique des partis de gauches, mais aussi l’attraction du pouvoir pour une aile électoraliste.
Il est nécessaire de préciser en quoi la position des « urnes et de la rue » s’inspire d’une analyse « hors-sol » et « dans le vent », en exprimant une négation de la réalité historique concrète. En Europe, il est bon de rappeler le comportement des partis sociaux-démocrates qui, contre leurs propres populations, appuyèrent la Première Guerre mondiale. Ou encore les agissements du Front populaire en France qui refusa d’aider les insurgé-e-s espagnol-e-s dans leur lutte contre le coup d’État de Franco en 1936. En Amérique latine, des prétendus gouvernements de gauche, à commencer par Lula et Chavez, reproduisirent à souhait les paramètres du système économique capitaliste en le teintant d’une rhétorique nationaliste antiaméricaine. Au Québec et en Ontario dans les années 1980 et 1990, le Parti Québécois et le Nouveau Parti Démocratique font également bonne figure en ce qui a trait à l’établissement de politiques antisociales. Faut-il également souligner que tout récemment, les plans d’austérité imposés aux classes populaires d’Espagne et de Grèce, ainsi que la répression policière nécessaire à leur implantation, ont été cautionnés par les partis sociaux-démocrates de ces deux pays. Nous aimerions bien comprendre quel ingrédient mystérieux place QS à l’abri des bêtises de la social-démocratie historique. D’autant plus que tout au long du processus menant à sa création, plusieurs thèmes et concepts ont été abandonnés volontairement. Ainsi, toutes références au socialisme, à la lutte de classe ou même à une quelconque conflictualité sociale ont laissé place à des termes vides, comme celui de bien commun, d’humanisme, de citoyenneté ou de société civile.
Si plusieurs militants et militantes de QS sont animé-e-s d’une volonté sincère de développer les luttes sociales, il faudrait être aveugle pour ne pas constater l’attentisme et l’espoir créé par l’existence de QS d’une part, par l’élection de Khadir d’autre part et puis dernièrement par l’élection massive du NPD, le 2 mai dernier. Plusieurs militants et militantes de base des mouvements sociaux placent un espoir grandissant dans QS et une possible victoire électorale, comme si cela allait suffire à produire plus de justice sociale et une meilleure répartition des richesses. Au-delà d’une présence lors des mobilisations, QS se fait connaître surtout par son existence en tant que parti, par les questions de Khadir, par les déclarations de ses deux chef-fe-s, etc. C’est ce message qui est transmis massivement et qui crée un phénomène d’attentisme. N’oublions pas que QS tente de jouer dans la cour des grands partis et est en quête de légitimité. Si l’on demande à la CLASSE de condamner la « violence » pour être digne de se poser en mouvement social, que pourra-t-on demander à QS pour avoir sa place aux côtés des grands partis et surtout, jusqu’où ira QS ?
Un programme anticapitaliste ?
L’étonnement causé par l’utilisation de l’étiquette de social-démocratie pour désigner QS a de quoi étonner ! À la lecture du programme de QS, on constate au premier coup d’oeil que les bases du mode de production capitaliste sont pourtant maintenues. Le salariat est non-seulement, préservé, mais aucunement remis en question. « Une telle humanisation du travail doit alors passer par une politique de plein emploi, la reconnaissance du travail non rémunéré, la réduction du temps de travail, la protection des emplois existants, le renforcement des droits syndicaux, la lutte à la discrimination sur le marché du travail et l’augmentation du salaire minimum. » (Programme QS, pour une économie solidaire... p.13). Sur le plan financier, on parle de la création d’une banque d’État et de réglementation accrue pour les banques privés. Sur le plan environnemental, il est question de la création d’entreprises d’État et de nationalisation, de hausse des redevances et de réglementation sur l’exploitation des ressources naturelles. Aucune remise en question de la propriété privée des moyens de production ni du capital bancaire, tout au plus on nous propose un inacceptable recours au capitalisme d’état ! Sur la question nationale, QS, bien qu’ayant une conception beaucoup plus inclusive de la « nation québécoise », ne vient que conforter ce faux concept de nation qui ne sert qu’à diviser les travailleurs, les travailleuses et les précaires de partout sur la planète. En effet, nulle part voyons-nous une remise en question de fond de l’idée même d’État-nation.
Enfin, Xavier Lafrance et Jean-Pierre Roy indiquent que « plusieurs des mesures avancées confrontent directement le capital ». Nous croyons plutôt que, si le programme de QS confronte directement le néolibéralisme, il n’est ni plus ni moins qu’un aménagement tout à fait social-démocrate du système d’exploitation capitaliste. En aucun moment, il ne remet en cause les fondements sur lesquels s’est développé le capitalisme contemporain : la propriété privée et l’économie de marché. Il est certes plus radical que plusieurs autres partis de la social-démocratie, en ce sens nous pourrions accepter, si cela froisse moins, de parler de social-démocratie radicale (sic) !
À aucun moment, nous avons remis en cause la solidarité que nous développons avec des camarades de luttes, des camarades qui placent la construction d’un rapport de force social bien avant les considérations liées à la stratégie électorale. Nous sommes parfois des allié-e-s face à un ennemi commun, mais nous nous devons de ne pas sombrer dans une complaisance artificielle les un-e-s par rapport aux autres. Nous avons deux conceptions fondamentalement différentes de la stratégie et des objectifs révolutionnaires liées à nos actions, ainsi que de l’autonomie des mouvements sociaux. Donc oui pour « frapper ensemble » encore et « marcher séparément » mais tout en se critiquant ouvertement !
Union Communiste Libertaire (UCL), 2 mars 2012