Les défenseurs de la nature et des animaux viennent de se sentir trahis. Après avoir réalisé que Nicolas Hulot et Yann Arthus-Bertrand dégageaient beaucoup de CO2 avec leurs hélicoptères et leurs sponsors, ils ont la douleur d’apprendre que le député européen (EELV) José Bové, leur idole, a encouragé publiquement les éleveurs de moutons à braconner les loups.
Cet animal mythique a toujours été un bouc-émissaire et un révélateur des malaises sociaux. Des livres récents sur la « Bête du Gévaudan », épisode trouble qui a précédé de peu la Révolution française, considèrent qu’il s’agit d’une imposture couvrant une série d’assassinats de pervers. Aussi, jusqu’à son dernier jour, le précédent gouvernement avait accordé des privilèges sans précédent aux chasseurs, le CNPT (Chasse, pêche, nature, traditions) s’étant allié à l’UMP (sauf en Languedoc-Roussillon où il s’est associé au Parti socialiste). Sur l’arc alpin, les préfets ont délivré en trois mois 64 autorisations de tirs ce qui fait aujourd’hui du loup une espèce à la fois légalement tirée en France et protégée en Europe.
Au-delà du loup, ce conflit entre écologistes utilitaristes comme José Bové, éleveur néo-rural, et écologistes éthiques, comme Théodore Monod, estimant que la nature appartient aussi aux randonneurs qui veulent en jouir sans l’exploiter (si ce n’est dans le cadre de l’écotourisme), ne date pas d’hier. Après les désastres écologiques qui ont accompagné la conquête de l’Ouest, le même débat a eu lieu aux Etats-Unis, il y un siècle, entre Gifford Pinchot, ami de Théodore Roosevelt, et John Muir. Ce dernier, dans le langage biblique de l’époque et du lieu, critiquait ce que l’on nomme aujourd’hui « anthropocentrisme » : « Le monde, nous dit-on, a été créé pour l’homme. Aucun fait ne confirme cette idée. L’objet de la Nature, en créant chacun des animaux et des plantes, a tout aussi bien pu être d’assurer le bonheur de chacune de ces créatures, non leur existence pour la joie de l’homme. Pourquoi l’homme se prend-il pour autre chose qu’un des plus petits éléments de la création ? ». « Le père de la sylviculture durable » répondait : « La protection des forêts n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’accroître et de consolider les ressources de notre pays et des industries qui en dépendent. La préservation des forêts est une impérieuse nécessité économique. » José Bové lui fait aujourd’hui écho : « Entre des éleveurs qui vivent à l’année et le désert rural, je choisis les éleveurs. »
Ce débat historique, dont le point culminant fut la construction d’un barrage au cœur du Parc national de Yellowstone, resurgit à propos du loup car il existe deux grandes conceptions de l’écologisme qui ont du mal à s’entendre : les réformistes et les révolutionnaires. Faut-il choisir une écologie utilitariste ou éthique ? C’est plus un problème de sensibilité que de vérité. Sont-elles conciliables ? C’est nécessaire mais cela demande des efforts, le loup et l’agneau ayant du mal à cohabiter. Encore faut-il, avant de trancher, examiner la question scientifiquement et non l’expédier pour des raisons électoralistes. Pourquoi le loup cohabite-t-il depuis toujours avec les bergers italiens et espagnols qui savent s’en protéger alors que cela est considéré comme impossible chez nous ?
L’opposition entre l’homme et le reste du monde, entre profit à court terme et survie à long terme, entre ces deux grandes conceptions de l’écologisme ou tout simplement de la vie en société est en tout cas plus que jamais d’actualité en pleine crise économique et, me semble-t-il, au début d’une crise écologique mondiale due à l’accroissement des populations et de leur consommation. Pour conclure plus prosaïquement et localement, les Verts, en élargissant leur horizon à l’Europe, se préoccupent de plus en plus de social et d’économie, de moins en moins de nature et d’animaux : ce glissement explique-t-il la chute de leur électorat qui ne parvient plus à les distinguer des autres partis ?
Pierre Jouventin, directeur de recherche au CNRS retraité