La police tunisienne a procédé, jeudi 9 août, à des tirs de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogène à Sidi Bouzid, berceau de la révolution, pour disperser une manifestation d’opposants. Quatre personnes ont été hospitalisées, dont l’une blessée par une balle en caoutchouc. Selon le surveillant général de l’hôpital de Sidi Bouzid, ces blessures ne sont pas graves.
Les forces de l’ordre ont commencé à tirer en l’air lorsque des manifestants, qui réclamaient la démission du gouvernement dirigé par les islamistes du parti Ennahda, ont cherché à pénétrer de force dans le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid. Plusieurs formations politiques d’opposition participaient à cette manifestation, comme le Parti républicain, le Parti des travailleurs tunisiens, Al-Watan, mais aussi des indépendants. Après les tirs, un mouvement de panique a débuté et la foule de manifestants s’est dispersée pour échapper au gaz lacrymogène.
SIGNES DE TENSIONS
Les lenteurs de l’amélioration des conditions économiques et sociales ont entraîné des nouvelles tensions dans le pays. Régulièrement, des grèves et actions de protestation ont lieu et la police intervient pour contenir les démonstrations de force. Fin juillet, la police avait ainsi dispersé des dizaines de manifestants qui avaient attaqué le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid pour protester contre des retards de versement de salaires.
Cette ville est située dans une région particulièrement pauvre et marginalisée sous l’ancien régime. Or la situation ne s’y est guère améliorée depuis la révolution. « Les habitants de Sidi Bouzid vivent dans des conditions très difficiles, surtout ces derniers temps, avec les coupures d’électricité et d’eau, relève ainsi la politologue Ahmed Manaï. Il fallait s’attendre à ces manifestations. »
Sidi Bouzid est le berceau de la révolte qui a abouti, le 14 janvier 2011, à la chute du président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali et sa fuite en Arabie saoudite. Le point de départ avait été la mort, le 17 décembre 2010, de Mohamed Bouazizi. Ce vendeur ambulant de 26 ans s’était immolé par le feu pour protester contre la saisie de ses marchandises par la police.
NOUVELLES RESTRICTIONS DES LIBERTÉS FONDAMENTALES
L’intervention musclée de la police intervient au moment où l’opposition et la société civile multiplient les critiques à l’égard du gouvernement, l’accusant d’une dérive autoritaire et islamiste. A Tunis, plus de deux cents personnes manifestaient, jeudi après-midi, devant le siège de l’Assemblée nationale constituante pour dénoncer des atteintes aux libertés publiques et aux droits de la femme. Plusieurs courants de l’opposition étaient représentés. Ils protestaient notamment contre un projet de loi punissant de peines de prison les atteintes au sacré ainsi qu’un projet d’article de la Constitution évoquant la complémentarité et non l’égalité homme-femme. Enfin, sur le plan judicaire, un projet de loi prévoit de laisser au chef du gouvernement le droit de bloquer les nominations et révocations de juges décidées par le conseil de la magistrature.
L’ONG de défense des droits de l’homme Amnesty International a également fait part de son inquiétude mercredi quant aux nouvelles restrictions des libertés fondamentales orchestrées par le gouvernement tunisien. Amnesty cite, à ce titre, les doutes pesant sur la légitimité de l’arrestation dimanche pour ivresse d’un blogueur critique du gouvernement, Sofiane Chourabi, estimant « plus que probable » qu’elle soit liée à ses activités militantes.
Le parti islamiste au pouvoir, Ennahda, a été accusé à plusieurs reprises par l’opposition et une partie de la société civile de s’en prendre à la liberté d’expression et de la presse. L’instance tunisienne chargée de réformer le secteur des médias pour garantir leur indépendance s’est sabordée au début de juillet. Ennahda rejette en bloc ces critiques, le chef du parti, Rached Ghannouchi ayant même accusé en début de semaine des médias et des syndicats de « menacer l’unité du pays ».