Dans les jours qui ont suivi la chute de Ben Ali, les organisations politiques de gauche et nationalistes arabes, dont nombre de militant-e-s avaient joué un rôle moteur dans la révolution, s’étaient regroupées sous le nom de Front du 14 janvier. Celui-ci avait rapidement éclaté et chaque organisation avait ensuite fait cavalier seul. La capacité de ces organisations à intervenir dans les luttes s’en était trouvée amoindrie. Leur dispersion lors des élections d’octobre 2011 les avait toutes gravement marginalisées.
Depuis le printemps 2012, le paysage politique tunisien a été marqué par une bipolarisation croissante entre deux grands pôles.
– Le premier est constitué par les islamistes d’Ennadha, le CPR du Président Marzouki et Ettakatol du Président social-démocrate de l’Assemblée constituante Mustapha Ben Jafaar (1) ;
– Le second pôle s’efforce de regrouper diverses forces (essentiellement les 17 partis issus de l’éclatement des partis de Ben Ali et de Bourguiba) qui, au nom de la logique « Tout sauf Ennadha », se rangent derrière Nidâa Tounes de Caïd Essebsi. Celui-ci avait occupé des positions centrales au sein de l’Etat sous Bourguiba, puis plus brièvement sous Ben Ali. (2) Essebsi avait été par la suite Premier ministre du 27 février au 24 décembre 2011.
Des pourparlers ont commencé à la fin du printemps 2012 entre le parti d’Essebsi (3), et des forces ayant participé aux gouvernements Ghannouchi juste après la chute de Ben Ali, comme par exemple celles issues de l’ex-PDP (4) et des « modernistes » autour de l’ex-Ettajid (nouveau nom adopté en 1993 par l’ancien Parti communiste)(5). S’y sont ajoutés des courants provenant du Parti du travail tunisien (PTT) de Bedoui.(6)
L’objectif premier d’Essebsi est de regrouper les anciens dirigeants et militants du RCD (Parti de Ben Ali dissous après le 14 janvier).
Simultanément, des discussions se sont organisées pour reconstituer un Front du 14 janvier sur de nouvelles bases, ouvert à d’autres partis ainsi qu’à des militants individuels indépendants (n’appartenant à aucun parti). L’enjeu est de constituer un troisième pôle politique s’opposant simultanément aux deux forces se situant dans le cadre du capitalisme néolibéral : d’une part les islamistes d’Ennadha, d’autre part la coalition autour de l’ancien Premier ministre Essebsi.(7)
« A l’heure où les observateurs de la vie politique nationale estiment qu’une bipolarisation entre Ennahdha et Nidâa Tounes est désormais inéluctable (...), le front, regroupant des partis de gauche et d’obédience nationaliste arabe, estime que les Tunisiens ne sont pas obligés de choisir entre Ennahdha et Nidâa Tounes » (journal tunisien Le Temps).
Un premier accord a été annoncé lundi 13 août entre 12 partis dont on trouvera la liste ci-après. Celle-ci rectifie les dénominations variables pouvant être lues dans la presse, et provenant de traductions différentes des noms en arabe. Pour plus de clarté, le nom d’un des principaux dirigeants de chaque parti a été mis entre parenthèses. Par ailleurs, les noms des cinq partis qui s’étaient préalablement regroupés le 18 mars 2012 au sein du « Front populaire du 14 janvier » ont été mis en italique.
De tradition marxiste-léniniste
- Parti des travailleurs - ex-PCOT - (Hamma Hammami)
- Un courant du PTPD (8) (Mohamed Jmour)
- Mouvement des patriotes démocrates (8) - MOUPAD - (Chokri Belaïd)
- Les Patriotes démocrates (Jamel Lazhar)
- Parti de la lutte progressiste - PLP - (Mohamed Lassoued)
De tradition trotskyste
- Ligue de la gauche ouvrière - LGO - (Jalel Ben Brik Zoghlami)
Autre parti d’orientation socialiste
- Parti populaire pour la liberté et le progrès - PPLP - (Jalloul Ben Azzouna) cf. Ben Salah
Panarabe marxiste
- Front populaire unioniste (Amor Mejri)
Nationaliste arabe nassérien
- Mouvement du peuple - Hraket Echaab - (Mohamed Brahmi)
Nationaliste arabe baathiste
- Mouvement Bath (Othmane Belhaj Amor)
- Parti de l’avant-garde arabe et démocratique - PAGAD - (Khereddine Souabni)
Ecologiste
- Tunisie verte (Abdelkader Zitouni)
Voici quelques précisions lues dans la presse :
Hamma Hammami (Parti des travailleurs, ex-PCOT) : “Cette coalition est un front politique et non essentiellement électoral. Elle œuvrera à réaliser les objectifs de la révolution et constitue un troisième pôle d’opposition face à la troïka au pouvoir et à l’Appel de la Tunisie”. “L’annonce officielle de la création du front populaire, sa structure et sa direction est prévue en septembre prochain”.
Mohamed Brahmi (Mouvement du Peuple) : « Nous tablons sur une quinzaine de partis en plus des indépendants et des composantes de la société civile qui ont été créées dans les régions à l’instar du Front du 17 décembre mis sur pied à Sidi Bouzid ».
Notes :
1. Ettakatol de Ben Jafaar est la nouvelle dénomination du FDTL. Ce parti était membre observateur de l’Internationale socialiste du temps de Ben Ali. Il en est devenu la section officielle depuis que le parti de Ben Ali en ait été enfin exclu ... le 17 janvier 2011 !
2. Essebsi été successivement ministre de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères sous Bourguiba, puis Président de la Chambre des députés sous Ben Ali entre 1990 et 1991.
3. Le 16 juin 2012 Essebsi a lancé une nouvelle formation politique intitulée « L’appel de la Tunisie - Nida Tunes ».
4. Depuis le 9 avril 2012, plusieurs partis centristes et libéraux, dont le PDP de Maya Jribi et Néjib Chebbi, se sont regroupés sous le nom de Parti républicain.
5. Le 1er avril 2012, Ettajid s’est regroupé avec une partie du PTT de Bedoui, et des indépendants du « Pôle moderniste » au sein d’une nouvelle formation intitulée "La Voie démocratique et sociale - El Massâr.
6. Une erreur parfois commise par la presse, est de confondre le Parti du travail tunisien (PTT) de Bedoui (d’orientation travailliste) avec le Parti des travailleurs d’Hamma Hammami, qui est le nouveau nom du PCOT (issu de la tradition marxiste-léniniste).
7. Voir l’article « Rapprochements au sein de la gauche tunisienne » (19 juillet 2012) constitué d’interviews de militants de l’ex-PCOT, de deux organisations Patriotes démocrates et de la LGO (ESSF article 25957). www.europe-solidaire.org/spip.php?article25957
8. Une fusion a eu lieu entre le courant Jmour du PTPD et le MOUPAD, lors d’un congrès qui a eu lieu du 31 août au 1er septembre 2012. Le nom retenu pour la nouvelle organisation est Parti des Patriotes Démocrates Unifié.
Bibliographie : Une série de textes concernant les partis politiques tunisiens est disponible sur la page « A gauche (Tunisie) » du site Europe solidaire sans frontières ( http://www.europe-solidaire.org/spip.php?rubrique1029
On y trouve notamment un article du 19 juillet 2012, complémentaire à celui-ci, intitulé « Rapprochements au sein de la gauche tunisienne » (ESSF article 25957). Il est constitué d’interviews de militants de l’ex-PCOT, de deux organisations Patriotes démocrates et de la LGO.
www.europe-solidaire.org/spip.php?article25957
On y trouve également une série de notes de travail sur ces partis datant d’avril–juin 2011 : Note de travail sur les partis tunisiens (avril–juin 2011) (ESSF article 22111)
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article22111, ainsi que divers documents émanant d’eux.