Nadejda Tolokonnikova, 22 ans, Ekaterina Samoutsevitch, 30 ans, et Maria Alekhina, 24 ans – qui comparaissaient depuis la fin juillet et étaient en détention provisoire depuis six mois –, avaient chanté en février une « prière punk » dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou, demandant à la Sainte Vierge de « chasser Poutine » du pouvoir.
Pour la juge Marina Syrova, elles ont « violé l’ordre public » et « offensé les sentiments des croyants », motivées « par la haine religieuse » et sans exprimer de repentir. Les six mois qu’elles ont passés en détention provisoire seront déduits de leur peine, qu’elle serviront dans un camp de régime moyen, et non sévère.
« TROÏKAS DE L’ÉPOQUE DE STALINE »
« C’est une honte ! C’est une injustice ! » ont crié plusieurs personnes dans la salle du tribunal à l’annonce du jugement. Nadejda Tolokonnikova a souri en entendant sa condamnation. La lecture du jugement a duré près de trois heures, la juge reprenant en grande partie les arguments avancés le 7 août par la procureure, qui avait alors requis trois ans de camp contre les accusées. Elle a mis l’accent sur le caractère « sacrilège » de la « prière », citant largement les déclarations d’employés et membres de la sécurité de la cathédrale qui ont porté plainte pour les « souffrances morales » occasionnées.
Les avocats des Pussy Riot avaient demandé leur acquittement. L’un d’eux a comparé ce procès à celui des « troïkas de l’époque de Staline », en allusion aux groupes de trois personnes qui, du temps de la terreur stalinienne, condamnaient à des années de camp ou même à mort, de manière arbitraire et expéditive. Tout au long du procès, leurs avocats ont estimé qu’elles n’avaient pas eu droit à une justice équitable et que le verdict serait « dicté par le Kremlin ».
« Je n’ai pas peur de l’imposture d’un verdict dans ce prétendu tribunal au prétexte qu’il peut me priver de ma liberté. Personne ne pourra me prendre ma liberté intérieure », avait lancé Maria Aliokhina pendant ses mois de détention. Dès sa condamnation, le journal britannique The Guardian mettait en ligne le dernier single du groupe, intitulé « Putin Lights Up The Fire ».
ACTIONS DE SOUTIEN À TRAVERS LE MONDE
L’affaire des Pussy Riot a profondément divisé la société en Russie, de nombreux prêtres et fidèles dénonçant la profanation de la cathédrale et une attaque en règle contre l’Eglise. Mais d’autres, y compris au sein de l’Eglise, ont jugé les poursuites à leur encontre et leur maintien en détention disproportionnés.
Des manifestants ultra-nationalistes et orthodoxes faisaient entendre leur voix vendredi devant le tribunal. « Je veux que les Pussy et ceux qui les soutiennent brûlent en enfer », a déclaré l’un d’entre eux. Une centaine de personnes scandaient de leur côté « Liberté aux Pussy Riot ! », « Liberté aux prisonniers politiques ! » Après l’annonce du verdict, le Haut conseil de l’Eglise orthodoxe a demandé « aux autorités de l’Etat de faire preuve de clémence envers les condamnées dans l’espoir qu’elles renonceront à toute répétition de ce genre de sacrilège ».
Les trois femmes ont déjà reçu de nombreuses marques de soutien international, notamment de la part de députés allemands, de la chanteuse américaine Madonna, de l’artiste d’avant-garde Yoko Ono, veuve de John Lennon, ou encore de l’ex-Beatles Paul McCartney. Une journée mondiale de soutien aux Pussy Riot a d’ailleurs lieu vendredi, avec des actions dans de nombreuses capitales, dont Paris, Londres, Varsovie ou encore New York.
La « prière punk » qui a déclenché ce procès n’était pas le premier coup des Pussy Riot. Le 20 janvier, huit d’entre elles avaient entonné sur la place Rouge une chanson intitulée Poutine a fait dans son froc, en référence aux récentes manifestations de l’opposition – alors que selon un sondage, cité vendredi par le quotidien Vedomosti, la cote de popularité du chef de l’Etat est au plus bas depuis son arrivée à la tête de la Russie en 2000, avec seulement 48 % de personnes satisfaites contre 25 % d’insatisfaites.
* Lire l’article : Russie : « Pussy Riot », les féministes punk qui défient Vladimir Poutine, disponible sur ESSF (article 26125)
* Le Monde.fr avec AFP et Reuters | 17.08.2012 à 07h01 • Mis à jour le 17.08.2012 à 19h23.
La condamnation des Pussy Riot « digne de l’Inquisition »
Avant même l’annonce du verdict, des rassemblements en soutien au groupe Pussy Riot ont été organisés à travers le monde. Partout, les manifestants arboraient la cagoule que les activistes portaient pour la « prière punk » qui leur a coûté deux ans de réclusion.
Au-delà de la seule condamnation du groupe de punk Pussy Riot, c’est la sévérité de celle-ci qui a provoqué des réactions outrées dans de nombreux pays, mais surtout au sein même de la société russe.
« C’est tout simplement de l’idiotie », a déclaré l’écrivain russe Boris Akounine, une figure de la contestation du pouvoir du président Vladimir Poutine, à la chaîne de télévision Dojd. Le blogueur anticorruption Alexeï Navalny, autre chef de file de l’opposition, a dénoncé un « anéantissement de la justice » et « un procès digne de l’Inquisition », selon Interfax.
« Elles sont en prison parce qu’il s’agit d’une revanche personnelle de Poutine, a déclaré Alexeï Navalny. Ce verdict a été écrit par Vladimir Poutine. » Il reprend une des lignes de défense des avocats des jeunes femmes, qui ont répété tout au long du procès que le verdict serait, de toutes façons, « dicté par le Kremlin ». M. Navalni a lui-même été inculpé de « détournement à grande échelle », un délit pour lequel il risque jusqu’à dix ans de détention.
L’ÉGLISE ORTHODOXE DEMANDE LA CLÉMENCE
Conscient de l’ampleur internationale qu’a prise l’affaire, Vladimir Poutine lui-même avait suggéré qu’il ne souhaitait pas que les jeune femmes soient condamnées à de trop lourdes peines. Après l’annonce du verdict, le délégué du Kremlin pour les droits de l’homme, Vladimir Loukine, n’a pas hésité à parler d’une condamnation « injuste », estimant « qu’il ne peut y avoir ici de peine criminelle ».
Même l’Eglise orthodoxe russe, qui avait eu des mots très durs contre les jeunes femmes, a demandé « aux autorités de l’Etat de faire preuve de clémence envers les condamnées, dans l’espoir qu’elles renonceront à toute répétition de ce genre de sacrilège ».
Ailleurs qu’en Russie, la sentence a rapidement été condamnée par la chef de la diplomatie de l’Union européenne, Catherine Ashton, qui l’a jugée « disproportionnée ». La France déplore « un verdict particulièrement disproportionné, compte tenu des faits mineurs qui leur sont reprochés ». La Grande-Bretagne et les Etats-Unis utilisent également le mot « disproportionné », Washington demandant aux Russes « de réviser ce procès et de faire en sorte que la liberté d’expression soit maintenue ». L’organisation non gouvernementale Amnesty International a estimé que les trois membres du groupe punk étaient des « prisonnières de conscience, détenues uniquement pour avoir exprimé pacifiquement leurs convictions ».
CADENASSAGE
La fermeté montrée dans cette affaire s’inscrit dans un contexte général de reprise en main ces derniers mois avec l’adoption de plusieurs lois controversées. Une loi qualifie d’« agents de l’étranger » et place sous contrôle étroit les ONG bénéficiant de fonds étrangers, avec des sanctions allant jusqu’à deux ans de détention en cas de violation de la législation. D’autres lois ont été adoptées, l’une sur la diffamation, l’autre sur des « listes noires » de sites Web et une troisième augmente considérablement les sanctions pour violation de la loi sur les manifestations, un texte déjà considéré comme restrictif par l’opposition.
Vendredi, la justice russe a par ailleurs officiellement banni les gay prides à Moscou pour une durée de cent ans. Nikolay Alexeyev, un activiste qui a dénoncé cette décision de justice, a promis de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. La mairie de Moscou estime que de telles parades peuvent provoquer un désordre public et affirme qu’elles ne sont pas soutenues par la majorité des habitants de la capitale.
* Le Monde.fr avec AFP et Reuters | 17.08.2012 à 17h50 • Mis à jour le 17.08.2012 à 20h07.