Les points d’orgue de la plate-forme de Québec solidaire, tels que révélés par les cinq slogans sur les affiches électorales, ne se démarquent pas de la plate-forme péquiste sauf pour la gratuité scolaire [Voir ci-dessous « Sortir, de toute urgence, la campagne de Québec solidaire de l’ornière péquiste »]. Après des publicités télévisées où Québec solidaire se présente comme le parti des 99% contre le 1% mais sans annoncer aucune mesure spécifique, la direction du parti concrétise sa plate-forme dans un cadre budgétaire [1] lequel soutient son « plan vert » [2]. Force est de constater que les différences par rapport au PQ, loin d’être négligeables, sont d’ordre uniquement quantitatif et sur les modalités même si la pratique très néolibérale du PQ au pouvoir rend peu crédible leurs quelques engagements progressistes.
Le cadre financier allonge la sauce sociale-libérale de celui de la mal nommée campagne « couragepolitique.org » qui n’en avait que pour l’élimination du déficit par une taxation progressiste mais sans marge de manœuvre pour des dépenses supplémentaires. À de modestes augmentations de la taxation du capital sous différentes formes s’ajoute une non négligeable augmentation de l’endettement auprès du capital financier sur fond d’une optimiste prédiction de la disparition de la crise économique et d’une totale ignorance des impératifs du libre-échange.
Quant à l’essentiel des dépenses supplémentaires prévues par le plan vert, elles renforcent le capitalisme vert, le plan de sortie de crise du capitaliste néolibéral une fois passé le goulot d’étranglement du rétablissement de l’équilibre des finances publics sur le dos des peuples. Même la bonification des programmes de soutien au revenu, tel le revenu minimum garanti, sont des armes à deux tranchants qui intègrent le prolétariat pauvre tant au marché de l’emploi qu’au marché de la consommation.
Le retour des déficits ou le retour de la crise ?
Le cadre financier reprend à son compte les limitées propositions fiscales de la campagne couragepolitique.org mais en ménageant davantage les entreprises manufacturières et de services pour frapper un peu plus durement les entreprises extractives de ressources naturelles, dont une drastique redevance sur l’eau, et les personnes gagnant plus de 100 000 $. Au bout de cinq ans de hausses graduelles, il y en aura pour un peu moins de 5 milliards $ de revenus supplémentaires l’an auxquels il faut retrancher la suppression de la taxe santé, mais non la régressive hausse de la taxe de vente de deux points de pourcentage (3 milliards $), de loin la principale mesure fiscale des derniers budgets des Libéraux, pour un total net d’un peu moins de 4 milliards $ de plus (lesquels auraient été de moins 1 milliard $ si la hausse de la taxe de vente avait été supprimée). Pour faire le grand saut jusqu’à 10 milliards $, on ajoute un peu plus de 6 milliards $ provenant, pour près de la moitié, de réduction de dépenses grâce à une baisse drastique du prix des médicaments, pour la majorité du reste, d’un « resserrement » fiscal et, pour compléter, d’un transfert de revenu d’un fonds capitalisé vers le budget proprement dit.
Hors nouveaux programmes, on prévoit un retour à la croissance « naturelle » des dépenses de 5%, au lieu du 2% actuel qui asphyxie les services publics, tout en éliminant l’officiel déficit hors dépenses d’infrastructures. Le tout serait financé aux deux tiers par la croissance tout aussi naturelle, c’est-à-dire hors crise économique, des revenus autonomes étant donné que « les prévisions de croissance économique du ministère des Finances […] se sont avérées fiables lors des dernières années… ». Il faut être aveugle pour croire que l’actuelle stagnante croissance se poursuivra pendant cinq ans alors que l’économie européenne est en crise profonde, que celle des ÉU vacille et que celle des économies émergentes ralentit sérieusement. Aucune des causes structurelles de la crise économique mondiale n’a été corrigé, que ce soit la stagnation salariale et le chômage qui tue la demande solvable, l’endettement généralisé qui étouffe ménages et gouvernements et la toute puissance des transnationales, particulièrement financières, qui empilent les profits comme jamais sans quasi rien réinvestir. Au contraire, ces tares atteignent dorénavant les économies émergentes pendant que s’épuise, dans les économies dite développés, la création monétaire à tout vent et que s’y renverse à toute vapeur la politique des déficits publics. La crise à la grecque pointe à l’horizon.
Québec solidaire veut maintenir la politique des déficits inaugurée avec le déclenchement de la crise en 2007-2008 en empruntant au capital financier un peu plus de 4 milliards $ l’an pendant cinq ans pour créer un peu plus de 25 000 emplois l’an dans le secteur des transports publics, de l’efficacité énergétique, de l’énergie renouvelable et du logement social (et racheter des compagnies minières et éoliennes ce qui pourrait être payant, hors crise, si elles ne sont pas rachetées au prix fort comme jadis le fit le PQ pour les minières de l’amiante). Cette création d’emplois verts serait complété par la création d’un peu plus de 5 000 emplois l’an dans les services publics à même les nouvelles ponctions fiscales, eux aussi considérés à juste titre comme des emplois verts car à la fois très peu énergivores en eux-mêmes et anti-consumériste dans leurs effets car valorisant l’enrichissement des rapports sociaux tout en élevant le niveau de conscience écologique grâce à l’éducation civique et scientifique. C’est d’ailleurs souvent le cas des secteurs d’emplois où l’on trouve une majorité de femmes.
Cette création d’emplois serait complétée par celle due à la hausse de la demande solvable provenant, pour une part, de la création d’un revenu minimum garanti de 12 000 $ augmentant le soutien au revenu de presque 4 milliards $ l’an à terme et, pour une autre part, de la hausse du salaire minimum à un peu moins de 12 $ l’heure indexé au coût de la vie par rapport à l’actuel presque 10 $ non indexé. Si on considère qu’il y a actuellement au Québec environ 325 000 personnes en chômage et que la faible croissance « naturelle » de l’emploi absorbe hors crise la croissance « naturelle » de la population active ― mais l’emploi a décrû durant les sept premiers mois de 2012 ― on peut faire la généreuse hypothèse que le cadre financier de Québec solidaire pourrait réduire le chômage de plus de la moitié sur cinq ans… hors crise.
Le mur du libre-échange et de la dictature de la finance
Sauf que cette politique à la mode keynésienne des « trente glorieuses » (1945-1975) ajustée à l’écologisme d’aujourd’hui se casserait la gueule dès le point de départ pour les mêmes raisons que la politique semblable du gouvernement socialiste français du début des années 80, à l’aube de l’ère néolibérale, encore plus radicale car elle nationalisait quelques grandes banques, a échoué. Dans le cadre du libre-échange naissant au sein de la Communauté européenne d’alors, la compétitivité française, faute de politique semblable chez les voisins, en fut réduite de sorte à ce que la reflation française fit surgir les importations au dépens de l’équilibre du compte courant et sans substantiellement requinquer l’économie française. En résultat un brusque tournant néolibéral qui est demeuré la politique du Parti socialiste depuis lors.
S’imagine-t-on qu’une province canadienne qui n’est pas la plus importante, sans aucune maîtrise de sa politique monétaire et avec un contrôle partiel de sa fiscalité, dans le cadre de l’OMC et de l’ALÉNA, avec un traité de libre-échange canado-européen probablement à la veille d’être signé lequel contraindra directement les dépenses publiques des provinces, ferait mieux que la France d’il y a trente ans ? La réduction drastique du prix des médicaments causera une forte réaction de l’importante grappe industrielle pharmaceutique que n’a pas la Nouvelle-Zélande donnée en exemple et pas beaucoup l’Ontario, lui aussi examplaire, plutôt spécialisé dans la production de médicaments génériques. L’industrie minière est certes prisonnière de la localisation des ressources mais le Québec n’a pas le monopole de la production du fer. Il y a là une très dure lutte anti-capitaliste à l’horizon qui passe par le contrôle des finances et du commerce extérieur, le recours à l’expropriation et la solidarité internationale.
Une condition nécessaire, mais non suffisante, de la réussite d’une telle politique réside dans un Québec maître à 100% de sa politique monétaire et fiscale, c’est-à-dire un Québec indépendant doté de sa propre banque centrale régissant sa propre monnaie. Comme le capital financier a prouvé hors de tout doute, depuis l’émergence de l’actuelle crise économique, qu’il est un Moloch écrasant les peuples pour sauver sa peau sans aucunement accepter la moindre réforme sérieuse, sans compter que son noyau dirigeant canadien est hors Québec, son expropriation et sa transformation en service public sont devenus impératifs. Pour y arriver, un peuple doit se préparer à l’affronter car le capital transnational se défendra bec et ongles avec tous les moyens idéologiques, politiques, économiques et militaires à sa disposition, ce que le peuple québécois sait très bien depuis les luttes contre la conscription en 1918 et 1942 et la crise d’Octobre 1970. Pour y arriver, les élections sont un bon moyen de préparer le terrain à condition de ne pas croire que le pouvoir est au bout de l’urne. Au Québec, durant cette élection, cette préparation consisterait à promouvoir la nécessité de la « grève sociale » que la lutte étudiante a laissé en héritage suite à sa mise au monde par le mouvement syndical. Reste à tester la recette à la première occasion post-électorale. C’est là la condition suffisante.
Le plan de sortie de crise du néolibéralisme : le capitalisme vert
Ceci dit, plusieurs éléments du plan vert de Québec solidaire sont tout à fait récupérables, donc finançables, dans le cadre d’un capitalisme vert. En transport public, le plan vert met l’emphase sur l’électrification du transport public et sur un « lien de transport haute vitesse électrique entre Montréal et Québec » et non sur l’augmentation massive du transport collectif urbain tendant vers la gratuité. La proposition de la plate-forme de la gratuité du transport public sur dix ans est complètement passée sous silence et le financement de sa première phase est absente du cadre financier. Le complexe hydro-québécois et Bombardier n’en demandent pas tant. Les banques seront au rendez-vous en autant que le bon peuple paie la facture par ses impôts et par ses tarifs. Quant au lien haute vitesse, les gens d’affaires en seront les principaux bénéficiaires et la performance écologique la grande perdante. Côté énergie, dans le plan vert, l’éolien prend le pas sur l’efficacité énergétique. La toute jeune grappe industrielle québécoise dans ce domaine y trouverait son compte. Quant à la construction massive de logements sociaux, le complexe ABC (asphalte-bois-ciment), à l’origine du grand scandale de la corruption, y trouvera lui aussi son compte. A-t-on jamais pensé à des régies d’État ou des coopératives de travail, supervisées démocratiquement, pour en finir avec la corruption ?
La norme néolibérale après crise n’est plus, si jamais ce l’a été, de sortir l’État du marché sauf pour sa force coercitive de protection de la propriété privée et des contrats et pour sa capacité d’élargissement et d’approfondissement du marché à de nouveaux territoires, de nouveaux secteurs, de nouvelles dimensions. Dorénavant, il s’agit en plus d’embrigader l’État pour soutenir le marché en garantissant la demande solvable et le sauvant des crises. Après les privatisations qu’il faut parachever, le temps des grands projets du capitalisme vert est arrivé. À l’État de les financer (ou d’en garantir le financement) puis d’assurer le flux annuel de revenus pour les rentabiliser. Seul un État aux finances équilibrées sans forte imposition du capital peut donner cette assurance aux bailleurs de fonds.
Sa contrepartie est la provision d’un minimum de services publics pour fournir au marché sa dose de prolétaires suffisamment instruits et en santé tout en y intégrant ceux et celles à la marge pour assurer leur employabilité et éviter leur révolte quitte même à en faire une base politique, ce à quoi peut servir tant le revenu minimum garanti que le salaire minimum. Vaudrait mieux tuer le marché par l’extension de la gratuité des services publics non seulement aux soins oculaires et dentaires, aux médicaments, aux garderies et aux transports publics mais aussi éventuellement à l’électricité de base, au logement et à la nourriture de base dont le programme de repas scolaires est un début.
Ce plan de sortie de crise, car c’en est un, en est à l’étape de la dure consolidation des finances publiques post sauvetage des banques et autres transnationales, étape plus rude au sein de la zone euro suite à un État providence plus garni et à un prolétariat plus résistant. La recette pour atteindre le but consiste en de drastiques coupures de services publics et de programmes universels de soutien du revenu assaisonnées de taxation indirecte qui frappe ceux et celles échappant, ou presque, à l’imposition sur le revenu. Comme ce n’est pas suffisant et que tout n’est pas immédiatement possible ― si la taxation indirecte est largement acceptée, la tarification l’est moins et la capitation, telle celle sur la santé, pas du tout ― les États doivent recourir davantage à l’extraction de rentes provenant de l’exploitation des ressources naturelles ― par exemple, toutes les juridictions pétrolières, même l’Alberta, et l’Australie pour les mines, le font ― et à rajuster à la marge l’imposition des plus riches après l’orgie des réductions d’impôt ― le multimilliardaire Warren Buffett est d’accord, et le président Obama avec lui, pour être imposé au même niveau que sa secrétaire ― afin de donner l’exemple et de semer la confusion de l’égalité citoyenne.
Se démarquer du PQ par les revendications antilibérales de la plate-forme
Le cadre financier / plan vert de Québec solidaire tout comme le programme économique du PQ (Les propositions des partis, blogue économique de Radio-Canada, 17/08/12) cadre dans le moule du capitalisme vert, le premier plus clairement, alors que les Libéraux et la CAQ ont encore les yeux rivés sur l’étape du réajustement néolibéral post-crise. Les deux partis prônent la bonification et l’électrification du transport public, la fermeture de la centrale nucléaire de Gentilly, le tournant énergétique éolien et de l’efficacité énergétique ― à cette différence près que le PQ hésite à abandonner les énergies fossiles et veut continuer le développement hydroélectrique ― le développement de coopératives éoliennes, la hausse des redevances minières, la participation accrue de l’État dans la propriété minière ― à cette différence près que Québec solidaire la veut totale ou majoritaire ― la souveraineté alimentaire, l’imposition accrue des personnes à revenus très élevées mais marginalement ― Québec solidaire irait chercher un supplément de 1 à 2% de leurs revenus ― la suppression de la capitation santé mais non la beaucoup plus importante hausse de la taxe de vente, l’augmentation des places en garderie et des soins à domicile, le refus de l’augmentation des frais de scolarité se traduisant par la gratuité pour Québec solidaire et par le gel indexé pour le PQ.
Évidemment, l’on sait que pour le PQ il y a loin de la coupe des promesses électorales à saveur sociale-libérale aux lèvres de l’exercice très néolibéral du pouvoir. Au chroniqueur économique de Radio-Canada qui demandait à l’expert économique du PQ quel était sa priorité des priorités et comment régler le problème des fonds de pension privés en déficit, la réponse fut l’équilibre budgétaire dès la prochaine année financière et le retardement de l’âge de la retraite ! Et c’est avec ce parti que la direction de Québec solidaire était prêt à faire un accord électoral sur une base minimale tout juste avant le déclenchement officiel des élections sans consulter la base du parti et contre la volonté du congrès. Il est peut-être heureux que Québec solidaire n’est pas encore été mis à l’épreuve du pouvoir. Faut-il se surprendre que cette confusion du message entraîne jusqu’ici un score décevant dans les sondages et peut-être même explique un apparent rattrapage d’Option nationale dont le message électoral d’indépendance de gauche est beaucoup plus limpide. Qu’en sera-t-il aux prochaines élections quand le NPD aura mis sur pied son parti provincial fédéraliste de centre-gauche ?
Certes, la logique du « vote stratégique » du système uninominal à un tour et le traitement médiatique n’aident pas. S’attend-on à ce que les maîtres des institutions idéologiques et politiques du capitalisme néolibéral fassent des cadeaux à la gauche ? Raison de plus pour se démarquer clairement comme un parti indépendantiste antilibéral en faisant valoir les engagements les plus en pointe et concrets de la plate-forme tels la gratuité du transport public, la construction de 50 000 logements sociaux, le salaire minimum, le revenu minimum garanti, la nationalisation de l’exploitation énergétique et minière stratégique, l’interdiction des lock-out, l’interdiction de fermetures d’entreprises rentables sous peine d’expropriation en faveur de coopératives. Last but not least, le parti doit être perçu comme le fer de lance de l’indépendance de gauche par la promotion de la nécessité de la grève sociale qui pourrait déboucher sur un référendum concluant une Assemblée constituante. Manque la revendication essentielle de l’expropriation du capital financier pour la création d’un service public bancaire et de l’assurance avec une monnaie québécoise. À venir ?
Marc Bonhomme, 18 août 2012
SORTIR, DE TOUTE URGENCE, LA CAMPAGNE DE QUÉBEC SOLIDAIRE DE L’ORNIÈRE PÉQUISTE
La majorité des cinq engagements de la campagne de Québec solidaire (Engagements électoraux, site web du parti) pourrait être reprise par le PQ. Pour ajouter l’injure à l’insulte, un des engagements joue le jeu du capital financier qui cherche, depuis la crise de 2007-2008, la caution de l’État. Last but not least, la liaison avec la lutte étudiante rate sa transformation en mouvement social.
Pourtant, plusieurs éléments de la plate-forme (Plate-forme, site web du parti), aussi insatisfaisante soit-elle à bien des égards (Mon article « Un regard sur le Congrès de Québec solidaire d’avril 2012 », ESSF, 30/04/12), permettent facilement de se démarquer du PQ, tout en gardant les cinq mêmes thèmes. Si Québec solidaire ne veut pas devenir un faire-valoir de gauche du PQ, en faisant comme si existait le pacte avec ce parti dont la chef péquiste n’a pas voulu, il est plus que temps de faire un virage encore possible. À moins que le réel objectif de la direction de Québec solidaire soit de se laisser porter par le dit « vote stratégique » du « Débarrassons-nous des Libéraux » propre au système uninominal à un tour, ce qui donnerait, au mieux, deux et seulement deux député-e-s sur 125.
Debout pour notre pays
Le PQ est d’accord : « Nous avons rendez-vous avec la liberté et avec le pays que portent depuis si longtemps nos espoirs. » (Dans le premier paragraphe du programme) Par contre, le PQ, dans son programme, jamais n’emploie le vocable « indépendance » sauf dans le sens restreint d’« indépendance énergétique ».
Dans le dictionnaire politique québécois, qui n’est pas le Petit Robert, « séparatisme » employé par les fédéralistes les plus chauvins signifie anti canadien, autarcie et nationalisme étroit anti-anglais et anti autres nationalités ; « souverainisme », employé à la fois par le PQ et par Québec solidaire, signifie le droit souverain du peuple de choisir entre diverses options constitutionnelles dont l’indépendance mais pas nécessairement l’indépendance ; « pays », employé tant par les indépendantistes, les souverainistes que les fédéralistes non chauvins, signifie la reconnaissance nationale du Québec, comme dans les « Pays basque », mais non nécessairement la reconnaissance de la nécessité étatique, c’est-à-dire d’un pays indépendant. Seul le vocable « indépendance » signifie le but de la lutte du peuple québécois pour sa libération nationale et sociale, soit un État québécois.
Suite à une discussion épique lors de son premier congrès sur son programme, Québec solidaire a choisi à sa manière ambiguë d’employer les deux vocables « souveraineté » et « indépendance ». Croyez-le ou non, pas plus que le PQ, ni d’ailleurs qu’Option nationale (Plate-forme et Argumentaire), Québec solidaire ne se réfère à l’indépendance dans sa plate-forme ! Voilà que ce vocable est devenu un terme maudit. Ou est-ce la dynamique de libération, une dynamique de la rue, que l’indépendance sous tend, qui a été jetée aux orties ?
On dit qu’il y trop de partis indépendantistes se divisant le vote. Y en a-t-il seulement un ? Tous utilisent le fleurdelisé ou sa couleur bleu, le drapeau royaliste français choisi par l’Union nationale de Duplessis comme drapeau de la province fédérale du Québec. C’est le seul symbole significatif que l’on retrouve sur les affiches électorales de Québec solidaire. Disparu la drapeau tricolore des patriotes de 1837-38 dont l’Union des forces progressistes, prédécesseur de Québec solidaire, avait retenu les couleurs verte, blanche et rouge. Que dire de la couleur orange du NPD pro-Canada retenu par Québec solidaire pour son site web ?
Debout pour l’indépendance !
Debout pour les transports électriques
Le PQ est d’accord : « …il faut réduire le recours à l’automobile en solitaire, accroître substantiellement la part des transports collectifs et actifs (marche, bicyclette, etc.), […] Favoriser l’électrification des flottes publiques et commerciales de véhicules de même que des lignes ferroviaires lorsque cela s’avère possible et mettra progressivement en place les infrastructures nécessaires au déploiement des transports électriques sur le territoire. » (« Agir en toute liberté » : le programme du Parti Québécois)
Si bénéfique soit l’électrification du transport public, elle ne s’adresse pas directement aux besoins populaires immédiats, particulièrement à Montréal, en termes d’une augmentation drastique et rapide de l’élargissement, de la fréquence et de la qualité du service de même que de son coût direct aux usagers. Pourtant la plate-forme de Québec solidaire y voit :
« développera un vaste plan de transport collectif à l’échelle du Québec, dont les objectifs prioritaires seront : I d’atteindre nos cibles de réduction de gaz à effet de serre ; II d’augmenter le transport collectif dans les grands centres ; III d’électrifier progressivement l’ensemble du réseau ; IV d’assurer l’accessibilité financière du transport en commun partout et de viser la gratuité dans un horizon de 10 ans ; »
La démarcation essentielle d’avec le PQ, et du même coup pour l’adhésion populaire, c’est la gratuité sur dix ans laquelle créera une augmentation substantielle de la demande à laquelle l’État devra répondre sous peine de révolte populaire.
Debout pour le transport collectif gratuit sur 10 ans
Debout pour nos ressources naturelles
Le PQ est d’accord : Ainsi, un gouvernement du Parti Québécois augmentera les redevances sur les ressources naturelles en fixant une redevance minimale basée sur le revenu brut tout comme cela se fait dans de nombreux pays. Nous allons également instaurer un impôt sur les profits excédentaires des compagnies minières afin de s’assurer d’un partage plus équitable de notre richesse collective. Un gouvernement du Parti Québécois entend voir à ce que l’État prenne une participation à la propriété de certains projets stratégiques et entend également s’assurer d’un maximum de transformation de nos ressources au Québec.
La plate-forme de Québec solidaire, en plus de réclamer davantage de redevances et la transformation des ressources au Québec, se distingue du PQ par l’élément crucial de la nationalisation ou de la participation majoritaire : « Québec solidaire permettra au Québec de se réapproprier ses ressources, et à cet effet : A. nationalisera les ressources stratégiques pour lesquelles le Québec dispose des connaissances techniques d’exploitation, particulièrement certaines matières premières et les ressources du domaine de l’énergie ; B. établira avec l’exploitant des autres ressources un partenariat majoritaire comportant deux conditions : le transfert de la technologie et la formation de la main-d’œuvre ; »
Ou bien on abandonne nos ressources la plupart du temps à des transnationales en grande majorité non québécoises, qui décident du rythme de développement et de l’allocation des profits, ou bien le peuple du Québec se les réapproprie. Jusqu’ici, la question des nationalisations a été laissée à Option nationale (Option nationale : une campagne par le prisme de la souveraineté, Radio-Canada, 2/08/12).
Debout pour la nationalisation de nos ressources naturelles
Debout pour des retraites dignes
Passons sur la formule creuse. Le PQ est d’accord. Il… « Révisera les politiques et les régimes de rente pour assurer des revenus décents à l’ensemble des futurs retraités ; » Sur le comment, Québec solidaire se démarque du PQ pour plutôt suivre la voie de la Fédération des travailleuses et des travailleurs du Québec (FTQ) en la bonifiant. Alors que le PQ… « Prendra des mesures pour que tout régime de retraite des travailleurs et travailleuses du Québec soit protégé en s’assurant que les employeurs déposent dans des comptes en fidéicommis les sommes dévolues à cet effet et qu’elles soient insaisissables lors de vente ou de faillite… »
la FTQ propose… « l’amélioration du Régime des rentes du Québec, sur une base capitalisée, pour faire passer le taux de remplacement de 25 à 50 % » [à 60% pour Québec solidaire tout en l’étendant aux travailleurs-euses autonomes et au travail invisible des femmes] (Mémoire de la FTQ au Comité sur l’avenir des régimes complémentaires de retraite, février 2012)
Il y a moins de différences qu’il n’y paraît entre la solution FTQ-QS et celle du PQ. Toutes ont recours à des fonds capitalisés garantis par l’État, directement dans le premier cas, indirectement pour le deuxième. Rien d’étonnant pour le PQ qui favorise l’interventionnisme étatique pour construire le capitalisme québécois à qui il faut bien un cœur financier solide. Ni non plus pour la direction de la FTQ, alliée du PQ, dont le prétendu « Fonds de solidarité », un fonds de capital de risque milliardaire grassement subventionné par l’État, sert de politique économique sans compter sa cogestion, avec les autres fédérations syndicales, le patronat et l’État, de la Caisse de dépôts et de placement du Québec (CDPQ).
Mais que fait Québec solidaire dans cette galère en proposant une garantie étatique mur à mur à des fonds capitalisés qui devront être plus que doublés à même la contribution accrue, en partie, des employés à même leur salaire direct, et une autre sur la masse salariale (la part de l’employeur). Quel beau cadeau au capital financier dont la tactique depuis la crise de 2007-2008 consiste à se regonfler à bloc sur le dos du prolétariat tant comme salarié que comme contribuable et bénéficiaire de services publics. C’est comme si les déboires de la CDPQ durant la crise 2007-2008 n’avaient jamais existé ou qu’ils ne seraient dus qu’à la mauvaise gestion d’un président plus spéculateur que les autres. Pourtant tous les fonds de pension, sans exception, ont écopé.
Avec Québec solidaire, l’État se couvre du voile de l’intérêt des travailleurs-ses pour voler au secours du capital financier. Il n’y a pas d’alternatives ? Que fait-on de la proposition de bonifier et de transformer le régime fédéral de la sécurité de la vieillesse, un régime directement financé par la fiscalité dont le financement est progressiste dans le mesure où le régime fiscal l’est. Mais ce n’est ni dans la plate-forme ni dans le programme. À court terme, il faut donc braquer les phares sur une autre mesure de distribution du revenu visant particulièrement le monde du travail : « Québec solidaire augmentera le salaire minimum pour que le salaire avant impôt d’une personne seule travaillant à temps plein corresponde au seuil de faible revenu*, puis l’indexera annuellement au coût de la vie. « * Par ex. pour une semaine de travail de 40h, le salaire minimum passerait de 9,90 $ à 11,72 $ et, pour une semaine de travail de 35h, le salaire minimum passerait à 13,37 $. » En supposant héroïquement que la semaine effective de travail plein temps soit plus ou moins de 37.5 heures :
Debout pour un salaire minimum indexé à 12.50 $ l’heure
Debout pour une éducation gratuite
Là le PQ est déculotté, mais non pas Option nationale, ce qui prouve la sensibilité de Québec solidaire aux luttes sociales mais aussi la part relativement importante de la jeunesse étudiante tant dans son électorat que chez ses membres et l’influence du modèle du capitalisme scandinave pour qui l’éducation de la jeunesse et la formation des travailleurs-ses sont des moyens de renforcement de la compétitivité du capital national. Mais pourquoi ne pas employer le vocable populaire de « gratuité scolaire » et ne pas être précis en spécifiant que la gratuité proposée va de la maternelle à l’université.
Reste que la lutte étudiante s’est développée en lutte sociale ce dont a pris acte l’ensemble des fédérations étudiantes même si seulement la CLASSE comprend cette transformation comme signifiant l’appel à la grève sociale (Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole homme de la CLASSE, Pour un front commun de lutte en opposition au néolibéralisme et au principe utilisateur-payeur, Presse-toi-à-gauche, 12/06/12), tout comme la majorité des militant-e-s des syndicats (René Charest, C’est le temps de faire du syndicalisme autrement !, Presse-toi-à-gauche, 15/05/12) et la nouvelle nébuleuse des associations populaires autonomes de quartiers et de villages (GRIP-Concordia, Les assemblées populaires et autonomes de quartier (APAQS), Presse-toi-à-gauche, 31/07/12) issues des concerts de casseroles toujours bien vivants comme l’a démontré la centième édition le jour même du déclenchement de la campagne électorale (Valérian Mazataud, 100e manifestation nocturne à Montréal - Place aux casseroles électorales, Le Devoir, 2/08/12).
Québec solidaire n’est-il pas le parti de ce Québec militant et manifestant ? Il est vrai qu’il n’est pas question de grève sociale dans la plate-forme et que, lors du congrès de Québec solidaire de la fin avril alors que la lutte étudiante se transformait en lutte antilibérale, les militant-e-s de l’Intersyndicale de Québec solidaire ont opté pour le silence sur la question au nom de l’unité du parti derrière les positions de la direction nationale. Ce n’est pas une raison d’amplifier une grave erreur alors que le développement de la conjoncture appelle à la corriger. Il en va de la crédibilité de Québec solidaire dans cette élection, comme parti de la rue, et peut-être même de sa performance électorale. Que signifie, à l’heure actuelle, le slogan « Debout » ? Se réduit-il à aller voter pour Québec solidaire ?
Debout pour la gratuité scolaire de la maternelle à l’université
Debout pour la grève sociale !
Marc Bonhomme, 5 août 2012
bonmarc videotron.ca ; www.marcbonhomme.com
* http://www.pressegauche.org/spip.php?article11092