La police pakistanaise a écroué ce week-end l’imam à l’origine de la plainte contre Rimsha, cette chrétienne accusée d’avoir profané le Coran. Il est soupçonné d’avoir fabriqué des pièces à conviction, un rebondissement spectaculaire dans cette affaire qui soulève les passions jusqu’en Occident.
Rimsha, une adolescente illettrée âgée d’environ 14 ans, qui habite le quartier pauvre de Mehrabad, à la périphérie d’Islamabad, est écrouée depuis plus de deux semaines pour avoir, selon des voisins, brûlé des versets du Coran, un crime passible de la prison à vie au Pakistan.
Le 16 août, un voisin s’était rendu chez l’imam de la mosquée du quartier pour lui dire que l’adolescente venait de brûler sous ses yeux dans un terrain vague, de nombreuses feuilles de papier, y compris des versets du Coran en arabe. L’imam de la mosquée avait alors mobilisé ses fidèles et fait pression sur la police pour qu’elle arrête la jeune chrétienne. L’affaire avait aussitôt fait la une des journaux au Pakistan et émue de nombreux pays comme les Etats-Unis, la France et le Vatican.
« IL AVAIT AJOUTÉ DES PAGES DU CORAN AUX FEUILLES BRÛLÉES »
Or, de nouveaux témoignages, suggèrent la piste d’un coup monté par l’imam afin d’incriminer l’adolescente. « L’imam Hafiz Mohammed Khalid Chishti a été arrêté, après que son assistant, Maulvi Zubair, et deux autres personnes eurent affirmé devant la justice qu’il avait ajouté des pages du Coran aux feuilles brûlées qu’un témoin lui avait rapporté », a déclaré à l’AFP un enquêteur de la police, Munir Hussain Jaffri.
L’assistant et les témoins ont prié l’imam de ne pas fabriquer de fausses preuves contre Rimsha, selon la police. « Mais l’imam Chishti a répondu : ’il s’agit de la seule façon d’expulser les chrétiens de ce quartier’ », selon l’enquêteur Munir Hussain Jaffri. « En plaçant des pages du texte sacré sur des cendres, il a profané le Coran et a donc aussi été accusé de blasphème », a précisé le policier.
DIFFÉRENDS CULTURELS ET FONCIERS
Les relations entre chrétiens et musulmans s’étaient dégradées au cours des derniers mois dans le quartier populaire de Mehrabad sur fonds de différends culturels et fonciers. Des musulmans reprochaient aux chrétiens de jouer de la musique, qui était entendue dans le quartier parfois au moment de la prière musulmane, et souhaitaient reprendre les terrains qu’ils occupaient, selon des témoins.
Un tribunal d’Islamabad a ordonné dimanche la détention préventive pour deux semaines de M. Chishti lors d’une audience sous haute surveillance policière. Les charges de fabrication de faux et de blasphème visent à « saboter » notre dossier contre Rimsha, a déclaré l’avocat de l’accusateur, Rao Abdur Raheem à la sortie du tribunal, accusant aussi les autorités d’avoir elle-même scénarisé cette nouvelle version des faits. Un audience est prévue lundi sur la demande de libération conditionnelle de la jeune Rimsha.
Me Rao Abdur Raheem est un défenseur farouche de la loi sur le blasphème et même un supporter de Mumtaz Qadri, meurtrier du gouverneur de la province du Pendjab, Salman Taseer, qui avait appelé à réformer ce texte controversé.
LOI SUR LE BLASPHÈME
Au Pakistan, insulter le prophète Mahomet est passible de la peine de mort, et brûler un verset du Coran de la prison à vie, selon la loi sur le blasphème. Soutenue par les islamistes radicaux mais contestée par les libéraux, cette loi est devenue un sujet explosif et le gouvernement s’est gardé de la modifier malgré les pressions de la communauté internationale en faveur d’une réforme.
Fait étonnant, le Conseil des oulémas du Pakistan, un organisme représentant des dizaines d’associations musulmanes, dont certaines radicales, avait demandé une enquête « impartiale et approfondie » dans l’affaire Rimsha et des « mesures strictes » contre les accusateurs s’il s’agissait de fausses allégations. L’appel des oulémas doublé de l’arrestation de l’imam Chishti semblent traduire la volonté d’apaisement des autorités dans cette affaire hyper-sensible au Pakistan, pays majoritairement musulman de 180 millions d’habitants où vit aussi une minorité chrétienne réduite souvent aux tâches ingrates.
* Le Monde.fr avec AFP | 02.09.2012 à 08h49 • Mis à jour le 02.09.2012 à 17h16
Rimsha, handicapée mentale, risque la peine de mort pour « blasphème » au Pakistan
Rimsha Masih est une fillette pakistanaise, chrétienne et handicapée mentale. Jetée en prison le 16 août pour blasphème, après avoir brûlé les feuilles d’un manuel d’enseignement du Coran, elle risque la peine de mort. L’adolescente a entre 11 et 16 ans, selon les témoignages. Un panel de médecins mandaté par la justice a estimé qu’elle avait « environ 14 ans ».
Son cas scandalise la communauté internationale... comme il embarrasse le gouvernement pakistanais. Il renouvelle, en effet, l’attention portée sur ses lois menaçant les minorités religieuses, explique le New York Times.
Soutenue par le Vatican, comme le rapporte The Express Tribune, et par une pétition en ligne dont le nombre de signatures grimpe à vue d’œil, des groupes musulmans ont – fait rare – également témoigné leur soutien à la jeune chrétienne, relate le Daily News. Le Conseil des oulémas du Pakistan a ainsi déclaré que son cas représentait « un test pour les musulmans du Pakistan, ses minorités et son gouvernement. Nous ne voulons aucune injustice et nous mettrons fin à ce climat de peur », rapporte The Telegraph. Mais la situation s’assombrit.
« COMPLOT INTERNATIONAL »
Un nouveau procureur a remis en question, jeudi, l’âge de la jeune fille, et affirmé qu’elle faisait partie d’un complot international visant à ridiculiser l’islam – illustrant la puissance de l’extrémisme qui sévit au pays. A ce titre, quelque six cents familles chrétiennes vivant à proximité de la jeune fille ont fui dans les forêts proches de la capitale, craignant des violences, après que des musulmans en colère ont manifesté devant sa maison, selon le Whashington Post.
Tandis que son sort sera connu samedi 1er septembre, l’avocat qui représente l’homme accusant la fillette, Rao Abdur Raheem, a affirmé que si elle n’était pas condamnée par le tribunal, les musulmans pourraient « se faire eux-mêmes justice », comme évoque le Guardian. Comprendre : la lyncher de leurs propres mains. Comme ce fut le cas un peu plus tôt cette année avec le meurtre d’un autre handicapé mental, accusé de blasphème, battu, puis brûlé vif par la foule (BBC).
Si le cas de Rimsha s’inscrit dans la lignée d’une longue série d’affaires similaires, où des personnes souffrant de troubles psychologiques et des enfants ont jadis été condamnés à mort, l’année dernière, un gouverneur du Penjab, Salmaan Taseer (Parti du peuple pakistanais) – pourtant musulman –, a lui aussi été assassiné à Islamabad par son garde du corps, qui désapprouvait ses prises de position en faveur de l’interdiction des lois punissant le blasphème.
MARTYRS
Taseer rejoignait ainsi trente-deux récentes victimes, tuées alors qu’elles attendaient leur procès ou après avoir été acquittées de leur accusation pour blasphème, rappelle le Los Angeles Times. Le quotidien ajoute qu’en 2009, quarante maisons et une église ont été incendiées par une foule composée d’un millier de musulmans, dans la ville de Gojra, où sept chrétiens ont péri brûlés pour avoir profané le Coran.
Phénomène, en outre, observé, les « minorités » demandent de plus en plus l’asile politique et tendent à se raréfier. Mais si le Pakistan devenait un pays constitué uniquement de musulmans, il ne deviendrait pas pour autant uni. « Le problème n’est pas le manque de tolérance entre les deux religions, mais une intolérance générale pour chaque personne qui est différente », se désole sur le Daily Times une professeure pakistanaise, Dilnawaz Qamar, faisant ainsi allusion aux tensions qui divisent chiites et sunnites.
Eléonore Gratiet-Taicher
* Le Monde.fr | 31.08.2012 à 15h24 • Mis à jour le 03.09.2012 à 07h46.