La mise en œuvre d’une zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union
européenne est une affaire entendue et elle ne souffre aucune consultation.
La commission du commerce international du Parlement européen a en effet
voté le 20 avril, sans rencontrer d’opposition et avec le soutien des
députés socialistes, un rapport (1) qui ne cache pas sa volonté de mettre en
place rapidement cette ambition. Des organisations comme la Coordination
paysanne européenne (CPE), l’américaine National Family Farm Coalition
(NFFC) et Food and Water Watch, une association américaine de consommateurs
parente de Public Citizen, ont appris la nouvelle non sans s’inquiéter de
l’accélération du calendrier dans un communiqué intitulé " Non à la zone de
libre-échange Etats-Unis-Union européenne ". Car, fin mai, le Parlement
européen se prononcera sur ce rapport présenté par la rapporteur socialiste
Erika Mann (Allemagne).
La député européenne appelle de ses voeux un " marché transatlantique sans
entraves pour 2015 « , cet objectif devant être atteint » dès 2010 en ce qui
concerne les services financiers et les marchés de capitaux ". Elle y
indique que lors du prochain sommet entre les Etats-Unis et l ?Union
européenne, prévue en juin, il soit convenu d’actualiser le " nouvel agenda
transatlantique de 1995 et le Partenariat économique transatlantique de 1998
« , pour mettre au point » un nouvel accord de partenariat transatlantique
qui couvre les deux ". Après une longue parenthèse, le projet de zone de
libre-échange impulsé par les multinationales du Trans Atlantic Business
Dialogue (TABD), une organisation regroupant la quintessence des entreprises
multinationales européennes et américaines, verrait ainsi le jour dans les
plus brefs délais. Dans le cas d ?une adoption du rapport par une majorité de
députés européens, la porte serait en effet grande ouverte " à un processus
accéléré ", préviennent plus d ?une vingtaine d ?organisations (2) qui ont
dénoncé cette opération menée " dans la plus grande opacité, sans que les
peuples ou les parlements nationaux aient leur mot à dire ".
Ce passage à la vitesse supérieure n’a rien d’anodin, explique René Louail,
membre du bureau de la CPE : " Le fait que l’Organisation mondiale du
commerce soit en panne dans les négociations actuelles du cycle de Doha,
notamment sur les politiques agricoles, permet ce genre d ?initiative. Les
accords bilatéraux de libre-échange sont un moyen de contourner les
difficultés « . Le rapport d’Erika Mann préconise de suivre la voie d’un »
partenariat économique transatlantique renforcé " dans une optique purement
libérale qui exige de s’en remettre à l’OMC en cas de différends
commerciaux, afin d’éviter le recours à des « mesures protectionnistes ». "
Les entraves réglementaires sont devenues l’un des obstacles les plus
importants aux échanges et aux investissements entre l’UE et les Etats-Unis
« et » les exigences [sont] excessivement lourdes en matière d’étiquetage ",
explique-t-on aussi. La CPE se demande " ce qu’il adviendrait alors de
l’interdiction dans l’Union européenne de l’hormone laitière et des hormones
de croissance bovine. Les Européens se verraient-ils imposer des OGM non
étiquetés ? C’est notre droit à choisir notre alimentation et ses méthodes
de production qui seraient foulés du pied si un tel projet voyait le jour ".
Le document a pourtant été approuvé à une écrasante majorité par plusieurs
commissions du Parlement européen, consultées pour avis, et ne s’intéresse
pas qu’à l’agriculture. La zone de libre-échange se doit de " reconnaître le
rôle important de l’énergie nucléaire pour la production d’énergie sans
émission de carbone et poursuivre les recherches conjointes portant sur
l’amélioration de cette technologie vitale ". Et pour ce qui concerne les
marchés publics, le rapport " recommande qu’un inventaire complet de toutes
les entraves d’ordre juridique, pratique et technique aux marchés publics
transfrontaliers entre les deux partenaires et une liste des mesures à
adopter pour y remédier soient formellement adoptés lors du sommet de 2006
« , c’est-à-dire dans quelques semaines. » La désagrégation de l’Union européenne dans une grande zone de
libre-échange irait à l’opposé du souhait d’une majorité d’Européens d’une
Europe sociale, basée sur des principes de solidarité ", s’inquiète les
organisations opposées à la zone de libre-échange. Ce souhait, exprimé
notamment par les « non » au Traité constitutionnel européen en mai 2005, a
peu de chance d’être écouté lors du prochain sommet transatlantique. Les
dirigeants de multinationales du TABD sont à l ?origine du projet de
partenariat économique transatlantique et le calendrier des négociations
avance au rythme des propositions des multinationales membres de cette
organisation qui a établi des liens étroits avec la Commission européenne
(3). A tel point que les grands patrons présentent chaque année un rapport
qu ?ils remettent en mains propres aux dirigeants politiques en marge des
sommets transatlantiques. Ainsi, le rapport 2005 du TABD a inspiré en grande
partie le rapport d’Erika Mann.
Si tout va bien, lors du prochain sommet, il ne restera plus qu’à valider un
document fourni clé en main par des multinationales.
Notes
(1) Rapport final sur les relations économiques transatlantiques
UE-Etats-Unis, commission du commerce international, Commission du commerce
international.
(2) Les signataires français sont Action consommation, Attac France, la
Confédération paysanne, la Fondation Copernic, Pour la république sociale
(Jean-Luc Mélenchon), l’Union syndicale Solidaires, l’Urfig.
(3) Lire Europe, la trahison des élites, Raoul Marc Jennar, 2004.