Ministres des Affaires étrangères
Lettre aux États africains parties à la Cour pénale internationale
Sujet : Soutien à la CPI au sommet de l’Union Africaine (UA) le 11 et 12 octobre
Cher ministre des Affaires étrangères,
Nous soussignées, les 163 organisations de la société civile africaine et organisations internationales présentes en 36 états africains, vous écrivons afin de prier instamment votre gouvernement d’affirmer son soutien à la CPI ainsi qu’au traité fondateur de la Cour, le Statut de Rome, lors du sommet extraordinaire de UA sur la CPI prévu pour les 11 et 12 octobre 2013.
Comme vous le savez, les relations entre la CPI et certains gouvernements africains traversent une période de turbulences, à mesure que progressent les enquêtes lancées par la CPI sur des crimes commis pendant les violences postélectorales de 2007-08 au Kenya. Ceci a conduit à la convocation de ce sommet extraordinaire de l’UA et à des interrogations sur le point de savoir si certains États africains parties à la CPI envisageraient de se retirer du Statut de Rome.
Nous sommes convaincus que tout retrait de la CPI reviendrait à envoyer un message négatif concernant l’engagement pris par l’Afrique de protéger et de promouvoir les droits humains et de rejeter l’impunité, tel qu’il est formulé dans l’article 4 de l’Acte constitutif de l’Union africaine. Il est bien entendu que le travail et le mode de fonctionnement de la CPI ne doivent pas être exemptés d’une nécessaire supervision et d’éventuelles améliorations. Mais la considération d’éventuels retraits risque d’avoir de graves conséquences pour les civils en Afrique, qui sont habituellement les principales victimes des graves crimes commis en violation du droit international.
La CPI demeure le seul tribunal pénal permanent qui soit doté de l’autorité d’agir quand l’État concerné est incapable ou non désireux d’enquêter ou d’engager des poursuites. En tant qu’organisations travaillant en Afrique, dont certaines au nom ou aux côtés de victimes de crimes internationaux, nous constatons chaque jour combien il importe de leur assurer une possibilité d’obtenir justice. Il importe également de noter qu’un retrait du Statut de Rome n’aurait pas d’impact juridique sur les dossiers actuellement aux mains de la CPI.
L’une des principales critiques formulées par certains dirigeants africains est que la Cour vise en particulier l’Afrique. Or s’il est vrai que toutes les enquêtes actuelles de la CPI concernent ce continent, la majorité des dossiers dont elle est saisie ont vu le jour suite à des demandes volontaires de la part des gouvernements des pays africains où les crimes ont été commis (Ouganda, République démocratique du Congo, République centrafricaine, Côte d’Ivoire et Mali). Deux autres situations — celles de la Libye et du Darfour, région du Soudan — ont été déférées à la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies, avec l’appui de ses membres africains. Le Kenya est la seule situation dans laquelle le Bureau du procureur de la CPI a agi de sa propre initiative, mais avec l’approbation d’une chambre préliminaire de la CPI après que le Kenya eut failli à sa responsabilité d’agir pour rendre justice localement.
Nous reconnaissons qu’à l’heure actuelle, la justice internationale s’exerce de manière inégale à travers le monde. Dans certaines situations, des gouvernements puissants sont en mesure de maintenir leurs citoyens et ceux de leurs alliés à l’abri de l’autorité de la CPI en ne rejoignant pas celle-ci ou en usant de leur droit de veto au Conseil de sécurité pour empêcher sa saisine.
Nous continuerons de travailler avec votre gouvernement et d’autres partenaires pour assurer une certaine cohérence dans l’application de la justice internationale, y compris en militant contre la politique de deux poids, deux mesures au Conseil de sécurité. Mais remettre en cause l’administration de la justice là où c’est possible sous prétexte qu’obtenir justice dans toutes les situations n’est pas encore possible, risque d’enhardir les auteurs potentiels de graves crimes. Œuvrer en faveur d’une augmentation, plutôt qu’une réduction, du nombre des États parties à la CPI est un élément essentiel des efforts pour atteindre l’objectif d’une justice plus accessible et pour signifier au monde que personne n’est au-dessus des lois.
Le rôle de la CPI au Kenya démontre clairement qu’il s’agit d’un tribunal de dernier ressortcrucialet nous prions instamment votre gouvernement de manifester son soutien à la poursuite jusqu’à son terme du processus engagé par la Cour dans ce pays.
En 2008, les dirigeants du Kenya avaient tout d’abord accepté de mettre sur pied un tribunal spécial pour instruire et juger des affaires liées aux violences postélectorales, qui ont fait plus de 1.100 morts et causé la destruction de moyens d’existence et le déplacement de plus d’un demi-million de personnes. C’est quand les efforts pour créer ce tribunal ou pour faire avancer ces dossiers devant des tribunaux ordinaires ont échoué, que le procureur de la CPI a ouvert sa propre enquête. Une telle décision avait été recommandée par une commission nationale d’enquête, mise sur pied dans le cadre d’un accord obtenu sous l’égide de l’UA pour mettre fin aux violences politiques au Kenya.
Bien que l’Union africaine, à l’initiative du Kenya et de l’Ouganda, a appelé lors de son sommet de mai 2013, à un dessaisissement de la CPI des dossiers kenyans et à leur rétrocessionà un mécanisme national kenyan, la décision d’une telle « saisine » est du ressort exclusif des magistrats de la CPI dans le cadre d’une contestation, en bonne et due forme juridique, de la compétence de la CPI, appelée recours en irrecevabilité. En raison de l’absence de véritables enquêtes et poursuites judiciaires au Kenya, les magistrats de la CPI ont déjà rejeté en 2011 un recours du gouvernement kenyan concernant ces affaires. Or même depuis cette décision, aucun effort sérieux n’a été fait au Kenya pour enquêter sur les violences postélectorales et engager des poursuites contre leurs responsables.
Le Kenya a mis les autres gouvernements africains dans une position délicate en les pressant d’agir pour empêcher la CPI d’instruire des dossiers concernant des crimes commis dans ce pays, tout en s’abstenant de profiter des procédures juridiques qui auraient permis à la Cour d’autoriser une telle décision en s’appuyant sur l’existence d’enquêtes et de poursuites crédibles à l’échelon national concernant ces mêmes crimes. Si elle était adoptée, une résolution récente du Parlement kenyan visant à abroger la Loi sur les crimes internationaux du pays signifierait également que le Kenya perdrait un important instrument national de répression des crimes internationaux.
Les États africains ont été parmi les plus importants partisans de la création et d’un fonctionnement efficace de la CPI. Ils ont joué un rôle pivot dans les négociations qui ont mené à la création de la Cour et 34 pays africains — soit une majorité des membres de l’Union africaine - sont désormais des États parties à la CPI. Comme nous l’avons souligné plus haut, des gouvernements africains ont sollicité l’aide de la CPI pour mener à bien des enquêtes et des procès, et d’autre part des Africains figurent parmi les responsables et les personnels de haut rang de la CPI et parmi ses magistrats.
Dans ce contexte, nous prions instamment votre gouvernement de s’efforcer de promouvoir sur le continent africain une position de soutien à la CPI et au rôle essentiel qu’elle joue dans la lutte contre l’impunité, y compris au Kenya. Ceci peut se faire notamment en soulignant, lors de réunions de l’UA, dans des déclarations publiques et lors de discussions bilatérales avec d’autres gouvernements africains, que la Cour constitue un instrument essentiel dans la lutte contre l’impunité.
Nous serions heureux de pouvoir discuter davantage de cette importante question, et les organisations de la société civile disposant de bureaux dans votre pays se permettront de vous contacter afin d’arranger une rencontre sur ce thème.
Nous vous prions d’agréer, Ministre, l’expression de notre haute considération.
Les 163 signatures :
Amnesty International Afrique du Sud
Centre for Human Rights, University of Pretoria, Afrique du Sud
Co-operative for Research and Education, Afrique du Sud
Darfur Solidarity, Afrique du Sud
International Crime in Africa Programme, Institute for Security Studies, Afrique du Sud
South Africa Forum for International Solidarity, Afrique du Sud
Southern Africa Litigation Centre, Afrique du Sud
Amnesty International Bénin
Coalition Béninoise pour la CPI, Bénin
DITSHWANELO - The Botswana Centre for Human Rights, Botswana
Amnesty International Burkina Faso
Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture au Burundi
Action pour le Droit et le Bien-être de l’Enfant, Burundi
Association des Femmes Juristes du Burundi
Fontaine-ISOKO pour la Bonne Gouvernance et le Développement Intégré, Asbl, Burundi
Coalition Burundaise pour la Cour pénale internationale (CPI), Burundi
Forum for Strengthening Civil Society, Burundi
Forum pour la Conscience et le Développement, Burundi
Ligue burundaise des droits de l’Homme, Burundi
Réseau des Citoyens Probes, Burundi
Cameroon Coalition for the International Criminal Court, Cameroun
Gender Empowerment and Development, Cameroun
Association Capverdienne des Femmes Juristes, Cap-Vert
Amnesty International Côte d’Ivoire
Coalition Ivoirienne des Défenseurs des Droits Humains, Côte d’Ivoire
Coalition Ivoirienne pour la CPI, Côte d’Ivoire
Ligue ivoirienne des droits de l’Homme, Côte d’Ivoire
Mouvement ivoirien des droits humains, Côte d’Ivoire
Réseau Equitas Côte d’Ivoire
SOS Exclusion, Côte d’Ivoire
Eastern Africa Journalists Association, Djibouti
Arab Center for the Independence of the Judiciary and Legal Profession, Égypte
Cairo Institute for Human Rights Studies, Égypte
Coalition Arabe pour la CPI, Égypte
Coalition Egyptienne pour la CPI, Égypte
Egyptian Initiative for Personal Rights, Égypte
Human Rights Concern, Erythrée
The Civil Society Associations Gambie
Coalition For Change, Gambie
Abibiman Foundation, Ghana
Amnesty International Ghana
Centre for Popular Education and Human Rights, Ghana
Communication for Social Change, Ghana
Ghana Center for Democratic Development, Ghana
Media Foundation for West Africa, Ghana
Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009, Guinée
Organisation guinéenne des droits de l’Homme et du Citoyen, Guinée
Amnesty International Kenya
Civil Society Organization’s Network, Kenya
Independent Medico-Legal Unit, Kenya
International Center for Transitional Justice, Kenya
International Commission of Jurists Kenya
Kenyans for Peace with Truth and Justice, Kenya
Kituo Cha Sheria, Kenya
Unganisha Wakenya Association, Kenya
Transformation Resource Center, Lesotho
Actions for Genuine Democratic Alternatives, Liberia
Concerned Christian Community, Liberia
Foundation for International Dignity, Liberia
Liberia Research and Public Policy Center, Liberia
National Civil Society Council of Liberia
National Youth Action, Inc., Liberia
Rights and Rice Foundation, Liberia
Centre for Human Rights and Rehabilitation, Malawi
Centre for the Development of People, Malawi
Civil Liberties Committee, Malawi
Church and Society Programme, Malawi
Amnesty International Mali
Association malienne des droits de l’Homme, Mali
Coalition Malienne des Défenseurs des Droits Humains, Mali
Coalition Malienne pour la CPI, Mali
FEMNET-Mali
Association des Femmes Chefs de Familles, Mauritanie
Association Mauritanienne des droits de l’Homme, Mauritanie
SOS-Esclaves, Mauritanie
NamRights, Namibie
Access to Justice, Nigeria
Alliances for Africa, Nigeria
BAOBAB for Women’s Human Rights, Nigeria
BraveHeart Initiative for Youth & Women, Nigeria
Centre for Citizens Rights, Nigeria
Centre for Democracy and Development, Nigeria
Centre for Human Rights and Conflict Resolution, Nigeria
Citizens Center for Integrated Development & Social Rights, Nigeria
Civil Liberties Organisation, Nigeria
Civil Resource Development and Documentation Centre, Nigeria
Coalition of Eastern NGOs, Nigeria
Human Rights Agenda Network Nigeria
Human Rights Social Development and Environmental Foundation, Nigeria
Institute of Human Rights and Humanitarian Law, Nigeria
Justice, Development and Peace Commission, Nigeria
Legal Redress and Justice Centre, Nigeria
Legal Resources Consortium, Nigeria
National Coalition on Affirmative Action, Nigeria
Nigeria Coalition for the International Criminal Court, Nigeria
Socio-Economic Rights and Accountability Project, Nigeria
West African Bar Association, Nigeria
Advocates for Public International Law Ouganda
African Centre for Justice and Peace Studies, Ouganda
Community Development and Child Welfare Initiatives, Ouganda
Corruption Brakes Crusade, Ouganda
East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project, Ouganda
Foundation for Human Rights Initiative, Ouganda
Human Rights Network Ouganda
Kumi Human Rights Initiative, Ouganda
Lango Female Clan Leaders’ Association, Ouganda
Lira NGO Forum, Ouganda
People for Peace and Defence of Rights, Ouganda
Soroti Development Association & NGOs Network, Ouganda
Uganda Coalition on the International Criminal Court, Ouganda
Uganda Victims Foundation, Ouganda
Women Peace and Security, Ouganda
Central African Coalition for the ICC, République centrafricaine
Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme, République du Congo
Access to Justice, République démocratique du Congo (RDC)
Action des Chrétiens Activistes des Droits de l’Homme à Shabunda, RDC
Arche d’Alliance, RDC
Centre de Recherche sur l’Environnement, la Démocratie et les Droits de l’Homme, RDC
Coalition nationale pour la Cour pénale internationale de la RDC
Coalition des Volontaires pour la Paix et le Développement, RDC
Comité des Observateurs des Droits de l’Homme, RDC
Congo Peace Network, RDC
Congolese Foundation for the Promotion of Human Rights and Peace, RDC
Coordination Office of the Civil Society of South Kivu, RDC
Groupe des Hommes Voues au Développement Intercommunautaire, RDC
Le Groupe Lotus, RDC
Ligue des Elécteurs, RDC
Ligue pour la Paix, les Droits de l´Homme et la Justice, RDC
Ligue pour la Promotion et le Développement Intégral de la Femme et de l’Enfant, RDC
Promotion de la Démocratie et Protection des Droits Humains, RDC
Réseau des organisations de lutte contre la torture en Afrique centrale, RDC
Solidarité avec les Victimes et pour la Paix, RDC
Solidarité pour la Promotion Sociale et la Paix, RDC
Synergie des ONGs Congolaises pour les Victimes, RDC
Vision GRAM- International, RDC
Vision Sociale asbl, RDC
Voix des Sans Voix pour les Droits de l’Homme, RDC
Human Rights First Rwanda Association, Rwanda
Amnesty International Sénégal
Ligue sénégalaise des droits humains, Sénégal
Amnesty International Sierra Leone
Centre for Accountability and Rule of Law, Sierra Leone
Coalition for Justice and Accountability, Sierra Leone
Children Education Society, Tanzanie
Services Health & Development for people living positively with HIV/AIDS, Tanzanie
Tanzania Pastoralist Community Forum, Tanzanie
Association tchadienne pour la promotion et le défense des droits de l’Homme, Tchad
Coalition de la Société Civile Tchadienne pour la CPI, Tchad
Ligue tchadienne des droits de l’Homme, Tchad
Amnesty International Togo
Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo
Réseau Ouest Africain des Défenseurs des Droits Humains, Togo
Al-Kawakibi Democracy Transition Center, Tunisie
Southern African Centre for the Constructive Resolution of Disputes, Zambie
Amnesty International Zimbabwe
Counselling Services Unit, Zimbabwe
Coalition for the International Criminal Court, avec des bureaux au Bénin et en RDC
Enough Project, avec des bureaux en RDC, au Kenya, au Sud-Soudan, et en Ouganda
Human Rights Watch, avec des bureaux au Kenya et en Afrique du Sud
La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, avec des bureaux en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Kenya, et au Mali
Parliamentarians for Global Action, avec des bureaux en RDC et en Ouganda
West African Journalists Association, avec des bureaux au Mali et au Sénégal
Women’s Initiatives for Gender Justice, avec des bureaux en Égypte et en Ouganda