Une nouvelle publication de l’équipe française de Gilles-Eric Séralini décrit les effets nocifs chez des rats d’aliments contenant du maïs génétiquement modifié (variété NK603), avec et sans l’herbicide Roundup, ainsi que du Roundup seul. Cette étude soumise à la peer review, a été critiquée par certains scientifiques dont les opinions ont été largement rapportées dans la presse populaire. Séralini et ses collègues amplifient le travail d’autres études démontrant la toxicité du Roundup et /ou ses impacts sur le système endocrinien.
La publication de Séralini et l’attention médiatique qui en résulte rehaussent le niveau des défis fondamentaux auxquels les scientifiques sont confrontés dans un monde de plus en plus soumis à l’influence des entreprises. Ces défis sont importants pour l’ensemble de la science, mais ils sont rarement abordés dans les rencontres scientifiques.
1) Histoire des attaques contre les études dévoilant des risques (technologiques Ndt). Séralini et ses collègues ne sont que les derniers d’une série de chercheurs dont les conclusions ont déclenché des campagnes orchestrées de harcèlement. Des exemples limités aux quelques dernières années sont ceux d’Ignacio Chapela, à l’époque professeur assistant à Berkeley, dont la publication sur la contamination GM du maïs au Mexique a suscité une intense campagne sur Internet, dans le but de le discréditer. Cette campagne aurait été orchestrée par le groupe Bivings, une firme de relations publiques spécialisée dans le marketing viral, souvent recrutée par Monsanto.
La brillante carrière du biochimiste Arpad Pusztai a pris fin de facto lorsqu’il a tenté de présenter ses conclusions contradictoires sur les pommes de terre GM. Bâillonnement pratique, retraite forcée, saisie de données et harcèlement par la British Royal Society ont été utilisés pour empêcher la poursuite de ses recherches. Des menaces de violence physique ont même été proférées plus récemment contre Andres Carrasco, professeur d’embryologie moléculaire à l’Université de Buenos Aires, dont les recherches ont identifié les risques sanitaires du glyphosate, l’agent actif du Roundup.
Il n’est donc pas surprenant que les 26 entomologistes spécialistes du maïs qui ont pris en 2009 la décision sans précédent d’écrire directement à l’EPA (Agence US de Protection de l’Environnement, Ndt) pour se plaindre du contrôle que l’industrie exerce sur l’accès de la recherche aux cultures OGM aient décidé de procéder par lettre anonyme.
2) Le rôle des médias scientifiques. Un aspect important mais souvent inaperçu de cette intimidation est qu’elle se fait fréquemment de concert avec les médias scientifiques. Commentant la publication de Séralini, les titres sans doute les plus prestigieux des médias scientifiques - le New York Times, le New Scientist, et le Washington Post – ont été unanimement incapables de respecter un équilibre, même minime, entre la critique de la recherche de Séralini et le soutien apporté à sa publication. Pourtant, des médias ayant moins de ressources, tels que le quotidien britannique Daily Mail, semblent n’avoir eu aucun mal à trouver un avis scientifique positif sur cette étude.
3) Présentations médiatiques trompeuses. Un scénario caractéristique dans le cas d’études révélant des risques (technologiques) est que les critiques formulées dans les médias sont souvent biaisées (red herrings), trompeuses ou mensongères. Ainsi, des méthodologies courantes sont dépeintes comme indicatrices d’une science de pacotille lorsqu’elles sont utilisées par Séralini, mais pas quand elles sont utilisées par l’industrie. L’utilisation d’arguments biaisés paraît avoir pour but de semer le doute et la confusion chez les non-experts. Par exemple, Tom Sanders du Kings College de Londres aurait déclaré : « Cette souche de rat est très sujette aux tumeurs mammaires, en particulier lorsque l’apport alimentaire n’est pas restreint ». Il a omis de signaler, ou ignorait, que la plupart des études sur l’alimentation réalisées par l’industrie utilisent (ces mêmes) rats Sprague-Dawley. Dans ces études et d’autres réalisées par l’industrie, la prise alimentaire était illimitée. Les Commentaires de Sanders sont importants car ils ont été largement cités et qu’ils faisaient partie d’une réponse à l’étude de Séralini orchestrée par le Science Media Centre de la British Royal Institution. Le Science Media Centre possède une longue histoire d’étouffement des controverses sur les OGM et on trouve parmi ses bailleurs de fonds de nombreuses entreprises qui produisent des OGM et des pesticides.(1)
4. La culpabilité du régulateur. Selon nous, une grande part de la culpabilité ultime pour cette controverse réside chez les régulateurs. Les régulateurs, tels que l’AESA (Agence Européenne de Sécurité Alimentaire) en Europe et l’EPA (Environmental Protection Agency) ainsi que la FDA (Food and Drug Administration) aux Etats-Unis, ont adopté des protocoles ayant peu ou pas de potentiel pour détecter les conséquences néfastes des OGM.
Les OGM sont tenus de subir quelques expériences, quelques critères d’évaluation sont examinés, et les tests sont effectués uniquement par le demandeur ou ses agents. En outre, - hormis le caractère cible - les protocoles actuels de réglementation sont simplistes et basés sur des hypothèses conçues pour manquer la plupart des changements au niveau de l’expression génétique induits par le processus d’insertion du transgène.
Puzstai et d’autres ont défendu de façon cohérente que des expériences d’alimentation sérieuses sont l’un des meilleurs moyens de détecter ces changements imprévisibles. Pourtant, ces expériences d’alimentation ne sont pas requises pour l’approbation par le régulateur, et la crédibilité scientifique de celles qui ont été publiées à ce jour a été contestée. Par exemple, Snell et al. (2012), qui ont évalué la qualité de 12 expériences de longue durée (plus de 96 jours) et de 12 études multigénérationnelles, ont conclu : « Les expériences examinées ici sont souvent liées à une mauvaise conception expérimentale qui a des effets néfastes sur l’analyse statistique ... Les insuffisances majeures incluent non seulement le manque d’utilisation de lignées quasi isogéniques (ayant quasiment le même matériel génétique, Ndt), mais aussi la sous-estimation de la robustesse statistique [et], l’absence de répétitions ... ".
Apparemment, les mêmes problèmes de conception et d’analyse expérimentales qui ont été soulevés face à l’étude de Séralini n’ont pas préoccupé les critiques lorsqu’étaient publiées des études n’identifiant pas de risque (des OGM), et entraînant une mauvaise information des décideurs. Il s’agit en fin de compte, d’un problème majeur pour la science et pour la société dans la mesure où les protocoles actuels de réglementation autorisent des cultures OGM sur base de données qui ne permettent pas ou peu d’en évaluer l’innocuité.
5) La science et la politique. Les gouvernements se sont habitués à utiliser la science comme un ballon de football politique. Par exemple, une étude menée par la Royal Society of Canada, à la demande du gouvernement canadien, a identifié de nombreuses faiblesses de la réglementation sur les OGM. Le gouvernement canadien a été incapable d’apporter une réponse valable aux nombreux changements recommandés. De même, les recommandations des experts auteurs du rapport international IAASTD, produit par 400 chercheurs en plus de 6 ans de travail, selon lesquelles les OGM ne conviennent pas à la mission de faire progresser l’agriculture mondiale, ont été résolument ignorées par les décideurs (l’IAASTD - International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development - est une initiative de la FAO, Ndt)... Ainsi, tout en proclamant que leurs décisions sont fondées sur des preuves scientifiques, il est fréquent que les gouvernements utilisent la science uniquement quand cela les arrange.
6) Conclusion : Quand ceux qui ont un intérêt établi tentent de semer un doute déraisonnable sur des résultats gênants, ou quand des gouvernements exploitent des opportunités politiques en faisant le tri parmi des preuves scientifiques, ils fragilisent la confiance du public dans les méthodes scientifiques et dans les institutions, tout en mettant en danger leurs propres citoyens. Les tests de sécurité, la régulation basée sur la science et le processus scientifique lui-même dépendent de façon cruciale de la confiance généralisée dans un corps de scientifiques fidèles à l’intérêt public et à l’intégrité professionnelle. Si, au contraire, le point de départ de l’évaluation scientifique des produits est un processus d’approbation truqué en faveur du demandeur, et étayé par l’élimination systématique des scientifiques indépendants qui travaillent dans l’intérêt public, alors il ne peut y avoir de débat honnête, rationnel ou scientifique.
Les Auteurs : Susan Bardocz (4, rue Arato, Budapest, 1121 Hongrie) ; Ann Clark (Université de Guelph, ret.) ; Stanley Ewen (histopathologiste Consultant, Grampian University Hospital), Michael Hansen (Consumers Union) ; Jack Heinemann (Université de Canterbury), Jonathan Latham (The Bioscience Resource Project) ; Arpad Pusztai (4, rue Arato, Budapest, 1121 Hongrie), David Schubert (Salk Institute) ; Allison Wilson (The Bioscience Resource Project )
Notes
(1) En outre, les scientifiques américains qui publient des résultats d’études montrant des effets environnementaux négatifs sont souvent violemment attaqués par d’autres scientifiques pro-OGM. Comme le souligne un rapport publié dans la revue Nature, qui traite de nombreux exemples, « Les publications suggérant que les plantes GM pourraient nuire à l’environnement attirent une grêle d’injures de la part d’autres scientifiques. Derrière ces attaques se trouvent des scientifiques qui sont déterminés à empêcher les publications qu’ils estiment avoir des défauts d’influencer les décideurs. Quand un papier sort dans lequel ils voient des problèmes, ils réagissent rapidement, le critiquent sur des forums publics, écrivent des lettres de réfutation, et les envoient aux responsables politiques, aux organismes de financement et aux éditeurs de journaux. De fait, lorsqu’un de nous a écrit il y a dix ans un commentaire dans Nature Biotechnology suggérant que davantage d’attention soit accordée aux effets potentiels indésirables de la mutagenèse artificielle, nous avons reçu un déluge de réponses, et un administrateur du Salk institute a même dit que cette publication « mettait en péril le financement de son institution ». Des attaques similaires ont accueilli des études sur les effets néfastes des toxines Bt sur les coccinelles et les larves de chrysope, études sur lesquelles les autorités allemandes se sont basées pour interdire la culture du MON810, un maïs Bt de Monsato (les initiales Bt désignent la manipulation génétique qui consiste à rendre des plantes « insecticides » en insérant dans leur génome le gène d’une bactérie – Bacillo thurigensis- qui produit naturellement une substance toxique - Ndt). En 2009, un groupe de 26 entomologistes du secteur public a envoyé une lettre à l’Agence américaine de protection de l’environnement, déclarant ceci : « Aucune recherche vraiment indépendante ne peut être légalement menée sur de nombreuses questions critiques impliquant ces cultures [en raison de restrictions imposées par les entreprises] ». Il n’est pas surprenant que cette lettre ait été envoyée anonymement, les scientifiques craignant des représailles par les entreprises qui financent leur travail. De plus, le contrôle de l’industrie sur la recherche qui peut être menée aux États-Unis signifie que les résultats défavorables peuvent de facto être supprimés. Un exemple cité dans l’article est celui de Pioneer, producteur d’une toxine binaire Bt contre la chrysomèle du maïs. En 2001, Pioneer passait contrat avec des laboratoires universitaires pour tester les effets indésirables sur une coccinelle. Les laboratoires ont constaté que 100% des coccinelles mouraient après huit jours d’alimentation. Pioneer interdit aux chercheurs de publier les données. Deux ans plus tard, Pioneer a reçu l’approbation pour une variété de maïs Bt (produisant la même toxine, Ndt) et présenté des études montrant que les coccinelles alimentées durant sept jours n’en souffraient pas. Les scientifiques n’ont pas été autorisés à refaire l’étude après que la plante GM ait été commercialisée. Dans un autre exemple, Dow AgroSciences a menacé un chercheur de poursuites judiciaires s’il publiait des informations reçues de l’EPA. Comme le souligne l’article, « L’information portait sur une variété de maïs résistant aux insectes connue sous le nom TC1507, fabriquée par Dow et Pioneer. Les entreprises ont suspendu les ventes de TC1507 à Porto Rico après avoir découvert en 2006 que la chenille légionnaire avait développé une résistance à celui-ci. Tabashnik a pu examiner le rapport que les sociétés ont déposé auprès de l’EPA en s’appuyant sur le Freedom of Information Act (une loi obligeant les agences fédérales à transmettre leurs documents à quiconque en fait la demande - Ndt). « J’ai encouragé un employé de la société [Dow] à publier les données et ai mentionné que, en échange, je pourrais citer les données », explique Tabashnik. » Il m’a dit que si je citais l’information ... je serais l’objet de poursuites par la société « , dit-il.« Ce genre de déclarations fait froid dans le dos ».