Munir Said Thalib avait 38 ans quand il est mort le 7 septembre 2004, alors qu’il se rendait en avion aux Pays-Bas sur un vol de la compagnie Garuda. Mort, empoisonné à l’arsenic. Selon un rapport d’enquête, il aurait été auparavant la cible de trois autres plans d’assassinat : un faux accident de voiture, le recours à la magie noire (sans que l’on sache si le sort a été effectivement jeté) et une première tentative d’empoisonnement, qui a échoué. L’enquête met en cause la très officielle Agence nationale des services secrets indonésiens (BIN).
Figure de proue
Munir était une figure de proue du combat pour les droits humains dans un pays qui a connu pendant plus de trois décennies (1965-1998) l’une des dictatures anti-communistes les plus sanglantes de la planète. Au lendemain de la chute du régime Suharto, il s’est attaché à faire connaître la vérité sur les enlèvements et la torture de militants commis par les forces spéciales Kopassus. Munir a créé la Commission des disparus et des victimes de violence (Kontras). Il soutenait les familles des militants démocratiques « effacés » (enlevés et assassinés) par des unités de l’armée. Il occupait aussi le poste de directeur exécutif d’Indonesian Human Rights Monitor.
Kopassus, ce corps d’élite de l’armée, a fait régner la terreur au Timor-Oriental, ainsi qu’à Atjeh. Après le renversement de la dictature, l’armée indonésienne a en effet continué a commettre de nombreux crimes à Timor-Est, notamment pour s’opposer au référendum d’indépendance de 1999. Cette fois encore, Munir a joué un rôle très important dans la mise à jour des responsabilités d’officiers supérieurs, dont le chef d’état-major, le général Wiranto. Kopassus aurait aussi tissé des liens avec des groupes islamistes comme Laksar Jihad et Jemaah Islamiah (ce dernier étant accusé d’avoir réalisé l’attentat de 2002 à Bali).
Munir avait publiquement critiqué l’Agence nationale des services secrets BIN. Selon ses collègues, au moment de sa mort, il enquêtait sur une affaire de corruption impliquant la compagnie aérienne Garuda. Il se savait menacé. (1)
Conspiration
Une équipe d’enquêteurs a été mise en place, sur décision présidentielle, pour faire la lumière sur ce meurtre : TPF ou en anglais, Fact Finding Team. Elle est présidée par le Brigadier Général de la police Marsudhi.
Le premier suspect du meurtre est un pilote de Garuda, Pollycarpus Priyanto, dont la présence sur le vol pour Amsterdam n’a pu être expliqué et qui avait cédé sa place en première classe à Munir. Il aurait eu pour complices deux membres de l’équipage qui ont, notamment, servi les repas. Il paraît clair que Priyanto n’aurait pas agit pour son propre compte. Qui étaient les commanditaires ? Selon les enquêteurs, « des membres des services secrets indonésiens apparaissent impliqué » dans l’assassinat de Munir. Ainsi, 26 coups de téléphone ont été passé entre des GSM et le bureau du directeur adjoint des services secrets BIN, le Major Général Muchdi Purwopranjono, et des numéros appartenant au pilote de Garuda Priyanto. (2)
L’équipe d’enquêteur se heurte à un véritable refus de coopération des services secrets, du Major Général Muchdi Purwopranjono et d’un ancien homme de main de la dictature, Makhmud Hendropriyono. (3) Pour sa part, le pilote de Garuda, Priyanto affirme bien avoir été recruté par les services secrets, ce que confirmerait un ex-responsable de BIN.
Pour Suciwati, la veuve de Munir, le caractère politique du meurtre de son mari ne fait aucun doute. Elle le réaffirme dans une interview récente au journal indonésien Tempo. « Mon mari a été victime d’un assassinat politique en raison de son combat en faveur des droits de l’Homme. Ce meurtre est le fruit d’une conspiration programmée, car il n’est pas possible qu’il ait été planifié par une seule personne. [...] Cela fait plusieurs mois que l’enquête est ouverte, mais c’est seulement le 18 mars dernier que la police a dévoilé le nom d’un premier suspect, puis de deux autres [un pilote, un steward et une hôtesse]. Je suis certaine qu’ils ne sont que des exécutants. En revanche, les cerveaux du crime n’ont toujours pas été inquiétés. Les développements récents de l’affaire confirment les premiers soupçons, à savoir l’implication des directeurs de Garuda [compagnie aérienne nationale d’Indonésie], ainsi que des services secrets indonésiens dans la conspiration ».
« Munir a été assassiné à un moment où, dit-on, la liberté d’expression, les droits de l’Homme et la démocratie sont respectés. Mais ce meurtre nous rappelle qu’autour de nous la terreur est toujours là, menaçante. » (4)
Appel
En refusant de coopérer avec les enquêteurs, les services secrets ont joué la montre, la mandant de la TPF se terminant le 23 juin 2005. La Commission asiatique des droits humains (AHRC) a lancé un appel, le 21 juin dernier, pour que l’enquête se poursuive et pour que son indépendance soit assurée.
La Commission exige aussi la famille de Munir, les militants démocratiques ainsi que les témoins soient effectivement protégés. En effet, « la veuve de Munir, la personne de l’organisation de défense des droits humains Kontras et d’autres militants des droits humains qui ont travaillé étroitement avec Munir ont reçu diverses menaces de mort, soulevant des craintes pour leur sécurité ». (5)
La présidence s’était engagée à répondre rapidement aux conslusions et aux recommandations du TPF. Pourtant, vingt jours après que les enquêteurs aient remis leur rapportau président Susilo Bambang Yudhoyono, les autorités indonésiennes n’ont toujours pas réagi. Interrogés à l’occasion de conférences de presse, les officiels se contentent d’esquiver les questions de fond, en annonçant que Priyanto, le pilote de Garuda, passerait bientôt en procès. (6)
On ne saurait s’en contenter. L’enquête doit pouvoir se poursuivre jusqu’à son terme. Pour que justice soit rendue à Munir !
Notes
(1) Voir l’article de James Balowski, « Indonesia : Spy agency implicated in activist’s murder », Green Left Weekly, 22 juin 2005.
(2) Timothy Mapes et Pupsa Madani, « Activist Death Linked to Jakarta Spies », The Wall Street Journal, 27 juin 2005
(3) Le Major Général Muchdi Purwopranjono est un ancien commandant des forces spéciales Kopassus qui a perdu son poste à la suite de l’enquête menée par Munir sur les « disparitions » de 1998. Makhmud Hendroprinyono était le commandant militaire de Djakarta en 1996 quand le siège du Parti démocratique indonésien de Megawati Sukarnoputri avait été attaqué par des hommes de main du régime (avec le soutien de l’armée). Au moins 50 personnes avaient été tuées durant cette attaque, ce qui avait provoqué trois jours d’émeutes dans la capitale. Ironiquement, Hendropriyono est aujourd’hui un proche de Megawati.
(4) Interview publiée en traduction française dans le Courrier international du 19-25 mai 2005.
(5) Asian Human Rights Commission - Urgent Appeal Program, « Update on Urgent Appeal », 21 juin 2005.
(6) Voir l’article de Kompas du 14 juillet 2005, traduit par James Balowski, Indoleft news service, 16 juillet 2005.