Les quartiers toujours dans l’inégalité :« Mon premier principe, c’est l’égalité des territoires », avait déclaré Hollande lors de sa visite à AC le feu en février 2012. C’est d’ailleurs tout ce qu’il avait à présenter, un principe, puisque seul un de ses engagements concernait la banlieue : le maintien du « renouvellement urbain » - les démolitions de l’ANRU – avec un volet services publics, école, police et associations (comme dans l’Anru de Sarko). Il avait par la suite repris à son compte la proposition de récépissé des contrôles d’identité
Toujours la Zone
En ce qui concerne les territoires, il va y avoir une révolution : la fin des zones en tout genre, zones urbaines sensibles (ZUS), zones de renouvellement urbain (ZRU) ou encore les zones franches urbaines (ZFU). Mais restons calmes, on est loin de la fin de la zone ! Il s’agit seulement de faire une étude sur les aides et financements saupoudrés sur les quartiers pour décider où on va les enlever pour en mettre plus sur certains. Sarko avait tenté la manœuvre il y trois ans mais avait renoncé : trop d’élus mécontents de perdre des financements alors que les transferts de charge de l’État vers les communes n’avaient pas vraiment d’autres compensations (la dotation de solidarité urbaine augmente proportionnellement au nombre de ZUS éligibles sur un site).
Blabla gouvernemental
On reste loin d’un État où chacun aurait les mêmes droits et le même accès à un réel service public du logement, de la santé, de l’éducation… Le ministre de la Ville nous promet « un retour du droit commun » dans les banlieues : retour des services publics, « redéploiements » dans l’Éducation nationale, « fléchage des politiques de l’emploi »… « Fléchage » : si cela veut dire quelque chose, ce n’est sûrement pas interdiction des licenciements et arrêt des fermetures d’usines. Pour l’éducation, on a vu qu’on manque toujours d’enseignants dans le 93, par exemple, puisque les postes supprimés par Sarko le sont toujours. Et pour que les services publics « reviennent », encore faudrait-il abroger les lois privatisant la poste, démantelant la santé, etc. Cette gauche-là n’en a visiblement pas la volonté !
Circulez, y a rien à voir !
Promis ! Hollande allait lutter contre les contrôles au faciès : il serait remis au contrôlé une attestation, un récépissé, lui permettant de ne pas ressortir ses papiers pour la énième fois de la journée. Rappelons que les noirs auraient six fois plus de « chances » de se faire contrôler que les blancs, les Arabes sept fois plus.
Une promesse vite annulée à cause des pressions de la police, et de la CNIL qui y a vu un danger de fichage (mais on attend encore son avis sur tous les systèmes de fichage). Pourtant le système fonctionnecomme le montrent les expérimentations menées dans plusieurs pays dont deux villes espagnoles. Au début de l’expérience, les personnes d’origine marocaine avaient 9, 6 fois plus de risques d’être contrôlées. Deux ans plus tard, cette statistique a chuté à 3, 4 dans la ville de Fuenlabrada. Dans le même temps, l’efficacité des contrôles, c’est-à-dire ceux ayant mené à une interpellation, a triplé…
Sur le terrain des droits, cette gauche-là est donc aussi aux abonnés absents.
Isabelle Guichard
La police fait partie du problème, jamais de la solution
Quand on veut tuer son chien on l’accuse de la rage. La politique des quartiers a raffiné ce proverbe. Par la relégation et l’insécurité sociale, elle crée les conditions de la rage. Et le système policier l’exacerbe.
Faisons un premier constat. Quand il s’agit de leur comportement vis-à-vis des habitantEs des quartiers populaires, l’impunité des flics est garantie. Certes des policiers de la BAC de Marseille ont été suspendus. Pour racket sur des dealers. Le genre de choses que les flics ne font pas qu’à Marseille. Virer quelques ripoux permet de rétablir, à peu de frais, l’honneur général de la police.
Pas de justice
Mais pour les autres ? Abou Bakari Tandia, sans-papier, mort en garde à vue à Courbevoie en 2004 ? Non-lieu pour les policiers. Mahamadou Marega mort en 2010 à Colombes suite à l’intervention de 17 policiers, asphyxié par gaz lacrymo, électrocuté de multiples coups de taser et matraqué ? Non-lieu pour les policiers. Ali Ziri, retraité algérien, mort après deux jours de coma suite à un contrôle policier à Argenteuil et une vingtaine d’hématomes ? Non-lieu pour les policiers. Et Zyed et Bouna en 2005 morts électrocutés Clichy-sous-Bois ? Après un non-lieu pour les policiers en appel, la Cour de cassation rendra sans doute le même verdict le 31 octobre.
Comment s’étonner alors que le comportement des flics dans les quartiers populaires, fait de contrôles au faciès et d’humiliations permanentes, continue ? À Clermont-Ferrand, la ville où Wissam a été tué par les flics en janvier dernier, ce 17 septembre les flics tabassent une personne et ce sont les témoins qui se font embarquer ! [1] Le 6 octobre à Sucy-en-Brie (94), un lycéen de 16 ans qui rentre d’un match de foot en salle se fait tabasser pour la seule raison qu’il a couru quand la voiture de la BAC a pilé devant lui.[2]
À Amiens cet été, un quartier s’est enflammé après une provocation policière. Face à la rage, la seule réponse de la gauche, de Valls à Mélenchon, a été la défense de « l’ordre républicain ».
Prendre ses affaires en main
Pourtant, ce que toutes les études sociologiques démontrent c’est que la pression judiciaire et policière s’exerce de façon discriminante sur les habitants des quartiers populaires. La conclusion d’une étude récente sur la région Paca est éclairante : « plus que la jeunesse, c’est la jeunesse en situation de marginalisation sociale qui est liée à la fréquence des infractions ».[3]
La police n’est pas une solution parce qu’elle est d’abord un facteur aggravant. Les infractions qui augmentent le plus, ce sont celles qualifiées d’outrages, en général des réponses aux provocations de la police ! Elle n’est pas une solution surtout parce qu’elle combat une colère, dont on pourrait discuter les stratégies d’expression, mais qui a toutes les raisons de s’exprimer. Elle n’est pas une solution enfin parce qu’elle perpétue l’idée que la légitimité du contrôle de son propre espace est extérieur à la population du quartier.
Les violences policières ne sont pas un aspect secondaire des problèmes de nos quartiers. Organiser nos quartiers pour s’en protéger doit être une de nos priorités notamment contre les contrôles au faciès. Cela passe d’abord par le soutien aux collectifs de famille de victimes qui se sont créés autour de la revendication de vérité et justice. Le démantèlement de la BAC et le désarmement de la police, en premier lieu taser et flash-ball, sont des revendications de protection.
Mais il faut aussi convaincre qu’il n’existe pas d’alternative policière et que ce dont ont besoin nos quartiers, ce sont des services publics, des emplois pour les jeunes, l’accès à un logement décent, à la santé, à l’éducation et à la culture.
Dans la lutte contre les violences policières, l’enjeu c’est que nos quartiers se prennent en main eux-mêmes.
Denis Godard
Notes
1.http://paris.indymedia.org/spip.php?article11736
3. Délinquances et contextes sociaux en région PACA, Premiers éléments pour un tableau de bord statistique analytique, Laurent Mucchielli, Émilie Raquet et claire Saladino (http://ordcs.mmsh.univ-aix.fr/publications/Documents/Version.pdf).
Marseille « Ma ville accélère… droit dans le mur »
« Ma ville accélère… droit dans le mur » [1].Avec des quartiers où le chômage atteint les 50 %, où 40 % des jeunes sont issus de l’immigration dans l’ensemble de la ville, où 40 % de la population est concentrée sur les arrondissements populaires du nord et du centre de la ville, Marseille a la particularité d’être entièrement structurée par ses quartiers populaires et leur lot de discriminations sociales, urbaines et raciales.
Le maire Jean-Claude Gaudin avait le « mérite » d’assumer cela en 2001 : « le Marseille populaire, ce n’est pas le Marseille maghrébin […] comorien. Le centre a été envahi par la population étrangère […] je fais revenir des habitants qui payent des impôts ».[2] Depuis, la ville a connu le lancement de nombreux grands projets destinés à faire « Marseille Propre 2013 ».
Euroméditerranée est sûrement le plus emblématique d’entre eux, lancé en 1989 par le PS et repris par Gaudin, Sarkozy ou Ayrault. Situé à l’entrée des quartiers Nord de Marseille, il combine opérations de démolition et de « rénovation » urbaine d’une ampleur gigantesque avec l’implantation d’un nouveau pôle financier à vocation internationale. Les conséquences les plus flagrantes sont sûrement les envois réguliers de CRS pour expulser les locataires mais également les augmentations de loyer et de la taxe d’habitation. Lorsqu’on veut « concerter », les habitants sont fouillés par la police à l’entrée des réunions publiques. Aujourd’hui ce sont quatorze projets de « renouvellement urbain » et un milliard d’euros investis pour chasser les pauvres et les immigrés des nouveaux cœurs économiques.
De nombreux autres projets tels que la capitale européenne de la culture en 2013, la fusion des universités ou le parc national des calanques pourraient être utilisés ici pour illustrer les profonds changements que connaît la ville. Tous se font dans une constante volonté de transformer Marseille en aimant à touristes et à financiers.
Racisme et sécuritaire
Marseille, en tant qu’immense quartier populaire, subit les discriminations racistes de plein fouet. Le racisme d’État avait en 1973 alimenté une série de crimes racistes contre 70 Algériens. Désormais, ce sont les Roms qui sont les principales victimes de la politique de Valls. Des centaines de Roms ont été touchés ces dernières semaines par les expulsions et des attaques, insultes d’habitants comme ceux des Créneaux.3 À chaque fois, c’est l’impunité d’État qui prime. Les tensions sont fortes et le FN était présent au second tour dans l’ensemble des cantons en 2011, il ne faut pas le nier. Celles ci sont les conséquences du tout-sécuritaire et du racisme d’Etat. On pourrait citer en exemple la mise en place de 4 800 caméras de vidéo-surveillance, le quadrillage permanent par la police du centre et du secteur Euromed.
La collaboration de la gauche locale est ici à souligner : de Samia Ghali, sénatrice-maire des 15e et 16e, qui demandait l’envoi de l’armée et qui soutient les actions anti-Roms, au système clientéliste de Guérini toujours présent malgré ses ennuis judiciaires, le PS local a toujours organisé ou collaboré avec les grandes opérations antisociales. La dissolution de la BAC Nord a ainsi fait rire plus d’un Marseillais tant le clientélisme et la magouille sont monnaie courante.
Alternative militante
Avec un tissu associatif et militant qui résiste tant bien que mal, de nombreux Marseillais réfléchissent à s’unir et s’organiser pour porter une alternative politique, comme l’illustre l’interview de Mohamed ci-contre. Préservation écologique et populaire des calanques, réorganisation du logement social dans un office publique unique, nettoyé du racisme institutionnel et des logiques clientélistes, politique de lutte contre la désindustrialisation qui touche la région depuis des décennies et le chômage de masse (un emploi industriel créant trois emplois indirects, un emploi dans la finance en créant un seul)… c’est dans le cadre d’une politique nationale antiraciste et de justice sociale que doivent se régler les problèmes de Marseille. La création d’une métropole annoncée par Ayrault ne sera, elle, qu’un nouvel outil institutionnel pour développer les politiques décrites ici à l’échelle du département, aspirant ainsi les budgets des communes environnantes.
Volontairement, nous n’avons pas évoqué ici les problèmes « d’insécurité » tant ils ne sont qu’un simple reflet de la crise sociale et politique que connaît la ville. Les militants anticapitalistes ont bien du retard à rattraper face à l’ampleur des attaques, mais en compagnie des forces militantes des quartiers populaires qui ne demandent qu’à trouver une forme d’organisation commune alternative au PS manipulateur et clientéliste, un projet anticapitaliste pourrait trouver une force inouïe, comme l’avait démontré l’engouement autour du lancement du NPA.
Kevin Vacher
Notes
1. Slogan de la campagne du Collectif Inter Quartiers, composé d’associations des quartiers Nord, en référence à la campagne de la mairie visant à promouvoir ses nouveaux grands projets.
2. Interview parue dans La Tribune, 2001
3. Voir sur ESSF (article 26569), Roms : à Marseille, les sinistres émules de Valls
Rencontre
Mohamed Bensaada, militant marseillais de terrain, membre de l’association « Quartiers Nord/Quartiers forts », a répondu à nos questions.
Kevin Vay – Marseille a fait l’objet d’une attention particulière du gouvernement et des médias ces dernières semaines, présentée comme « une enclave de la République », quelle est la réaction d’associations telles que QNQF face à ce battage médiatico-politique ?
Mohamed Bensaada – Nous sommes d’abord passés (comme d’habitude) par une phase de colère, puis, devant la répétition incessante de ce « jeu » mass media/réaction politique, nous avons essayé d’analyser cette relation quasi incestueuse que Chomsky a par ailleurs déjà parfaitement défini dans la Fabrique du consentement. Pour l’heure nous essayons de trouver une stratégie de contournement intellectuel à ce « bombardement » d’infos traitées uniquement sous le prisme sécuritaire, dont le but final est d’ancrer dans l’opinion publique la conviction ou la certitude que les quartiers populaires sont des zones de non-droit et que par conséquent « l’État d’exception » s’y justifie logiquement. On a récemment entendu une élue, pourtant issue de nos quartiers, demander le recours à l’armée. Et aussi politiquement débile que soit cette sortie médiatique, elle résume la médiocrité de la réflexion de certains responsables, elle n’en est pas la caricature, mais juste l’expression décomplexée et… décérébrée. Les mots sont importants et si le mot « enclave » a été utilisé, c’est à dessein, pour exagérer l’impression d’enfermement et justifier a posteriori les politiques sécuritaires. De plus il faudra bien qu’on nous explique ce que veut dire « République » dans la bouche du gouvernement, de l’UMP, du PS ou du FN, nous avons de plus en plus l’impression, vu d’ici, qu’il s’agit d’un mot creux, que les politiques sortent à chaque fois qu’ils n’ont pas grand-chose à dire. Pour nous la République n’existe pas si elle ne sanctifie pas le principe d’égalité ! Elle ne fonctionne pas si elle s’accommode de l’injustice sociale, des discriminations et si ceux qui prônent la fermeté et la dureté pénale tolèrent le clientélisme, l’affairisme et l’instrumentalisation communautariste sans broncher !
Face aux discriminations sociales et raciales fortement présentes dans la ville, quelles solutions portent les acteurs associatifs, les travailleurs sociaux, etc. ?
Les acteurs associatifs et les travailleurs sociaux ne peuvent que stimuler la réflexion politique, réorienter le débat, relever les incohérences et dénoncer les dérives systémiques. À QNQF nous essayons de « formaliser » ce ressentiment partagé par une multitude de nos concitoyens. Nous aidons à l’organisation de la contestation et à la formulation de propositions.
À Marseille, les discriminations sociales et raciales sont intimement liées, difficilement dissociables : les noirs, les Arabes, les Roms constituent la grande majorité des effectifs de populations paupérisées, et de fait, à Marseille peut-être encore plus qu’ailleurs, sont facilement « ostracisées ».
Les loisSRU, qui imposent un quota de logement social aux communes, partent d’un bon sentiment, mais elles ne tiennent pas compte de l’enjeu de société majeur qui est le « vivre ensemble ». À Marseille les logements sociaux sont à 80 % répartis dans quatre arrondissements (13, 14, 15 et 16) et donc cette fameuse « mixité sociale » ne se réalise jamais : les populations de pauvres vivent et crèvent entre pauvres pendant que les classes aisées fréquentent les mêmes écoles, de la maternelle au lycée, vont dans les mêmes facs, se soignent dans les mêmes cliniques, se marient entre elles et se reproduisent entre elles. Peut-être plus qu’ailleurs le séparatisme social est une réalité. En termes de propositions visant à désamorcer la bombe ségrégationniste marseillaise, nous sommes pour que le taux de logement social s’applique à chaque arrondissement, nous sommes aussi pour la légalisation du cannabis pour enfin sortir de l’hypocrisie prohibitionniste, nous militons pour la tenue d’état généraux politiques pour dénoncer et surtout en finir avec les sports locaux tels que le clientélisme, le népotisme, l’affairisme et la gestion coloniale d’une partie de l’électorat marseillais…
En ce moment, certaines associations (re)commencent à s’organiser ensemble et appellent à un rassemblement le 17 novembre, peux-tu nous en dire plus ?
Il faudrait un article entier pour en parler, il s’agit d’une démarche autonome initiée par des acteurs associatifs et des habitants du « Grand Saint-Barthelemy », qui vise à reprendre en main la rénovation urbaine que beaucoup vivent comme une agression, parce que cette dernière se fait sans la concertation des habitants. C’est, au-delà des aspects techniques, une formidable preuve du mépris institutionnel dans lequel sont tenues ces populations. Du coup et au terme de palabres sans fin destinées à gagner du temps et à mettre les habitants devant le fait accompli, certains (dont nous sommes) ne se résignent pas et participent à la re-modulation du rapport de forces : les urnes ne sont pas tout, et d’ailleurs la légitimité démocratique des élus français est une notion très relative ; donc le dialogue sort des salons feutrés des bailleurs pour se déplacer dans la rue… et plus si affinités.
Propos recueillis par Kevin Vay
LA ZONE EN CHIFFRES
751 zones urbaines sensibles
2 492 quartiers en contrats urbains de cohésion sociale 8millions d’habitantEs
1/3 sous le seuil de pauvreté
42 % des moins de 25 ans au chômage
1/4 renonce à des soins pour raisons financières
60 % des ménages sont locataires en HLM
1 adulte sur 6 sans aucune couverture maladie (le double du reste de la France).