- Quel rôle le LPP a-t-il joué dans la campagne contre la guerre et contre l’intégrisme ?
Farooq Tariq - Le LPP a organisé les premières manifestations contre la guerre au Pakistan. Nous avons senti la nécessité d’élargir le réseau du mouvement pour la paix. Nous avons donc impulsé une nouvelle alliance avec d’autres organisations, principalement des ONG, quelques syndicats et des organisations paysannes : elles se sont regroupées dans un comité pour la justice et la paix qui a organisé une manifestation de masse le 6 novembre suivant à Islamabad, à laquelle 8 000 personnes ont participé. De nombreuses autres ont suivi. Le 31 décembre, sept organisations ont organisé une mar-che jusqu’à la frontière indienne, à 30 km de Lahore : nous étions 2000 et nous avons été violemment stoppés par la police. C’était la première fois dans l’histoire du Pakistan qu’une manifestation portait des slogans à la frontière indienne. Nous avons pris contact avec des organisations indiennes qui se battent contre la guerre. Début janvier, le LPP a guidé des journalistes dans des villages proches de la frontière, où ils ont pu constater l’exode des paysans qui craignent une guerre indo-pakistanaise. L’armée a parsemé les champs de mines antipersonnel. Les journalistes ont rapporté dans les quotidiens nationaux qu’il n’y avait aucun soutien à la guerre de la part des paysans de part et d’autre de la frontière.
- Comment contester une partie de leur base sociale aux mouvements intégristes ?
F. Tariq - Le LPP s’oppose strictement à l’absence de séparation entre l’Etat et la religion. Mais la société pakistanaise étant très religieuse, nous devons être très souples sur la tactique vis-à-vis de l’islam : nous ne voulons pas faire de cette question un préalable si nous souhaitons que la question économique soit le point dominant et central de nos discussions. Car la révolution islamiste a revêtu des aspects de classe : quand les gens pensent à changer de système, ils ne pensent pas au socialisme mais à la révolution islamiste.
La majorité de la population était opposée à l’agression étatsunienne contre l’Afghanistan. Si certains ont critiqué l’action terroriste contre les Twin Towers, nombreux sont ceux qui s’en sont réjouis. Cela n’a pas empêché le LPP de condamner très fermement cette action terroriste. Nous n’avons aucun terrain d’entente avec les intégristes pour lutter contre l’impérialisme. Ils ne sont d’ailleurs pas anti-impérialistes : ils ont été mis en place par l’impérialisme pour lutter contre l’Urss (les moudjahidine ont reçu plus de 30 millions de dollars entre 1980 et 1988), ils ont été soutenus par lui, et l’économie qu’ils défendent est la même. Ils ne font qu’utiliser le sentiment anti-impérialiste pour développer leur propre fanatisme. Le LPP s’oppose à la fois au terrorisme intégriste et à l’impérialisme. Travailler avec les intégristes serait suicidaire pour nous : ils sont opposés au droit de grève, aux syndicats, au socialisme ; ils défendent le féodalisme et la propriété privée. Ils ont cependant essayé d’avoir une influence sur les syndicats, à laquelle nous nous sommes vigoureusement opposés. Nous luttons pour l’unification de la classe ouvrière mondiale, eux sont contre. Une alliance avec eux ne permettrait pas à la classe ouvrière des pays développés de s’émanciper de sa propre classe dominante. En ce sens, ils ont conforté Bush et Blair dans leur politique. Il y a eu des exemples historiques au Pakistan, en Iran, en Afghanistan qui montrent que l’alliance de la gauche avec les intégristes sur une prétendue base anti-impérialiste lui a été fatale.
- Où en est le mouvement antiglobalisation au Pakistan ?
F. Tariq - Nous avons commencé à construire un mouvement contre la mondialisation capitaliste au Pakistan. Nous avons organisé des manifestations contre la Banque mondiale à Lahore, Karachi et Islamabad en juillet dernier. Si le mouvement antiglobalisation pakistanais reste très en deçà de celui qui s’est construit en Europe, de nombreuses organisations syndicales indépendantes commencent à s’y joindre, sous l’impulsion du LPP. Mais les attentats du 11 septembre ont beaucoup pesé et nous avons dû nous concentrer sur le mouvement pour la paix. Je suis néanmoins allé en Inde le 3 décembre dernier pour rencontrer des représentants de l’opposition sociale qui travaillent dans le domaine des droits de l’Homme. Nous étions d’accord pour lier la question des droits de l’Homme à celle de la lutte contre la mondialisation capitaliste : l’action quotidienne des grandes multinationales et des institutions économiques internationales ne génère que pauvreté, souffrances et injustices.
- Quelles sont les conséquences des attentats du 11 septembre ?
F. Tariq - Les Etats-Unis et leurs alliés européens ont utilisé cet événement pour accélérer leur politique d’agression impérialiste par la guerre, y compris économique. Les événements du 11 septembre constituent un recul pour le mouvement international des travailleurs, car ils ont approfondi la mainmise des classes dominantes sur ce dernier. C’est exactement ce que la classe dirigeante a fait en Inde : le gouvernement indien a saisi l’occasion de l’attentat du 13 décembre contre le Parlement indien pour envoyer 500 000 soldats à la frontière indo-pakistanaise. Les conflits entre classes dirigeantes se résolvent à présent par la guerre : « je ne suis pas d’accord avec toi, je bombarde », voilà l’idéologie de Bush et des autres. L’action terroriste leur donne davantage de légitimité pour remettre en cause les libertés fondamentales et détruire les droits patiemment et chèrement conquis par la classe ouvrière. Les forces internationales de gauche doivent travailler au renforcement des mouvements pour la paix et à la construction de liens avec le mouvement contre la globalisation capitaliste pour contrer cette barbarie qui repose sur la loi du plus fort.
notes
1. Voir « Rouge » du 29 novembre 2001.
– Deux autres interviews de Farooq Tariq sont consultables dans les numéros de Rouge des 15 et 29 novembre 2001.