La militante basque française Aurore Martin, membre de Batasuna, a été interpellée jeudi 1er novembre à Mauléon (Pyrénées-Atlantiques) en exécution d’un mandat d’arrêt européen émis par l’Espagne, plus d’un an après une première tentative avortée à Bayonne, ont annoncé la gendarmerie et le parquet.
Après avoir été remise aux autorités espagnoles jeudi, la jeune femme a été placée vendredi en détention provisoire à Madrid, la justice espagnole l’accusant d’un « délit d’appartenance à une organisation terroriste ». Aurore Martin a été entendue par un juge de l’Audience nationale, le tribunal chargé notamment des affaires de terrorisme, qui a décrété son placement en détention, selon la décision de justice rendue publique. Le juge évoque notamment « le risque évident et fondé de fuite et de soustraction à la justice » que présente Aurore Martin.
MANIFESTATION À MAULÉON
En réaction, de cent trente à deux cent cinquante personnes, selon la gendarmerie et les organisateurs, ont manifesté vendredi à Mauléon (Pyrénées-Atlantiques), où a été interpellée la jeune femme, pour protester contre sa remise à l’Espagne. Rassemblés vers midi devant la gendarmerie, les manifestants – proches de la jeune femme, militants de partis politiques ainsi que le maire DVD de Mauléon, Michel Etchebest – ont ensuite marché dans la commune avant de se regrouper de nouveau devant la gendarmerie, a précisé à l’AFP Johanne Foirien, l’une des organisatrices de la manifestation.
Ils avaient également déployé une banderole proclamant « Euroaginduari ez » [« non au mandat d’arrêt européen », en basque]. « Nous dénonçons la stratégie répressive de l’Etat français malgré les avancées du processus de paix », a expliqué Johanne Foirien. La France « n’utilise qu’une seule stratégie, celle de la répression, ce que nous déplorons », a-t-elle ajouté.
PASSÉE DANS LA CLANDESTINITÉ EN 2010
Aurore Martin était visée depuis le 13 octobre 2010 par un mandat d’arrêt européen émis par un magistrat madrilène pour « faits de participation à une organisation terroriste et terrorisme », en l’occurrence avoir participé en Espagne à des réunions publiques comme membre du parti Batasuna. Autorisé en France, Batasuna est interdit en Espagne, où il est considéré comme une organisation terroriste depuis 2003 et interdit pour ses liens présumés avec le groupe séparatiste basque ETA.
Aurore Martin était entrée dans la clandestinité en décembre 2010, mais était réapparue depuis en public pendant des manifestations au Pays basque français. La Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg, avait rejeté en mai un recours de la militante contre le mandat d’arrêt émis par Madrid.
ETA, groupe armé, classé organisation terroriste par l’Union européenne et les Etats-Unis, a annoncé le 20 octobre 2011 qu’il renonçait à la violence, après plus de quarante ans de lutte armée pour l’indépendance du Pays basque et de la Navarre. Mais l’Espagne comme la France exigent le démantèlement complet de son arsenal et sa dissolution sans conditions, ce à quoi ETA se refuse toujours.
MANUEL VALLS A « CASSÉ UN ACCORD TACITE »
Le mouvement Batasuna, auquel appartient Aurore Martin, a estimé vendredi que le ministre de l’intérieur français, Manuel Valls, avait « cassé un accord tacite ». L’un des responsables du mouvement, Jean-François Lefort, a noté que le mandat d’arrêt européen (MAE) qui visait la jeune femme depuis deux ans, n’avait pas été appliqué par l’ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant. « Il y avait un accord tacite que Valls a cassé, une étape a été franchie », a-t-il dit.
M. Lefort a aussi jeté le doute sur le caractère « fortuit » du contrôle routier qui a permis l’arrestation de la militante. « Nous réfutons la thèse d’un contrôle fortuit : au moment où Aurore Martin a été arrêtée, il y avait un important peloton de gendarmerie à un autre endroit où elle aurait pu passer », a-t-il ajouté.
UNE « SITUATION UBUESQUE »
Après son interpellation, plusieurs élus de gauche et de droite ont manifesté jeudi leur incompréhension. « Cette situation est ubuesque, incompréhensible en plein processus de paix », a déclaré Kotte Ecenarro (PS), vice-président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, évoquant le renoncement à la lutte armée par ETA depuis un an. « Ça tourne à la provocation de la part des gouvernements français et espagnol », a-t-il ajouté.
L’élu, de même que l’adjointe écologiste au maire de Bayonne, Martine Bisauta, a considéré que le ministre de l’intérieur avait donné le ton, dès lundi, lorsqu’il a promis de mener une politique de « fermeté » contre ETA tant que le mouvement indépendantiste n’aurait pas déposé les armes. « Le décor a été planté les jours précédents, ce n’est pas un hasard », a déclaré Mme Bisauta : « C’est dramatique (...). C’est une prise de risque qui pourrait créer des conditions de violence. » L’association humanitaire pour les réfugiés basques Anai Artea est allée jusqu’à qualifier d’« acte minable » et de « provocation » le fait de livrer Aurore Martin à Madrid de la part d’un « ministre de l’intérieur qui ne sait plus s’il roule pour Paris ou Madrid ».
« QUE CHERCHE MANUEL VALLS ? »
« Ce que Guéant », ministre de l’intérieur de Nicolas Sarkozy, « n’avait pas osé faire, le ministre Valls vient de le commettre. Quelle honte ! » s’indigne dans un communiqué Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF des Pyrénées-Atlantiques. « Le gouvernement Ayrault vient d’écrire une page déshonorante pour notre pays », fustige le conseiller municipal à Pau, jugeant « insupportable et indigne » qu’une ressortissante française, « militante d’un parti autorisé en France, soit extradée pour des faits (...) non punissables dans notre pays ». « Les parlementaires communistes interpelleront le gouvernement pour connaître les conditions réelles de l’arrestation et de l’extradition » d’Aurore Martin, prévient-il.
Dans un communiqué intitulé « Que cherche Manuel Valls ? », EELV Pays basque s’est dit « choqué par l’attitude » du ministre « concernant le Pays basque et s’inquiète de voir pratiquer une répression que rien ne justifie dans le climat actuel ». « Alors que les élus de tous bords (...) et la société civile s’allient à la fois pour travailler à l’avenir du territoire et pour rendre pérenne la paix rendue possible par le dépôt des armes d’ETA, M. Valls semble vouloir créer la discorde en entretenant sciemment l’amalgame et la confusion », selon le communiqué.
« C’EST UN MAUVAIS SIGNE POUR LA PAIX »
Le député européen et écologiste José Bové, s’est dit opposé « à l’application du mandat d’arrêt européen, danger pour le processus de paix ». Le député écologiste Noël Mamère a, lui, estimé que Manuel Valls, jouait un jeu « extrêmement dangereux », susceptible de « mettre en péril le processus de paix » engagé au Pays basque. De son côté, le sénateur MoDem Jean-Jacques Lasserre s’est dit « choqué de voir de quelle façon ce gouvernement utilise des méthodes extrêmement brutales pour traiter des problèmes délicats ».
La députée PS des Pyrénées-Atlantiques Colette Capdevielle a pour sa part tenu à souligner que « le délit qui est reproché n’existe pas dans le droit pénal français », et que le mandat a été appliqué alors que « des choses importantes se sont passées », évoquant aussi « le processus de paix ». « C’est un mauvais signe pour la paix, a réagi, du côté de l’UMP, Max Brisson. La société civile du Pays basque et bon nombre d’élus ont dit combien ils pensaient que ce mandat d’arrêt était disproportionné par rapport aux faits reprochés à Aurore Martin. » « Nous exigeons la libération d’Aurore Martin », a enfin déclaré Xabi Larralde, porte-parole de Batasuna, y voyant « la main de Valls » et estimant qu’il s’agissait d’une mesure à la fois « irresponsable » et « inacceptable ».
Cette soudaine montée d’adrénaline au Pays basque un an après qu’ETA a annoncé la fin définitive de la lutte armée devrait être illustrée le 10 novembre lors d’une manifestation à Bayonne en faveur du respect des droits des prisonniers et des réfugiés politiques basques. De nombreuses organisations politiques, syndicales et associatives ont appelé à y participer.
Lire la tribune de Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature, et de Patrick Henriot, secrétaire national du Syndicat de la magistrature, parue dans Le Monde en 2011 [et disponible sur ESSF (article 26799)] : Aurore Martin sera-t-elle livrée pour ses idées ?