L’Inde vient de faire marche arrière. Après avoir banni en juillet les visiteurs dans les réserves de tigres, la Cour suprême vient de lever partiellement cette interdiction et permettre à la très lucrative activité touristique de faire son retour auprès des fauves, raconte le blog India Real Time du Wall Street Journal. Une décision qui interroge sur le meilleur moyen de protéger les derniers spécimens de cette espèce emblématique menacée d’extinction.
En juillet, la plus haute juridiction du pays interdisait temporairement le tourisme au cœur des réserves. Un arrêt pris suite au pourvoi du militant écologiste Ajay Dubey, qui estimait que les habitats du félin devaient être protégés de toute perturbation humaine afin de permettre sa reproduction, comme il l’expliquait dans une interview au New York Times.
Mardi 15 octobre, la Cour est revenue en partie sur cette décision, en annonçant de nouvelles règles, édictées par l’Autorité nationale de conservation des tigres, visant à faire coexister le tourisme avec la conservation des tigres. Dorénavant, seulement 20 % des habitats naturels des tigres seront ouverts aux visiteurs dans les 41 réserves nationales du pays. Les visiteurs ne pourront pas s’en approcher à moins de 20 mètres – et 50 mètres pour les véhicules. Enfin, aucune nouvelle infrastructure touristique ne pourra être créée au sein des réserves, et les installations existantes seront progressivement retirées du noyau protégé des parcs.
Estimée à 100 000 spécimens il y a cent ans, la population de tigres évoluant en Inde a chuté à quelque 1 700 individus aujourd’hui, en raison du braconnage et de la disparition de leur habitat naturel. Le sous-continent abrite malgré tout encore la moitié des représentants de l’espèce (3 200 dans le monde) ; mais leur survie se voit menacée par les centaines d’hôtels et de boutiques qui ont essaimé à l’intérieur des réserves pour répondre à une demande croissante de touristes en mal d’observation de la faune.
Les experts des tigres n’ont toutefois pas tranché la question de savoir si les restrictions au tourisme aident ou nuisent aux politiques de conservation. Alors que certains estiment que les visiteurs endommagent l’habitat naturel des tigres, d’autres soutiennent qu’ils peuvent agir comme chiens de garde contre une menace bien plus grave : les braconniers. Depuis le début de l’année, 52 félins sont morts en Inde, essentiellement en raison du braconnage, selon les statistiques de l’Autorité nationale de conservation des tigres. Sa fourrure, offerte ou vendue en guise de vêtements ou parures, et ses os, utilisés pour fabriquer des remèdes traditionnels, sont en effet extrêmement prisés, notamment en Asie. Conséquence : la chasse illégale au tigre perdure, malgré son inscription, en 1975, en annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites), qui en interdit le commerce international.
Mais la raison essentielle de la reprise partielle du tourisme réside dans la perte de revenus que son interdiction entraînait pour les parcs, qui génèrent 18 millions de dollars par an. Au début du mois, la réouverture de la majorité des réserves après la trêve estivale s’était traduite par une chute drastique de leurs entrées, raconte India Real Time. Les directeurs de parcs avaient alors exprimé leur mécontentement, soulignant l’apport à l’économie locale de l’observation des fauves. Pour exemple, 3 900 personnes, depuis les directeurs d’hôtels aux guides touristiques, vivent du tourisme généré par le parc national de Ranthambore, au Rajasthan, qui a attiré 200 000 visiteurs l’an dernier, selon un rapport récent de Tiger Watch, une ONG basée à Bombay.
Les écologistes ont de leur côté regretté la décision de la Cour suprême. « Cela réduit à néant notre objectif de tourisme responsable », a déploré Ajay Dubey, ajoutant que ses avocats feront appel lors de la prochaine audience, prévue le 30 novembre. C’est à ce moment-là que la Cour devrait rendre une décision finale sur cette affaire.
Audrey Garric