Avant-propos
L’année 2011 a été marquée par une déferlante révolutionnaire secouant le Maghreb et le Moyen-Orient. Elle a remis en cause la vision issue de la période coloniale suivant laquelle les peuples de la région seraient culturellement voués à l’autoritarisme :
– soit de l’obscurantisme religieux (Arabie saoudite, Iran, etc.),
– soit de régimes présentant leur dictature comme un rempart contre l’islamisme (Ben Ali, Moubarak, etc.).
Ces révolutions constituent également un rejet du rouleau compresseur néolibéral ravageant les pays du Sud depuis la fin des années 1970, à la suite du coup d’État de 1973 au Chili.
Au cœur des mobilisations de 2011 s’est exprimée non seulement la volonté de démocratie, mais aussi une volonté de justice sociale et un refus de masse des politiques néo-libérales :
– libéralisation, privatisations, licenciements, remise en cause des mécanismes redistributifs,
– classe supérieure richissime et développement de la corruption,
– appauvrissement de la majorité de la population,
– montée des inégalités géographiques, notamment en Tunisie.
Avant 2011, la Tunisie et l’Egypte étaient volontiers présentées par les dirigeants occidentaux, le FMI ou la Banque mondiale comme des modèles de modernisation réussie. Les mêmes affirmaient « There is no alternative ! ». De soi-disant penseurs péroraient sur « fin de l’histoire », proclamaient dépassée l’idée même de révolution et niaient tout rôle historique aux dominés et en particulier à la classe ouvrière.
Ces affirmations apparaissent maintenant clairement pour ce qu’elles étaient : la simple volonté des classes dirigeantes et de leurs alliés de présenter comme éternel ce qui n’était que le fruit de défaites politiques à une période donnée.
La vague révolutionnaire partie de Tunisie a suscité immédiatement une vague d’enthousiasme, non seulement dans les autres du Maghreb et du Moyen-Orient, mais plus largement parmi les populations des pays du Nord. À l’heure de la mondialisation capitaliste néo-libérale la communauté de destin entre les exploités et les opprimés s’est notamment exprimée, à l’image de la Tunisie, par l’occupation des places publiques en Égypte, puis en Espagne, à New York ou au Québec. Une grande claque a été ainsi donnée aux propagandistes du « choc des civilisations ».
La révolution tunisienne et celles qui l’ont suivie dans la région résultent avant tout de la conjonction d’une révolte de la jeunesse, de la mobilisation des populations paupérisées des régions de l’intérieur et de l’implication de militants syndicaux combatifs. (1)
Contrairement à la vision unilatérale des propagandistes du néo-libéralisme, des contre-tendances étaient en fait à l’œuvre dans la région dès la fin des années 1970. Elles s’étaient accélérées dans les 10 dernières années, et surtout depuis 2006/2008 en liaison avec la crise globale du capitalisme. « L’Égypte avait montré la voie : En 1977, des émeutes d’ampleur nationale avaient eu lieu contre la remise en cause, inspirée par le FMI, des subventions sur les biens de première nécessité. Le gouvernement avait été obligé de les remettre en place, mais elles avaient été ensuite supprimées par petites touches dans les trente années qui ont suivi. En réaction, les travailleurs ont lancé des vagues de grèves au milieu des années 1980 et au début des années 1990. Les mobilisations ouvrières ont ensuite proliféré à partir de 1998.
En Tunisie, l’UGTT avait appelé à la grève générale en 1978, et il a y eu de grandes émeutes contre le FMI en 1984. (2) Au Maroc, des grèves ouvrières et étudiantes ont eu lieu en 1981, ainsi qu’en 1990 des émeutes dans les quartiers pauvres de Casablanca. Des mobilisations ont eu lieu en 2008, contre la hausse du prix du pain, qui ont contraint le gouvernement à faire machine arrière.
En Jordanie, des émeutes de la faim ont eu lieu en 1989. En Algérie, une explosion de colère s’est produite en 1988 lorsque le gouvernement prit la décision d’adopter une politique économique copiée sur celle préconisée par le FMI ». (3)
– Pour mieux comprendre le présent, il est important de connaître le passé. Il nous a donc semblé utile de commencer par revenir sur les soixante-quinze années de colonialisme français, suivies d’une trentaine d’années d’autoritarisme bourguibien, puis de vingt-trois ans de dictature de Ben Ali. Nous nous sommes attachés à mettre un accent sur la dimension syndicale de cette histoire complexe, et dont certains aspects devraient être davantage connus avec la fin de la dictature.
– Pour présenter l’évolution du pays depuis le 14 janvier, nous avons donné la parole à des syndicalistes, des féministes et des jeunes chômeurs-diplômés.
– Malgré les difficultés actuelles, le processus révolutionnaire ouvert en décembre 2010/janvier 2011 est toujours en cours. Raison de plus pour ne pas relâcher la solidarité. C’est sur cet aspect que se termine ce dossier en prenant comme exemple, d’une part quelques coopérations syndicales auxquelles l’Union syndicale Solidaires participe, d’autre part la campagne contre la dette.
– À noter qu’une partie des documents recueillis n’a pas pu trouver de place dans la version papier de ce dossier. Ils sont par contre disponibles dans la rubrique « International » de www.solidaires.org
Une première version de ces textes avait circulé en juillet 2012, notamment auprès de Tunisiennes avec qui l’Union syndicale Solidaires est en contact, dont bien sûr celles et ceux dont les propos sont reproduits dans ce dossier. Qu’ils/elles en soient tous/toutes remercié-es. Leurs remarques nous ont permis rectifier des inexactitudes et d’apporter des ajouts. C’est notamment le cas de l’historien Amira Aleya Sghaier qui a relu attentivement toute la partie historique.
Ils/elles ne sauraient être toutefois tenu-e-s pour responsables de la forme définitive de ce document qui intègre parfois des modifications postérieures à leur relecture.
Il en va de même pour les passages des textes empruntés et parfois remaniés à la marge, et qui ne sont pas toujours explicitement signalés. Les auteurs des textes originaux ne peuvent pas être tenus pour responsables de nos éventuelles erreurs d’interprétation.
Notes :
1. Le monde associatif a largement contribué à établir des ponts entre les différentes forces en lutte : s’y côtoyaient en effet syndicalistes, militants de la gauche clandestine ou légale, avocat-es, étudiant-es, féministes, artistes, journalistes, militant-es des droits de l’Homme, etc.
2. En Tunisie, la grève générale de 1978 revendiquait notamment la démocratie syndicale et l’indépendance de l’UGTT vis-à-vis du pouvoir (gouvernement et parti du pouvoir). Les grandes émeutes de 1984 refusaient l’augmentation des prix des denrées de première nécessité comme le blé, la farine ou le pain. Elles ont obligé le gouvernement à revenir sur ses décisions, condamnant Bourguiba à changer son fidèle premier ministre à cette époque. Le fait que les émeutes du pain ait fait tomber le gouvernement a constitué une première pour le peuple tunisien (précisions apportées par Hamadi Ben Mim).
3. Joel Beinin : « The Middle East’s Working-Class Revolutions ? » (24/08/2011). Article paru dans « The Nation » www.europe-solidaire.org/spip.php?article22703 - Traduction par AB pour l’Union syndicale Solidaires.
Sommaire
Avant-propos.
Sommaire.
Quelques repères.
2. Une brève histoire de la Tunisie avant 2011 http://orta.dynalias.org/solidint/depot/solidint/revue-8/3.%20Histoire.pdf
La dette prépare le terrain à la colonisation. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27053
Soixante quinze ans de colonialisme. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27053
Les débuts du mouvement national et du mouvement ouvrier. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27052
La maturité du mouvement national et syndical. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27051
La Tunisie sous Bourguiba (1956-1987). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27050
Le règne de Ben Ali (1987-2011). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27044
Chronologie sur le syndicalisme de 1946 à janvier 2011. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27043
Les forces politiques sous l’ancien régime.
Militer dans les nouvelles entreprises du secteur privé du temps de Ben Ali : l’exemple des centres d’appels..
Le rôle de la solidarité internationale
3. La Tunisie depuis le 14 janvier 2011 http://orta.dynalias.org/solidint/depot/solidint/revue-8/4.%20Depuis%20le%2014%20janvier%202011.pdf
Les raisons profondes du soulèvement tunisien.
De la révolution de janvier 2011 aux élections d’octobre.
La Tunisie depuis les élections d’octobre 2011, entretien avec Nizar Amami et Ali Ourak, syndicalistes de l’UGTT-PTT.
La situation en juillet 2012, entretien avec Néjib Sellami.
La nouvelle place du syndicalisme.
« L’initiative de l’UGTT ».
À propos du pluralisme syndical.
L’UGTT en juillet 2012, entretien avec Kacem Afaya.
Le contexte revendicatif actuel, entretien avec Lamjed Jemli.
L’impact de la criseéconomique, entretien avec Lamjed Jemli.
La suppression de la sous-traitance, entretien avec Lamjed Jemli.
4. Les droits des femmes http://orta.dynalias.org/solidint/depot/solidint/revue-8/5.%20Femmes.pdf
« La lutte contre l’exploitation des femmes peut être un moteur de changement social global », entretien avec Ahlem Belhadj.
Entretien avec Fatima Ghanmi.
Intervention de Wassila Ayachi aux Journées intersyndicales femmes.
Communiqué commun ATFD, AFTURD, Amnesty International, LTDH, CNLT, UGTT.
5. La mobilisation des diplômés chômeurs http://orta.dynalias.org/solidint/depot/solidint/revue-8/6.%20Diplomes-Chomeurs.pdf
Présentation de l’Union des diplômés chômeurs – UDC.
Les rapports entre l’UDC et les syndicats de salariés.
Les relations entre l’UDC et les partis.
6. Forces et faiblesses de la révolution tunisienne http://orta.dynalias.org/solidint/depot/solidint/revue-8/7.%20Forces&Faiblesses.pdf
Le rôle clé des mobilisations.
Les limites du processus tunisien.
« Il faut s’attendre à une deuxième révolution », entretien avec Adnen Hajji.
7. Développer la solidarité internationale http://orta.dynalias.org/solidint/depot/solidint/revue-8/8.%20Solidarite%20Inter.pdf
Intervention de Lassad Yacoubi au 5e congrès de Solidaires.
Intervention de Nizar Amami au congrès de SUD-PTT.
Mondialiser le syndicalisme, entretien avec Frédéric Madelin.
Un exemple de coopération syndicale franco-tunisienne.
Les luttes dans les centres d’appels tunisiens..
Extraits de l’intervention d’Ali Ourak (UGTT-PTT) au congrès de SUD-PTT
Abattre la dictature de la dette pour libérer la Tunisie, par Fathi Chamkhi.
8. Documents sur l’histoire du mouvement national et syndical tunisien
• Quelques figures historiques du mouvement syndical tunisien : Mohamed Ali, Tahar Haddad, Jean-Paul Finidori, Farhat Hached, Ahmed Tlili, Habib Achour. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26977
• « La Tunisie n’est devenue indépendante que sous la pression des fellaghas », entretien avec l’historien Amira Aleya Sghaïer (2006). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26122
9. Documents sur la lutte du Bassin minier de Gafsa
• « Le soulèvement des habitants du bassin minier, un premier bilan » par Ammar Amroussia, adaptation d’un texte initialement paru en mai 2008. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26974
• Communiqué d’un groupe de syndicats et de fédérations de l’UGTT soutenant les militants de Redeyef (12 décembre 2008). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26973
• A propos de la sortie de prison, le 4 novembre 2009, des prisonniers du procès du bassin minier de Gafsa, interview de Mohieddine Cherbib (15 janvier 2010). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26972
• « Militer sous la dictature », entretien avec Zakia Dhifaoui (mai 2010). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26971
10. Documents sur le processus révolutionnaire tunisien
• « Déclaration constitutive d’un Conseil local et d’un Conseil régional pour protéger la révolution et gérer les affaires » (Siliana, le 16 janvier 2011). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26970
• « Déclaration constitutive du conseil local provisoire pour gérer les affaires de la ville de Sidi Bou Ali » (janvier 2011). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26969
• Communiqué de fondation du Front du 14 janvier (20 janvier 2011). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26968
• Trois questions à Mouhieddine Cherbib (21 janvier 2011). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26966
• Entretien avec Nizar Amami (27 janvier 2011). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26967
• Déclaration constitutive du Conseil national pour la sauvegarde de la révolution (11 février 2011). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26965&
• Entretien avec Sami Tahri (mai 2011). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article23922
• « Après les élections, les mobilisations continuent » par Abdessalem Hidouri (17 décembre 2011). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article23837
• « Printemps arabe… construire demain », entretien avec Olfa Lamloum (janvier 2012). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26964
11. Documents sur l’UGTT
• L’UGTT dans la révolution tunisienne. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26963
• « L’initiative de l’UGTT sur le lancement d’un Conseil de dialogue national » (18 juin 2012). http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26202
Quelques repères
Population : 10,6 millions d’habitants en 2011.
Taux d’urbanisation : 67% en 2010.
Chômage : 700 000 chômeurs officiellement recensés en 2011, soit 27,4% des femmes en âge de travailler et 15% des hommes.
Chez les diplômés du supérieur, le taux de chômage était de 43,8% en 2011 chez les femmes, et 23,7% chez les hommes.
Travail « informel » : concernerait environ 40% de la population active (dont une forte proportion de jeunes et de femmes) et 50% du PIB.
Indice de développement humain : passé de la 78e place mondiale en 1993, à la 94e en 2011.
Dette : En janvier 2012, le taux d’endettement public était de 40% du PIB.
Montant annuel consacré en 2012 au remboursement de la dette contractée par Ben Ali : 2,5 milliards de dinars.
Total des dépenses budgétaires de 2012 consacrées au développement régional, à la santé publique, à l’emploi, à la formation professionnelle et aux affaires sociales : 3,3 milliards de dinars.
Tourisme : Le tourisme emploie 400 000 personnes et fait vivre un quart de la population. Il représente 7% du PIB tunisien. Entre janvier 2011 et mars 2012, il a baissé de 40%.
Taux d’alphabétisation : 78% en 2008.
Droits des femmes :
Egalité juridique étendue pour les femmes (Code de statut personnel) : 1956.
Abolition de la polygamie : 1958.
Légalisation de la vente de produits contraceptifs : 1961 (1967 en France).
Légalisation de l’interruption volontaire de grossesse : 1965 (1975 en France).
Nombre d’enfants par femme : 2 en 2011.