Combien étions-nous ? 30 000 ? 40 000 ? 50 000 ? En tout cas, énormément plus que les prévisions les plus optimistes des organisateurs de la manifestation du 17 novembre, habitantEs de la ZAD (Zone à Défendre) premier lieu, qui malgré la répression qui les touche depuis le 16 octobre restent debout et défient Vinci et le gouvernement. Le temps d’une journée, une foule bigarrée, joyeuse et populaire a défilé et occupé les espaces destinés à être rasés pour laisser place au béton et aux pistes d’atterrissage. La manifestation, longue et dense, s’est conclue par les prises de parole de différents collectifs opposés à des grands projets inutiles partout en Europe, puis par le début d’un chantier de réoccupation qui a vu une partie des manifestantEs se prêter main forte pour bâtir de nouveaux bâtiments en bois, pied-de-nez aux destructions effectuées depuis un mois.
La banderole ouvrant la manifestation, « Contre l’aéroport et son monde seule la lutte décolle », synthétisait bien l’état d’esprit qui a pu rassembler autant de manifestantEs. Il ne s’agit pas d’un simple projet d’aménagement du territoire, de choix d’infrastructures de transports, mais bien du refus du symbole d’un projet de société qui préfère sacrifier des terres agricoles, des habitantEs, des bocages, pour un projet d’aéroport devenu inutile. Alors que la Banque mondiale vient de publier un rapport envisageant une augmentation de 4°C par rapport à l’ère préindustrielle dès 2060, avec des catastrophes climatiques prévisibles sur l’ensemble de la planète, le gouvernement s’entête à développer le transport aérien, grand consommateur d’énergies fossiles. Par ailleurs, un tel développement serait essentiellement basé sur les vols low-cost, pour lesquels les conditions de travail et de salaires sont extrêmement dégradées. Voilà l’avenir que nous promet le gouvernement : du béton à la place des prairies et des terres agricoles, des bas salaires, et un financement public pour aider les entreprises privées.
La manifestation du samedi 17 novembre dessine un autre avenir, et a su démontrer qu’en l’absence des forces du désordre, touTEs ces militantEs, attachéEs à la défense du bocage n’étaient pas les personnages violents ne rêvant que d’en découdre avec la police qu’on se plaisait à décrire, mais bien des gens responsables, prêts à se battre pour une cause plus que légitime et à remettre en cause les projets les plus absurdes. Il faut bien être aussi aveugle que Bruno Leroux, président du groupe socialiste au Parlement, pour voir là une forme contemporaine de guérilla. Le même, avec d’autres, est pourtant le premier à prôner les vertus de l’austérité quand il s’agit d’effectuer des coupes budgétaires dans les services publics ou d’augmenter la TVA. Mais pour un grand projet inutile de plus, initié il y a 40 ans, l’argent est disponible. Qu’en pensent Jérôme Cahuzac ou l’agence Moodies ? Quant à l’argument démocratique, pour le gouvernement, c’est plutôt circulez, il n’y a plus rien à voir. Les caricatures de concertation et de consultation depuis 2003 ne peuvent dissimuler l’incapacité à affronter les véritables arguments des opposants, à écouter les paysanNEs de Notre-Dame-des-Landes, les riverains, les pilotes de ligne qui expliquent très bien l’inutilité d’un nouvel aéroport. L’argument des nuisances subies par les NantaisEs ne peut bien sûr pas être écarté, mais y compris sur ce point-là des alternatives à la situation actuelle sont envisageables.
La résistance se poursuit
Contre les tentatives de division, la manifestation massive a au contraire démonté qu’écologistes, paysans, militantEs venuEs de différents horizons, simples citoyens ne se satisfaisaient pas de l’ordre établi et des concertations bidons.
Il s’agit maintenant de s’appuyer sur cette force collective naissante pour donner un nouvel élan à la contestation. D’abord pour protéger la ZAD, sur laquelle les travaux de réoccupation / reconstruction se poursuivent, en même temps que les forces de l’ordre font leur réapparition dans le bocage. L’élan de solidarité, s’il peut ralentir les velléités répressives du gouvernement, ne va les arrêter complètement. Manuel Valls explique en effet que pour mener à bien « un projet d’intérêt régional et d’intérêt national, [...] il faut que chacun sache que la détermination du gouvernement, à la fois de porter ce projet et puis de faire respecter la loi, est totale. » Il en a profité pour rappeler les dangers que faisaient courir à la France une mouvance politique composée de « beaucoup d’étrangers ». Déjà en Mai, 68 certains stigmatisaient les Juifs allemands ; éternel recommencement des discours répressifs...
Au-delà de la ZAD, le succès de la manifestation relance l’espoir et permet de penser qu’une victoire contre l’aéroport est possible. Des collectifs locaux se sont créés dans de nombreuses localités, il s’agit maintenant qu’ils continuent à agir, à interpeller, à expliquer la nocivité de ce projet, à cibler Vinci et les représentants du gouvernement. Ne doutons pas dans les semaines à venir les mobilisations vont se poursuivre ; à nous de faire en sorte qu’elles soient les plus massives possibles, et que véritablement, Notre-Dame-des-Landes devienne le Larzac de J.M Ayrault.
Vincent Gay