L’élection à la tête du Parti Communiste Chinois de Xi Jinping ainsi que de six autres qui constituent avec lui Comité permanent du Bureau politique du parti, est venue appuyer ce que l’intellectuel marxiste chinois Au Loong Yu a appelé le « capitalisme bureaucratique ». [1] Les capitalistes bureaucratiques, dont de nombreux petits princes, ou des fils des fondateurs du gouvernement de la Chine communiste, sont parvenus, grâce à leur contrôle de l’Etat et à la connivence Etat-entreprise, à dominer le cœur de l’économie capitaliste du pays et à former le noyau de la nouvelle bourgeoisie qui dirige celui-ci. Ils forment un groupe de familles et de clans reliés par des relations de parti et d’affaires et qui constitue la classe dirigeante. C’est cette utilisation du parti et de l’Etat pour contrôler les entreprises capitalistes, pour exploiter les travailleurs, et pour faire des profits qui, comme l’explique Au, constitue la caractéristique du capitalisme chinois d’aujourd’hui.
Le leadership émergent des petits princes ne cherchera pas à changer quoi que ce soit de fondamental, mais oeuvrera plutôt à préserver et à étendre le pouvoir et les privilèges de leur classe. Comme l’a écrit Edward Wong dans le New York Times :
« Les petits princes ne sont pas une faction politique cohérente, et leurs rangs sont en proie à des rivalités personnelles et idéologiques. Leurs liens familiaux peuvent signifier une plus grande familiarité avec l’exercice du pouvoir et encourager des changements audacieux. Dans le même temps, cette classe a connu une croissance de richesses de l’économie politique de la Chine ; les responsables et les entreprises publiques travaillent ensemble pour tirer des profits, souvent au détriment de l’entreprenariat privé. Même les princes qui soutiennent la libéralisation de l’économie ou le système politique croient encore à la primauté du parti, et leur pression pour différentes réformes est perçue comme un effort visant à assurer la survie du parti. » [2]
Xi et les autres dirigeants sont profondément engagés à poursuivre le développement capitaliste dirigé par l’État qui non seulement leur a donné un pouvoir énorme, mais en plus a fabuleusement enrichi un grand nombre d’entre eux. Le PCC, dirigé maintenant par Xi, représente le gardien de la puissance économique et politique de cette nouvelle classe dirigeante. La domination de ce groupe pour la prochaine décennie, sauf imprévu, signifie qu’un virage vers un modèle capitaliste plus occidental, ou des réformes démocratiques, ou une transformation socialiste de la société par en-haut, ne sont pas à l’ordre du jour. La démocratie et le socialisme viendront en Chine par en bas, ou ils ne viendront pas du tout.
Comment la Chine, un pays théoriquement communiste, est-elle devenue un pays ultra-capitaliste avec cette forme unique de pouvoir politique et de gouvernance ? [3] Les racines de ce capitalisme bureaucratique plongent dans le communisme bureaucratique, ou, plus exactement, dans le collectivisme bureaucratique ayant émergé de la révolution chinoise. C’est l’expérience de construction du PCC et de l’Armée populaire de libération, qui a conduit la révolution nationale et supprimé à la fois le contrôle étranger de l’économie et le vieux capitalisme concurrentiel existant en Chine, qui a engendré l’État communiste chinois de parti unique. Le PCC, qui a toujours eu le contrôle de la révolution communiste, a réalisé qu’il pouvait aussi maintenir ce contrôle dans la transition vers le capitalisme.
Du parti ouvrier à l’armée paysanne
Le caractère unique du PCC s’est forgé dans les années 1920 et 1930, après les événements tragiques de Shanghai en 1927. Tout au long des XIXe et au début du XXe siècle, la Chine avait été dominée par des puissances étrangères, principalement la Grande-Bretagne et d’autres puissances européennes (bien que la Russie tsariste, les États-Unis et le Japon se soient également impliqués dans le démembrement de la Chine impériale). Dans le même temps, les seigneurs de guerre chinois, les propriétaires et les capitalistes exploitaient les travailleurs et les paysans du pays. Une révolution nationale et démocratique en 1912 a créé une république, sous la présidence de Sun Yat-sen, mettant fin à la monarchie des Qing. La République de Chine a lutté pour imposer un ordre démocratique dans une Chine que ses régions autoritaires fragmentées avaient livrée à la guerre civile.
La révolution russe de 1917 (1918) a conduit à une alliance entre l’Union soviétique et le Kuomintang (KMT), le principal parti de la République chinoise, dirigé par Tchang Kaï-chek. Sur ordre de Joseph Staline, les communistes chinois, eux-mêmes subordonnés au KMT, hésitèrent à se constituer en organe indépendant. En Avril 1927, dans la ville industrielle de Shanghai, qui était un bastion communiste, le KMT se tourna contre le PCC et exécuta des milliers de ses membres. [4] Les communistes chinois, suivant le nouveau virage à gauche de Staline appelé la « troisième période » du mouvement communiste, ont ensuite tenté, en décembre 1927, d’organiser des insurrections révolutionnaires dans plusieurs villes, dont la plus célèbre est ladite « Commune de Canton ». Toutes ont été toutes écrasées, entraînant la mort de milliers de communistes.
L’armée en tant que parti
Après ces défaites dévastatrices, Mao Tsé-toung et d’autres dirigeants communistes chinois se sont réfugiés à la campagne, où ils ont reconstruit le parti et constitué l’Armée populaire de libération chinoise. Les dirigeants du PCC — quelques intellectuels, quelques travailleurs — sont devenus complètement déracinés de la société urbaine chinoise, leurs liens avec la classe ouvrière ont été brisés ; à partir de ce moment, ils n’ont plus de prolétariens que le nom. Ces cadres du parti déracinés sont devenus les dirigeants du parti, les officiers de l’armée, et le noyau d’un nouveau type de mouvement révolutionnaire. Il s’agissait d’une direction du parti et de son personnel, c’est-à-dire une bureaucratie révolutionnaire, à la recherche d’une base sociale qui pourrait fournir la force révolutionnaire nécessaire pour renverser les propriétaires dirigeants, les seigneurs de guerre, les capitalistes et le KMT de Tchang Kaï-chek.
Se déplaçant dans la campagne chinoise, généralement opposés aux riches propriétaires terriens, mais en s’alliant à des endroits différents et à des moments différents avec différentes couches de la paysannerie chinoise, les cadres communistes survivants des années 1920 ont recruté des paysans dans l’Armée populaire de libération. Bien que cette armée était composée de paysans (comme la plupart des armées jusqu’à la fin du XXe siècle) et même si ces paysans ont fourni la force qui a combattu et a finalement gagné la révolution chinoise, elle ne pouvait être taxée d’armée paysanne et la révolution ne peut être qualifiée de paysanne au sens politique. En effet, les paysans n’ont pas écrit son programme, ils n’ont pas assuré sa direction, et ils n’ont exercé aucun contrôle démocratique sur le parti ou l’armée. Partout où l’Armée populaire de libération est allée, c’était un corps d’hommes armés, mieux organisés, mieux armés et plus puissants que les collectivités paysannes qu’elle a rencontrées, capable d’imposer sa volonté politique sur la campagne par le biais de son programme politique et une combinaison de manœuvres politiques et de puissance militaire. La fameuse Longue Marche (ou marches) de 1934 à 1935 de l’Armée populaire de libération (en réalité trois armées) du sud et de l’est vers l’ouest de la Chine a représenté la consolidation de ce parti-armée communiste ; l’armée en tant que parti.
Les communistes dirigent une révolution nationale
Avec l’invasion japonaise de la Chine à la mi-1937 et le déclenchement de la seconde guerre sino-japonaise, les communistes se sont retrouvés non seulement à lutter contre le KMT, mais aussi contre les Japonais. Bien que les deux armées, celle du KMT et l’Armée de libération populaire, étaient supposées alliées contre les Japonais, il y avait en réalité une lutte triangulaire pour contrôler la Chine. Elle s’est poursuivie jusqu’à la fin de la guerre en 1945. Tchang Kaï-chek et le Kuomintang étaient plus soucieux de défendre les propriétaires et les capitalistes contre les communistes que de lutter contre les Japonais. Après la défaite des Japonais, la stratégie communiste était de continuer à étendre le contrôle sur la campagne pour prendre, à la toute fin, le contrôle des villes. A leur arrivée dans les villes, les autorités communistes chinoises ont distribué des brochures aux travailleurs et aux masses urbaines en leur disant de ne pas se battre et de ne pas s’emparer de leurs usines, mais plutôt d’obéir aux ordres du PCC. Le plus grand souci des communistes était de gagner la confiance et le soutien de la classe capitaliste et de rétablir la production industrielle. Les communistes ne voyaient aucun rôle à la classe ouvrière dans les étapes finales pour prendre les villes chinoises entre 1945 et 1949. [5]
L’émergence de l’Etat communiste
Le PCC et l’Armée populaire de libération ayant contribué à la lutte contre les Japonais et ayant ensuite battu le KMT ont réussi en 1949 à prendre le contrôle de toute la Chine, à l’exception de l’île de Taiwan vers laquelle Tchang Kaï-chek et le KMT se sont retirés. Le PCC a mené une révolution nationaliste à la victoire, instaurant un nouvel Etat qui sera bientôt entièrement contrôlé par les communistes. Le leadership du Parti communiste dans la lutte patriotique contre les Japonais puis dans la guerre civile révolutionnaire contre le KMT avait apporté au parti une énorme crédibilité et le soutien de la majorité du peuple chinois. Le programme communiste de réforme agraire, prenant les terres des propriétaires et la distribuant aux paysans, était au centre de son programme révolutionnaire. En 1952, la réforme agraire était accomplie, les terres avaient été distribuées aux paysans, et la classe des propriétaires fonciers éliminée. En 1956, quinze ans plus tôt que prévu, 97% des terres avaient été collectivisées.
Bien que le PCC ait d’abord tenté de convaincre la classe capitaliste, une fois au pouvoir, à partir de 1952, il a foncé avec détermination et rapidité pour éliminer pratiquement toutes les entreprises privées. En 1956, la classe capitaliste a cessé d’exister. [6] Étant donné que les communistes contrôlaient déjà l’Etat en 1949, le coût de ces campagnes pour mettre fin au féodalisme et au capitalisme était énorme en termes de vies humaines. On estime à plus d’un million le nombre de morts entre 1949 et 1953 lors des campagnes contre les « droitiers » et les propriétaires.
En 1952, tous les autres partis ont été interdits, ce qui donne au PCC le monopole du pouvoir politique. La direction communiste chinoise, soutenue par l’Union soviétique (avec laquelle elle avait signé un pacte en 1950), a créé un Etat qui ressemblait au régime de Staline : le PCC contrôle l’État, et l’État contrôle l’industrie et l’agriculture. Le PCC a aussi pris le contrôle des syndicats et toutes les organisations sociales ; le nouveau parti unique n’a pas toléré d’organisations indépendantes, quelles qu’elles soient. Alors que le gouvernement bénéficiait du soutien populaire et qu’il y avait un degré élevé de participation dans les institutions et les activités organisées par le PCC, il n’y avait de démocratie nulle part. La société avait été collectivisée par l’Etat qui était contrôlé par la bureaucratie. Comme l’Union soviétique, la Chine n’était ni capitaliste ni socialiste, c’était une société collectiviste bureaucratique, hostile à la fois au capitalisme et au socialisme. [7]
Les politiques de Mao
Avec les classes des propriétaires et des capitalistes éliminées, la classe ouvrière et la paysannerie subordonnées au parti, Mao et les dirigeants communistes pouvaient maintenant utiliser l’État pour mettre en œuvre des politiques permettant d’atteindre leurs objectifs : accroître la productivité et élever le niveau de vie. Comme toute classe dirigeante, la classe bureaucratique dirigeante de la Chine a estimé qu’elle savait ce qui était le mieux pour le pays, le mieux pour elle-même en tant que classe et le mieux pour le reste. Mao, dont la politique a dominé la Chine pendant la majeure partie de la période postrévolutionnaire, a imposé ses politiques au pays d’en-haut, parfois sans consultation de la direction du parti et toujours sans consultation des membres du parti ou de la population en général. L’essence du maoïsme était le volontarisme : idée selon laquelle la bureaucratie du PCC par la force de la volonté pourrait permettre de surmonter des conditions objectives, pousser la société vers le socialisme et finalement arriver au communisme.
Le premier plan quinquennal de 1953-1958 montra une expansion de l’économie, mais le rythme n’était pas assez rapide pour Mao. Alors qu’il se préparait à pousser encore plus fort, Mao, qui était devenu président de la République populaire de Chine en 1954, travaillait à éliminer toute opposition. La Campagne des cent fleurs de 1956-57, soi-disant pour encourager la créativité et entendre la critique des intellectuels chinois, s’est avérée être un guet-apens. Beaucoup de ces intellectuels ont suggéré que le PCC était devenu « une nouvelle classe dirigeante qui monopolise pouvoir et privilèges en s’aliénant les masses ». D’autres ont suggéré que les responsables du parti avaient des privilèges et avaient reçu des traitements préférentiels et qu’ils avaient traité la population comme des « sujets soumis ou, pour utiliser un mot dur, des esclaves ». [8] Ces dissidents, après s’être affichés, furent éliminés.
Désormais pleinement responsable de l’Etat, Mao a lancé son Grand bond en avant en 1958. Le Grand Bond, ou l’« avance hasardeuse », comme on l’appelait aussi, avait pour but de transformer la Chine rapidement d’une société agricole à une société industrielle. De nouvelles techniques agricoles ont été introduites dans les fermes collectives, tandis que les communes tout au long de la campagne s’engageaient dans une production industrielle décentralisée. Dans tout le pays il y aurait des aciéries avec l’idée de dépasser la production de la Grande-Bretagne et des États-Unis respectivement en sept et quinze ans. Le Grand Bond s’est avéré être un désastre aux proportions sans précédent, ayant conduit à la famine et à la mort d’au moins 30 et peut-être 45 millions de personnes. [9]
Après la débâcle du Grand Bond, Mao est remplacé par Liu Shiao-chi à la présidence, ce qui déclechera une longue lutte pour la direction du PCC entre les volontaristes maoïstes les politiques de Liu basées sur le modèle d’industrialisation soviétique. En 1966, Mao lance la Grande révolution culturelle prolétarienne : en apparence une lutte contre la culture traditionnelle chinoise, contre les éléments capitalistes dans la société chinoise, et contre la corruption et la bureaucratie au sein du PCC, mais en réalité une tentative pour reprendre le contrôle du parti et de l’Etat. Succession d’événements très complexes impliquant la lutte de factions au sein du parti, la lutte des classes, ainsi que des persécutions ethniques et religieuses, la révolution culturelle a finalement coûté environ 500 000 vies. Mao est devenu le centre d’un culte de la personnalité qui était pratiquement une religion à son retour au pouvoir.
Les réformes de marché de Deng Xiaoping
De 1949 à 1969, l’exagération de Mao sur l’idéologie et la politique volontaristes avait maintenu la Chine dans l’agitation, renversant d’abord tous les anciens rapports pré-révolutionnaires, puis mettant le nouvel ordre révolutionnaire à l’envers. Les turbulences de ces vingt années ont balayé une grande partie de l’ordre ancien et rendu possible le développement d’une nouvelle politique économique. Deux ans après la mort de Mao en 1976, Deng Xiaoping, un homme politique pragmatique, est devenu « chef suprême ». Il a introduit le slogan du « Socialisme à la chinoise » et les réformes économiques qui ont jeté les bases de la transition vers le capitalisme. C’est avec les réformes de 1978 que l’économie chinoise a commencé à décoller. Deng a introduit des mécanismes de marché et a insisté sur les produits industriels destinés à l’exportation, conduisant la Chine à entrer dans des relations commerciales avec d’autres pays. Alors que la Chine était restée une sorte de système hybride, avec l’Etat communiste toujours dominant à la fois la planification économique et de nombreuses grandes industries et usines, un changement qualitatif a eu lieu. Les politiques de Deng ont mis la Chine sur la voie du développement économique capitaliste, commençant la transition du communisme bureaucratique au capitalisme bureaucratique.
Graphique tiré de Wikicommons
La transition chinoise du communisme bureaucratique au capitalisme bureaucratique a été l’œuvre des deux premiers dirigeants du PCC et de leurs enfants, les petits princes, qui ont utilisé les entreprises publiques et mixtes pour s’enrichir et créer leurs propres entreprises privées, engagés comme ils sont dans le capitalisme de connivence et utilisant leur pouvoir politique pour être à la fois chefs du parti et des entreprises privées. [10] L’introduction de mécanismes de marché et de la propriété privée, ainsi que l’exploitation continue du salariat, ont créé une économie désormais axée sur la recherche du profit et l’accumulation du capital. La nouvelle classe capitaliste bureaucratique a accumulé des richesses, qu’elle affiche ostensiblement, et jouit de ses privilèges avec arrogance, alors que, dans le même temps, le développement inégal de la nouvelle économie ne parvient pas à répondre aux besoins des paysans, des travailleurs et des étudiants. La manifestation de la place Tiananmen en 1989 avait impliqué essentiellement des étudiants protestataires qui exigeaient la transparence et la démocratie. Lorsque le nombre de manifestants a commencé à atteindre les centaines de milliers, la nouvelle classe capitaliste bureaucratique a convoqué l’armée qui a écrasé le mouvement, tuant des centaines, voire des milliers de manifestants.
Deng Xiaoping a été remplacé d’abord par Jian Zemin en 1989, qui a pris le commandement suite à l’écrasement des manifestations de Tiananmen, puis à son tour en 1997 par Hu Jintao. Tous deux ont continué à mener à bien les réformes de marché et ils ont aussi élargi la production industrielle et les exportations. Dans le même temps ils ont ouvert la Chine aux investissements étrangers directs, profitant du capital des autres pour faire avancer l’industrialisation chinoise. Le développement urbain, industriel et rural qui a eu lieu a été rendu possible par les capitalistes du PCC qui ont utilisé leur pouvoir et leurs privilèges pour saisir la terre des paysans et des citadins pauvres, ce qui a conduit à des dizaines de milliers de conflits dans toute la Chine chaque année.
Lors de l’administration de Hu en 2007, la Chine a adopté la loi sur la propriété privée qui a reconnu la propriété privée des moyens de production - en fait elle avait déjà vu le jour auparavant. Dans ces années, la Chine continue toujours à représenter une sorte de système hybride, aujourd’hui à dominante capitaliste, à construire une infrastructure industrielle moderne de chemins de fer, d’autoroutes, de ports et d’aéroports ; l’industrie connaîtra un essor considérable dans la rivière des Perles, du fleuve Jaune et dans les régions de Pékin, tandis que les gratte-ciel se multiplient à Shanghai. En 2010, la Chine a dépassé le Japon pour devenir la deuxième économie la plus importante au monde, juste derrière les Etats-Unis. La croissance de la Chine dans les années Hu était rien moins que spectaculaire. [11] La Chine devrait rattraper les Etats-Unis au niveau de son PIB d’ici à 2025. [12]
La croissance de l’économie chinoise au cours des années Hu
Le mouvement ouvrier chinois
La création du capitalisme bureaucratique signifie nécessairement la création d’une classe bureaucratiquement contrainte à travailler. Jusqu’aux années 1980, les agences gouvernementales chinoises avaient orienté les travailleurs vers les entreprises où ils trouveraient un emploi. La mise en place de mécanismes de marché et la propriété privée ont conduit à une plus grande mobilité pour les travailleurs qui cherchaient maintenant des emplois non seulement dans les entreprises publiques et mixtes, mais aussi dans les entreprises privées. Des centaines de millions de paysans ont quitté la ferme pour trouver du travail dans les villes, tandis que quelque 150 millions de travailleurs migrants sont venus des provinces pour travailler temporairement dans l’industrie. Les entreprises publiques, mixtes et privées étrangères et nationales employaient des travailleurs dans le secteur manufacturier et les services. Des casernes industrielles font loger les travailleurs dans des usines énormes et des complexes industriels tels que Foxconn City avec pas moins de 270 000 travailleurs dans une seule installation.
Les travailleurs chinois se sont vu interdire d’organiser des syndicats indépendants et de faire grève. Le PCC, que ce soit lors de sa période de communisme bureaucratique ou de capitalisme bureaucratique, a toujours contrôlé la Fédération des syndicats de Chine (ACFTU), qui à son tour contrôle la main-d’œuvre. Une loi de 1992 exigeait que tous les syndicats soient affiliés à l’ACFTU. La nouvelle loi du travail de 1994 a supprimé le « bol de riz en fer », le système de sécurité de l’emploi qui, en général, protégeait les travailleurs contre le licenciement. Après l’adoption de la nouvelle loi, 40 millions de travailleurs ont perdu leur emploi.
Néanmoins en 2007, les travailleurs avaient organisé des dizaines de milliers de manifestations et de grèves chaque année depuis les années 2000. Les grèves chez Honda en 2010 ont fait gagner aux travailleurs le droit de choisir leurs représentants dans leur propre usine, un premier petit pas vers un plus grand rôle des travailleurs sur le syndicat et le lieu de travail. Dans le même temps, sous la pression des grèves, l’Etat communiste a autorisé l’ACFTU à engager des négociations collectives dans la majeure partie de la Chine industrialisée. Mais les capitalistes bureaucratiques chinois ne permettraient pas la création de syndicats indépendants et ne sont pas susceptibles de le faire dans un proche avenir. Toujours est-il que dans cette Chine urbanisée et industrialisée tant que les travailleurs rejoignent les nombreuses grèves, leurs salaires augmentent.
La politique étrangère de la Chine de Mao à Deng et au-delà
Nous devons dire un mot au sujet de la politique extérieure de la Chine pendant les années Mao. Quand la guerre froide a éclaté, la République populaire de Chine, alors alliée à l’Union soviétique, a profité de la situation d’incertitude de l’après-guerre pour réaffirmer son contrôle sur le Tibet. Pendant la guerre de Corée, la Chine, avec le soutien de l’Union soviétique, intervient dans la Corée du Nord, et envoie plus de deux millions de soldats lutter contre la Corée du Sud et les forces américaines. Lorsque la révolution hongroise s’est déclenchée en 1956, la Chine a soutenu l’Union soviétique pour éliminer la révolte ouvrière.
Les choses ont commencé à changer dans les années 1960 quand la Chine s’est éloignée de l’Union soviétique. En 1964, la Chine a développé et testé la bombe nucléaire, rejoignant les États-Unis, l’Union soviétique, le Royaume-Uni et la France dans le club des puissances nucléaires. Dans les années 1960 cependant, les liens entre l’Union soviétique et la Chine se sont brouillés, et il y a même eu une petite guerre de frontière en 1969. Se trouvant face à la fois au conflit interne de la révolution culturelle et aux menaces de l’Union soviétique en 1972, Mao suivit la suggestion de Richard Nixon d’allier la Chine aux Etats-Unis.
L’alliance sino-américaine impliquait la coopération américaine et chinoise en Asie et en Afrique contre divers gouvernements et mouvements nationalistes et de gauche alliés de l’Union soviétique. (Bien qu’il y ait eu des exceptions à cette règle, comme dans le cas des Philippines où le PC pro-soviétique conclut un accord avec Marcos et le PC pro-Pékin entra dans l’opposition révolutionnaire.) Ainsi, par exemple, tandis que l’Union soviétique soutenait matériellement des mouvements de libération en Afrique australe, les États-Unis et la Chine s’y opposaient, en fournissant de l’aide matérielle à des régimes de pouvoir blanc, par exemple en Angola.
Après les réformes de Deng de 1978, l’alliance politique et militaire américano-chinoise s’est transformée essentiellement en une relation économique avec la Chine ouvrant ses portes aux capitaux américains, produisant des produits destinés au marché américain, et achetant les bons du Trésor américains qui ont financé la dette des Etats-Unis. Aujourd’hui, la Chine est devenue une puissance économique mondiale avec des investissements dans le monde entier, en particulier dans les industries extractives comme l’exploitation minière. [13]
Le nouveau leadership
La nouvelle direction de Xi Jinping veut relever le défi de continuer à développer l’économie de la Chine capitaliste bureaucratique tout en empêchant à la fois les protestations des paysans et des travailleurs de lancer un défi à son autorité. Dans le même temps, elle devra faire face à la persistance des tensions avec les Etats-Unis en tirant d’abord progressivement pour les dépasser économiquement ensuite, du moins en termes de PIB. La puissance économique de la Chine s’est accompagnée d’une augmentation de son influence politique dans le monde entier. Elle sera soutenue par une montée en puissance militaire si elle continue à développer ses capacités dans tous les domaines, allant de la cyber-guerre aux forces traditionnelles - militaire, navale et de l’air. Certains ont suggéré que la nouvelle Chine pourrait être capable de mener une politique étrangère pacifique, mais aucune nation capitaliste ne l’a jamais fait auparavant, et la Chine ne devrait pas être la première. [14]
La Chine étant devenue une grande puissance capitaliste, avec son système unique de capitalisme bureaucratique (qui doit connaître des réformes pour maintenir la nouvelle classe dirigeante au pouvoir), elle ne sera, comme les autres pays capitalistes, fondamentalement changée que par un mouvement de masse d’en bas. Même s’il y a eu 100 000 émeutes, grèves et autres protestations de centaines de milliers de travailleurs, de paysans, et autres, ceux-ci n’ont pas encore été en mesure de gagner le droit de former des syndicats indépendants ou d’autres organisations indépendantes. La lutte pour la démocratie en Chine est susceptible d’être longue, mais pour que cette lutte soit menée efficacement, il faut qu’une lutte pour le socialisme s’ouvre simultanément, comme le comprennent maintenant certains intellectuels et travailleurs chinois. La société socialiste démocratique qu’ils envisagent sera l’œuvre non pas du Parti communiste, mais du peuple lui-même.
Dan La Botz