Voilà deux jours qu’ils se renvoient la balle. Face au tribunal correctionnel de Paris devant lequel ils comparaissent depuis jeudi 29novembre pour « complicité de violation de secret professionnel, accès frauduleux à un système de données et détournement de finalité de données », Antoine Di Zazzo, directeur de SMP Technologies, distributeur du pistolet électrique Taser en France, et Gérard Dussaucy, policier en retraite reconverti en détective privé, se chamaillent par avocats interposés, sur l’air de « c’est pas moi, c’est lui ».
Assis à trois mètres d’eux, sur le banc de la partie civile, Olivier Besancenot et sa compagne, Stéphanie Chevrier, suivent cette bataille qui pourrait prêter à sourire si l’affaire dont ils ont été victimes ne constituait pas une grave atteinte à leur liberté.
D’octobre 2007 à janvier 2008, le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et sa compagne ont été espionnés selon des méthodes dignes des pratiques barbouzardes. Filatures, surveillance, consultation de fichiers de police, de comptes bancaires, prises de photos en compagnie de leur fils âgé de 3 ans à l’époque : un dispositif quasi policier a été mis en œuvre pour ne rien rater des faits et gestes de la famille Besancenot. Motif : M.Di Zazzo, vendeur du pistolet à impulsion électrique, n’avait pas apprécié que M. Besancenot dénonce la dangerosité de cette arme paralysante non létale. « Olivier Besancenot disait que le Taser avait tué 53 personnes, je lui demandais d’en citer au moins un », explique à la barre M.Di Zazzo.
L’ancien dirigeant de la LCR ne répondant pas, M. Di Zazzo décide de l’assigner devant un tribunal. Mais il faut d’abord le « loger », comme on dit en langage policier. Et pour ce faire, le patron de Taser France emploie les grands moyens : il s’adresse à Gérard Dussaucy. « Di Zazzo m’a dit : j’ai un problème avec Besancenot », déclare au tribunal l’ancien commandant de police. Celui-ci actionne ses réseaux – des policiers anciens ou en activité, un agent des douanes, un agent des impôts, un responsable de banque et sa jeune assistante. Huit personnes au total, également renvoyées devant la justice.
Les limiers ne négligent rien. Ils interrogent les voisins de la nounou du fils d’Olivier Besancenot, ils s’intéressent à la mère de sa compagne, ils fouillent dans les comptes bancaires au Crédit lyonnais... « C’est une violence incroyable, une pression inacceptable. La photo de mon enfant n’a rien à faire dans le bureau d’un directeur qui vend des pistolets », s’indigne Olivier Besancenot. « On a fouillé dans nos vies privées », renchérit Stéphanie Chevrier qui veut savoir « à quelles fins malveillantes et pour le compte de qui » on a violé son intimité.
Ni M. Dussaucy ni M. Di Zazzo ne démentent les faits, mais les deux cherchent à se dédouaner l’un sur l’autre. « Je ne savais pas à l’avance ce que le client voulait », se défend à la barre le premier, qui reconnaît les faits et l’illégalité de ses actes, mais se désole de ne pas avoir « la mémoire des dates » lorsque le tribunal l’interroge plus en détail.
« HALLUCINATION INTELLECTUELLE »
Combien a-t-il empoché pour ce travail ? Il n’en a « aucune souvenance ». Pourquoi a-t-il accepté d’enfreindre la loi ? « Di Zazzo était en furie. » Ce dernier avait entendu dire que Besancenot roulait en Porsche-Cayenne et disposait d’une fortune cachée. « J’avais une pression avec cette Porsche », se lamente l’ancien policier. C’est pour la repérer qu’ils ont pris en chasse la compagne du dirigeant de la LCR et qu’ils ont photographié son fils. « On a fait des investigations énormes sur cette voiture. Pour rien. Elle n’existait pas », raconte-t-il. Mais avec cette histoire de Porsche, Di Zazzo se mettait dans de tels états, que Dussaucy avait « un peu peur ».
« Hallucination intellectuelle », réplique Antoine Di Zazzo. Avec son faux air de Julio Iglesias, le chef d’entreprise rejette la responsabilité sur son ancien client. Selon ses dires, il n’a rien demandé ou presque. Tout juste a-t-il cherché à obtenir l’adresse d’Olivier Besancenot : « Mais pour moi, après cette mission, l’affaire était terminée. » La preuve ? « Ça m’a coûté 583 euros et je n’ai jamais dépensé un euro de plus. » Certes, il se rappelle qu’en juillet 2007, Gérard Dussaucy avait évoqué une voiture de luxe et un appartement que possédait le leader de la LCR. « Il m’a proposé de vérifier ça : je lui ai dit oui, à l’occasion. Mais c’était un bavardage », dit-il.
A l’en croire, jamais, il n’a « missionné Dussaucy pour enquêter sur Besancenot », mais comme son avocat lui avait recommandé de demander 50000 euros de dommages, il voulait « savoir si ce n’était pas excessif ».
L’audience, qui reprend lundi, est programmée jusqu’au 5 décembre.
Yves Bordenave