Les forêts européennes [1] ont été plus ou moins profondément perturbées, consécutivement à la croissance et au développement des populations humaines. Défrichées, morcelées, fréquemment surexploitées, elles ont connu un renouveau quantitatif depuis le début du XIXe siècle, marqué par l’exode rural et le remplacement du bois de feu par les énergies fossiles. Parallèlement à leur extension en surface, leurs structures ont évolué en faveur de la futaie et au détriment des taillis et taillis-sous-futaie.
La futaie se définit comme une forêt se renouvelant grâce à des semis, par opposition au renouvellement par rejets de souches, propre aux taillis. Sur la base de cette simple définition, la structure en futaie correspond incontestablement à la structure des forêts naturelles. Mais, paradoxalement, la promotion de la futaie a pu conduire dans nombre de situations à des excès, défavorables à la diversité biologique naturelle des forêts. La futaie constitue cependant le mode de traitement susceptible de répondre au mieux aux fonctions plurielles intégrées des forêts, de protection des sols et de ressources en eaux, de conservation et de reconstitution de la flore et de la faune sauvage et de leurs habitats, d’accueil du public et de production de ressources : bois, mais aussi fruits, champignons et animaux.
Après avoir décrit quelques caractéristiques des écosystèmes forestiers et analysé les principales conséquences de l’action de l’homme sur les forêts, nous présentons les bases conceptuelles d’une gestion forestière pérenne et performante, c’est-à-dire capable de répondre en permanence simultanément à l’ensemble des fonctions dévolues aux forêts.
Cette gestion repose en particulier sur l’analyse du fonctionnement naturel des écosystèmes forestiers. La constitution d’un réseau de forêts non exploitées constitue de ce fait un enjeu fondamental pour les sciences forestières. Outre son intérêt scientifique, ce réseau répond également à un enjeu écologique et social, trop négligé jusqu’à présent. Qu’elle soit exploitée (cas général) ou non (cas exceptionnel), nous plaidons enfin pour que toute forêt soit ouverte au public et non réservée à une catégorie d’usage ou d’usagers.
1. Les forêts naturelles, des systèmes dynamiques
Les forêts européennes ont évolué en fonction des variations climatiques qui, depuis le Quaternaire se sont caractérisées par des successions de périodes de refroidissement glaciaires et des périodes de réchauffement interglaciaires. La composition floristique des forêts traduit fidèlement les conditions climatiques qu’elles rencontrent, au point que l’analyse des grains de pollen piégés et conservés dans les tourbières permet d’identifier les types d’essences présents à une époque donnée, voire même de déterminer approximativement leurs proportions respectives, et d’en déduire alors les conditions climatiques régnantes (Ozenda, 1994).
Avant que l’homme n’entame de grands défrichements, les forêts européennes recouvraient la quasi-totalité des terres à l’exception d’enclaves steppiques ou marécageuses, des hautes montagnes et de l’Extrême Nord. Ces forêts étaient en équilibre avec le sol et le climat (Blandin, 1995).
Loin de l’idée de systèmes figés relevant d’une conception muséographique, les écosystèmes forestiers forment des systèmes dynamiques dont la perpétuelle transformation a pour moteur, au pas de temps millénaire les évolutions climatiques et à l’échelle séculaire, les perturbations. Celles-ci sont des événements aléatoires de récurrence et d’intensité très variables en fonction de leur nature, d’origine géologique (volcanisme, glissement de terrain, etc.), climatique (vent, neige, avalanche, feux, foudre, inondation, etc.) ou encore biotique (maladie, prédation, sénescence et mort des ligneux, etc.).
Nous entendons ici par forêt naturelle, une forêt dont le développement n’est pas conditionné par les interventions de gestion sylvi- cole. Les perturbations de petite et de moyenne ampleur conditionnent le renouvellement des forêts naturelles européennes, selon un processus universel rencontré dans toutes les forêts du globe, la sylvigenèse. La forêt peut être représentée comme une mosaïque en évolution permanente à l’image d’un kaléidoscope, constituée de quatre unités qui se succèdent dans l’espace et le temps (Oldeman, 1990) (fig. 1.) :
[Les figures ne sont pas reproduites ici. Se reporter à l’original.]
1) l’unité de régénération, de taille très variable (de quelques ares à quelques dizaines d’ares), rencontrée dans les trouées provoquées par la chute d’un ou de plusieurs grands arbres (chablis) ;
2) l’unité d’« aggradation », représentée par des jeunes arbres en pleine croissance ;
3) l’unité de « maturité », représentée par des arbres de grandes tailles croissant en épaisseur ;
4) l’unité de dégradation, représentée par des arbres sénescents : leur chute annoncera le départ d’une nouvelle unité de régénération.
II ne s’agit ici que d’une représentation schématique : il arrive fréquemment que la chute d’un ou de plusieurs arbres intervienne avant que le peuplement n’atteigne ce dernier stade. Par ailleurs, un arbre sénescent peut mourir sur pied sans provoquer pour autant de phénomènes de chablis. Peut intervenir à ce moment là un mécanisme de substitution, c’est-à-dire de remplacement de l’arbre dominant mort par un arbre plus jeune situé à côté. La sylvigenèse peut être localement bloquée par une absence de régénération due, entre autres, à une perturbation biotique de prédation herbivore et permettre l’apparition plus ou moins temporaire de clairières.
Etant donné la longévité considérable atteinte par certaines espèces d’arbres (plusieurs siècles), les unités de maturité et de dégénérescence sont fréquemment majoritaires dans une forêt naturelle. L’âge moyen des arbres formant la voûte forestière peut être de l’ordre de 300 ans. Les plus vieux chênes peuvent dépasser les 500 ans, les plus vieux pins sylvestres, épicéas et mélèzes les 300 ans (Schnizler, 1996), comme l’avait déjà rigoureusement établi Le Play il y plus d’un siècle, dans un manuscrit qui vient d’être publié (Le Play, 1996). Les arbres à des degrés de sénescence et de décomposition divers sont également très abondants, y compris dans les phases d’aggradation, marquées par une forte concurrence entre les jeunes arbres conduisant à l’élimination de nombre d’entre eux. Pour ces raisons, les forêts naturelles se caractérisent par une biomasse et une nécromasse considérables (Walter, 1991).
Des perturbations de grande ampleur, telles que les tornades ou les incendies – ou encore les crues et les avalanches – peuvent provoquer la destruction de l’édifice forestier sur de vastes surfaces, de quelques hectares à plusieurs milliers, provoquant des phénomènes de rajeunissement et de succession, caractérisés par le rassemblement de nombreuses unités de régénération, entremêlées avec les arbres abattus et les arbres plus ou moins clairsemés maintenus sur pied. Ces événements perturbateurs naturels de grande ampleur peuvent intervenir dans tous les types de forêts du globe mais sont rares et localisés dans la zone tempérée, exceptionnels dans la zone tropicale humide. Dans la zone boréale, ou dans l’étage montagnard, ils peuvent par contre être beaucoup plus fréquents. Dans ces situations spécifiques, les forêts naturelles peuvent présenter des structures uniformes (classe homogène de diamètre) sur de vastes surfaces.
En raison de la taille variable des chablis et du caractère rare et aléatoire des perturbations de grande ampleur, les forêts européennes tempérées sont fondamentalement hétérogènes, quelle que soit l’échelle à laquelle leur structure est analysée. Au niveau horizontal, les forêts naturelles constituent une succession de faciès correspondant à autant de combinaisons entre les différentes unités de la « mosaïque sylvatique » (Oldeman, 1990). Il en résulte au niveau vertical, une diversité de structures, caractérisée par la variabilité du nombre de strates rencontrées, allant de une jusqu’à 6 ou 7 strates (dans les unités de maturité des forêts les plus complexes).
2. Les forêts naturelles, des forêts diversifiées
Les perturbations sont fondamentalement responsables de l’entretien de la diversité biologique (Blondel, 1995 ; Ramade, 1995 ; Peterken, 1996). A chaque catégorie de perturbation, de la simple sénescence d’un arbre à la mise à terre d’une vaste surface après une tornade, correspondent des possibilités d’installation et de développement d’un cortège d’espèces, qui ne doivent leur survie qu’au renouvellement dans le temps et dans l’espace de leurs habitats. En résumant, la diversité biologique des forêts naturelles dépend de trois éléments fondamentaux :
1) la variabilité des faciès et la diversité des structures, qui conditionnent la diversité des habitats rencontrés, tant pour ce qui concerne la flore que la faune. La taille et la localisation variables des trouées permettent à tous les éléments de la flore forestière de se développer en fonction de la gamme de facteurs écologiques rencontrée (degré d’ensoleillement notamment). Ceci peut être illustré par l’exemple des essences forestières. Les essences dites d’ombre, qualifiées de « dryades » (houx, sapin, hêtre, épicéa, etc.), se contentent pour se régénérer du sous-bois ou de phénomènes de substitution ou, encore, de petites trouées. Les essences dites de lumière, qualifiées de « pionnières » (bouleaux, saules, peupliers, etc.) colonisent les trouées de taille plus importante. Entre ces deux catégories, les « nomades » peuvent s’installer suivant le cas, soit en pleine lumière, soit en lumière tamisée (chênes, merisiers, érables, frênes, ormes, etc.). Elles s’installent par conséquent dans les trouées de taille intermédiaire ou dans les ouvertures de taille plus grande en compagnie des essences pionnières. La nature de la flore et de la végétation herbacées dépend elle aussi de la variabilité infinie des situations rencontrées. De même, la diversité de la faune dépendra directement de celles des habitats offerts par la diversité de la végétation et de ses structures ;
2) La présence de la phase de sénescence, succédant à la phase de maturité écologique, qui cor- respond à la phase hétérotrophe [2] du cycle forestier. Dans les conditions naturelles, cette phase se prolonge durant une longue période, jusqu’à décomposition complète. Elle offre des habitats particuliers, fondamentaux pour de très nombreux éléments spécifiques de la flore et de la faune forestières, dont le cycle de vie dépend des habitats et de la matière nutritive apportés par les grands arbres sénescents ou en décomposition (Speigt, 1987 ; Bernier, 1995) : champignons, lichens, mousses, fougères, insectes et autres invertébrés, oiseaux et mammifères cavernicoles. L’ensemble de ces processus est par conséquent à l’origine d’une formidable diversité biologique, spécifiquement forestière ;
3) Le fonctionnement en cycle fermé, qui met à la disposition du monde hétérotrophe la considérable nécromasse résultant de la dégradation de la totalité de la biomasse produite lors des phases autotro- phes (Carbiener, 1995).
3. Les forêts naturelles, des forêts adaptées aux perturbations
Toutes les forêts du globe sont sujettes à des perturbation biotiques et abiotiques en permanence. Cependant, l’on constate que l’ampleur de ces perturbations varie en fonction de la diversité des peuplements, liée à leurs situations biogéographiques. Il peut être observé à l’échelle des grands biomes forestiers une propriété fréquemment observée en écologie, à savoir une corrélation positive entre stabilité/élasticité et complexité/diversité.
Alors que les attaques parasitaires massives défraient régulièrement la chronique au sujet des forêts boréales, naturellement peu diversifiées (pauvres en espèces végétales), une telle situation n’est jamais décrite dans le cas des forêts équatoriales humides. Dans les grandes forêts diversifiées de notre planète, qui concentrent la plus formidable diversité en insectes du monde, aucun insecte phytophage ne pullule au point de défolier des centaines d’hectares de forêt, comme cela peut être observé a contrario, dans les forêts boréales. Ceci ne veut nullement dire que dans une forêt diversifiée (riche en espèces végétales) des pullulations n’interviennent pas en permanence ; cependant, elles sont limitées dans le temps et dans l’espace. Une synthèse bibliographique sur les risques sanitaires a été réalisée récemment au sujet des forêts tempérées européennes et nord-américaines (Barthod, 1994, 1995). Le fait le plus significatif de cette étude est que la totalité des cas de pullulation décrits concerne des forêts très simplifiées, mono- ou oligospécifiques, parfois déséquilibrées en raison de l’activité sylvicole. Aucune forêt véritablement diversifiée et complexe n’est mentionnée. Malgré cela, et sans pouvoir généraliser, l’auteur distingue déjà un effet positif du mélange de quelques essences et de la présence d’un sous-étage sur la limitation de certaines pullulations d’insectes.
Cette étude illustre le caractère fondamentalement fragile des structures simplifiées. Les écosystèmes forestiers naturels simplifiés mais diversifiés génétiquement sont adaptés aux conditions climatiques et biotiques particulièrement contraignantes de la zone boréale. Par contre, ce modèle, transposé dans des conditions écologiques radicalement différentes, présente une instabilité et une fragilité, le rendant incapable de se maintenir. La diversité biologique représente un important facteur de correction des perturbations et de stabilisation des écosystèmes forestiers.
4. L’impact de l’Homme sur les forêts
On estime que l’influence humaine intervient sur les processus sylvigénétiques depuis le Mésolithique [3]. Cette influence représente des perturbations d’ampleurs très variables : petites perturbations dues à une récolte-cueillette, perturbations moyennes dues à des coupes forestières ou des incendies et grosses perturbations liées à la croissance des populations humaines. L’influence humaine progressive sur les forêts s’est schématiquement manifestée par quatre grands types de modifications :
1) la diminution de l’étendue des forêts, accompagnée de leur morcellement : elle a atteint glo- balement son maximum en Europe au début du XIXe siècle, qui correspond à la fois à une période de forte augmentation des densités humaines et de développement industriel grand consommateur d’énergie. Il a été estimé que les forêts ne couvraient alors plus approximativement qu’un 1/8C du territoire de la France actuelle, alors qu’elles en auraient occupé environ la moitié au Moyen Age. Les espaces boisés couvrent aujourd’hui un quart du territoire national, soit environ 15 millions d’hectares (Gadant, 1995) ;
2) les modifications de la structure et de la composition floristique des forêts, liées aux activités d’exploitation du bois. D’abord simple cueillette, l’exploitation devient furetage plus ou moins intensif, où la récolte s’accompagne d’un souci de renouvellement de la ressource. Lorsque les besoins s’accroissent, les futaies se transforment souvent en lieux de pâturage, parfois excessifs, et surtout en taillis et taillis-sous-futaie qui marquent le développement des besoins en bois de feu, concomitam- ment au maintien d’une demande soutenue en bois d’œuvre. L’exploitation forestière sélectionne le développement de quelques essences forestières particulièrement appréciées comme, par excellence, le chêne.
Au XIXe siècle, les forêts européennes ont connu une révolution sylvicole due au déclin de la demande en bois de feu pour l’industrie et à la persistance du rôle économique des forêts productrices de bois d’œuvre et de bois de mine par la promotion de la futaie. En théorie, ce retour de la futaie peut correspondre à la reconquête par la forêt de structures plus proches des structures naturelles. C’est le cas lorsque certaines écoles de sylviculture préconisent de rationaliser le furetage au profit d’une exploitation plus intensive d’une forêt maintenue en place en permanence et exploitée en proportion de son accroissement en bois. Cette conception prévaut en particulier en Autriche, en Suisse et dans le Jura français. Elle concerne en majorité des forêts de montagne. Elle a cependant été marginalisée par le déploiement de la nouvelle méthode de la futaie régulière. Celle-ci propose de remplacer les anciennes structures forestières par de nouvelles forêts divisées en parcelles uniformes d’arbres de même âge, de manière à ce que la répartition régulière des classes d’âge permette un renouvellement de la production : une parcelle exploitée en fin de révolution est remplacée par une nouvelle génération, et ainsi de suite. Cette méthode a été d’abord employée en Allemagne et en Europe du Nord, puis s’est répandue dans maints pays ;
3) la quasi-disparition des phases de maturité écologique et de sénescence, due à l’exploitation systématique du bois, qui provoque en elle-même un profond bouleversement de l’écosystème forestier, quelle que soit la méthode de gestion, même si celle-ci n’est pas sans influence. En effet, comme nous venons de le voir, les forêts naturelles sont constituées d’une mosaïque de quatre unités fondamentales, où les unités de maturité et de sénescence ont une importance au moins aussi grande que les unités de régénération et d’aggradation. Or, l’exploitation économique du bois provoque son extraction hors de la forêt lorsqu’il est en pleine phase de maturité écologique. Une très importante diversité biologique méconnue, car cachée, des forêts naturelles européennes est dépendante de la présence de ces phases de maturité suivie des phases de dégradation. Ces deux phases sont devenues rarissimes dans les forêts d’Europe et ne subsistent pratiquement plus que dans des écosystèmes forestiers mar- ginaux inaccessibles (pentes fortes en montagne,...) et de trop rares zones de protection absolue ;
4) les déséquilibres des populations de grands carnivores et de grands herbivores, provoqués par l’Homme, lequel a de tout temps été un puissant facteur d’intervention sur les populations animales, au point qu’il est parfois considéré, entre autres hypothèses, comme un facteur de l’extermination de la grande faune du Paléolithique et comme un agent favorable au développement de la forêt au Mésolithique de par ses prélèvements effectués sur les populations d’herbivores.
La situation actuelle est marquée par la quasi-absence des grands prédateurs et les déséquilibres des populations de grands herbivores. En Europe centrale, les chasses privatives entretiennent une conception de « chasse récolte », où le souci de « gérer » les cheptels contribue très largement à accentuer les déséquilibres conduisant au maintien d’effectifs importants de cervidés. Cette situation n’est pas sans conséquences sur les contraintes et conceptions de gestion sylvicole, conduisant à les « simplifier » et à accélérer les durées de renouvellement. En Europe méridionale, au contraire, les traditions cynégétiques de « chasse cueillette » provoquent le maintien de populations de grands her- bivores à des effectifs anormalement bas (Hell, 1994).
Aujourd’hui les forêts sont confrontées à une nouvelle crise de grande ampleur, le dépérissement forestier aux multiples facettes. Quant aux populations animales, elles sont l’objet d’autres menaces perturbant leur maintien, voire leur survie, de par l’accroissement considérable de la densité et de l’envergure des infrastructures de transport. La multiplication des éclairages de nuit empêche la faune nocturne de trouver des conditions naturelles d’existence et perturbe sa reproduction (cas en particulier des insectes). L’introduction de génotypes étrangers (cas de la populiculture) représente également une menace pour de nombreux insectes incapables de se reproduire sur ces plantes-hôtes de substitution (Blab et al, 1988).
5. Croissance en surface, mais... qualité écologique contrastée
Alors que depuis un siècle, les politiques forestières menées dans la plupart des pays européens ont conduit à une extension quantitative significative des surfaces forestières, ce mouvement ne s’est pas traduit par une amélioration équivalente de la diversité biologique et paysagère des forêts.
Certaines forêts européennes ne méritent pas ce nom. Il en est ainsi par exemple des plantations d’eucalyptus dans la Péninsule ibérique, des plantations de peupliers dans la plaine du Pô en Italie ou encore des monocultures de pin maritime dans le Sud-Ouest français ainsi que des innombrables plantations de résineux en Europe de l’Ouest et centrale. Ce ne sont que des « champs d’arbres », très pauvres sur le plan biologique et dépourvus des propriétés écologiques et structurales propres aux écosystèmes forestiers (Carbiener, 1978). D’autres encore se sont considérablement appauvries en raison de leur conversion brutale en futaie régulière mono- ou oligospécifique. Par contre, d’autres forêts, issues d’une conversion lente des taillis et taillis-sous-futaie en futaie se sont améliorées sur le plan écologique. Certaines ont vu conserver ou améliorer leur qualité en raison d’une gestion par futaie irrégulière. Enfin, mentionnons les rares vestiges des forêts à caractère naturel qui subsistent avant tout en montagne (des milliers d’hectares dans les chaînes du Système alpin et du Massif hercynien) mais parfois aussi encore en plaine dont les plus grandes et remarquables se situent en Europe centrale (Pologne, Biélorussie,...) et des vestiges beaucoup plus restreints sur les rives des grands cours d’eau.
Autre évolution : les forêts péri-urbaines à la fonction sociale prépondérante et éminemment importante des grandes villes et des banlieues ont diminué de façon irréversible au profit de l’urbanisation et des infrastructures de transport, ou ont été, elles aussi, appauvries par la gestion forestière. Parallèlement, la déprise agricole favorise le redéploiement naturel de la forêt. Ses premiers stades de développement, souvent qualifiés de manière péjorative de friches, cèdent la place à des forêts naturelles, adaptées aux conditions locales de vie. Si cette situation, conséquence de l’exode rural, est liée à l’abandon d’une gestion équilibrée de l’espace agricole et se caractérise par la perte d’un paysage en mosaïque avec alternance de milieux ouverts et fermés, un regard rationnel sur cette évolution permet de la considérer moins négativement. Elle annonce en effet le retour, en l’espace de plusieurs décennies, d’une forêt diversifiée d’une grande qualité écologique et pouvant accroître à l’avenir à moindre frais (comparativement aux opérations de reboisement) la production de bois, tout en contribuant au maintien d’activités rurales (Guinochet, 1947 ; Carbiener, 1989).
La fragmentation, la simplification des structures, la sélection trop exclusive des seules essences commerciales, la promotion d’un système de production discontinue (futaie régulière), anéantissant - à l’échelle de la parcelle - l’écosystème forestier à chaque révolution, la coupe systématique des arbres sénescents, même sans valeur économique, et, enfin, le recours à la mécanisation lourde et au drai- nage représentent autant de menaces pour la diversité des espèces végétales et animales (Carbiener, 1995). Un bon nombre de ces dernières nécessitent pour vivre une forêt naturellement hétérogène, riche en habitats et en ressources alimentaires. Les gallinacés forestiers (Grand tétras, Tétras lyre, Gelinotte) qui peuplaient au XIXe siècle encore la quasi-totalité des forêts d’Europe connaissent un déclin dramatique de leurs effectifs dans la presque totalité des massifs forestiers, en raison des effets conjugués de l’appauvrissement des structures forestières et de l’accroissement de la fréquentation (ONC, 1994). Ils sont les symboles les plus connus et facilement identifiables de la fragilité des espèces animales typiquement forestières vis-à-vis des fortes perturbations humaines. Parmi ces espèces, il en est qui ne peuvent se développer que dans une forêt mature, au sol riche en humus non perturbé ou encore pourvu en branches et troncs morts, creux ou en décomposition. L’ensemble de la faune et de la flore plus particulièrement inféodée à la présence de bois mort est tout particulièrement menacé (Speigt, 1987).
L’artificialisation des forêts européennes a pu aussi les rendre plus fragiles par rapport aux événements naturels. Ainsi les tempêtes qui ont balayé l’Europe entre janvier et mars 1990 ont abattu un volume de bois sans équivalent dans le passé et leur impact a pu être qualifié de « millénaire ». A elles seules, elles ont détruit plus du quart de tous les bois anéantis par les grands vents depuis le début du XIXe siècle, tandis qu’entre 1965 et 1990, il est tombé deux fois plus de mètres cubes que durant tout le siècle précédent (Doll. 1990). La localisation prépondérante des dégâts dans les peuplements artificiels (constatée en Allemagne dès les années soixante), en particulier ceux de résineux denses et mal éclaircis et a contrario la bonne résistance des forêts diversifiées ne laissent pas de doute sur la part de responsabilité d’un certain type de sylviculture dans ce phénomène. A titre d’exemple, lors de la grande tempête de 1972 en Allemagne, qui a renversé en quatre heures 24 millions de mètres cubes, les pertes en arbres pouvaient concerner jusqu’à 52% du « stock » sur pied, voire même 73% dans deux forêts gérées en futaie régulière, alors qu’elles n’ont concerné « que » 20% des arbres dans une forêt gérée en futaie irrégulière depuis 1890 (De Turkheim, 1990). Il n’est par ailleurs plus à exclure que la fréquence des tempêtes aurait augmenté consécutivement à une évolution climatique. Le dépérissement forestier est aussi évoqué comme cause possible de l’accroissement des dégâts de chablis en forêt.
A l’instabilité vis-à-vis des événements météorologiques s’associe une instabilité face aux attaques parasitaires. Celles-ci existent en toutes forêts, mais elles ont cependant pu prendre une ampleur dé- mesurée conduisant parfois à la catastrophe. C’est par exemple le cas avec les pullulations de certains scolytes qui se sont massivement attaqués aux « forêts » artificielles de résineux, avec d’autant plus de vigueur qu’elles étaient inadaptées aux conditions écologiques.
Malgré ce tableau très contrasté et en raison de la lenteur des processus de transformation des forêts, ces dernières constituent encore souvent et potentiellement le refuge par excellence de la vie sauvage (cette situation s’explique aussi pour beaucoup par l’évolution récente des pratiques agricoles, ayant profondément appauvri les milieux ouverts). Pour le public elle en reste le meilleur symbole. Certains événements, comme le retour et l’expansion de la cigogne noire en France, grand échassier forestier farouche et sensible aux dérangements, sont particulièrement réjouissants (Ducquet et Michel, 1994).
6. Concevoir une évolution des pratiques de gestion des forêts
La gestion des forêts européennes est confrontée à de nouveaux défis. Elle doit désormais être conçue afin de satisfaire pleinement, simultanément et continuellement les différentes fonctions attendues de toute forêt : 1) la fonction économique, de production de bois, mais aussi de champignons, de baies, d’animaux, et également de régulation de la ressource eau ; 2) la fonction écologique de maintien des grands équilibres (protection des sols, protection et recharge des nappes phréatiques) et de respect de la diversité biologique naturelle, tout particulièrement de toutes les innombrables espèces typiquement forestières allant des grands prédateurs (lynx, ours) aux invertébrés, champignons et micro-organismes spécialisés dans la décomposition du bois mort ; 3) la fonction sociale, d’accueil du public, qui trouve dans la forêt un terrain de détente, de divertissement, de revivification, d’exercice physique, de découverte naturaliste et de stimulation sensorielle ; 4) enfin les forêts représentent un patrimoine culturel et mythologique qui constitue l’archétype et le fondement toujours actuel de nos relations à la nature.
Depuis la dernière Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement tenue à Rio en juin 1992, les foresteries européennes peuvent encore moins se contenter d’assurer un simple renouvellement quantitatif de la ressource, sans trop de considération pour la qualité et la productivité écologique réelles des forêts (Blandin, 1995). Le développement durable implique en effet la définition d’une gestion où l’exploitation économique de la ressource bois se conjugue avec le respect de toutes les potentialités de la diversité biologique. Il nécessite également qu’une véritable concertation s’établisse entre les gestionnaires chargés des forêts et les populations locales, par la mise en place d’outils appropriés qui permettraient d’aller au delà de simples structures d’information à sens unique, génératrices de conflits (Pointereau, 1995).
Les Etats européens ont décidé d’engager une réflexion commune sur l’application dans les forêts européennes de la convention mondiale sur la diversité biologique signée à Rio. La conférence minis- térielle d’Helsinki, tenue en juin 1993, considère que la gestion forestière doit assurer la stabilité, la vitalité, la capacité de résistance et d’adaptation des écosystèmes forestiers tout en estimant que la conservation et l’augmentation de la diversité biologique sont un élément fondamental des forêts pé- rennes. La mise en œuvre de ces excellents principes laisse augurer des meilleures perspectives de développement (qualitatif) des forêts européennes. Il convient cependant de définir correctement les termes employés, en précisant en particulier le concept de diversité biologique. Trop souvent celle-ci semble être appréhendée uniquement sous l’angle terriblement restrictif et trompeur de la composition en quelques espèces ligneuses. Dans ce sens, une plantation artificielle de douglas, d’épicéa et de mélèze toutes trois espèces allochtones dans les Vosges (sauf exception très localisée pour l’épicéa), serait considérée comme plus diversifiée qu’une hétraie-sapinière exploitée en futaie irrégulière, considérablement plus accueillante pour la faune et la flore. La sauvegarde du patrimoine biologique européen nécessite de conserver ou de reconquérir une plus grande naturalité, ce qui implique le respect global des différents éléments de la faune, de la flore, en rapport avec les séries de végétations de la zone biogéographique concernée.
7. Exploiter le bois en s’appuyant sur l’écologie forestière...
Il serait erroné de considérer la nécessaire « conciliation entre économie et écologie » comme une nouvelle contrainte. De multiples exemples ont déjà mis en évidence qu’une gestion forestière respectueuse de la structure hétérogène et de la diversité naturelle des forêts parvient à de très bons résultats économiques en raison de la production stable et soutenue de bois de qualité ainsi que des importantes économies de travaux de préparation et d’entretien des jeunes générations (Carbiener, 1995 ; Duchiron, 1994 ; Pro Silva, 1993).
La science écologique apporte une explication logique à ces résultats. Les forêts naturelles sont en effet les principaux écosystèmes terrestres intrinsèquement capables de se maintenir perpétuellement en place, sans jamais disparaître. Dans ce sens elles sont stables par excellence et cette stabilité permet le développement d’un écosystème particulièrement complexe, adapté au sol et en équilibre avec le climat. Phénomène remarquable, résultat d’une évolution s’étendant sur des durées « géologiques », cette situation d’équilibre conduit à une amélioration des capacités productives de l’écosystème en améliorant la fertilité du sol grâce à une activité microbiologique intense, dépendante du volume et de la diversité de la biomasse végétale, elle-même dépendante des conditions climatiques et édaphiques (Blandin, 1995, Carbiener, 1991, Ozenda, 1994). Si l’on considère que la « fonction » même de la diversité biologique est de permettre une exploitation optimale des ressources du milieu (Barbault, 1994 ; Carbiener D., 1995 ; Carbiener R., 1991 ; Reichholf, 1993), il peut en être déduit que plus la diversité biologique sera grande, mieux les ressources seront exploitées. En outre, plus la diversité biologique sera grande, plus des mécanismes de régulation variés et complexes sont susceptibles d’intervenir, rendant la forêt plus résistante, c’est-à-dire moins vulnérable, et donc plus productive. Plus l’écosystème forestier sera stable et productif, plus - en milieu tempéré - il sera susceptible d’une valorisation économique conséquente. Celle-ci s’appuiera alors sur l’écologie et la diversité biologique et ne se fera pas à leurs dépens.
La diversité biologique intervient dans toutes ses composantes pour assurer un meilleur fonctionnement de l’écosystème, c’est-à-dire cette exploitation optimale des ressources disponibles. Ainsi, la multiplication du nombre d’espèces ligneuses permet une utilisation plus efficace des ressources minérales, grâce aux phénomènes de complémentarité entre les espèces, entraînant une fermeture des cycles biogéochimiques (Carbiener, 1991). L’appauvrissement des peuplements par la sylviculture peut conduire au contraire à une dégradation des performances de l’écosystème. A titre d’exemple la transformation d’une chênaie-hêtraie de la forêt de Fougères en Bretagne en une hêtraie pure a provoqué une dégradation de la qualité de l’humus, évoluant du mull vers un dysmoder (Toutain, 1981). Le mélange des essences améliore les litières et stimule l’activité microbienne. Il en va de même lors du remplacement des forêts climaciques de feuillus en montagne par des champs d’épicéa (Souchier, 1984 in Carbiener, 1991).
Le respect de la diversité des essences entraîne généralement une diversification des structures : irrégularité des peuplements, variabilité de la taille des unités de régénération, en fonction des exigences propres à chaque essence. La diversité des structures et des espèces ligneuses forestières conditionne à son tour la diversité de la faune. Celles-ci s’organisent alors en peuplements aux relations trophiques complexes, susceptibles d’atténuer l’ampleur et la durée des phénomènes de pullulations d’insectes ravageurs. Dans les forêts alluviales rhénanes, rarissime exemple de forêts denses caducifoliées européennes (Carbiener, 1970), remarquablement riches en espèces ligneuses et structurées, la diversité spécifique et la densité en oiseaux forestiers atteignent des records : jusqu’à 38 espèces et 129 couples pour 10 ha, soit des densités comparables aux forêts à caractère naturel européennes, alors que la densité moyenne dans les forêts européennes, tous types confondus, est d’environ 65 couples pour 10 ha (Dronneau, 1995). A l’opposé, dans le même type de milieu, une peupleraie artificielle âgée d’une vingtaine d’années n’accueille que 3 espèces avec une densité limitée à 7 couples pour 10 ha. Les insectes présentent également une densité et une diversité remarquables, alors que ces forêts ne sont pas l’objet d’attaques parasitaires massives.
La foresterie aura toujours avantage à développer des modes de gestion s’appuyant sur une observation et une analyse fines du fonctionnement des forêts naturelles. Nous avons déjà évoqué la relative instabilité des forêts soumises aux contraintes du climat en zone boréale. En zone némorale [4] les forêts naturelles connaissent des conditions plus clémentes et acquièrent une complexité et une diversité incomparables. Ainsi, la forêt naturelle du parc national de Bialowieza à l’est de la Pologne a une structure fortement hétérogène, une extraordinaire diversité en espèces végétales et animales, présente des arbres de dimensions remarquables - l’épicéa atteint jusqu’à 57 m et dans les stations les plus fertiles, le chêne pédoncule, le frêne et le tilleul atteignent jusqu’à 40-42 mètres de hauteur - tout en étant d’une grande stabilité (Falinski, 1991). Malgré la violence des tempêtes, jamais la forêt n’est détruite. Malgré, ou plus exactement grâce à la formidable diversité des insectes et des oiseaux, aux complexes relations trophiques et mécanismes de régulation, jamais la forêt n’est atteinte par des attaques parasitaires d’envergure. Cette forêt présente en outre une capacité d’accueil de la grande faune, y compris herbivore, exceptionnelle (Sales, 1995). Or Bialowieza ne correspond pas à une situation biogéographique optimale pour la forêt tempérée. D’autres exemples, hélas absents en Europe, offriraient probablement des bilans encore plus remarquables.
Les performances de la fonction économique des forêts dépendent d’un certain nombre de conditions que nous énumérons ci-dessous :
1) les dépenses doivent être minimisées. Pour cela, les frais de régénération, d’entretien et de sélection doivent être réduits en utilisant au mieux les mécanismes naturels d’autorégénération de la forêt, et même d’« automation biologique » d’un grand nombre de processus : élagage, dépressage, etc. ;
2) la production doit être orientée vers le bois d’œuvre qui acquiert le maximum de valeur : troncs de grande qualité et de forte dimension. Le choix d’une production en faveur du bois d’œuvre ne provoque pas l’abandon des autres utilisations du bois telles que l’extraction de la cellulose pour le papier ou la combustion pour le chauffage, bien au contraire : plus de bois d’œuvre sera produit, plus important sera le volume de produits connexes (branches, chutes de scierie) (Bazire et Gadant, 1991) ;
3) la forêt doit être le plus à l’abri possible des agressions telles que les tempêtes et les attaques parasitaires, qui perturbent les cycles de production et conduisent à des pertes économiques parfois très importantes, tout en provoquant des turbulences dans le marché du bois.
Une gestion écologique doit permettre d’aboutir à une forêt « multifonctionnelle », réellement performante simultanément au niveau de chacune de ses fonctions rappelées précédemment. La gestion écologique se définit comme une gestion qui s’appuie avec attention sur les processus naturels de régénération, de croissance et de stabilisation des forêts. Les forêts à caractère naturel non exploitées constituent un domaine de référence fondamental. Les connaissances acquises grâce à l’analyse de leur fonctionnement, combinées à l’expérience empirique des forestiers, permettent et permettront d’affiner toujours plus une gestion caractérisée par sa nature expérimentale (Pro Silva, 1996).
On devrait retrouver en toute forêt gérée les quatre unités élémentaires de la mosaïque forestière caractéristiques de la grande majorité des forêts naturelles européennes. Dans les forêts gérées, la structure irrégulière se distingue principalement par la grande irrégularité - ou diversité - des structures rencontrées. Contrairement à une idée reçue, elle ne peut en aucun cas être associée à un type de structure unique et uniforme résultant d’un mode de traitement particulier, comme par exemple la futaie « jardinée pied par pied ». Au contraire, une futaie irrégulière se caractérise par la diversité des modes d’intervention en fonction des conditions écologiques et des exigences des espèces : sur une unité de surface, elle-même de taille très variable, le peuplement peut présenter une diversité de classes de diamètres (et par conséquent d’âges) allant du peuplement uniforme au peuplement jardiné pied par pied. Seule cette diversité des structures, conditionnée par l’absence d’une quelconque norme, est, à l’instar des forêts naturelles, garante du développement de la diversité biologique naturelle.
Dans une forêt gérée dans le but d’optimiser la production de bois d’œuvre, l’unité de maturité est très largement majoritaire. La gestion forestière a en effet intérêt à générer un système de production continu de bois de grande dimension en maintenant une forêt à forte proportion de bois de gros dia- mètre. Certains arbres de qualité peuvent voir leur valeur doubler ou tripler les quelques dix ou vingt dernières années avant leur abattage. Comme il est rare que deux arbres de la même espèce croissent de façon synchrone et atteignent une même valeur au même moment, et que cela est encore plus aléatoire pour ce qui concerne des arbres appartenant à des espèces distinctes, une gestion « arbre par arbre » permet de tirer un meilleur profit de chaque arbre pris individuellement qu’une gestion « peuplement par peuplement ».
L’exploitation du bois arrivé à maturité économique ouvre, à l’instar des chablis, des trouées qui permettent à la régénération de s’installer et de croître. Les unités de régénération et d’aggradation se répartissent dans la forêt afin de rencontrer un équilibre des classes de diamètres qui assurent le renouvellement de la ressource. En fonction des exigences des espèces, ces unités sont de superficies variables. La croissance des jeunes générations à l’abri de leurs aînés (cas des essences d’ombre) ou à leur proximité (cas des essences dites de lumière) maintient les arbres dans un climat forestier favorable à leur développement. Les arbres à fort potentiel acquièrent une structure élancée tandis que les arbres dominés qui les entourent provoquent le gainage de leur tronc aboutissant à un autoélagage des branches basses : la gestion écologique permet une production très largement automatisée de bois de valeur commerciale. Bien entendu, le forestier intervient pour orienter et accélérer cette production en sélectionnant les arbres les plus intéressants et en les favorisant.
Les gestionnaires se soucient en permanence de la régénération de leur forêt et la favorisent à tout moment. Cependant, ces actions ne se soldent jamais par l’exploitation prématurée d’arbres « producteurs » au point de vue économique, parce que cela pourrait conduire à des pertes importantes (De Turkheim, 1993). Le renouvellement de la ressource est assuré par l’exploitation des arbres producteurs en temps voulu. A ce moment, il convient de créer les conditions favorables à l’installation des semis - ou à leur développement, si leur installation a déjà été assurée à l’occasion de précédentes interventions. Il est cependant courant en futaie irrégulière de recourir à des méthodes de contrôle de l’exploitation du bois en procédant à des inventaires qui évaluent la répartition des classes de diamètre, le volume de bois en forêt et les capacités productives de la forêt. Ces inventaires permettent de s’assurer formellement du renouvellement régulier de la ressource et du maintien d’un capital productif constant.
Le renouvellement de la forêt ne sera naturellement possible que si la régénération des essences n’est pas systématiquement compromise par le broutage des ongulés sauvages. Il ne s’agit nullement de réclamer leur extermination. Quelle gestion oserait dans ce cas se qualifier d’« écologique » ? Il s’agit simplement de porter l’attention sur la grave crise que provoque une surdensité d’ongulés sauvages, entretenue de manière artificielle durant une longue période. Cette situation compromet les fondements même d’une gestion écologique, qui s’appuie sur les capacités de renouvellement et la vitalité naturelles des forêts.
Le respect de la diversité biologique permet d’espérer une plus grande stabilité face aux attaques parasitaires. De même, les grandes perturbations dues aux tempêtes pourront avoir un impact atténué, en raison, d’une part, du moindre volume abattu et, d’autre part, d’une capacité de « cicatrisation » beaucoup plus importante liée à la présence éparse d’unités de régénération et d’aggradation, susceptibles d’occuper rapidement l’espace laissé libre par les arbres abattus, et à la présence permanente de semenciers.
Une des deux différences fondamentales entre la forêt gérée de manière écologique et la forêt naturelle est que la phase de maturité est sensiblement écourtée tandis que la phase de dégradation est inexistante. Pourtant, comme nous l’avons vu, la totalité de ces deux phases est essentielle au développement du potentiel de diversité des forêts. D’autre part, cette diversité spécifique participe pleinement à la fonction de stabilisation de l’écosystème forestier. Une gestion écologique ne pourra par conséquent pas se permettre d’exclure totalement de la forêt les unités de maturité à un degré avancé et les unités de sénescence afin de ne pas négliger des éléments importants de la fonction écologique de la forêt et de s’assurer du maximum de garanties quant à sa stabilité, facteur important de la fonction de production.
Les méthodes de gestion courantes par futaie régulière, même par coupes progressives étalées sur une vingtaine d’années, ne permettent pas la préservation d’unités de sénescence, constituées de grands et vieux arbres dépérissants ou morts, dans de bonnes conditions pour la raison fondamentale que ces unités voient leur « survie » compromise une fois la régénération effectuée. Seule une gestion à cycle de régénération lent ou continu permet le développement complet de ces unités de sénescence dans des conditions d’ambiance forestière (protection par les arbres limitrophes, ensoleillement) très variées.
Bien entendu le respect des phases de maturité biologique et de sénescence doit trouver un équilibre avec l’exploitation économique, tant il est évident que leur respect total annulerait la fonction de production !
Ainsi, en conclusion, une gestion écologique s’appuyant sur les performances naturelles des écosystèmes forestiers permet le développement d’une grande part de leur diversité biologique potentielle et offre les meilleures garanties d’une production économique rentable.
8. ...et ne pas exploiter le bois pour reconstituer des forêts vierges en Europe
Cependant, à côté des forêts exploitées, même gérées de façon écologique, il est nécessaire de laisser des zones forestières se développer sans exploitation. En effet, la deuxième différence fondamentale entre forêt exploitée et non exploitée est que, dans cette dernière situation, le gestionnaire n’intervient pas sur la destinée de la forêt.
Rappelons les deux différences fondamentales qui séparent les forêts gérées des forêts naturelles tempérées : d’une part l’importance des unités de maturité biologique et de dégradation et, d’autre part, l’orientation ou non de l’évolution des forêts.
Ce dernier élément est tout aussi fondamental que le premier. Même si dans le cas d’une gestion exemplaire, l’écologie est non seulement respectée mais constitue de plus un élément primordial de gestion, l’influence du gestionnaire demeurera très importante. C’est lui qui décide de la proportion des essences, de la sélection des individus et de l’élimination d’autres individus jugés inutiles pour le processus de production en fonction d’objectifs socio-économiques.
Dans une forêt naturelle, ce sont les événements naturels, spontanés, qui déterminent la taille, la ré- partition et la fréquence de l’ouverture des trouées permettant l’installation d’unités de régénération.
Dans les unités de régénération de la forêt naturelle, seuls les processus intimes de compétition entre les espèces et entre les individus appartenant à la même espèce déterminent la répartition entre les essences et le choix des individus. D’autre part, même si les forêts naturelles génèrent l’émergence d’arbres de grande qualité technologique, la proportion d’arbres fourchus ou sinueux pourra être localement plus grande : elle peut n’être que le résultat d’une lutte pour la lumière conduisant certains individus à des architectures et des contorsions salutaires pour leur survie.
En résumé, une forêt naturelle se distingue d’une forêt exploitée par l’importance des unités de maturité et de dégénérescence, ainsi que par une composition en essences et une structure qui lui sera ex- clusive elle aussi.
L’écart entre une forêt naturelle et une forêt gérée sera d’autant plus important que la gestion mise en œuvre dans cette dernière sera éloignée d’une gestion écologique. Nous pouvons ainsi classer les différentes méthodes de gestion en fonction de cet écart, par ordre décroissant - ce qui revient à définir une échelle de « naturalité » :
1) monoculture d’essences allochtones avec régénération par coupe rase ;
2) monoculture d’essences autochtones avec régénération par coupe rase ;
3) futaie régulière de quelques essences avec régénération progressive étalée sur 10-20 ans ;
4) futaie irrégulière avec régénération permanente sur des surfaces très variables sans définition d’âge d’exploitabilité moyen du peuplement ;
5) futaie régulière de plusieurs essences avec régénération étalée sur une grande période (voisine de la moitié de l’âge moyen d’exploitabilité), avec respect des espèces « non commerciales » et avec maintien de quelques unités de sénescence à l’hectare ;
6) futaie irrégulière avec régénération permanente sur des surfaces très variables sans définition d’âge de régénération moyen du peuplement, avec respect des essences « non commerciales » et avec maintien de quelques unités de sénescence à l’hectare ;
7) forêt naturelle.
L’étude des forêts tropicales humides a révélé leur extraordinaire diversité biologique. Les scientifiques sont unanimes quant à l’intérêt fondamental de leur préservation en tant que patrimoine naturel exceptionnel et conservatoire de la diversité biologique aux fonctions utilitaires reconnues (source inépuisable et en grande partie encore inconnue d’aliments, de médicaments et autres). Les forêts à caractère naturel sont devenues rarissimes en Europe (Schnitzler, 1996). Leur étude a également montré leur grande diversité biologique et leur structure complexe qui se rapprochent de celles des forêts tropicales, tout en gardant en mémoire que les forêts vierges tropicales humides sont bien entendu très largement en tête pour ce qui concerne ces deux paramètres (il y a un changement considérable d’échelle).
Les moindres diversité biologique et complexité des forêts naturelles européennes s’expliquent par les contraintes climatiques spécifiques à la zone tempérée et a fortiori boréale (et aussi méditerranéenne). Ces contraintes climatiques déterminent deux autres spécificités des forêts européennes. La première est la longueur de la phase de décomposition de la nécromasse végétale : celle-ci peut prendre des décennies alors qu’elle peut être extrêmement rapide en forêt tropicale. Dans ces dernières, dès la phase de sénescence, les éléments biogènes sont en effet très souvent activement et rapidement réuti- lisés par les espèces animales et végétales qui environnent l’individu concerné. En milieu tempéré, les contraintes climatiques ralentissent le processus qui fait intervenir un nombre considérable d’organismes qui coopèrent et se succèdent dans le temps [5].
La deuxième différence est que l’écosystème forestier européen a des capacités de reconstitution bien plus considérables qu’en milieu tropical humide. Dans ce dernier cas, l’essentiel du potentiel biogène se concentre dans la biomasse végétale et sa destruction brutale provoque non seulement une perte considérable, mais de plus fragilise le sol - parfois d’une manière irréversible - qui ne doit son maintien qu’à celui de l’édifice forestier. Ainsi, à l’opposé, en milieu tempéré les capacités de résistance du sol sont bien plus considérables, ce qui explique qu’après des siècles d’histoire mouvementée où alternent défrichements et recolonisations forestières, la forêt européenne, à l’exception de la zone méditerranéenne, est toujours susceptible de se reconstituer. Cela implique que, quel que soit l’état actuel des forêts, le retour progressif vers des caractéristiques propres aux forêts naturelles est possible. Si nous n’en connaissons de loin pas l’inventaire exhaustif, nous savons par ailleurs que la grande diversité biologique liée au développement des forêts naturelles est encore présente à l’état de reliquat tout en ayant probablement subi un déclin quantitatif depuis des siècles (Schnitzler, 1996 ; Speigt, 1987 ; Walter, 1991).
L’enjeu de leur conservation n’en devient qu’encore plus clair. C’est en particulier le rôle dévolu au réseau des réserves biogénétiques en cours de mise en place à l’initiative du Conseil de l’Europe. En 1987, un atelier du Conseil de l’Europe sur la situation des forêts naturelles a déterminé les trois grands types de critères devant définir la localisation et la surface des zones forestières sans exploitation (Heiss, 1987), que nous rappelons ci-dessous :
1) la représentativité ; cette notion concerne les zones de végétation signalées sur les cartes de végétation potentielle publiées par le Conseil de l’Europe (1979) ;
2) la superficie ; initialement les experts avaient fixé la taille minimum à 500 hectares. Elle a ensuite été réduite à cinquante hectares, en raison de la situation particulière de certains pays où les surfaces forestières sont fort réduites - situation qui ne concerne bien entendu pas la France. Le critère de taille est tout à fait essentiel. Plus l’étendue de la forêt non exploitée sera grande, plus son intérêt et sa diversité biologique augmenteront. Une surface de quelques dizaines d’ares permet de conserver temporairement une unité de maturité ou de dégénérescence (conservation ponctuelle d’arbres remarqua- bles) ; une surface de quelques dizaines d’hectares permet de conserver et d’entretenir les quatre unités fondamentales de la sylvigenèse ; une surface de quelques centaines d’hectares permet d’entretenir et de conserver toute la panoplie de diversité des quatre unités fondamentales de la sylvigenèse ; enfin, une surface de quelques milliers d’hectares permet d’entretenir et de conserver toute la diversité de la flore et de la faune liée à la diversité des stations forestières et aux interférences entre elles, ainsi qu’à la variété et la variabilité des phénomènes de perturbation (Blandin, 1995 ; Carbiener, 1995 ; Schnitzler, 1996) ;
3) l’intégrité naturelle ; il s’agit d’un critère relatif qui définit l’état général de « naturalité » des forêts, c’est-à-dire leur similitude de composition, de structure et de fonctionnement avec une forêt naturelle, non perturbée par les interventions humaines.
Etant donné le critère essentiel de la taille, dans tous les cas de figure il est préférable de protéger de toute exploitation de vastes surfaces, même à degré d’intégrité variable que des surfaces de taille ré- duite à degré d’intégrité plus important (Heiss, 1987).
Mentionnons le cas exemplaire du Parc national suisse qui depuis sa création au début du siècle (1914) offre le meilleur sort à ses grandes étendues de forêts dont certaines ont ainsi conservé leur statut de forêts primaires. Même si les forêts ont connu de profondes perturbations appauvrissantes, il n’est jamais trop tard pour décider de les protéger intégralement. Un excellent exemple est apporté par le parc national de Bavière, qui protège désormais environ 10 000 ha de forêts sans exploitation. L’étude de ces « jeunes forêts naturelles » de demain a montré combien elles étaient intéressantes dès le début de leur constitution : la régénération naturelle protégée par les branchages des chablis est plus diversifiée ; après les tempêtes, les pullulations de scolytes ont été moins de la moitié inférieures à celles des forêts exploitées des alentours où l’extraction de tous les bois abattus par le vent a fragi- lisé l’équilibre des arbres situés à proximité.
A l’intérêt écologique vient s’ajouter l’intérêt scientifique. Les forêts non exploitées sont indispensa- bles pour étudier l’écologie forestière dont les résultats pourront souvent judicieusement être mis à profit pour affiner la gestion forestière.
Enfin soulignons que, si dans le cas des forêts non exploitées il est clair que la fonction de production de bois s’efface au profit de la fonction écologique, il s’agit d’une situation qui demeurera toujours exceptionnelle, vu l’écrasante majorité de forêts exploitées qui subsistera et devra bien sûr subsister afin de fournir l’indispensable ressource naturelle renouvelable qu’est le bois. Par contre, les autres fonctions économiques, comme la régulation de la ressource en eau, demeurent. De même en ce qui concerne la fonction sociale d’accueil et, ici encore, les très nombreux visiteurs du Parc national suisse ou du parc national de Bavière en constituent une preuve. En ce qui concerne ce dernier, le nombre de visiteurs est passé de 200 000 en 1975 à 1,5 millions en 1986, mettant en pièces l’idée reçue selon laquelle le public n’apprécierait guère les forêts « non entretenues » (Bilberither, 1986) ! L’intérêt culturel, social et économique - par le développement d’un « tourisme de nature » – des forêts non exploitées, très largement occulté jusqu’à présent, n’en devient que plus évident.
La France ne dispose pas encore d’un réseau cohérent de forêts non exploitées. En 1995, les forêts non exploitées bénéficiant d’un régime de protection couvraient seulement 13 763 ha, répartis entre les parc nationaux (650 ha) les réserves biologiques (639 ha) et surtout les réserves naturelles (12 474 ha) (min. Agriculture, 1995). La constitution de ce réseau devrait se concevoir sur la base d’inventaires fondés sur les trois critères scientifiques présentés ci-dessus. Devront être intégrées à ce réseau les forêts naturelles (forêts présentes depuis un temps immémorial et n’ayant pas été exploitées depuis au moins 50 ans, correspondant au mieux au critère d’intégrité) encore existantes dans notre pays dont les surfaces seraient évaluées à 30 000 ha (min. Agriculture, 1995). Celles-ci doivent être considérées comme des « noyaux de naturalité », pouvant servir de « zones d’essaimage » vers leurs périphéries. Elles devront par conséquent être incluses dans des périmètres dépassant leurs limites et intégrant des
forêts « productives » présentant des états d’intégrité variables. Cette proposition concerne plus parti- culièrement les forêts de montagne et n’est bien entendu pas transposable aux forêts de plaine, où les forêts naturelles sont quasi absentes. Les massifs de plaine représentent cependant la majorité de la diversité de la végétation forestière française. Afin de constituer un réseau représentatif de la diversité des associations végétales forestières, ces massifs devront être tout aussi concernés, voire plus encore, que les massifs de montagne.
En raison des critères scientifiques utilisés pour son élaboration, l’inventaire Natura 2000 devrait pouvoir servir de base à l’établissement d’un réseau représentatif de la remarquable diversité des éco- systèmes forestiers français. Ce réseau ne devra par conséquent pas se limiter aux seules forêts de montagne (en s’appuyant exclusivement sur le critère de naturalité), ni concerner des unités de tailles restreintes, comme cela est généralement proposé en France (50 ha en plaine, 100 ha en montagne) (Dubourdieu et al, 1995), ce qui est paradoxal au regard de l’importance des surfaces forestières dont dispose notre pays - elles se sont encore accrues de 200 000 ha au cours de la décennie 80. Les pertes entraînées par l’arrêt de la récolte du bois sur quelques dizaines de milliers d’hectares ne seraient-elles pas compensées de multiples fois par les gains de productivité que leur étude permettrait d’obtenir grâce à une meilleure connaissance de la dynamique forestière ? D’autre part, connaît-on des laboratoires de recherche fonctionnant gratuitement ? Enfin, évalue-t-on le bénéfice économique (et social), lié à leur attractivité pour le tourisme de nature, dont le développement est considérable dans toute l’Europe ?
Figure 2. Comparaison de la futaie régulière (en bas à gauche) et de la futaie irrégulière (en bas à droite) avec les processus d’évolution naturelle des forêts (en haut), (d’après un dessin de Joël Roche)
[Pas reproduite...]
Enfin, en comparaison avec les très importants efforts financiers consentis par la collectivité au profit des activités agro-forestières, ne pourrait-on pas concevoir qu’un effort soit fait en faveur de la conservation de notre patrimoine naturel forestier ? Serions-nous seulement capables de consacrer des milliards de fonds publics à corriger les effets pervers de l’agro-industrie (voir par exemple les nitrates ou la vache folle) ou encore à de grandioses projets de parcs de loisirs (voir par exemple Eurodisneyland) ? Pourrions-nous dans ce contexte présenter sérieusement la conservation de la nature en forêt comme trop onéreuse ? Ou serons-nous au contraire suffisamment « raisonnables », selon le mot du professeur Patrick Blandin (1995) pour mettre en place une politique ambitieuse et profitable pour tous au service de la constitution d’un réseau de forêts à caractère naturel de taille conséquente ?
9. Toujours accueillir le public
Les capacités d’accueil d’une forêt dépendent de ses attraits paysagers, de sa résistance au piétinement et de sa capacité à protéger sa faune des dérangements. Les structures de la forêt jouent alors un rôle essentiel. Il est communément admis que la structure en futaie irrégulière est la plus attrayante. Pour cette raison elle est généralement préconisée lorsqu’il est reconnu à la forêt une fonction sociale prioritaire d’accueil du public.
Si la forêt irrégulière est accueillante du point de vue esthétique, elle n’invite pas pour autant les visi- teurs à pénétrer à travers les sous-bois. Par conséquent, elle limite les phénomènes de piétinement de la flore mais aussi de dérangement de la faune.
Les visiteurs sont sensibles et souvent très attachés à la présence de vieux et grands arbres : la fonc- tion d’accueil sera optimisée si une structure irrégulière permet de les maintenir en permanence, sans les déstabiliser par des coupes étendues.
Nous pouvons constater que la fonction sociale ne s’oppose pas aux fonctions écologiques et écono- miques des forêts. Dans le cas (exceptionnel, rappelons-le) où la fonction de production aura été abandonnée, il faudra simplement veiller à un respect élémentaire de la sécurité du public en élagant, ou le cas échéant en abattant, les arbres dépérissants susceptibles de tomber sur des cheminements ou des équipements d’accueil ou encore en des lieux particulièrement fréquentés par le public.
En conclusion générale, l’application à l’ensemble des espaces forestiers d’une gestion écologique, assurant le développement de toute la diversité des structures et en particulier la présence éparse d’unités de dégradation, associée à l’instauration d’un réseau structuré de zones forestières sans exploi- tation, apporterait les meilleures garanties de préservation de la diversité biologique tout en assurant pleinement les autres fonctions dévolues aux forêts.
Didier Carbiener
France Nature Environnement, 57, rue Cuvier, 75005 Paris.
Remerciements à Roland Carbiener, Brice de Turckheim et Annick Schnitzler pour leur relecture du manuscrit et leurs aimables conseils.
Ce texte reprend des extraits d’un rapport remis au Conseil de l’Europe et intitulé La gestion des forêts dans les zones protégées, D. Carbiener, 1996. Que toutes les personnes ayant contribué à la rédaction finale de ce rapport soient ici remerciées pour leurs avis et conseils.
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