Islamabad, ,
L’armée pakistanaise a renversé le gouvernement de Nawaz Sharif le 12 octobre dernier. Le coup d’Etat a été déclenché après que le Premier ministre a décidé de limoger le général Pervez Moucharraf, promu une semaine auparavant chef d’état-major interarmées. Ledit général avait en effet commencé à purger des officiers supérieurs proches de Nawaz. Par-delà les jeux de pouvoir, le putsch s’explique avant tout par l’ampleur de la crise économique et politique que traverse le pays.
Crise de régime
Nawaz Sharif a commencé à s’aliéner directement les militaires quand il a voulu leur faire porter la responsabilité de la défaite, lors du récent conflit avec l’Inde, au Cachemire. Divers courants religieux au sein de l’armée ont aussi fort peu apprécié un autre tournant à 180 degrés opéré par l’ancien Premier ministre, quand il a accusé le gouvernement afghan de mener des actions terroristes au Pakistan, après avoir formellement reconnu les Talibans et les avoir aidés à s’emparer de Kaboul.
Les virevoltes du gouvernement Nawaz visaient à amadouer le Fonds monétaire international et à obtenir de nouveaux prêts, alors que l’économie est dans un état désastreux et que la résistance sociale s’affirmait face aux mesures d’austérité. Ainsi, l’Association des petits commerçants du Pakistan a bloqué l’introduction d’une nouvelle taxe générale sur les ventes, organisant une importante grève générale en septembre. Le même mois, les paysans et producteurs de coton sont entrés en lutte et le 10 octobre, ils ont envahi des heures durant toutes les routes principales du pays (le coton pakistanais représente 70 % des exportations nationales et 10 % de la production mondiale).
Au fil des mois, le gouvernement Nawaz est devenu extrêmement impopulaire alors qu’en 1997, il était fort de 40 % des voix aux élections générales, obtenant les deux tiers des sièges à l’Assemblée nationale. Il a profité de ce succès pour introduire de nouveaux amendements à la Constitution, contre ce qui restait de droits syndicaux, et a tenté de placer sous son contrôle exclusif la bureaucratie, n’hésitant pas à l’humilier publiquement. Nawaz Sharif a pris des mesures autocratiques et démagogiques, ouvrant par exemple une ligne téléphonique pour récolter les plaintes de la population et promettant d’agir instantanément.
Les injonctions du FMI
Néanmoins, le gouvernement n’a pas réussi à mettre en œuvre le programme de privatisation du secteur public exigé par le FMI dans les chemins de fer, les télécommunications, l’énergie. Il a voulu remettre en cause des contrats juteux signés, à coup de pots-de-vin, avec des compagnies internationales dans le secteur de l’électricité par le précédent gouvernement de Benazir Bhutto - au point que la Banque mondiale s’en est inquiétée. Il a tissé des rapports commerciaux avec le conglomérat sud-coréen Daewoo en plein déclin. Après avoir réalisé ses propres essais nucléaires, malgré l’opposition hypocrite des Etats-Unis, le gouvernement est entré en guerre contre l’Inde au Cachemire... et a perdu. Le régime de Nawaz Sharif a fini par se couper de sa base religieuse et de ses soutiens internationaux ; et malgré cela, il a ouvert une épreuve de force avec l’état-major... qu’il a de nouveau perdue.
Tout ceci permet de comprendre pourquoi le coup d’Etat n’a suscité aucun mouvement de protestation populaire, mais a semé une grande confusion et même, dans une certaine mesure, un sentiment de soulagement au sein de la population.
Loi martiale
Les militaires ne précisent que progressivement leurs intentions. Contrairement à l’habitude, ils n’ont pas fait appel aux religieux. Mais il est clair que le nouveau pouvoir cherchera à mettre en œuvre le programme économique dicté par le FMI et la Banque mondiale, ce dont le précédent gouvernement avait été incapable à cause des résistances sociales. Sous le nom d’« état d’urgence », la loi martiale s’impose dans les faits. Avec les arrestations des anciens dirigeants politiques, l’interdiction des manifestations et des réunions publiques comme des grèves, les éléments d’une dictature militaire apparaissent.
Le Labour Party Pakistan (LPP) savait que le régime de Nawaz Sharif était en crise et que le gouvernement ne tiendrait pas 5 ans ; mais nous n’avions pas prévu que l’armée interviendrait à ce point-là. Le putsch est un nouveau coup dur pour la gauche et le mouvement ouvrier. Le LPP exige l’organisation rapide de nouvelles élections générales. Il est décidé à lutter contre l’imposition de la loi martiale et souhaite qu’un large front se constitue à cette fin, pour la restauration de la démocratie au Pakistan.