La jeune femme indienne victime d’un viol collectif à New Delhi le 16 décembre 2012 est décédée dans la nuit de vendredi à samedi, a annoncé l’hôpital de Singapour où l’étudiante luttait contre la mort. Nous republions l’article de Françoise Chipaux paru le 26 décembre.
Le viol collectif et sauvage d’une jeune étudiante de 23 ans a déclenché une vague d’indignation et de manifestations en Inde mais au-delà de l’émotion, ce crime devrait pousser à une réflexion sur l’état de la société et de ses institutions. Le fait que ce viol se soit déroulé dans la capitale, dans un bus en circulation en début de soirée, a certainement joué dans cette réaction massive face à un phénomène qui ne cesse de croître ces dernières années.
Delhi, plus de 16 millions d’habitants, détient le record du nombre de viol dans les grandes villes, 635 officiellement depuis le début de l’année. Face à ce crime très médiatisé, des voix s’élèvent chez les politiques comme dans la société civile pour appeler à la pendaison des violeurs, à leur castration chimique ou leur lapidation. Mais les faits montrent que les condamnations pour viols sont rares et, à Delhi, ces 635 viols enregistrés cette année n’ont donné lieu qu’à une seule condamnation.
Plutôt que de surenchérir sur les peines, qui ne seront pas appliquées ou si elles le sont de façon très sélective, peut-être faudrait-il se pencher sur le comportement de la police et de la justice. En Inde, avec quelques connexions et de l’argent, on peut échapper à tout châtiment, quelle que soit l’ampleur du crime. Dépolitiser la police, renforcer son professionnalisme, sont des conditions préalables à une police crédible et efficace. La corruption effrénée qui règne dans la police comme dans la justice est un obstacle à toute amélioration du système.
Les politiques pourraient d’ailleurs commencer par eux même puisque siègent au Parlement fédéral et encore plus dans les chambres provinciales des dizaines d’élus accusés de vols, viols, meurtres. La criminalisation de la politique est un fait avéré dénoncé régulièrement avant chaque élection sans qu’aucune mesure d’envergure n’ait jamais été prise. Le seul frein à une candidature politique est d’avoir été condamné mais comme la durée d’un procès peut s’étendre sur 20 ans, que les condamnations sont rares, tous les partis politiques ont des criminels sur leurs listes.
Au delà de l’arme sécuritaire et judiciaire, c’est aussi l’attitude de la société vis-à-vis de la femme qui devrait faire réfléchir. Le fait que l’Inde ait été gouvernée pendant plus de 15 ans par Indira Gandhi, fille unique du libérateur Jawaharlal Nehru et depuis près de dix ans, derrière la scène, par sa belle fille Sonia Gandhi, ne saurait faire oublier le sort réservé aux millions de femmes dans toutes les couches de la société.
Le préjudice commence avant même la naissance, puisque facilité par les examens échographiques l’avortement des fœtus féminins est une pratique illégale mais courante. Selon le dernier recensement de 2011, le ratio entre fille et garçon dans la tranche d’âge de zéro à six ans s’établissait à 914 filles pour 1.000 garçons, le pire chiffre depuis l’indépendance.
Le garçon est élevé dans l’idée qu’il est supérieur et que la femme est là pour le servir et le satisfaire. Dans les familles pauvres, si la nourriture fait défaut, le garçon est prioritaire sur la fille et c’est la même chose pour l’éducation.
La dot que doit apporter au mariage la fille est un autre sujet de harcèlement pour les femmes. Le phénomène s’est accru ces dernières années avec l’ouverture économique du pays et sa modernisation qui ont fait naitre des désirs de plus en plus grands. Près de 10.000 femmes officiellement, beaucoup plus en réalité tant il est parfois difficile de percer la cause d’un décès déguisé, sont tuées chaque année dans des incidents liés à la dot. Ces meurtres touchent particulièrement les classes moyennes émergentes dont les aspirations sont plus grandes.
Plus libres et plus actives que dans le passé, les femmes tentent de surmonter les obstacles qui se dressent à chaque étape de leur vie. Très doucement la société évolue, mais il reste difficile aujourd’hui à une femme, de vivre seul et de façon indépendante. Les cris d’indignation poussés par ce viol risquent bien de se perdre dans les méandres de la politique une fois l’émotion retombée.
Françoise Chipaux