« La seule façon de stopper un méchant avec une arme est de lui opposer quelqu’un de bien avec une arme. » Alors que le débat sur un contrôle accru des armes à feu est relancé aux Etats-Unis par la tuerie de Newtown, dans le Connecticut, où 20 enfants et 6 adultes ont été tués par un assaillant de 20 ans lourdement armé, c’est avec cet argument choc que Wayne LaPierre, le vice-président de l’Association nationale des détenteurs d’armes, la National Rifle Association (NRA), a justifié la nécessité d’armer les professeurs dans les écoles. M. LaPierre a également annoncé la mise en place par son organisation d’un « programme de protection » des écoles, baptisé « National School Shield » (Bouclier pour l’école) qui a déjà son site Internet.
Avec quatre millions d’adhérents et 11 000 instructeurs, la NRA est devenue l’un des plus puissants lobbies capables d’influencer la politique américaine. Pourtant, lorsqu’elle est fondée en 1871 par un avocat et un ancien journaliste du New York Times, la NRA se consacre principalement à la chasse et au tir sportif, relate Jill Lepore dans le New Yorker. Mais depuis qu’elle s’est investie sur le terrain du lobbying politique en 1968, elle a réussi à imposer l’idée que la détention et le port d’arme est une liberté fondamentale, garantie par le second amendement, mais aussi un acte citoyen. Et, depuis une vingtaine d’années, elle a réussi à bloquer toute initiative destinée à durcir la législation sur les armes à feu.
Ce lobbying politique auprès des assemblées législatives des Etats mais aussi au Congrès, à la présidence et dans les tribunaux, est opéré par une demi-douzaine d’entités au sein de l’organisation. Il est financé par des donateurs issus notamment de la sphère conservatrice et de l’industrie des armes. Lors d’un congrès de l’organisation, le Violence Policy Center a ainsi relevé les noms de donateurs liés à cette industrie et leurs contributions, à l’instar de Harlon Carter ou de Joe Foss, deux anciens chefs de la NRA ayant fait don de millions de dollars à l’organisation. Une convergence d’intérêts qui poussent certains commentateurs à se demander, comme Lee Fang dans The Nation, si la NRA agit en faveur des détenteurs d’armes, qu’il estime majoritairement partisans aujourd’hui d’une plus grande régulation des armes, ou en faveur de l’industrie de l’armement, uniquement intéressée par vendre ses produits ? [1]
LA NRA, FAISEUR DE ROI
Ses premières heures de gloire, la NRA les a connues avec l’élection du républicain Ronald Reagan en 1980. Premier président soutenu par l’organisation, Ronald Reagan va permettre aux conservateurs de la NRA d’inscrire dans la législation leur interprétation du second amendement, notamment par la loi de 1986 sur la protection des détenteurs d’armes à feu. A partir de cette date, la NRA s’investira systématiquement dans le financement d’hommes politiques opposés au contrôle des armes.
L’influence politique que le lobby des armes a acquise est telle qu’on lui prête la défaite d’Al Gore à l’élection présidentielle de 2000. Le candidat démocrate avait perdu les Etats de l’Arkansas, du New Hampshire et du Tennessee, où l’opinion est très majoritairement acquise au lobby pro-armes. Instruits par cet échec, les démocrates ont dès lors cessé de militer pour le contrôle des armes, trop dangereux en termes électoraux. Et de fait, analyse Vincent Michelot, spécialiste des Etats-Unis à l’Institut de sciences politiques de Lyon, « le port d’armes est un très fort indicateur de vote » avec la pratique religieuse et la question de l’avortement.
L’organisation excelle dans les primaires républicaines, où elle est capable de susciter des candidatures concurrentes à celles de candidats qui n’auraient pas adopté une position claire sur le contrôle des armes. « La NRA a une remarquable capacité d’intervention dans l’espace public et de mobilisation de ses soutiens politiques. Ils ne travaillent jamais seuls. Quand ils voient monter un homme politique qui est contre les armes, ils vont travailler avec d’autres groupes conservateurs sur les questions de l’avortement, du mariage homosexuel, etc., pour proposer un adversaire à cet homme ou femme politique. Cela s’est vu dans les dernières élections depuis 1996 », analyse Vincent Michelot.
OBAMA, L’HOMME À ABATTRE
Pour son président actuel, David Keene, toutes ces victoires sont fragiles [2]. Notamment en présence du président Barack Obama, qui a siégé de 1994 à 2002 au conseil d’administration de la Fondation Joyce à Chicago, qui finance la recherche et l’action pour le contrôle des armes. A son arrivée en mai 2011 à la tête de la NRA, l’éminence grise des conservateurs, qui aurait dit-on l’oreille de tous les présidents républicains, avait fait de Barack Obama l’homme à abattre lors de la présidentielle de 2012.
L’échec de la NRA aux élections de 2012 ne s’est pas limité à la présidentielle. Six des sept candidats aux élections sénatoriales dans lesquelles la NRA s’est financièrement engagée ont été battus. La NRA y a décelé une « anomalie » liée à la forte participation des jeunes électeurs, mobilisés par Obama, à des scrutins organisés le même jour que l’élection présidentielle. « Dans des circonstances normales, nous aurions fait la différence », a estimé David Keene, ajoutant que les idées défendues par son groupe sont toujours majoritaires à la Chambre des représentants comme au Sénat. D’après un sondage Reuters-Ipsos réalisé en avril, 68 % des Américains auraient une opinion favorable sur la NRA.
Mais, analyse Vincent Michelot, « il ne faut pas fantasmer sur une NRA toute puissante qui peut bloquer toute initiative. La NRA est efficace pour utiliser le débat public à ses fins et faire passer l’idée que le contrôle des armes n’est pas une solution consensuelle ». Par ailleurs, poursuit-il, « la NRA n’est pas puissante de manière égale sur tout le territoire américain. Il existe des Etats où la culture des armes est forte comme dans le Sud et à l’inverse, certains Etats où il existe un fort contrôle ». Influente parmi les démocrates comme les républicains au Texas, elle a peu d’ancrage dans le Nord-Est des Etats-Unis. « On peut faire un bras d’honneur à la NRA quand on est à New York, dans l’Oregon et à Washington mais pas en Floride, en Virginie ou en Louisiane, où il y a une forte tradition du port d’armes », précise M. Michelot.
Il demeure que, dans son secteur, la NRA n’a pas d’équivalent et demeure incontournable sur la question du port d’armes. Fragmentés, ses adversaires ne font pas le poids. « On a, d’un côté, la gauche américaine, principalement urbaine, qui dit que le droit de porter des armes n’est pas un droit de la personne et que le second amendement a été perverti, analyse Vincent Michelot. Le deuxième groupe est composé des forces de l’ordre et des organisations nationales de la police qui s’inquiètent des armes faites pour tuer les flics. » Si ces deux groupes se rejoignent sur cette question, ils n’ont pas constitué d’organisation équivalente à la NRA. « La NRA conserve de ce fait le monopole de la rhétorique sur cette question et peut à elle seule structurer le débat public », poursuit le chercheur.
DES COMBATS À VENIR
Dans les mois à venir, la NRA devrait une nouvelle fois éprouver son pouvoir d’influence dans les sphères publique comme politique. Après la tuerie de Newtown, le président Obama semble déterminé à imposer une nouvelle législation plus restrictive sur le contrôle des armes au niveau national. Une législation à laquelle l’opinion américaine semble plus que jamais favorable. Selon un sondage publié le 27 décembre par le quotidien USA Today, 58 % des Américains se disent en faveur de lois plus strictes sur la vente des armes, une forte hausse par rapport à octobre 2011, quand seulement 43 % d’entre eux adhéraient à cette idée.
Sur la scène internationale, le puissant lobby des armes a déjà mobilisé ses troupes en prévision de la reprise des négociations à l’Assemblée générale de l’ONU qui doivent aboutir au premier traité international sur le commerce des armes conventionnelles (ATT). La NRA s’oppose fortement à toute réglementation internationale du commerce des armes, qui pourrait selon elle fournir un argument de taille pour imposer sur le territoire national des restrictions. La NRA a gagné une première bataille en juillet avec l’échec des premières négociations sur l’ATT, sabordées par l’administration Obama en pleine campagne présidentielle. La situation pourrait avoir changé avec la réélection de Barack Obama. Mais il faudra toutefois à ce dernier convaincre une majorité des deux tiers du Sénat, dont il ne dispose pas, pour ratifier le traité.
Hélène Sallon
* Le Monde.fr | 09.01.2013 à 17h34 • Mis à jour le 09.01.2013 à 18h31.
Etats-Unis : 300 millions d’armes à feu, 30 000 morts par an
La tragédie survenue le 14 décembre dans l’école de Newtown, dans le Connecticut, où 20 enfants et 6 adultes ont été tués par un assaillant de 20 ans lourdement armé, a profondément choqué l’Amérique. Cette nouvelle tuerie a relancé le débat sur le contrôle des armes à feu aux Etats-Unis. La détention et le port d’armes pour les particuliers y sont garantis au nom du deuxième amendement de la Constitution : « Une milice régulée étant nécessaire à la sécurité d’un Etat libre, le droit du peuple à détenir et porter une arme ne doit pas être enfreint. » Une interdiction fédérale sur la possession, le transfert et la production d’armes d’assaut semi-automatiques, votée en 1994, a expiré en 2004.
« STAND YOUR GROUND »
La législation relative à la détention et au port d’armes à feu diffère d’un Etat à un autre. Depuis 1980, 44 Etats ont promulgué des lois permettant aux détenteurs d’armes à feu de porter des armes en dehors de chez eux pour leur protection personnelle. Cinq autres Etats avaient des lois similaires avant 1980.
En 2005, l’Etat de Floride a passé le Stand Your Ground Act (« loi pour la défense de son territoire »), une extension de la doctrine selon laquelle les citoyens utilisant une force létale face à un assaillant ne seront pas poursuivis, même s’ils avaient la possibilité de s’enfuir en toute sécurité. Ce droit s’applique hors du domicile, à tout endroit où le citoyen a le droit d’être. Trente-quatre Etats ont promulgué une telle disposition.
La législation sur les armes à feu aux Etats-Unis, Etat par Etat, sur le site du Centre juridique pour la prévention de la violence liée aux armes (en anglais)
Dans la plupart des Etats américains, pour acquérir une arme auprès d’un distributeur accrédité, il est nécessaire d’avoir un permis de port d’armes. Ce permis s’obtient après un entraînement à la sécurité des armes. Toutefois, comme l’indique le New Yorker, 40 % des armes achetées aux Etats-Unis sont achetées à des particuliers lors de foires ou par annonces.
300 MILLIONS D’ARMES
Presque 300 millions d’armes à feu sont ainsi détenues par des particuliers aux Etats-Unis (106 millions de pistolets, 105 millions de fusils et 83 millions de fusils de chasse), selon la dernière étude sociologique nationale (GSS) de l’année 2010 effectuée par le Centre de recherche national de sondage (NORC) de l’Université de Chicago. Avec 315 millions d’habitants et une moyenne d’une arme à feu par habitant, les Etats-Unis sont le premier pays au monde pour la détention d’armes à feu par les civils, loin devant le Yémen. Chaque détenteur en possède en moyenne deux à trois.
La mise en perspective des études successives réalisées annuellement par le NORC depuis 1973, à laquelle s’est adonnée le Violence Policy Center (VPC), basé à Washington, révèle toutefois que le taux de détention d’armes à feu par foyer est en baisse. Ce pourcentage est passé de 49,1 % en 1973 (année de la première GSS) à 32,3 % des ménages américains en 2010.
Les explications de ce déclin sont multiples : le vieillissement de la population en détenant – principalement les hommes blancs – et le peu d’intérêt des jeunes générations pour les armes à feu ; la fin de la conscription militaire ; la baisse de la population pratiquant la chasse ; les limites faites aux activités de chasse et de tir en relation avec les questions environnementales et de planification ; et la hausse du nombre de ménages composés de mères seules, les femmes détenant rarement une arme.
30 000 MORTS PAR ARMES À FEU PAR AN
En dépit de la baisse significative du taux de détention d’armes à feu par ménage, un nombre constant de victimes par arme à feu a été enregistré. Entre 2000 et 2008, 272 590 personnes sont mortes à la suite de blessures par armes à feu aux Etats-Unis, selon les chiffres de la banque de données WISQARS du Centre américain pour la prévention et le contrôle des maladies et du Centre national pour la prévention et le contrôle des blessures, cité par le Violence Policy Center (VPC). En moyenne, 30 288 personnes sont tuées chaque année par une arme à feu.
Plus inquiétant, note le VPC, entre 2000 et 2008, un total de 617 488 personnes ont été victimes de blessures par arme à feu aux Etats-Unis, soit environ 68 610 personnes par an. Ce nombre est en constante augmentation au cours des dernières années, tandis que l’amélioration de la prise en charge des blessés par les services médicaux d’urgence a permis de maintenir constant le nombre de morts par arme à feu.
Hélène Sallon
* Le Monde.fr | 08.01.2013 à 12h05 • Mis à jour le 08.01.2013 à 15h34.
Armer les professeurs : après la tuerie de Newtown, l’idée fait son chemin aux Etats-Unis
Depuis la tragédie survenue dans une école à Newtown, l’idée d’armer les professeurs dans les établissements scolaires a, aux Etats-Unis, de vigoureux partisans, qui assurent qu’il s’agit du seul moyen d’éviter la répétition d’un massacre similaire. Jeudi, dans l’Utah – un des deux seuls Etats américains avec le Kansas où le port d’arme est autorisé dans les écoles –, quelque 200 enseignants ou employés d’école ont participé à un entraînement pour décrocher un permis de port d’arme offert gratuitement par l’Utah Shooting Sports Council (USSC), un groupe de défense des détenteurs d’armes à feu.
Le fait que les professeurs soient armés, « non seulement leur permettrait de s’opposer à un assaillant, mais en prime, c’est très dissuasif pour d’éventuels agresseurs de savoir que les professeurs sont armés dans l’Utah », assure-t-il. « Nous ne disons pas que tous les professeurs devraient être armés. Nous disons seulement que ceux qui font ce choix, qui souhaitent suivre cette formation peuvent le faire dans l’Utah, et on veut juste leur faciliter la tâche », poursuit M. Scott.
ARIZONA : BIENTÔT UNE ARME À FEU DANS L’ÉCOLE ?
Le ministre de la justice de l’Arizona a de son côté proposé mercredi d’autoriser les enseignants ou les directeurs ou employés d’école à porter des armes dans leur établissement. « Notre proposition est que dans chaque école qui le souhaite, on désigne le directeur ou toute autre personne pour recevoir un entraînement au maniement des armes à feu et à la gestion de situations d’urgence comme celle de Newtown », a-t-il expliqué.
« La solution idéale serait d’avoir un officier de police armé dans chaque école », souligne le ministre, en écho à ce que propose la NRA, le puissant lobby des armes américain. S’il rappelle que c’est déjà le cas dans certains établissements de son Etat, il évoque aussi des considérations budgétaires qui ont poussé à couper les crédits alloués à ce programme.
« Dans ce contexte, la seconde meilleure solution consiste à ce qu’il y ait dans l’école quelqu’un d’entraîné au maniement des armes et à la gestion des situations de crise, et qu’il y ait une arme à feu dans un endroit bien sécurisé », ajoute M. Horne.
« C’EST FOU »
Dans le Missouri, un projet de loi similaire a été présenté la semaine dernière. Dans une lettre adressée aux directeurs d’écoles publiques, le gouverneur démocrate de l’Etat, Jay Nixon, a toutefois affirmé son opposition à une telle mesure. « Apporter des armes chargées dans les salles de classe est la mauvaise approche pour régler un problème grave qui nécessite une analyse poussée », écrit-il.
Dan Gross, président du principal groupe de pression anti-armes américain, baptisé Brady Campaign To Prevent Gun Violence, est du même avis : « C’est fou », assène-t-il quand il évoque les propositions destinées à armer les professeurs, rapporte le site d’informations Politico. « Cela revient à dire que la seule réponse à la violence, c’est plus de violence », regrette M. Gross.
Selon un décompte du Huffington Post, des élus républicains de six Etats ont assuré qu’ils déposeraient en 2013 des projets de loi autorisant le port d’arme dans les établissements scolaires. Le lobby des armes à feu américain, la NRA, a aussi estimé que « la seule façon de stopper un méchant avec une arme est de lui opposer quelqu’un de bien avec une arme », et ce dans les établissements scolaires même.
Le 14 décembre, 20 enfants et 6 adultes ont été tués par un assaillant de 20 ans lourdement armé dans une école de Newtown, dans le Connecticut. Cette tragédie a relancé une nouvelle fois le débat sur la législation encadrant le port d’arme aux Etats-Unis. Selon un sondage publié jeudi par le quotidien USA Today, 58 % des Américains se disent en faveur de lois plus strictes sur la vente des armes, une forte hausse par rapport à octobre 2011 quand seulement 43 % d’entre eux adhéraient à cette idée.
* Le Monde.fr avec AFP | 28.12.2012 à 09h11 • Mis à jour le 28.12.2012 à 09h25.
Obama travaille sur un ambitieux plan de contrôle des armes
La Maison blanche travaille sur un plan de contrôle des armes beaucoup plus ambitieux qu’un simple retour à l’interdiction des armes d’assaut, rapporte dimanche 6 janvier le Washington Post.
Selon le journal, un groupe de travail dirigé par le vice-président Joe Biden envisage sérieusement d’imposer des vérifications globales sur l’identité des acheteurs d’armes et de contrôler les mouvements et les achats d’armes à travers un fichier national.
DES CONVENTIONS AVEC LA GRANDE DISTRIBUTION
Le plan prévoirait également un renforcement des contrôles concernant l’équilibre mental des acquéreurs et un durcissement des sanctions frappant ceux qui porteraient des armes devant les établissements scolaires ou qui en confieraient à des mineurs.
Pour parvenir à ces objectifs, l’administration Obama cherche à contourner l’obstacle représenté par l’Association nationale des détenteurs d’armes (NRA) en signant des conventions avec la grande distribution, comme Wal-Mart, ainsi qu’avec d’autres détaillants.
La Maison blanche s’est refusée à tout commentaire, précisant simplement que le travail était en cours et qu’aucune recommendation n’avait encore été faite. Le président Obama a demandé à Joe Biden de piloter un groupe de travail pour faire des recommandations sur le sujet dans les prochaines semaines, à la suite de la fusillade du 14 décembre. Cette dernière, déclenchée par un tireur fou qui s’est donné la mort, a fait vingt victimes parmi les élèves d’une école élémentaire de Newton, dans le Connecticut.
* Le Monde.fr avec Reuters | 06.01.2013 à 17h31 • Mis à jour le 07.01.2013 à 07h36.
Contrôle des armes : Obama aura une marge d’action limitée
Le débat sur la législation pour un contrôle des armes aux Etats-Unis a été relancé après la tragédie survenue le 14 décembre dans une école de Newtown, dans le Connecticut, où 20 enfants et 6 adultes ont été tués par un assaillant de 20 ans lourdement armé. Déterminé à prendre des « actions significatives pour éviter de nouvelles tragédies de ce type », le président américain Barack Obama a confié au vice-président Joe Biden la direction d’un groupe de travail ayant à charge de dessiner un plan de contrôle des armes beaucoup plus ambitieux qu’un simple retour à l’interdiction des armes d’assaut. Une proposition de loi a par ailleurs été déposée par une sénatrice démocrate visant à bannir la vente, le transfert, la fabrication et l’importation d’une centaine de modèles d’armes d’assaut. Cette proposition a reçu le soutien du président américain.
Vincent Michelot, spécialiste des Etats-Unis, revient sur les marges de manœuvre dont dispose l’administration Obama pour légiférer sur un contrôle des armes aux Etats-Unis.
Hélène Sallon – Dans l’état actuel du débat américain sur le contrôle des armes, les projets de législation avancés par l’administration Obama et certains sénateurs ont-ils des chances d’aboutir ?
Vincent Michelot – Dans la foulée du massacre de Newton, l’opinion américaine a été sensibilisée à ces questions. Mais le problème est qu’il n’existe pas un seul niveau de puissance publique pouvant légiférer pour régler ces questions. Il faudrait intervenir à la fois au niveau de l’Etat fédéral, de la la justice fédérale et de la législation de chacun des 50 Etats. Le Congrès américain n’a de compétence à légiférer que sur le commerce inter-étatique et ne peut interdire la vente de certains types d’armes et de munitions létales qu’entre les Etats. Les 50 Etats ont chacun la compétence sur le contrôle des armes sur leur territoire. Certains sont laxistes, d’autres sont plus stricts. En outre, la jurisprudence américaine a sanctuarisé le droit individuel de porter des armes dans une mesure telle qu’il est quasiment impossible à dénouer. Une telle complexité, rendue par des mécanismes très différents, met en exergue le caractère profondément dysfonctionnel du fédéralisme aux Etats-Unis.
Le président Obama peut renouveler l’interdiction à la vente publique sur les fusils d’assaut et les chargeurs contenant un grand nombre de balles. Cela avait été fait en 1994 avec l’interdiction fédérale sur la possession, le transfert et la production d’armes s’assaut semi-automatique, qui a expiré en 2004. Le bilan de cette loi a été très mitigé et n’a de ce fait pas été renouvelé. Cette loi n’a pas entraîné une baisse significative du nombre de décès. Elle a été donc d’autant moins acceptée par les opposants au contrôle des armes, qui y voyaient une infraction à leur liberté de porter une arme et au deuxième amendement.
En outre, pendant cette période, les marchands d’armes mettaient sur le marché des armes conformes à la législation mais aisément modifiables. Depuis la tuerie de Newtown, il y a eu une ruée sur les armes d’assaut et les armes à tir rapide. Ceux qui aiment les armes se sont précipités avant une éventuelle interdiction. Il y a aujourd’hui des dizaines de milliers d’armes à tir d’assaut légalement en circulation en Amérique. Même avec une loi, le problème ne sera pas résolu pour ces armes déjà en circulation.
Les armes sont vendues par deux types de marchands. D’une part, les armuriers et la grande distribution, à l’instar de Walmart qui est devenu le principal distributeur. L’administration américaine peut envisager de passer des conventions avec les grands distributeurs qui accepteraient de se montrer responsables sur les conditions de vente en échange d’un sceau de l’Etat pour faire plus facilement ce commerce des armes. Un grand nombre d’armes, dans les zones rurales ou les petites villes américaines, sont par ailleurs vendues lors de foires par des particuliers, avec des modalités de contrôle quasiment inexistantes si ce n’est des certificats sur l’honneur. Le contrôle de ces foires relève uniquement des Etats. Il faudrait une action concertée entre Etats mais cela susciterait une véritable levée de boucliers.
Selon le Washington Post, le groupe de travail dirigé par le vice-président Joe Biden envisage sérieusement d’imposer des vérifications globales sur l’identité des acheteurs d’armes et de contrôler les mouvements et les achats d’armes à travers un fichier national. Que pensez-vous de la faisabilité d’une telle mesure ?
Il n’y a pas de fichier national des porteurs d’armes mais un fichier par Etat. Le projet d’un fichier unifié n’a jamais abouti. Les marchands d’armes imposent un délai d’attente plus ou moins long pour vérifier que l’acheteur n’a pas de casier judiciaire ou de passé psychiatrique, mais il n’est pas possible pour eux de faire une vérification dans 50 Etats à la fois et d’imposer des délais de vérification trop longs au consommateur. On ne peut, par exemple, pas consulter le système informatique du Nebraska en Okhlahoma, car ils ne sont pas compatibles, et chaque Etat estime qu’il n’a pas à payer pour permettre cette compatibilité.
Le Congrès pourrait demander la création du fichier national des porteurs d’armes et mettre de l’argent pour le rendre consultable dans tous les Etats. Quand bien même il le ferait, il n’est pas sûr que ce mécanisme passe l’épreuve de la Cour suprême. Il y aurait sans aucun doute saisine directe pour questionner la constitutionnalité d’un tel mécanisme. Or, il n’est pas certain que la création d’un fichier national passe le test constitutionnel.
En outre, dans la longue et sinistre liste des fusillades aux Etats-Unis, la plupart des auteurs n’avaient jamais été traités psychiatriquement ni n’avaient de casier judiciaire, à l’exception de la fusillade de l’université de Virginia Tech le 16 avril 2007, où le tueur était suivi par un psychiatre mais n’avait pas encore été signalé. Ce sont souvent le fait de gens qui dérapent et ces dérapages sont rendus catastrophiques par la facilité d’accès aux armes.
L’Association nationale des détenteurs d’armes (NRA) pourrait-elle faire des concessions sur une législation relative au contrôle des armes à feu ?
La NRA a une position parfaitement consistante et logique, qui n’a pas bougé d’un iota après Newtown. Leur discours est rodé : le droit de porter des armes est une liberté constitutionnelle qui est réitérée dans différents arrêts de la Cour suprême. Leur argument est que ce sont les gens qui tuent, pas les armes.
Si l’administration Obama prépare une nouvelle législation sur le contrôle des armes, la NRA mobilisera tout son réseau. Mais il ne faut pas fantasmer sur une NRA toute-puissante qui peut bloquer toute initiative. La NRA est efficace pour utiliser le débat public à ses fins et faire passer l’idée que le contrôle des armes n’est pas une solution consensuelle. Ainsi, quand le directeur exécutif adjoint Wayne LaPierre propose qu’il y ait davantage d’armes dans les écoles, même si 50 à 60% des Américains trouvent cela monstrueux, il valide l’opinion des 40 % d’Américains ainsi que des experts qui sont d’accord avec lui.
Mais la NRA ne sera pas le principal obstacle pour Barack Obama. Les plus importants seront le système politique et judiciaire, ainsi que le test de l’efficacité. Si un compromis législatif est trouvé mais que l’on se rend compte, dans trois ans, que la loi est très difficile à appliquer à l’échelon des Etats, ce sera inefficace. On peut aussi avoir une loi qui présente une avancée notable, puis un fou sans passé psychiatrique décidera qu’il a vu le démon chez des enfants et déclenchera une tuerie. A ce moment-là, la NRA montera au créneau pour dénoncer une loi inefficace qui porte atteinte aux libertés personnelles.
Hélène Sallon (propos recueillis)
* Le Monde.fr | 08.01.2013 à 13h41 • Mis à jour le 09.01.2013 à 09h59.