Le lancement par la Corée du Nord de sept à dix missiles balistiques (un « feu d’artifice »), le 5 juillet dernier, a ouvert une crise diplomatique internationale. Washington traite l’affaire de « provocation » ; le Japon, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont déposé au Conseil de sécurité de l’ONU un projet de résolution visant à sanctionner Pyongyang. Une initiative à laquelle le gouvernement français a apporté son soutien bien que son fondement soit proprement politique et non juridique : les tirs d’essai nord-coréen ne violent aucun traité international. L’Inde vient notamment de tester pour la première fois, la 9 juillet, un nouveau missile balistique d’une portée d’environs 3.000 à 4.000 kilomètres : l’Agni III. Gageons que des sanctions ne vont pas être exigé contre New Delhi.
Le projet de résolution se veut contraignant. Ecrit dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies qui permet de justifier l’usage de la force, il affirme que les Nord Coréens doivent « immédiatement mettre un terme au développement, au test, au déploiement et à la prolifération de missiles balistiques ». Il a cependant peu de chance d’être adopté en l’état. Tout en se dissociant de Pyongyang, les gouvernements russe et chinois ne veulent pas de sanctions. Washington ne s’est d’ailleurs engagé que prudemment en reconnaissant que les tirs ne représentaient pas « une menace directe » à l’encontre des Etas-Unis.
En fait, la situation en Asie du Nord-Est apparaît verrouillée tant les enjeux sont explosifs.
La Corée - divisée en deux depuis la guerre de 1952-1953 - est au centre d’un cercle géopolitique qui comprend la Chine, la Russie, le Japon et des bases militaires étasuniennes parmi les plus importantes au monde (dont celle d’Okinawa, dans le sud de l’archipel nippon). Une crise « chaude », avec intervention US comme en Irak, impliquerait directement les grandes puissances, au risque de provoquer une réaction en chaîne incontrôlable.
C’est ce qui permet au gouvernement nord-coréen, dans le bras de fer qui l’oppose à Washington depuis des années sur la question nucléaire, de jouer de façon récurrente la carte du chantage diplomatique - que le journaliste Philippe Pons appelle « une diplomatie au bord du gouffre » (Le Monde du 6 juillet 2006). Ce faisant, Pyongyang a aussi placé devant le fait accompli la Chine, dont pourtant elle dépend pour ses approvisionnements : Pékin n’a pas réussi à convaincre son voisin de renoncer au tir de missiles.
Que la situation soit pour l’heure verrouillée ne signifie pas pour autant que rien ne change. Tokyo profite de l’occasion pour gagner en envergure sur le plan international, étant le premier auteur de la résolution déposée devant le Conseil de sécurité. La « menace nord-coréenne » lui sert à justifier le renouveau d’un nationalisme guerrier, l’abandon des clauses pacifistes de la Constitution nippone et le renforcement offensif de l’alliance militaire avec les Etats-Unis.
La situation en Asie du Nord-Est est de plus en plus marquée par le face à face nippo-chinois. Dans ce contexte, le gouvernement japonais a engagé une violente joute diplomatique contre la Chine sur la question des sanctions à l’encontre de Pyongyang. Tokyo (de même que Pékin d’ailleurs) veut à nouveau s’affirmer comme une puissance active dans la région.
La « crise des missiles » a bien entendu des répercussions directes en Corée du Sud. Le gouvernement de Séoul poursuit une politique d’ouverture envers la Corée du Nord, prenant sur ce terrain des distances vis-à-vis de Washington. Il juge en effet que les Etats-Unis, qui ont 40.000 soldats cantonnés dans le pays, ont leur part de responsabilité dans l’échec des négociations nucléaires (qui concernent la question des centrales électriques) : Washington freine des quatre fers.
Alors qu’il impose au pays des réformes néolibérales aux conséquences sociales dévastatrices, cette posture relativement indépendante permet à Séoul de diviser la gauche sud-coréenne, très sensible à la question de la réunification, et dont une aile tend à modérer sa critique sociale pour ne pas mettre en difficulté le gouvernement menacé par une droite revancharde. Cette opposition de droite peut probablement reprendre maintenant l’initiative.
Des évolutions en profondeur sont en cours. Avec une inconnue constante : que se passe-t-il et que va-t-il se passer en Corée du Nord ? Une crise interne pourrait modifier brusquement la donne.
Même si l’actuelle confrontation internationale ne quitte pas le plan diplomatique, elle nous rappelle que l’Asie - de la Corée aux anciennes républiques soviétiques - est une région du monde où les équilibres géopolitiques sont devenus particulièrement instables depuis la fin de la guerre froide.