Hybrides
17 janvier 2013
C’est à force de faire dans l’hybride que nous finirons par nous habituer définitivement à l’hybris. En ce jeudi (17/01), nos medias consacrent l’essentiel de leur bruit au… quadruple vote (en quatre urnes) au « Parlement », lequel serait en train de vivre un « grand jour » de plus. Il s’agit de se prononcer sur la suite judiciaire à l’encontre des principaux prestidigitateurs présumés de la liste dite « Lagarde », à savoir, des anciens chefs de l’exécutif, Papandréou, Papademos et de leurs ministres des Finances, Papakonstantinou et Venizélos. Nous autres, habitants des territoires et des îles par contre, nous nous désintéressons des agissements de ce type, visiblement, le « Parlement » ne constitue plus à, nos yeux… un biotope du politique.
Certains d’entre nous, se décident même à ne plus s’y intéresser et ceci de manière alors radicale, comme Dimitri, cet enseignant qui s’est pendu à Rhodes hier. Je remarque que depuis six mois environ, les suicides ne font plus la « une » de la presse. Ces nouvelles, souvent répertoriées tôt le matin, disparaissent ensuite rapidement avec l’arrivée de l’actualité... brûlante. Non pas par « complot médiatique » comme on prétend ici ou là dans nos cafés du commerce moribond, mais plutôt parce que nous nous y sommes habitués peu à peu. C’est ainsi que dans nos cafés, certains hommes et certaines femmes à l’âge si moyennement mûr, peuvent enfin se lâcher, au sujet des autonomes par exemple : « La police a raison de les écraser, il y en a assez de l’anomie, ces gaucho-anarchistes sont responsables du laxisme des dernières décennies, que l’on dégage tous ces c… (…) Effectivement, tout se dégrade, nous ne sommes plus en sécurité nulle part. Ma fille qui étudie dans un lycée privé, reçoit désormais des cours d’autodéfense. Ah ma chère, c’est la grande mode en ce moment, tous les établissements privés qui se respectent, agissent de la sorte, c’est une réponse aux défis de notre époque, c’est très bien ».
La classe moyenne restante s’accroche à ses privilèges ainsi qu’aux dernières certitudes avant l’arrêt du métronome. D’autres, comme les nombreux amis du parti de la « Gauche démocratique », ont déjà envoyé des CV par centaines. Ils espèrent se voir « désignés » à de postes « de l’administration et du mécanisme de l’Etat », certains même candidats, et qui ont alors échoué à se faire élire aux élections de juin 2012 ou sinon leurs épouses, se sont vus attribuer des postes de responsables, au sein des ministères, voire même carrément à la tête de certains organismes : La Poste (ELTA), la Caisse de prévoyance des marins (NAT), l’Office national des médicaments (EFET) – (reportage paru dans l’hebdomadaire satyrique To Pontiki 17/01). N’oublions pas que le parti de Fotis Kouvelis, qualifié souvent d’être celui de « la gauche modérée » par la presse française, appartient au gouvernement tripartite de la Troïka de l’intérieur.... pour un meilleur pluralisme dans le fonctionnement du pays sans doute !
Notre métro est à l’arrêt aujourd’hui, et il sera en grève encore demain, dans les hôpitaux les arrêts de travail se poursuivent (et à la grève de ce jeudi s’est également associé l’Ordre des médecins). Dans nos structures de santé il y a comme une hémorragie en personnel, c’est presque sauve qui peut, entre les démissions, les départs à l’étranger ou l’anticipation de la sortie vers la retraite, sous l’impulsion de la Troïka. D’ailleurs, de nombreux praticiens aussi du secteur privé, abandonnent leurs postes ou cabinets, et le pays qui échappera au froid ou au mal de dents… succombera tôt ou tard à un cancer généralisé et rapide. En tout cas Costas, un voisin dentiste affirmait hier qu’il lui arrive à faire payer certains de ses patients « en trois fois sans frais », pour de soins facturés soixante euros par exemple. Il y de quoi faire grincer… des dents, et certainement pas à cause de la « liste Lagarde ».
Avec le mémorandum, la Troïka, le froid, et à part le fascisme ou l’émigration, la rage aussi est de retour, d’où le transfert de cette…. prérogative essentielle, de l’Etat aux communes : faire vacciner nos animaux adespotes (errants), ce n’est pas évident non plus : « Jusqu’à présent, et sur le territoire des quatre municipalités de l’Est de Thessalonique, nous avons vacciné deux mille animaux (…) sur les huit mille estimés vivant dans le district », déclare un responsable de la Société protectrice des animaux basée à Thessalonique (reportage sur le site du quotidien Elefterotypia – 17/01). La situation se complique à travers tout le pays, y compris pour ce qui est de nos… « desposés » (qui ont un maître) du Troïkanisme intégral, autrement-dit « nos » députés… surtout à défaut de vaccin approprié. Sinon, comment expliquer leur atavisme alors avéré et répétitif quant à la mécanique de la mise en place de la dictature actuelle. Récemment, lorsqu’un ministre du « gouvernement » fut questionné par un journaliste sur son inactivité, (la question exacte était la suivante : « Pourquoi n’avez-vous pas proposé un seul projet de loi depuis que vous êtes en poste ? »), sa réponse a été au moins claire et limpide : « Pourquoi le faire alors ? Il n’y a plus aucune raison. Tout est contenu dans le Mémorandum » (To Pontiki, 17/01).
Et il n’y a pas que l’éditorialiste du journal satyrique qui remarque désormais combien notre régime politique tient d’une institutionnalisation hybride. Une démocratie virtuelle où le « Parlement » dévalorisé n’est qu’une chambre d’enregistrement des décrets imposés par la Troïka. Un Etat d’exception et une juridiction d’exception, tels jadis en leur temps, les tribunaux militaires de la junte des Colonels, malheureusement, le parallèle ne relève plus de l’anachronisme. Car la « manière d’usage » est déjà rodée : le « gouvernement » légifère dorénavant par décrets lesquels sont validés dès leur parution dans le journal officiel. Ainsi, le « gouvernement » peut annoncer que « le pays demeure en conformité vis-à-vis des créanciers », législateurs alors suprêmes, surtout depuis le mémorandum III. Ensuite, et par occasion offerte selon l’actualité « provoquée (?) », ces décrets déjà publiés, sont présentés (toujours dans « l’urgence ») à la Chambre, qui se comporte comme la lessiveuse au blanchiment des lois mémorandaires. Remarquons déjà que le décret « souverain »…. de l’abandon de la souveraineté du pays au profit des créanciers, fut adopté le jour où le siège de la Nouvelle démocratie (dont le bureau de Samaras), ont été mitraillés par des inconnus.
Vendredi dernier, six nouveaux décrets liés à la reforme de la fiscalité ont été présentés au « Parlement », pour être « discutés » et adoptés jusqu’à lundi dernier délai, ce qui a été fait même si les députés n’ont pas forcement eu le temps de lire le texte, de plus de trois cent pages. Le ridicule ne tue pas, sauf que certaines apparences doivent être conservées, d’où la réaction de la Troïka qui exigea aussitôt du « gouvernement », « une meilleure régularité parlementaire ». Décidément, lors d’une réunion récente entre les chefs des partis appartenant à la coalition gouvernementale, il a été admis « que de telles pratiques dans le processus de légiférer, c’est-à-dire par décrets, ne furent utilisées que par la junte ». Ce qui n’empêche pas… la poursuite du népotisme par d’autres moyens. En plein milieu de la récente législation austéritaire, on a relevé par exemple cette création nouvelle « de l’Institut de la philatélie, alors doté d’emblée d’une enveloppe financière de 300.000 euros » (To Pontiki, 17/01). Intéressant !
Nos petits surréalismes de saison et de tous les jours, complètent enfin dignement les apories de nos existences. Place de la Constitution, le soleil qui alterne avec les orages laisse déjà apparaitre chaque matin le nouveau smog qui plane sur l’agglomération. Les mendiants sont plus discrets par moment, et pendant que la Chambre doit débattre de la « liste », un conducteur de taxi explique à son collègue sur cette même place « que tout peut finir rapidement, les gens n’en peuvent plus, selon des sources alors sûres (sic), l’armée bougera et ces traitres seront fusillés sur les lieux même ». Tiens, cela faisait un moment que cette rumeur n’était plus d’actualité, je l’ai entendue le soir même en direct à la radio de la bouche d’un auditeur joint par téléphone, un ancien militaire. Ce qui ne tiendrait par contre plus de la rumeur, est le prosélytisme aubedorien vis-à-vis de certains toxicomanes des quartiers centraux dans la constitution de freikorps, des groupes d’assaut à l’échelle locale (reportage et termes : To Pontiki, 17/01). Selon l’hebdomadaire, « cette cristallisation des esprits, s’est produite après l’assassinat de Manolis Kantaris en mai 2010. Les assassins, deux immigrés, avaient volé de leur victime, sa camera vidéo au moment où ce dernier s’apprêtait à se rendre à la maternité pour filmer la naissance de son premier enfant ». Le retentissement de ce crime fut énorme dans l’opinion, sa symbolique a été d’ailleurs fort instrumentalisée par les médias. Et ce jeudi (17/01) comme par hasard, on vient d’apprendre qu’un immigré a été assassiné à l’arme blanche par deux grecs qui d’ailleurs ont été arrêtés.
Nos vies dans cette ville, devenues alors hybrides se nourrissent de l’air du temps. Aux bistrots du centre, des musiciens chômeurs (ou des chômeurs musiciens) accompagnent la sociabilité de ceux qui en possèdent encore. Les clients chantent, le chant populaire des années 1950-1970 est fort apprécié, preuve que la société grecque regarde souvent dans le rétroviseur, tout en se tournant vers la restauration rapide à la grecque des brochettes, d’où le grand nombre d’établissements du genre qui apparaissent partout depuis le mémorandum. Sauf que certains d’entre eux, ont déjà fait faillite.
Dans tout ce patchwork, on apprend par voie d’affichage qu’un prêtre russe donne une conférence sur le renouveau orthodoxe en Russie, tandis qu’à deux pas de là, au marché aux puces, les transactions ne faiblissent pas. Je remarque à l’occasion qu’une certaine camelote historique, comme ces petites banderoles : « Vive le 21 avril 1967 » (jour du putsch des Colonels), est affichée sans aucune retenue, l’époque s’y prête bien, la nôtre bien entendu.
En face, nos belles ruines du centre, ruines alors récentes, néanmoins décorées d’espoir : « Nous croyons en un meilleur avenir ».
Panagiotis Grigoriou
Ne tirez pas sur le… lampiste
14 janvier 2013
Le pays est visiblement immergé sous les eaux glaciales du mémorandum profond. Il n’y a plus de travail, ni de conventions collectives, et c’est la fin officielle de notre (petite) souveraineté depuis le décret du 12/12/12, alors ratifié il y a quelques heures par le « Parlement ». Simultanément, vendredi dernier et ce week-end, des « explosifs artisanaux » (et leurs initiateurs qui le sont sans doute moins), ont visé les demeures d’un certain nombre de journalistes « jugés systémiques », ainsi que l’appartement habité par le frère du porte-parole du gouvernement et par sa famille. Et pour finir (?), c’était vers 3h du matin ce lundi (14/01), que le siège du parti de Samaras (Nouvelle démocratie) a été mitraillé par des inconnus. La police a recueilli sur place neuf douilles de fusils d’assaut Kalachnikov, dont une à l’intérieur même du bureau du Premier ministre. Les rumeurs courent la ville et ses cafés, pétards mouillés, complots, déflagration spontanée ou alors passage à l’âge des fusées de détresse, après celui du naufrage ? Manolis Glezos s’est posé la question (rhétorique) de « ce mitraillage qui aurait pu être l’œuvre du para-État, proche de la Nouvelle démocratie, la gauche de toute manière n’est jamais gagnante à la suite de tels actes » (reportage sur enikos.gr du 14/01).
Impossible de savoir, nous en tout cas, nous n’en savons rien. D’ailleurs, nos propres « affaires » nous préoccupent davantage que les attentats en ce moment : le chauffage, la poursuite du travail introuvable, la maladie, voire la survie. Il y a de quoi déprimer.... Sauf tante Stavroula qui n’a plus envie d’être pessimiste, ni d’être connectée à l’emprise du réel, elle a changé d’avis « par elle-même » comme elle l’affirme avec véhémence : « Non, la situation va changer, elle changera en s’améliorant, tout doucement certes, mais certainement… ». Son fils, mon cousin, ne partage pas cet avis : « Ma mère dit que tout ira mieux, elle s’est enfermée depuis Noël dans cette nouvelle idée fixe, elle répète ce... slogan du matin au soir, après chaque bulletin d’info à la télé, après chaque mauvaise nouvelle. Même en apprenant que l’alcoolisme de notre cousin Manos s’est aggravé, suite à son chômage, elle a voulu relativiser. Tu vois, Manos, s’est même brouillé avec son frère depuis qu’il a récupéré la part qui lui revenait du patrimoine de leur père, essentiellement de l’immobilier.
Depuis le début de la crise, il a bradé deux biens immobiliers et il est toujours criblé de dettes. Il n’a même pas réglé la vignette auto, c’est à ce point… Mais je ne le plains pas autant que d’autres, Manos a toujours été un boursicoteur, il n’a jamais travaillé réellement, il a été comment dire, toujours porté par le vent… qu’il brassait lui-même ainsi que les autres profiteurs. Le problème c’est que les gens comme nous qui avions toujours travailler, nous avons du mal à nous faire une place dans cette nouvelle situation inimaginable… Moi-même, je ne vois pas comment faire pour m’adapter davantage... à la crise. Depuis plusieurs mois mon épouse et moi, nous dépensons pratiquement au même rythme qu’avant, c’est-à-dire, avant la diminution brutale des revenus, mais les dépenses sont incompressibles. Nous puisons chaque mois dans notre épargne, cela durera encore au mieux jusqu’à l’été prochain, ensuite je n’imagine même pas, je ne veux plus savoir… ».
Ce lundi matin, on nous annonce les nouveaux impôts, c’est pour la énième fois, et en plus, l’augmentation du prix de l’électricité d’environ 10%. Au même moment, la dernière mode est à la fermeture des Centres des impôts, un peu partout et sans exception… même maritime. Le mémorandum, c’est la crise, plus l’insularité... radicale. Les habitants des îles sont consternés. A Karystos, dans le sud de l’île d’Eubée, la population, soutenue par son maire a muré les ouvertures du bâtiment, ils ne comprennent pas les décisions du gouvernement : « La douane… est partie, des écoles ont été fermées, nous n’avons plus de dispensaires, maintenant c’est au tour du centre des impôts, nous ne comprenons pas, le bâtiment est mis à disposition gratuitement par la municipalité… nous serons obligés à parcourir plus de cent kilomètres pour nous rendre à l’hôtel des impôts le plus proche… » (sur Real-FM, 14/01).
Les habitants, tant habités par la crise n’arrivent plus à scruter l’horizon, ni à (se) composer une meilleure exégèse des nuages qui s’accumulent. Tout simplement, ils n’auront pas « à se rendre aux impôts » selon l’expression d’usage, parce que désormais (et progressivement), la politique fiscale pour ce qui relève de la collecte de l’impôt deviendra une prérogative alors transférée aux banques, selon les termes du mémorandum III, comme déjà cette année, avec la perception de la vignette automobile. Mais on manifeste encore... heureusement. Réactions alors disparates dans un pays disparu. Comme peut-être le week-end dernier au centre d’Athènes, où les défenseurs de l’autonomie des squattes ont défilé peu nombreux, et aussi, les opposants venus depuis le nord du pays pour dénoncer le saccage de leur foret par la société canadienne, exploitant l’or de la région. Les mauvais esprits du jour, remarquèrent alors « que de toute manière les forets du pays finiront dans les cheminées », certes, c’est déjà vrai que même en face de l’Acropole, « on puise » dans le bois, finalement le pays a des ressources qui… tiennent encore debout !
Et même, si ce n’est pas « à l’improviste » (c’est-à-dire en « s’approvisionnant » chez le voisin), c’est au sein des familles que le conflit du bois éclate, lorsque par exemple, Takis fait abattre les arbres hérités des arrière-grands-parents et dont la famille (et sa mémoire) étaient si fières... car il faut passer l’hiver : « Les arbres peuvent être replantés, pas nous… alors nous n’allons pas mourir de froid avant l’heure ». C’est logique, non ? D’autant plus, que ce qui en restait de l’esprit des campagnes, c’est-à-dire de cette population encore capable de résistance, a été détruit par les politiques de l’U.E., autrement-dit, ses subventions accompagnées d’un certain choix dans le type d’agriculture et… d’oisiveté, c’est selon, pratiques en tout cas largement instrumentalisées par les petites et moyennes élites locales avec la complicité de certains habitants. Ce qui par les temps qui courent, renforce le sentiment de la « culpabilité partagée », immense trouvaille des troïkans de l’extérieur, comme de l’intérieur dans la gestion des division du corps social et institutionnel du pays. D’où sans doute, une part dans l’explication de la passivité des habitants de la baronnie, peut-être, (une autre explication étant tout « simplement » la peur).
Dernière nouvelle, (et) selon certains témoignages, de nombreux citadins qui avaient quitté la ville pour la campagne en retournant sur la terre de leurs ancêtres, font l’amère expérience de… la diagonale du vide sociétal, culturel et plus grave encore, relationnel. Ils y rencontrent des communautés repliées sur elles-mêmes, une solidarité inexistante, leur inadaptation aux métiers de la terre, ainsi qu’aux intrigues locales. Leurs réserves s’épuisant, la seule solution qui reste est, soit le retour à la ville ou peut-être, l’émigration. Le « retour massif à la terre comme issue à la crise », tant « plébiscité » par les médias mainstream depuis plus d’un an, ne se confirme pas, en tout cas, il ne se conforme pas à leur optimisme.
Dire que les villages sont éloignes de la première ligne n’est pas exact. A l’occasion de la projection en Grèce de son dernier film « Le Capital », Costa Gavras se dit persuadé que « nous vivons une sorte de IIIe Guerre mondiale, les riches deviennent encore plus riches, la codification des valeurs qui régissaient jadis les sociétés ont changé, toute éthique est mise de côté, à l’exception de celles de l’égoïsme et de l’enrichissement à la seul et unique hauteur de l’individu. Cette guerre mondiale économique planétaire, fonctionne en même temps comme une guerre civile au sein des sociétés » (entretien accordé au journal Avgi – 13/01). Je dirais même qu’il s’agit d’une guerre totale que l’on appelle « crise », pour en imposer à la fois le « texte » et le contexte. Ainsi, nos îles et nos contrées n’y échappent pas, en tout cas, pas vraiment. Ce qui n’enlève rien à la relative « douceur » de la crise, ailleurs qu’à Athènes, douceur en somme fragile et potentiellement précaire.
Car dans nos campagnes on a aussi froid et faim, et les violences, jusqu’alors contenues ou « historiquement muselées », retrouvent…. de leur voix, sans compter.... sur l’ingratitude de la nature. Depuis les inondations de décembre dernier par exemple, les habitants du village de Drota (île de Lesbos), n’ont pas encore été raccordés au réseau d’électricité ni à celui de l’eau potable, ils sont d’ailleurs sans téléphone depuis. On comprend alors pourquoi depuis quelques mois, de très nombreux hommes se rendent plutôt au Mont Athos qu’ailleurs, c’est pour y trouver refuge et nourriture durant au moins une brève période de répit, les moines Athonites ne savent plus comment « gérer » ce pèlerinage de type nouveau. C’est bien connu, nos moines ont l’électricité, l’eau et parfois des…. sociétés Offshore. Époque… décidément criante !
C’est pourtant déjà la saison du sirocco et des… amours des adespotes, preuve que le printemps tant attendu n’est guère trop loin. Les caïques de pêche s’apprêtent toujours à appareiller depuis le port de Lavrion, et au centre de cette même ville, pratiquement morte économiquement aux dires de certains habitants, on y vend de l’ail produit… forcement chez nous, car le message (forcement simple) est alors limpide : « Achetez grec, pour que l’argent reste en Grèce, c’est en achetant [les produits] étrangers que notre catastrophe est venue ». « Forcement simple » d’ailleurs serait également cet autre message du jour (et) d’Alexis Tsipras, à l’issue de sa rencontre avec Wolfgang Schäuble à Berlin : « Le climat fut amical (…) la rencontre était utile et constructive (…), un bon début. Le mémorandum de l’austérité a été recalé par la vie-elle-même (sic). Et à présent, nous devons faire face aux conséquences : paupérisation, chômage, montée du fascisme. Ce cauchemar de doit plus revenir, ni en Grèce, ni s’étendre en Europe (…) » (hebdomadaire Ta Epikaira, 14/01).
On y apprend également à la decouverte du reportage de l’hebdomadaire, que le chef de Syriza, rencontrera à Berlin ses camarades du parti Die Linke, ainsi, que notre administrateur colonial, Hans – Joachim Fuchtel. « Donc, nous serons prévenus au moins…. sur le prochain… changement climatique », ironisent déjà certains adhérents, issus de la mouvance gauche du parti dans un café à la périphérie d’Athènes. On comprendra surtout qu’il va falloir se tenir prêt, c’est pour faire face aux conséquences, à toutes les conséquences, et pour…. ne pas trop s’éloigner de l’agenda de la Troïka.
Espérons au moins qu’il nous sera encore possible de nous éloigner un peu d’Athènes, rien que pour prendre toute la mesure des éléments, jusqu’au temple de Poséidon par temps de sirocco.
Panagiotis Grigoriou
Équipage subalterne
11 janvier 2013
Le temps s’est bien radouci depuis que le vent nous vient du sud et sur Athènes, la pluie était de retour ce matin (11/01) avant enfin le soleil. C’est le seul changement significatif du moment, d’autant plus (et à notre grande satisfaction) que notre immense classe ex-moyenne a aussitôt modéré l’usage de ses cheminées. Alors on respire déjà un peu mieux. Ou presque, car l’actualité choisie et imposée, s’attarde toujours sur la liste dite « Lagarde », ses CD en copie, ses clés USB en circulation, ou sur le député Pasokien d’hier qui a quitté le parti historique du meilleur « socialisme » offshore du siècle. « Nos » médias enfin, dramatisent cette « guerre » entre la droite qui gouverne et les « autonomes » des squattes autogérés de la capitale, violemment évacués par la police depuis peu, l’un après l’autre.
AChez Syriza, on soutient certes les « autonomes » mais avec précaution, et toutefois dans un imbroglio relatif. Sans doute, en attendant le… réveil des consciences qui apparemment tarde à venir. Comme ces vraies grandes nouvelles qui habitent parait-il la « contrée de l’ailleurs », et certainement plus tellement le « Parlement ». Nous avons dit au revoir à la démocratie la plus byzantine et ottomane parmi les démocraties occidentales, la « restructuration » politique et institutionnelle est en cours, elle avance même à grands pas. La distance parcourue depuis les élections de juin parait impressionnante, à la mesure de notre temps historique structurant : très dense.
Nos anciennes habitudes, lorsqu’elles ne sont pas mortes, fusillées par la Troïka et par les élites omniphages de l’ex-pays, elles restent comme suspendus dans le vide, vie parlementaire comprise. Cette dernière en plus, elle fait dans le hors sol social et sociétal, une adéquation qui préoccupe à vrai dire les Syrizistes : « Même les nôtres, les meilleurs, les mieux aguerris des députés de la Gauche radicale, ceux qui n’ont jamais été des corrompus, se sont enfermés dans leur tour d’ivoire du politique et des appareils du parti, leurs idées sont… radicales, sauf qu’elle ne s’alimentent plus de la société mais plutôt, de son reflet à travers le miroir de Syriza. Nous perdons déjà notre influence de juin dernier, les gens sont fatigués, de nombreux électeurs n’iront plus voter je crois. Trois amis du quartier, se disent prêts à revoter KKE ou Antarsya [Parti communiste et Parti de l’extrême Gauche], nous n’irons nulle part. La société se pose la question de sa survie, ce n’est ni la liste Lagarde, ni l’évacuation violente de la Villa Amalia par les flics qui intéresse les gens », expliquait récemment un cadre Syriziste en petit comité informel.
Ce n’est pourtant pas l’avis de tous, au sein de la Gauche radicale : « Non, cela prendra du temps, beaucoup de temps, des années même, le déclassement social et économique ne se transforme pas automatiquement en pratique politique de gauche… en plus », lui répondit un de ses amis. Quant au reste du… « pays réel », il peut ne pas s’attarder un seul instant sur la longueur d’ondes du peuple de gauche, comme ces trois inconnus du métro athénien de ce matin (deux hommes et une femme, la petite quarantaine déjà entamée) : « Ces anarchistes de gauche nous les cassent (sic) avec leurs squattes. Ils foutent le bordel (sic) et ensuite ils se plaignent que c’est l’Aube dorée qui les agresse. La police a raison de nettoyer Athènes, puis c’est clair, entre ces idiots et les gars de l’Aube dorée, on préfère les deuxièmes eh… ». Aucun passager n’a voulu réagir, désormais on n’engage plus la discussion avec les inconnus… c’est clair, le pays… est en guerre.
Il finira forcement par se transformer en quelque chose ce déclassement…. et nous, entre temps en anachorètes. Nos vies se brisent, « doucement » ou brusquement, comme pour cette femme, âgée de 52 ans et mère de quatre enfants « optant » pour le suicide dans l’ouest du Péloponnèse il y a deux jours. Selon le reportage, cette famille avait quitté Athènes récemment pour se réinstaller au village d’origine. Il y a à craindre qu’une telle « réinstallation » définitive ne nous attende tous ici. Espérons bien que non.
Place de la Constitution, les... confettis de Noël ont été ramassés à l’exception des restes de la patinoire installée par le maire et ses sponsors. Le malade (ou « malade » ?) habituel de la tumeur au cerveau est de retour, tout comme ce grand personnage, notre… amiral de la flotte qui coule. Les visiteurs et autres touristes hivernaux se font photographier devant le bâtiment ou la garde Evzone, le chien est à sa place scrutant le « Parlement », et tous les mendiants des lieux, à l’exception du jeune barbu des escaliers de droite, face à la sortie du métro. Qu’en est-il devenu ? Mystère. Des immigrés poussant leurs caddys remplis de « récup », font leur apparition toujours furtive, et les portiers des Grands hôtels de la place, agacés, les éloignent du périmètre du luxe. Finalement nos fragmentations sociales, si extrêmes qu’elles soient-elles, se touchent et se croisent de plus en plus, surtout à Athènes.
A deux pas de la place, en face de la brasserie, la (presque) plus huppée de la ville, un jeune couple est en train de mendier. Sur la terrasse du café, trois clients ont laissé un sandwich (assez !) entier, des restes de leurs cigares et une note de 27 euros. Fragmentation sociale extrême et alors si rapide. « Trop près, trop vite, danger » ? C’est probable. Entre-temps, on apprend que le chômage en Grèce dépasse désormais celui de l’Espagne selon Eurostat, 28%, et plus de 60% chez nos jeunes. C’est sans doute en cela que résiderait « ce retour à la croissance pour bientôt », (annoncé) depuis trois ans déjà, selon les Papandréou, Papadémos, Samaras, Papakonstantinou et Stournaras, nos politiciens… formateurs en formatage de supports USB. Alexis Tsipras ira même le dire lui-même bientôt à Wolfgang Schäuble (selon ses propres déclarations de ce matin 11/01 sur Real-FM) : « Le mémorandum est une impasse, il a échoué, nous ne pouvons plus poursuivre dans cette voie ».
D’où ce titre du journal Elefterotypia (de centre-gauche) qui réapparait dans les kiosques depuis hier (10/01) : « Alexis a fait tomber le mur [de Berlin] », s’agissant de la rencontre annoncée entre les deux hommes politiques lors du prochain voyage du chef de Syriza en… métropole, le week-end prochain. Nous voilà alors rassurés ! Et pour faire bien, le Centre National du Livre a été définitivement fermé. Certes, ses derniers dirigeants ont incarné jusqu’au bout le scandale (avéré) politico-financier pasokien, fournissant au moins le prétexte attendu par la Troïka. L’Union des Éditeurs du pays, proteste également contre l’intention du ministère de l’Économie, obligeant tous les écrivains à se déclarer comme indépendants, exerçant ou pas, un autre métier.
En cet hiver athénien, nos vendeurs ambulants (non déclarés peu-être) sont à leur place, ils affichent même souvent le sourire et leur pauvreté sur une petite pancarte, inspirée du vieux cinéma grec des années 1950. On peut au moins dans toute cette ambiance, s’inquiéter de la disparition de Bingo, et de la « faillite de la gauche » (Elefterotypia – 10/01). Les vraies nouvelles courent pourtant les rues. Depuis un an par exemple, nos centres d’accueil pour toxicomanes reçoivent une population qui non seulement se compte désormais par milliers, mais qui en plus, devient plus âgée et plus « bourgeoise ».
Dans les « beaux quartiers » l’alcool fait des ravages selon les connaisseurs des lieux, on vend parait-il désormais les bijoux et les tableaux de la famille pour s’acheter whisky et nourriture. Souvent, les transactions sont assurées par des intermédiaires, c’est toujours honteux que de perdre sa (petite) fortune, même lorsqu’elle a été gagnée aux casinos du népotisme, évidemment sans aucune vergogne, à l’époque de la « Grèce forte » de Simitis et des siens. Des siens justement. Charis Theocharis vient d’être nommé à la tête du nouveau Secrétariat des Recettes de l’Etat, un poste névralgique dont la création fut exigée par la Troïka et qu’il échappe du contrôle du « Parlement ». Ah oui, Charis Theocharis, (qui garde également le contrôle du Secrétariat Général aux Systèmes Informatiques) fut un vice-président de Lehman Brothers… ceci explique peut-être cela, et « accessoirement » aussi, l’essor de la « sissa », la nouvelle drogue à base de liquide de batterie qui provoque tant de ravages dans nos quartiers déjà populaires, c’est-à-dire dévitalisés du monde, comme les bancocrates.
Nos journalistes ne s’attardent pas sur Charis Theocharis, ni sur la Sissa d’ailleurs. En plus, cinq (petits) engins ont explosé (des bonbonnes de gaz), devant les domiciles de certains journalistes, donc… c’est grave, certainement plus qu’autre chose. Nos télévisions se déchainaient, la dramatisation arrive alors par vagues, la liste « Lagarde », les squattes, les bonbonnes. Pauvres gens, pauvres nous tous, alors équipage subalterne sur la galère du dernier monde.
A ce propos, notre mer contemplant la neige, est si belle en ce moment, sauf qu’aux dires des nageurs hivernaux, sa température a baissé brusquement entre décembre et janvier. La mer a toujours été de notre horizon, mais plus maintenant. « Nos » armateurs se sont associés au maire d’Athènes (Kaminis, un insignifiant Pasokien) pour aider 500 familles nécessiteuses de notre ville. Chaque famille recevra 35 kg de nourriture et de produits de première nécessité par mois. « Nos » armateurs se promettent aussi d’embaucher plus de cinq mille « marins de base car le chômage fait des ravages ». Et notre presse a pratiquement ignoré l’autre véritable grande nouvelle du moment : les conventions collectives dans la marine marchande ont été également abolies avec le mémorandum III. Au lieu de 2.500 euros par mois auxquels s’ajoutaient les rémunération des heures supplémentaires, nos marins désormais seront payés 890 euros (par mois), heures supplémentaires comprises, à peine plus que leurs confrères Philippins. La Grèce, pays du grand large, et des équipages subalternes.
Panagiotis Grigoriou
Jour de neige
8 janvier 2013
La première neige de l’année 2013 sur Athènes c’était ce matin (8/01). « C’est déjà un changement », tel est message d’une auditrice sur Real-FM. Effectivement, à part les déboires de certains ex-ministres depuis « l’arrivée » de la prétendue (nouvelle) liste dite « Lagarde », la radiographie du jour s’attarde davantage sur les routes déjà bloquées au nord de l’agglomération et dans une moindre mesure, sur le séisme de 5,8 R de l’après midi dans la partie nord de la mer Egée. Une fine petite poudreuse tombée dès la levée du jour, et voilà, qu’à la dérégulation bancocrate planétaire, s’ajoute la dérégulation athénienne tout court.
Et ce matin comme hier, il faut compter sur l’occupation par les agents, du principal entrepôt du métro athénien provoquant des retards sur toutes les lignes : « Nous réclamons l’intervention du procureur, car la direction et les politiques veulent prouver à tord, que la Régie des transports serait une entreprise fortement déficitaire, ce qui facilitera évidemment sa mise en vente aux… investisseurs pour une bouchée de pain ». D’où un certain retard dans la circulation des rames, la neige en plus.
Dans un café à Metaxourgeio, un quartier en perpétuelle transition dans une période de crise devenue durable, les habitués se retrouvent après les fêtes dans le sourire : « Quelle joie que de voir la neige enfin tomber sur Athènes, mais il fallait sortir avant 10h pour se faire une belle idée. Mon neveu qui a émigré en Suède depuis un an, m’a raconté que la vraie neige c’est alors en Suède. Il gagne bien sa vie, il ne regrette pas d’être parti, sauf pour la sociabilité. Un autre monde. Il avait par exemple proposé à ses collègues de prendre un verre ensemble, et eux, lui ont répondu – oui, mercredi d’après à 19h30 - chez nous c’est immédiat… ou plutôt c’était, avant la Troïka. Mais nous aimons tellement notre ville et notre sociabilité, je suis née ici dans ce quartier, tout comme ma mère. Elle est née en décembre 1944, c’était alors ici la première ligne dans cette bataille entre les communistes et les anglais épaulés des sbires de l’extrême-droite et éternels collabos des Allemands… leurs petits enfants gouvernent toujours… ».
Des jeunes, assis autour d’une table voisine ont alors offert une tournée d’ouzo aux autres habitués : « Bonne année à tout le monde, nous méritons mieux cette année, non ? » Parmi eux, un couple déjà suffisamment hispanophone et qui ne cache pourtant pas ses intentions : « Eh les gars, nous partirons en Amérique du Sud, la vie est devant nous, ici en Europe nous ne pouvons plus rien faire car les vrais chefs politiques manquent pour organiser la résistance ou simplement le renouveau. Même lorsque nous résistons au système, c’est par – comment le dire – réaction chimique, par automatisme, on coordonnerait d’une certaine façon notre volonté et tous ces pantins seraient vite rayés de la liste des gouvernants ».
A part les consommations commandées, les jeunes avaient également apporté des aliments emballés dans du papier d’aluminium, ce qui devient désormais une pratique courante parait-il. Et justement au même moment, un homme âgé, a pénétré dans le café pour ainsi implorer, notre attention, quelques petites pièces et des cigarettes. Il n’est pas parti bredouille pour une fois. La crise s’invite à notre sociabilité, et surtout hélas, elle s’y impose. D’abord, elle nous est imposée sous ses diverses formes sémantiques, ses mots, son vocabulaire. Parler de « crise » ou de « mémorandum » c’est déjà accepter le... structuralisme bancocrate. D’où certainement les jeux de mots, la dérision, la création si possible d’un autre vocabulaire, le nôtre. Ce n’est pourtant guère facile, nous savons que les médias dominants imposent également et sans trop de peine les termes de nos univers concentrationnaires.
J’observe d’ailleurs que chez certains pays de l’U.E., cette « préparation » sémantique de « l’entrée en crise » connait ses heures de gloire en ce moment. Et comme pour une entrée de guerre, il faut aussi façonner sa culture, « spontanément » ou pas. Certains historiens de la Grande guerre avaient jadis proposé la notion de la « culture de guerre », je suggère alors déjà à mes collègues historiens du présent et du futur, celle de la « culture de crise ». Et pour finir, plus que pour avoir appauvri et dépecé le monde du travail et piétiné sa dignité, nos « dirigeants » devraient être poursuivis pour avoir imposé leur culture et pour « crime contre la sociabilité ». Une Cour d’exception les jugerait ainsi pour cet état « exceptionnel », durablement mortifère qu’ils imposent aux « citoyens d’en bas », espérons-le en tout cas.
Au marché central rue d’Athéna, les restaurants populaires servaient ce matin le seul véritable plat du jour : la soupe aux tripes. Nos retraités en raffolent, et comme du temps d’antan, ils commandent alors parfois une demi-portion : « Une « oligi », s’il vous plait… ». Décidément, c’est le règne de… l’oligarchie en ce moment. Ils payent alors 4 euros pour « l’oligon », et 6,80 euros pour une portion complète, pain et couvert compris. « L’oligon » extrême n’est qu’à deux pas, c’est-à-dire en face, de l’autre côté de la boucherie « viande de Naxos », où un sans-abri (se) partage l’arrière-cour des halles d’Athènes avec un chat, toujours « non-desposé », (le chat).
Mais il y a plus grave, car au même moment, d’autres sans-abri du centre, se protègent comme ils peuvent. Et ce matin, dès que le soleil a fait une apparition brève, ils se sont déplacés pour en profiter, sur la Place Koumoundourou par exemple, comme ailleurs. Un cadre Syriziste, sur le point de franchir sans trop se presser la porte au siège de son parti (sur cette même place), ne remarque plus, ni le rare soleil, ni ses ombres humaines du jour ou peut-être bien d’époque. La Gauche radicale stagne dans les sondages, d’où peut-être toute cette énergie dépensée autour de la création d’une commission d’enquête statuant sur les fautifs de la « liste Lagarde ».
La « liste »… qui n’est pas une liste, mais une « refonte » d’archives qui ont transité entre les services secrets français et les agents de « l’Etat » grec (selon le reportage de ces derniers jours) : « déjà la justice française considère que de tels éléments qui sont le produit d’un vol d’archives ne peuvent pas être utilisés » (Real-FM, 8/01). Rappelons qu’à l’origine, un ancien cadre du service informatique de la banque suisse HSBC, après avoir subtilisé les fichiers de son ancien employeur en 2008, avait d’abord tenté à prendre contact avec plusieurs organisations gouvernementales, dont celles de la France. C’est d’ailleurs ce que Papakonstantinou a répété à la télévision hier soir : « ces fichiers sont légalement inutilisables, je n’irai pas en prison, rien que pour sauver le gouvernement », on comprend au moins, que ce n’est plus de son film qu’il s’agit, mais de l’entracte de notre système politique.
Chez Syriza par contre on fonce toujours, on considère ainsi qu’à part Giorgos Papakonstantinou, Venizélos (le chef du Pasok) devrait également comparaitre, mais (paradoxalement !), pas forcement Giorgos Papandréou. On comprend que Syriza pense « récupérer » ce qui resterait des électeurs du Pasokisme historique (et hystérique) en « salissant » le profil… Venizéliste et sa grande… muraille. On se croirait en plein… Facebook et en tout cas dans le virtuel. Au moins, et dans un certain concret, depuis hier (7/01) deux députés de la « Gauche démocratique » (le parti de Fotis Kouvelis qui participe au « gouvernement » de la Troïka de l’intérieur en bons Samaritains de … Samaras), ont été rayés des rangs de leur parti. Officiellement c’est leur position sur les… remontées d’acidité de la « liste Lagarde », rendue publique par voie de presse qui ont mis le feu au lac, officieusement, ces deux élus, se rapprocheraient gentiment du parti d’Alexis Tsipras, ce qui ne serait pas forcement une bonne nouvelle.
Le chef de Syriza se rendra à Berlin ce week-end, à l’occasion du Congrès des partis issus de la « Gauche européenne », terme qui tient d’ailleurs de l’oxymore mais passons. Déjà Samaras et Papoulias (notre marionnette présidentielle), se trouvent à Berlin depuis hier : « la crise inaugure une nouvelle page dans l’amitié gréco-allemande, nous invitons nos amis allemands à visiter la Grèce », déclare depuis la métropole notre vieux Papoulias. Le pauvre. Paroles en l’air un jour de neige sur Athènes. Même la presse n’a pas accordé trop de place à ses déclarations, quant aux convives de Metaxourgeio n’en parlons pas : « Le café c’est à la fois un Parlement et un cabinet médical », peut-on lire sur un mur du bistrot, ce que même notre gauche, (gentiment) radicale et néanmoins sympathique, finit par oublier. Déjà la sympathie n’a jamais été de partie dans une réflexion politique, et ensuite, il y a la triste évidence : la vie parlementaire dans un pays où la démocratie est morte, c’est du mouvement d’insectes dans une tombe, elle relève de l’entomologie forensique. Manifestement, la vie est ailleurs, comme par exemple dans ce café, entre l’ouzo et le (chant) rebetiko, entre la Grèce et ses… Amériques du Sud.
Et ce midi, la table vivante de la bière n’a pas manqué à souhaiter la bonne année à la table valeureuse de l’ouzo, au moment où tout le monde a fredonné une chanson de Vassilis Tsitsanis de 1948. Ce pays vient de loin, mais il n’ira peut-être plus nulle part : « Bonne année, nous n’avons plus peur de mourir », tiens, c’est la première fois que j’entends ce vœu.
Évidement, si l’on s’en tient à l’actualité « formelle », le bois brûle à fond dans les cheminées, le pays tout entier est ainsi dévoré… par les flammes du « progrès », et nos politiques, par celles de la dite « liste Lagarde ». Trangas quant à lui, le vieux renard du journalisme est de retour sur antenne de Real-Fm (depuis hier), et également en Grèce après un séjour en « exotérique » comme dit, selon l’expression consacrée (c’est-à-dire à l’étranger). Il exprima encore hier, d’abord son dégout de la politique et de l’actualité (« étonnant » !), et ensuite, ce sentiment libérateur aux dires de beaucoup de monde ici, car lié au départ, comme une délivrance, ce qui tient de la nouveauté des temps mémorandaires. Effectivement, pour ceux qui le peuvent encore depuis chez nous, quitter la Grèce, non pas pour émigrer, mais pour « simplement » sortir en… permissionnaires du camp troïkan, cette expérience s’avère salvatrice et instructive, tel un bol d’air. Indéniablement, et en tous cas pour l’instant, « l’exotérique » c’est un univers au moins d’une certaine altérité. Paris, Marseille, Bruxelles, Londres, Berlin… territoires hors crise ouverte (THCO), ou presque.
Trangas a aussi révélé (?) qu’en France par exemple (telle fut en tout cas son impression), que « les pièces d’identité grecques ne sont pas acceptées au même titre qu’avant c’est-à-dire avec la même facilité, et que l’on exigerait presque des passagers à présenter leurs passeports, tout cela demeure certes officieux, de même que le contrôle des passagers en provenance d’Athènes ».
Les convives du café ont regardé une « dernière » fois la neige tomber après la brève éclaircie, et ils… iront aux Amériques. Athènes, au métro perturbé, vivant ses musiques et ses (petites) résistances quotidiennes. Nous avons acheté des agrumes au marché du coin avant les retrouvailles… autour du chat de notre mouvement « Unité 2012 ». Sociabilité et luttes à Athènes un jour de neige.
Panagiotis Grigoriou
« Nous avons mangé tous ensemble »
Non, ce n’est pas Theodoros Pangalos qui selon sa formule consacrée [« Mazi ta fagame »], muée en essai (auto)psychanalytique s’exprime ici, mais les deux convives de la blogosphère helléno-(anti)mordorandaire, Okeanos et Panagiotis, ce samedi (5/01).
Nous célébrions nos sites, nos cuisines d’arrière cour, les arcanes du blog, les recettes de pastitsio : la bonne humeur s’avère être une construction révolutionnaire, surtout par les temps qui courent. Discussions de circonstance sur l’acidité de notre nouvelle pollution atmosphérique, comparaison de nos moyens de chauffage, interrogations sur l’espoir –très mince- que nous réserve cette nouvelle année de mordorandum, rêveries éveillées pour un avenir au doux nom de Cyclades : passer d’une navigation à l’autre.
Le libretto de la crise imposée n’est pas et ne sera pas la seule petite musique des rencontres et des échanges entre nous. Certes, certains des ancrages et autres escales de nos vies ont dévié des tracés « attendus », comme souvent en temps de guerre. Nous savons que nos amis en France et ailleurs en Europe (et bien au-delà) redoutent cette généralisation de l’austérité et du soleil voilé. Sauf que la lumière humaniste d’Athènes ne s’est pas éteinte.
Mais nous n’en avons pas fini avec nos nouvelles qui semblent parfois (souvent ?) sortir du réel et du domaine du possible. La rythmique troikane ne laisse de place qu’au soliste « gouvernemental » qui suit une partition déjà connue : l’austérité serait l’ultime rebetiko des grecs « laissant » les forces de l’ordre jouer les faux arbitres de la révolte qui couve.
Athènes ce soir sent le brûlis sur… chauffage, alors oui « nous avons écrit ensemble » et nous continuerons.
Bonne année à tous les amis de nos sites,
Panagiotis et Okeanos
Convivialité frugale
4 janvier 2013
Janvier 2013, c’est déjà entrer au cœur de l’hiver et à celui du mémorandisme réel. Place de la Constitution ce matin (4/01), les édifices « d’Athènes en fête » n’ont pas encore été démantelés, il nous manquent aussi les mendiants et autres sans abri, habitués des lieux, ils arrivent en effet un peu plus tard. D’ailleurs, j’avais remarqué durant les « fêtes », l’absence du mendiant « attitré » de l’entrée gauche du métro Syntagma, Sous un soleil pourtant généreux, notre ville souffre du froid de saison et de (la) crise. Comme nous.
Nous avons alors célébré notre deuxième réveillon de type nouveau chez nos amis sans chauffage, le cœur toujours bien réchauffé. Les filles de Théodoros et de Fanny, tous deux dentistes, se sont regroupées devant le seul radiateur portatif allumé, c’est désormais la place d’honneur dans les foyers grecs sans feu, n’ayant que la flamme… de vivre. Alors les dents en crise sont bien creusées par les caries et on abandonnera la dentine dans son déclin… organique, sauf que Theodoros n’a plus trop envie de plaisanter cette année, ni de raconter des anecdotes sur le collagène de type I de la matrice dentinaire de ses patients comme les autres années. Il n’a pourtant pas perdu tout son sens de l’humour, et il n’a plus tellement envie non plus, de reprendre sérieusement ses analyses politiques : « La Révolution arrivera camarades, mais certainement après notre mort à nous tous, faisons donc la fête ce soir ! ». Nous nous sommes alors remémorés nos étés et nos hivers d’antan entre un verre de vin et les friands aux poireaux faits-maison, les salades et le salami. Nos amis n’ont pas cuisiné de viande cette année pour le réveillon, ce qui n’a infortuné évidement personne, « l’essentiel étant ailleurs » selon la nouvelle formule consacrée.
Theodoros, bon vivant, possède (ou plutôt possédait) deux véhicules et un petit bateau à moteur, long de cinq mètres. La crise est passée par là, bien avant... la révolution : « Nous étions des adeptes du camping libre en mer Égée. Plus par conviction et par idéologie que par manque de moyens. Chaque été, nous prenions le chemin des îles en famille. C’était notre grand moment de détente, pour se ressourcer comme nous aimions dire. Depuis 2010, nos patients se font de plus en plus rares et surtout, ils n’arrivent plus à régler les actes. Sans compter sur le fait que pour nos fournitures il faut désormais tout régler par avance, plus aucun fournisseur – importateur ne fait crédit et les banques plus du tout. Dès l’été 2011, nous avons immobilisé le bateau le sortant de l’eau pour ne plus avoir à l’entretenir, ni à payer les taxes liées à son utilisation. On nous annonce qu’une nouvelle taxe sera introduite, cette fois-ci frappant… les bateaux retirés de l’eau et radiés des registres maritimes, un comble de plus. De toute manière, nous ne pouvons plus l’utiliser, déjà à cause de sa consommation. Nous avons aussi retiré de la circulation notre véhicule le plus gros, vieux de vingt ans, il nous servait surtout à tirer le bateau. Nous avons tenté à les vendre, puis à les donner, bateau et véhicule, sans succès. L’été dernier nous sommes partis en vacances, toujours en campant librement mais sur le continent. Nous étions trois familles à se partager certains frais et surtout à monter la garde de nuit car l’insécurité règne. En 2013 nous ne partirons plus je crois… »
Mais notre ami et ses proches ne pensent pas quitter le pays. « J’y reste et je vais lutter comme je l’ai d’ailleurs toujours fait, par mon travail et par mes engagements politiques…. Contre vents et marées ». Mais pour d’autres, le seuil de l’inadmissible serait déjà franchi. Comme pour Antonis et son épouse Dimitra, pour qui, il n’y aurait désormais plus d’autre choix que de quitter le pays : « Je suis médecin spécialiste en chirurgie. J’exerce depuis plus de quinze ans au sein d’un établissement privé de la capitale, accueillant disons une clientèle très aisée. Mon épouse est cadre dirigeant dans le secteur financier d’une grande banque grecque. Nous avons toujours suffisamment gagné notre vie, je peux dire que nous faisions partie de la classe moyenne-haute. Depuis 2012, mon salaire, ainsi que celui de mon épouse ont été diminués de 35% tandis que l’imposition a été multipliée par deux. Inutile de dire que dans ce pays tout se dégrade. Je peux vous assurer qu’on peut mourir d’une rupture d’anévrisme désormais facilement.
A l’hôpital, certaines fournitures et préparations font défaut, il y a disons 50% de chances d’en survivre, au mieux. On ne prend plus plaisir à vivre ici, donc nous partons. Je viens de décrocher un poste à Londres. Mon épouse quant à elle, elle a négocié son départ, elle recherchera du travail une fois sur place, bien que ce ne soit pas si évident. Nos deux enfants nous accompagneront dans cet exil. Il n’y aura pas trop de problème d’adaptation pour eux, car ils sont déjà scolarisés dans une école anglophone d’Athènes. Nous avions déjà placé l’essentiel de nos économies dans l’achat d’un petit appartement à Londres car nous préparions les futures études des enfants. Par contre, nous n’avions jamais imaginé qu’un jour cet appartement abriterait notre résidence principale. Nous partons… presque sans regret. La Grèce est un pays enseveli, pour l’embellie économique, il va falloir attendre dix, voire vingt ans. Déjà, dans nos univers professionnels les gens partent par milliers. Nous voulons finir notre vie sans souffrir et dans la dignité ».
Antonis et son épouse Dimitra ont toujours été les plus aisés de tous et ce retour inattendu à « la simplicité et la convivialité frugales » leur semble inacceptable, d’autant plus, qu’ils pensent pouvoir « s’en sortir » autrement. Comme par hasard, ils ont été les seuls parmi les convives, sans doute du dernier réveillon ainsi organisé « dans toutes les formes » (rien que les formes !), rappelant l’ancien temps, à mélanger les stéréotypes et les arguments politiques pour en faire un vrai « potage » : « Le FMI a raison, il faut mettre de l’ordre comme en Grande Bretagne du temps de Margaret Thatcher, il était temps aussi d’en arriver là chez nous, sauf que c’est mal fait, nous, la classe moyenne du secteur privé nous souffrons trop, tandis que l’Etat pléthorique conserve ses fonctionnaires, basta… »
Antonis et les siens sont rentrés chez eux aussitôt après minuit de la « nouvelle année ». Il faut dire que personne n’a eu envie de discuter leurs « arguments ». C’est encore une de nos nouvelles ruptures dans notre instant précaire devenu permanent. Nous ne discutons plus aussi facilement entre nous si on n’est pas sur la même longueur d’ondes, quant à la prise de conscience des enjeux. Ce n’est plus tellement une question d’affinités politiques (bien qu’il a aussi un peu de cela), mais de vision dans toute sa percée, percutante ou pas. Des simplismes, des « arguments » issus du Jurassid park des médias mainstream, de la seule actualité imposée par le calendrier du « gouvernement » et des occupants du pays, nous n’acceptons plus d’en débattre autant qu’avant.
C’est aussi, que nous ne voulons plus semble-t-il convaincre tous nos « égarés », et tous nos « aveuglés » volontaires ou engagés de gré ou de force dans le camp adverse. « Ce n’est pas la peine » insista Theodoros qui n’a pas voulu ainsi engager la discussion avec Antonis et les siens. N’empêche, les « grands médias » imposent en apparence en tout cas, leur ton des urgences au plus grand nombre d’entre nous. Ainsi, dès ces premiers jours de janvier 2013, les reportages se sont succédé pour alerter de la dangerosité de la nouvelle pollution atmosphérique à Athènes (ou d’ailleurs), toujours liée à l’utilisation du bois en principal combustible de chauffage. Les universitaires, nos académiciens… ont tiré la sonnette d’alarme et le ministère de la santé a publié une liste contenant les commandements « de bon sens » à observer pour « réduire les risques et la nocivité ».
Pour autant faire dans le sensationnel, les journalistes ont cru révéler « que du pellet analysé par échantillons, c’est-à-dire des granulés bois théoriquement issu du compactage des sous-produits de la première transformation du bois comme la sciure de résineux, comporte bien d’autres substances, nocives. Les règles ne sont pas respectées, les contrôles sont inexistants et la quête du profit à tout prix règne avant tout autre considération. On compacte de la menuiserie recyclée, des poubelles, voire même des déchets organiques issus des hôpitaux. (…) L’ordre des médecins d’Athènes dans un communiqué (4/01) exige que de mesures soient prises par les autorités, comme la généralisation des allocations destinés à promouvoir les combustibles de chauffage moins polluants que le bois ».
C’était d’ailleurs le deuxième thème d’actualité ce matin sur les chaînes de télévision, après la liste Lagarde et les cousines fortunées de l’ancien ministre fumiste et FMiste, Giorgos Papakonstantinou. C’est bien connu, la pollution rejoint la pollution, sauf que les résidus politiques nous gouvernent encore. Nous nous enlisons dans la crise. J’ai aussi remarqué que certains sans abri du centre-ville gisant sur les trottoirs n’émeuvent plus grand monde, tout comme les suicides. Ils font leur apparition furtive à travers l’actualité dans l’indifférence ou plutôt dans la lassitude. D’autres nouvelles par contre, ont l’air plus significatives en ce moment. D’abord, le propriétaire du groupe Real (radio et presse anti-mémorandum avec… précautions), Andreas Kouris, vient d’être écroué pour dettes, neuf millions d’euros selon les reportages tandis qu’au même moment, la chaîne de télévision Mega-Tv (pro-mémorandum), propriété du groupe BTP et de presse Bobolas (et de celui de DOL) se voit accorder un prêt de 89 millions d’euros, justement pour pouvoir faire face à ses dettes.
Et on vient d’apprendre ce vendredi (hebdomadaire satyrique To Pontiki) que deux résidences secondaires appartenant à Fotis Bobolas, ainsi que celle du maire adjoint de la municipalité de Sfakia (en Crète), ont été mitraillées, puis incendiées. Les auteurs de l’incendie ont même laissé en guise de signature un slogan : « Traître à la solde des Allemands ». Le maire de Sfakia, Pavlos Polakis a aussitôt déclaré que « de tels actes ne relèvent pas de la tradition, ni de la culture de Sfakia ». Toujours de saison, certaines revues littéraires nous rappellent les affinités de Martin Heidegger avec le nazisme, et Syriza, l’extrême gauche athénienne et le mouvement anarchiste dénoncent « les méthodes nazies de la police et du ministre Dendias », suite à l’évacuation violente de « l’espace autogéré » de la villa Amalia ainsi que des vendeurs ambulants immigrés du trottoir de la faculté d’Economie. Depuis deux jours, la tension est palpable autour de la faculté, le quartier est surveillé par la police et les jeunes étudiants montent la garde devant l’entrée. Tout devient affrontement, peut-être aussi car le temps de la politique faite par d’autres moyens est révolu. Nous sommes en guerre, sociale en tout cas.
Il fait pourtant bien vivre chez nous car nous savons encore… savourer l’amertume. Certaines tavernes du centre-ville ou des quartiers, offrent désormais à leurs clients de la musique, du chant populaire et rebetiko faisant appel à de petits orchestres (souvent composés de brillants amateurs potentiellement chômeurs), deux à trois fois par semaine, y compris de jour, et ceci, sans supplément de tarif. La formule est apparemment plébiscitée, comme ce vendredi, à deux pas de la manifestation des étudiants à la faculté d’Economie. Sur le mur d’en face, un nouveau (petit) slogan : « Résistez à la Sinisation [du monde du travail] » ! Dans ce monde de crise au moins, nous n’avons guère le temps de nous ennuyer. A défaut de construire par le haut pour le moment, nous nous construisons nos univers parallèles ou sinon, nous nous redéfinissons la teneur en bonheur des anciennes pratiques.
Comme entre ces nageurs d’hiver, qui se sont aménagé un meilleur coin barbecue à l’extrémité de la plage. « Grâce » au chômage, nous sommes d’ailleurs un peu plus nombreux qu’avant à pratiquer cet exercice exigeant, en plus de sa sociabilité. C’est important pour tenir sauf que la sociabilité et ses solidarités ne résoudront pas à elles seules la question de la grande politique et de la portée de ses décisions. Nous sommes tout autant assez nombreux à ne plus rigoler du tout. L’année 2013, solidarité ou pas, n’augure par exemple rien de nouveau pour Christos, le voisin artisan en faillite. « Bonne année… ça va très mal chez nous… ». Il y a encore un mois, nous entendions des cris, de petites engueulades ou du bruit depuis son appartement, mais ensuite plus rien. La crise les a rendus silencieux, discrets et je suppose ralentis, dans leur mouvements et gestes quotidiens. Nous les croisons d’ailleurs de moins en moins sur le palier ou devant l’entrée de l’immeuble. Christos pensait avoir trouvé un travail de quatre mois en Autriche mais apparemment la porte du Tyrol se refermerait.
En tout cas, celle de Berlin reste ouverte, pour nos politiques au moins. Carolos Papoulias, le président de la « République » y sera en visite dès le 7 janvier, et sous peu, s’y succéderont, Samaras, Venizélos et même Alexis Tsipras. Nous au moins, nous accueillerons Christos et les siens chez nous entre-temps, pour leur remonter le moral, simplicité et convivialité frugales, plus rebetiko…. l’autre (grand) soir. Temps de crise, pourtant si humain. Bonne année Christos.
Panagiotis Grigoriou