Le 11 janvier 2013, l’armée française est intervenue au Mali à la suite de mouvements, vers Bamako, de groupes armés islamistes. Depuis des mois, ces derniers tiennent tout le nord du Mali et se seraient enhardis au point, nous dit-on, de vouloir occuper l’ensemble du pays.
Personne ne niera que ces groupes soient composés d’horribles individus qui, sous prétexte de convictions « religieuses », battent toute personne dont le comportement ne leur plait pas, coupent les mains des voleurs (réels ou supposés), exécutent - en particulier des femmes - pour des broutilles ou même pour rien.
Pour autant, de la même façon qu’au moment de l’intervention militaire contre Kadhafi en Libye, il est insupportable de se retrouver sommé de soutenir une intervention militaire déployée. par ceux qui sont largement responsables de la gravité de la situation.
Qui plus est, qui peut vraiment croire qu’il s’agit d’une opération « pour la démocratie au Mali » ? Cela fait des décennies qu’elle est bafouée dans ce pays par des régimes corrompus. largement soutenus par la France. Alors, pourquoi cette subite urgence « démocratique » ?
De même, qui croira qu’il s’agit de « sécuriser la région » ? En réalité, il s’agit de sécuriser. l’approvisionnement des centrales nucléaires françaises en uranium : ce dernier est en effet extrait dans les mines du nord du Niger, zone désertique seulement séparée du Mali. par une ligne sur les cartes géographiques.
A ce propos, on soulignera l’extrême perversité des ex-puissances coloniales qui ont jadis tracé des frontières absurdes, faisant fi de l’implantation des populations, et créant des pays aux contours bien curieux : le Niger et le Mali sont tous les deux en forme de sablier, une partie sud-ouest contenant la capitale, totalement excentrée et éloignée d’une immense partie nord-est, principalement désertique.
C’est ainsi que, pendant 40 ans, Areva (auparavant la Cogéma) a pu s’accaparer en toute tranquillité l’uranium nigérien dans ces mines situées à 500 kilomètres de la capitale et du fragile « pouvoir » politique nigérien.
Ces dernières années, des groupes armés se sont organisés dans cette région : des Touaregs, dépités d’être méprisés, déplacés, spoliés. Et des groupes plus ou moins islamistes, certains issus des anciens GIA qui ont semé la terreur en Algérie, d’autres contrôlés par Kadhafi, et autonomisés suite à la disparition de ce dernier.
Des salariés d’Areva, cadres dans les sociétés d’extraction de l’uranium, ont été enlevés en septembre 2010 au Niger, transférés au Mali et retenus depuis. Puis, le 7 janvier 2011, deux jeunes français ont à leur tour été enlevés au Niger.
L’Observatoire du nucléaire a été une des rares voix à dénoncer [voir ci-dessous] l’opération militaire immédiatement lancée par les autorités françaises. Ces dernières avaient en effet, de toute évidence, décidé de châtier coûte que coûte les preneurs d’otages, quitte à ce que cela se termine dramatiquement pour les deux jeunes otages. qui ont effectivement été tués dans l’opération.
Ces deux jeunes ne travaillaient pas pour l’extraction de l’uranium mais, c’est évident, l’idée était de décourager d’éventuelles prochaines actions contre des salariés d’Areva.
Depuis, les mouvements Touaregs laïques et progressistes ont été marginalisés, en particulier par la montée en force du groupe salafiste Ansar Dine. Puissant et lourdement armé, ce dernier s’est allié à AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique), faisant courir un risque de plus en plus évident pour les activités françaises d’extraction de l’uranium au nord du Niger.
La France a soutenu avec la plus grande constance les gouvernements corrompus qui se sont succédé au Mali, aboutissant à un délitement total de l’État. C’est probablement cet effondrement qui a amené les groupes islamistes à s’enhardir et à avancer vers Bamako.
De même, la France a maintenu depuis 40 ans le pouvoir du Niger dans un état de faiblesse et de dépendance par rapport à l’ancienne puissance coloniale et son entreprise d’extraction de l’uranium, la Cogéma devenue Areva. Alors que les dirigeants nigériens essaient tant bien que mal de contrôler ce que fait Areva, la France reprend totalement la main avec son intervention militaire.
Les récents mouvements des groupes islamistes n’ont effectivement fait que précipiter l’intervention militaire française qui était en préparation. Il s’agit indéniablement un coup de force néocolonial, même si les formes ont été mises avec un opportun appel à l’aide du Président par intérim du Mali, dont la légitimité est nulle puisqu’il est en place suite à un coup d’État qui a eu lieu 22 mars 2012.
Précisons à nouveau que nous n’accordons pas le moindre crédit aux dangereux fondamentalistes qui sont aussi des trafiquants de drogue et d’armes et n’hésitent pas à blesser et tuer.
Par contre, nous refusons la fable de l’intervention militaire « pour la démocratie ». Ce prétexte a déjà beaucoup servi, en particulier lorsque les USA ont voulu mettre la main sur des réserves pétrolières, et le voilà encore de mise parce que la France veut assurer l’approvisionnement en uranium de ses réacteurs nucléaires. Notons d’ailleurs que, à 27 000 euros l’heure de vol d’un Rafale, le tarif réel du courant d’origine nucléaire est encore plus lourd que ce que l’on pouvait craindre...
En conclusion, il est une nouvelle fois démontré que l’atome, et la raison d’Etat qui l’entoure, ne nuit pas seulement à l’environnement et aux êtres vivants mais aussi à la démocratie.
Stéphane Lhomme
Directeur de l’Observatoire du nucléaire
* http://observ.nucleaire.free.fr/guerre-mali-uranium-niger.htm
Les deux otages français sacrifiés pour sauver Areva et N. Sarkozy
Deux jeunes français ont été enlevés au Niger le 7 janvier, vraisemblablement par AQMI (Al Qaeda au Maghreb islamique). Poursuivis par les militaires français, jamais très loins lorsqu’il se passe quelque chose en Afrique, les kidnappeurs n’ont pas hésité à exécuter leurs otages.
C’est évidement un acte lâche et répugnant. Pour autant, malgré une quasi unanimité de la classe politique pour décréter l’ « union nationale » et pour justifier l’intervention militaire, il est bien légitime de se poser quelques questions.
Notons d’abord que, après l’enlèvement de plusieurs de ses salariés au Niger fin 2010, la multinationale nucléaire Areva était logiquement inquiète pour ses activités d’extraction d’uranium : comment continuer à exploiter (c’est bien le mot) le Niger si ses cadres français sont enlevés ? L’affaire est d’autant plus importante que les centrales nucléaires françaises fonctionnent exclusivement avec de l’uranium importé, et en particulier du Niger.
Dans le même temps, M Sarkozy est lui-même en grande difficulté politique : déjà en déroute idéologique sur le plan économique (le subterfuge du « travailler plus pour gagner plus » s’est effondré), il sait qu’il ne sera pas réélu à la Présidence de la République s’il connaît la même déconvenue sur son autre terrain de prédilection : la lutte contre les « ennemis », réels (comme Al Qaeda) ou supposés (Gitans, pauvres, groupe de Tarnac, etc.)
Or, depuis des mois, la force et l’efficacité supposées du sarkozysme s’évanouissaient au fur et à mesure qu’augmentait le nombre des français retenus en otages. Il a donc été décidé en haut lieu d’agir militairement immédiatement dès le prochain enlèvement. C’est ainsi que, le 7 janvier, Antoine de Léocour et Vincent Delory ont vraisemblablement servi de cobayes à la nouvelle stratégie du pouvoir français.
Nous l’avons dit, les premiers coupables sont les assassins d’AQMI, c’est évident. Pour autant, les appels à l’ « unité nationale » derrière M. Sarkozy et sa politique « anti-terroriste » sont insupportables. Oui, il faut dire que cette intervention militaire avait les plus fortes probabilités d’aboutir à l’exécution des deux otages français, ce qui a hélas été le cas.
Le 9 janvier, sur TF1, le ministre de la défense, M. Juppé, a déclaré « Ne rien faire, c’était prendre un double risque. D’abord le risque de voir nos otages emmenés par les ravisseurs dans l’une de leurs bases refuges au Sahel, et l’on sait ensuite comment ils sont traités. Ensuite un deuxième risque, plus global : ne rien faire c’est donner le signal que la France ne se bat plus contre le terrorisme. »
D’abord, on peut raisonnablement penser que Vincent Delory et Antoine de Léocour auraient préféré être détenus quelque part au Sahel, même en étant « mal traités », plutôt qu’être exécutés. Et ce d’autant plus que, n’étant ni des expatriés ni des membres d’une multinationale néocoloniale comme Areva, il existait peut-être pour eux la possibilité d’une libération par Al Qaeda [1].
Par ailleurs, la fin de la déclaration de M Juppé est explicite : l’opération militaire obéissait bien à des motifs politiques. Les deux otages ont eu le malheur d’être enlevés après les deux journalistes de France 2, après Michel Germaneau, et après les 5 salariés d’Areva : c’est le moment où le pouvoir français avait décidé d’agir militairement. S’ils avaient été enlevés avant les salariés d’Areva, Vincent Delory et Antoine de Léocour seraient sûrement encore en vie.
Pour finir, il convient de rappeler combien les terroristes sont les plus sûr alliés de ceux qui se vantent de les combattre. En chute libre jusqu’au 10 septembre 2001, Georges W Bush était au plus haut dès le l2, et a été réélu par la suite. Il doit tant à Ben Laden…
Et en France, après avoir échoué à faire croire à la population qu’elle était menacée par quelques libertaires vivant dans une ferme (le « groupe de Tarnac ») puis par les Gitans, Roms et autres « Gens du voyage », M. Sarkozy a trouvé les parfaits faire-valoir.
Oui, l’action d’Al Qaeda est insupportable. Mais non, la récupération politicienne pour protéger l’industrie nucléaire française et l’avenir politique de M Sarkozy n’est pas acceptable. Qu’il nous soit accordé le droit (pour combien de temps encore ?) de dénoncer l’une et de critiquer l’autre.
Le 11 janvier 2011
Stéphane Lhomme, pour l’Observatoire du nucléaire
* http://observ.nucleaire.free.fr/otages-niger.htm