UNE LUTTE QUI VIENT DE LOIN
Marquée par bien des péripéties et des retournements, l’histoire de « la Sica », comme on dit encore dans le coin, est celle d’un fleuron industriel et d’un bastion syndical de la vallée de la Seine. C’est en 2006, que la coopérative de patrons forestiers finlandais Metsäliitto lance son plan pour se débarrasser de son site d’Alizay ; il est d’ailleurs établi qu’il y a eu entente avec les « concurrents » Stora Enso ou UPM pour fermer des sites à tout de rôle afin de maintenir les prix au plus haut. Mais à chaque étape, il ne sera jamais question que de mesures indispensables au maintien de la compétitivité. La CGT mobilise, tente des actions de jonction avec d’autres boîtes et adopte alors le mot d’ordre « d’interdiction des licenciements chez M-real comme ailleurs ». Mais un bon nombre de salarié-e-s est âgé, parmi lesquels beaucoup de factionnaires usés par le travail en continu (5 équipes, avec un week-end libre par mois). Alors, comme souvent là où les capitalistes ont les reins solides, les conditions de départ très satisfaisantes font qu’il n’est pas possible de convaincre de l’intérêt de continuer à se battre pour obtenir le moins possible de suppressions de postes. La casse est limitée avec 130 licenciements, mais la substance est atteinte avec le départ de nombreux cadres et techniciens (et de beaucoup de syndiqués) , l’externalisation de toute la maintenance d’une usine classée SEVESO 2. L’idée s’installe qu’on ne peut pas vraiment s’opposer au rouleau compresseur.
En janvier 2009, 415 salarié-e-s fabriquaient encore environ 300 000 tonnes de pâte et autant de papier par an. Mais après l’arrêt technique de février, avec 30000 tonnes dans les magasins, la production n’avait pas redémarré. Les ouvriers, affectés à des travaux de maintenance ou mis en formation, n’étaient pas vraiment inquiets. Mais mois après mois, le redémarrage a été repoussé, pour aboutir en septembre 2009 au chômage partiel pour 60 salariés. Du fait de la pression syndicale, et plus encore de la volonté du groupe finlandais de ne pas faire de vagues, la perte de revenus est restée limitée à 10% du brut, et l’arrêt prolongé jusqu’au 31 décembre. Or il faut 3 millions d’euros de travaux pour redémarrer. Et rien ne vient. La machine à papier tourne quand même avec de la pâte recyclée amenée d’Angleterre à raison de 30 camions par jour, et il est donc difficile de mobiliser de ce côté là. Pourtant, quand la combustion des résidus de bois ne fournit plus l’énorme quantité d’énergie nécessaire à la marche des deux unités de production, il faut l’acheter à EDF. Donc, sans redémarrage de la pâte, on pouvait prédire la fin du site d’ici deux ans.
Que faire pour redonner confiance et motivation ? C’est le NPA qui va proposer au PCF de créer un collectif unitaire autour de M-real. Et la mayonnaise a pris : le 17 novembre, une centaine de personnes, dont une grande majorité de salarié-e-s, se masse à la mairie d’Alizay, avec la CGT et la CFE-CGC, le PCF, le NPA, le PS, EELV (et aussi le PRG et le MRC qu’on n’a jamais revus), des représentants des conseils municipaux. La charte adoptée recueille des milliers et des milliers de signatures sur les marchés, supermarchés, dans les mairies. Le collectif se réunira pratiquement toutes les semaines pour discuter des initiatives, soumises ensuite à l’approbation des salarié-e-s, qui ne seront jamais moins d’une centaine à chaque action. La confiance est d’ailleurs telle que plusieurs tentatives de création d’un « comité de mobilisation » regroupant les salarié-e-s les plus impliqué-e-s resteront malheureusement sans effet.
Chez M-real comme ailleurs, les licenciements, ça suffit comme ça !
La liste des entreprises qui ferment ou licencient rien que dans notre secteur donne le vertige. Il faut que ça s’arrête !
Chez M-real, la production de pâte est arrêtée depuis février, et c’est maintenant le chômage partiel.
Avec M-real (415 emplois), c’est plus de 1 000 emplois qui sont en jeu dans notre région.
Avec les soussignés, je me prononce pour :
– Le redémarrage immédiat de l’usine de pâte à papier.
– Le maintien de tous les emplois chez M-real, tant pour les embauchés que pour les sous-traitants.
– De nouveaux investissements rapides sur le site (station de désencrage, Biomasse, fabrication de granulés de chauffage…) et le développement de l’emploi durable.
« Collectif pour le maintien et le développement de l’emploi chez M-real » soutenu par : CGT, CFE CGC, FILPAC, PCF, NPA, PS, MRC, PRG, les Verts.
« Pourtant nous avons hésité à prendre cette initiative », explique notre camarade Thierry Philippot, secrétaire du comité d’entreprise. « Alors qu’on fait 95% des voix, il a fallu aller vers la CGC, et ce n’était pas simple, car il y avait un sacré contentieux avec leur DS. A la CGT, beaucoup de copains pensaient que les travailleurs ne bougeraient plus. C’est à la fois l’unité réalisée, les propositions concrètes et le dynamisme du collectif qui ont redonné de l’énergie aux salarié-e-s ».
Le cadre du collectif est clairement délimité par sa charte, et il n’en déviera pas : tous les points sont liés. Même si des illusions ont existé sur l’importance des rencontres avec les pouvoirs publics et la possibilité de les convaincre du bien-fondé des « solutions industrielles », le dernier mot restera toujours à la mobilisation. Un indice : très vite, le militant CGC unitaire devient une cheville ouvrière du collectif et un leader reconnu par tous et toutes. A partir de l’annonce du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de 99 personnes en décembre, les initiatives se sont succédées : divers blocages de l’usine, manifestations combatives et inventives (avec à chaque fois le soutien de l’UD CGT) , mais aussi un travail de démonstration économique de la viabilité du site : la production de pâte couplée à celle de papier est rentable, le groupe fait supporter au site 25 millions d’euros de charges indues par an pour créer un déficit artificiel, l’emploi pourrait même être développé facilement avec d’autres productions comme l’agroéthanol ou de la pâte textile, et des propositions argumentées de mise en place d’autres productions. Mais ces études, payées 70 000 euros par la région et le département, ont été balayées d’un revers de main par la direction. Et tout le monde s’est incliné au nom du respect de la propriété privée. Un beau gâchis ! On a appris en juin que le repreneur présumé, Arjo Wiggins, n’était plus intéressé : était-ce une éventualité montée en épingle par le ministre Le Maire pour se faire mousser le temps de la campagne des régionales ? Exiger de l’Etat et de la Région la réquisition de l’entreprise, la restitution de toutes les aides publiques et la remise en marche sous le contrôle des travailleurs, cela est apparu hors de portée à la très grande majorité des salariés. De même, leur slogan « interdisons les licenciements chez M-real comme ailleurs » nécessite de dépasser le stade de la lutte entreprise par entreprise. Malheureusement, force était de constater que les grandes confédérations ne travaillaient pas plus alors qu’aujourd’hui à leur jonction afin qu’elles pèsent ensemble nationalement. Aussi, au bout de 8 mois de lutte, les élus ont-ils reçu mandat d’améliorer le PSE. Ce fut donc la fermeture de l’unité avec 75 nouvelles suppressions d’emplois en juin 2010. Comme il se doit, M-real avait juré ses grands dieux que cette opération chirurgicale assurait le sauvetage de l’unité de fabrication de ramettes A4.
Pour notre courant, une déjà longue histoire
On pourrait remonter à la lutte de Noël 1980 : l’occupation fut brisée par une intervention des CRS avec leurs engins blindés ; le secrétaire de l’UD CGT avait alors tenté d’empêcher les militants de la LCR d’apporter leur solidarité au cri de : « ils sont protégés par les flics ! »… Un scandale qui avait fait du bruit et qui marqua un tournant : jamais plus il ne sera possible de se risquer à nous empêcher de nous exprimer.
C’est en 1998 que Thierry Philippot quitte le PCF pour la LCR. Son activité de rénovation du syndicat et de dénonciation d’un accord de réduction du temps de travail pourri a poussé l’ancienne équipe à quitter la CGT. Dans les années qui ont suivi, la direction a tout mis en œuvre, avec l’appui de ces individus, pour tenter de se débarrasser de lui. « C’est le soutien quotidien de mes camarades du parti, avec le soutien de notre bulletin d’entreprise, où on rendait coup pour coup et plus, qui m’ont permis de tenir le coup », affirme Thierry.
Les relations avec le maire-conseiller général PCF Gaëtan Levitre et ses proches ont commencé à changer avec la lutte de 2006. Dans le respect de ce qui nous sépare, elles sont devenues, avec la section Seine-Eure du PCF, des liens de fraternité. Pour autant, dans l’Huma, le NPA n’a jamais été ne serait-ce que mentionné (et dans le journal fédéral, pour la première fois le 20 decembre).
Ces trois dernières années, Patrick Dupin et Pierre Vandevoorde les deux militants NPA membres du collectif ont eu à participer, dûment badgés, à des réunions avec ministres, préfets et autres notabilités, au grand étonnement de ces derniers au début. Courtoisement mais fermement, ils ont su porter une parole radicale là où tout est fait pour l’étouffer.
Mais dès mai 2011, l’offensive reprend : M-real annonce sa volonté de vendre et de fermer si aucun repreneur ne se manifeste d’ici septembre. Tout le monde comprend que c’est maintenant le dos au mur qu’il faut se battre.
Le Collectif est immédiatement réactivé. Nouveauté, il y a des élus de droite : la mort de M-real, c’est 15 millions d’euros par an en moins pour les collectivités. La, toujours épineuse question des aides publiques fait débat : pour certains, il faut exiger des aides pour faciliter la vente, car sinon on risque le dépôt de bilan. La majorité persiste à considérer que la seule garantie, c’est la capacité de mobilisation. Le souvenir de Pont-Sainte-Maxence (Oise) plane : lâchés par M-real, ils ont été rachetés par un escroc qui s’est mis en cessation de paiement au bout d’un an, avec en poche plusieurs millions d’euros que personne ne lui a jamais réclamés.
Dans l’usine, il n’y a plus de boulot, mais les salaires continuent à être payés à la condition de badger et de prendre sa faction. C’est en fait un deal « électricité et ordinateurs contre salaires » avec le directeur (il n’est pas sûr que Helsinki l’ait su) qui, peut-être par peur des sabotages de désespoir, a marché. Les actions se succèdent et les négociations trainent : bien que M-real mette à chaque fois la barre plus haute, deux candidats sont toujours là, et acceptent même le maintien des emplois et la couverture des éventuelles pertes du site pendant 24 mois.
Et pourtant, le 18 octobre, prétextant d’un désaccord sur le prix de reprise, le PDG Helander annonce la fermeture. AG, arrêt total, piquets, braseros, tentes, actions… Et le plus fort, le samedi de relance illégale de la production : 2500 visiteurs, dont le ministre Le Maire et le préfet, qui se sont invités en fin d’après-midi ! Et Philippe Poutou, qui fut le premier des candidats à la présidentielle [1] qui vont dès lors se succéder. « J’aime bien visiter les usines, surtout quand ce n’est pas la mienne », lança-t-il, avant d’expliquer la nécessité de construire un lien entre toutes les luttes sur l’emploi et de réquisitionner les entreprises qui licencient. Une exigence avancée aussi par l’intersyndicale ainsi que, pour la première fois, par G.Levitre, conseiller général PCF.
La FILPAC pour sa part présenta les choses d’une façon inattendue : « Les salariés (…) ont fait de cette usine l’une des plus performantes d’Europe. (…) il n’est pas question de s’en laisser exproprier sous prétexte de stratégie financière de la multinationale finlandaise M Real ! ». Mais c’est cela qui correspond au sentiment général : M-real doit vendre, on a des racheteurs !
Le « travail » reprend le 18 novembre, après un vote à 98% pour le déblocage du site et un PSE de haut niveau : des garanties et congés de reclassement importants et 90 000 euros de prime additionnelle en moyenne pour 20 ans d’ancienneté. Aussi l’engagement qu’un repreneur puisse produire du papier, ce qui était hors de question au départ Une quinzaine de personnes restent pour la maintenance. Enfin, un droit de contrôle est obtenu pour trois syndicalistes qui participent à la « commission de réindustrialisation » avec les anciens de la direction. C’est cette garantie qui a permis de continuer à mener avec énergie l’autre combat, celui pour que l’usine vive avec tous ses emplois. En levant le blocus, les travailleurs ont libéré le stock de papier, mais les machines et les équipements ne bougeront pas sans l’accord du CE. Trois éléments ont fait pencher la balance : la direction n’aurait pas continué à payer les grévistes plus longtemps, l’obtention d’une prime de 3000€ brut -la moitié versée avant la reprise- (avec, fait notable, 1500€ pour les 43 salarié-e-s UPS de la logistique externalisée, qui ont été de tous les coups), et la conviction de ne pas pouvoir peser plus lourd dans la balance en continuant, forcément moins nombreux et divisés. Or, après la journée « redémarrage » et son formidable écho populaire et médiatique, après de multiples actions spectaculaires seuls ou en lien avec des boîtes de la région rouennaise, le verrou n’a pas encore sauté : Metsällitto refuse toujours de vendre.
Il arrive un moment où il faut, comme lors du long combat pour l’unité de pâte à papier en 2010, mener la lutte pour le meilleur PSE possible de front avec le combat contre la fermeture. Une course contre la montre. Du dépôt massif de plaintes pour harcèlement moral contre le PDG à l’audience à l’Elysée, en passant par une procédure au plan européen pour entente illicite entre groupes papetiers, tout est mis en œuvre pour forcer la maison mère, la coopérative forestière finlandaise Metsälitto, à vendre à l’un des trois candidats. toutes les actions visent à pointer ce scandale social : c’est justement parce que l’usine peut vivre avec tous ses emplois que Metsälitto ne veut pas la vendre. Il s’agit de leur faire mal en s’en prenant à leur image, eux qui tiennent tant à afficher leur « éthique ». Mais on bute vite sur le droit de propriété, et les interlocuteurs « institutionnels se révèlent surtout prodigues en belles paroles, même si les mots « scandale » et « inacceptable » fleurissent. La communauté de communes (de droite) a bien suivi le maire PCF d’Alizay et voté unanimement en faveur de « l’expropriation pour cause d’utilité publique » pour permettre la reprise par l’un des prétendants. Mais elle n’est appuyée ni par le conseil général et la Région, de gauche, ni bien sûr par l’Etat.
Un pas important est franchi le 8 décembre avec le vote (unanime !) du Conseil Général de l’Eure – sur proposition de G.Levitre, conseiller général PCF mandaté par le collectif unitaire - d’une motion demandant au gouvernement d’« exproprier pour cause d’utilité publique » (la vie et de l’avenir des 700 personnes qui badgeaient sur le site et de leurs familles) pour permettre la reprise par l’un des prétendants. Evanouis les « mal fondé en droit, respect de la propriété, trop long, trop coûteux… » entendus jusqu’alors ! Surprenant au regard des convictions libérales de plus d’un membre de cette assemblée et de la gestion pro-patronale du CG27.
Manifestement, le scandale social et industriel était tel que la majo du CG s’est permis de pointer la responsabilité du gouvernement sans grands frais, et la droite gênée a suivi : ce n’est qu’un vœu… Mais ce vœu, imité par la Région, fut néanmoins un point d’appui.
Le NPA écrivait alors : « Oui, c’est à l’Etat et au gouvernement d’agir pour l’expropriation ! Mais pour accentuer la pression sur ce gouvernement qui ne veut pas toucher aux règles du jeu de l’Europe des capitalistes, pour peser sur M-real/Metsäliitto, le conseil général, de même que la Région (PS-PCF-PRG-EELV) ont d’autres moyens que de pointer la responsabilité du gouvernement ; ils pourraient s’engager eux-mêmes dans des actions concrètes et spectaculaires aux côtés des M-real : tenue de leurs assemblées sur le site, appel à un rassemblement massif pour soutenir la revendication d’expropriation, proposition d’achat massif de papier pour les besoins de toutes les collectivités locales, les idées ne manquent pas. C’est en tout cas ce que des élu-e-s NPA proposeraient. »
Le combat continue pour le redémarrage le plus vite possible. Deux repreneurs sérieux sont encore là. L’un d’eux veut aussi redémarrer l’usine de pâte fermée en juin 2010 et produire de l’agrocarburant à partir de la biomasse, avec raffinage chez Pétroplus à hauteur de 20 % de sa capacité.
Rien n’est assuré. Ainsi la préfecture se contenterait bien d’un port fluvial et d’une base de transbordement. Mais pas question de renoncer à de l’activité transformatrice de matière.
De l’interdiction des liceciements à la loi M-Real/Arcelor…
De quoi avons-nous besoin ? Fondamentalement, de vivre sans peur du lendemain. Alors, ce qu’il nous faut, c’est l’interdiction des licenciements. Et si le patron fait défaut, on se passe de lui, en l’expropriant. Comment y arriver ? Par tous les moyens nécessaires. Y compris en nationalisant/régionalisant sous le contrôle des travailleurs. C’est en déclinant ces raisonnements depuis des années que la LCR, puis le NPA, ont peu à peu convaincu de la pertinence de la première, puis de la deuxième exigence. Pas (encore) de la troisième…
L’interdiction des licenciements, cela suppose la coordination des luttes. Rien ne vient des confédérations, qui sont constantes dans leur refus d’organiser ne serait-ce qu’une marche nationale pour l’emploi. Les tentatives de convergences n’ont pas été concluantes : on ne peut pas demander trois fois aux travailleurs d’occuper les ronds-points de Rouen par exemple, quand ils constatent qu’ils sont nettement plus nombreux que tous ceux des autres boîtes.
L’expropriation s’est imposée dans le débat public comme une nécessité. Elle a pris chair quand sur proposition du maire d’Alizay Gaëtan Levitre, un premier vote unanime du conseil général de l’Eure pour que le gouvernement aille jusqu’à l’expropriation si M-real refusait de vendre aux candidats à la reprise. C’est la même méthode qui a fait germé l’idée d’une « petite loi » très simple formulée à peu près ainsi : « il sera interdit de fermer une entreprise lorsqu’elle est viable et qu’il existe des repreneur sérieux".
Cela ne concerne que quelques milliers d’emplois et semblait plus atteignable. Hollande exprima son accord lors de sa visite en février. Cela donna la proposition de loi 44-12, repoussée par la droite… et perdue depuis dans les tiroirs de l’Assemblée ! Cela passe très mal. Le 5 janvier, Hollande a d’ailleurs préféré venir saluer le souvenir de Mendès France à Louviers, ami de la haute finance comme lui, plutôt que les travailleurs de M-real. Il paraît que ça va enfin venir, sous le nom de « loi Florange »…
Après un banquet à 500 le 30 mars, les lettres sont tombées le 2 avril. Pour « l’équipe de réindus », ce furent ensuite 6 mois ponctués de réunions de tous types, avec une AG d’info en juin et le suivi des collègues licencié-e-s qui passent au local du CE.. Depuis quelques temps, il avait fallu pour la première fois accepter de « ne pas communiquer », pour ne pas compromettre les négociations. Mais de fait, les syndicalistes n’étaient plus tenus au courant de ce qui se passait entre les pouvoirs publics, le département et les industriels, et ont appris au dernier moment le vote prévu au Conseil général. Un événement vraisemblablement monté en épingle à la demande du gouvernement, qui avait besoin que les feux des projecteurs se détournent un moment de dossiers douloureux comme PSA ou Florange. Comme M-real, après une expérience cuisante, tenait à se désengager rapidement, le département sert juste d’intermédiaire pour la vente : initialement 15 millions pour l’usine de papier à AA, et 3 millions au français Neoen pour la chaudière biomasse qui fournit l’énergie aux installations.et revend à EDF (mais finalement AA prend tout). Et 4 millions au département pour 28 hectares remis à un établissement foncier pour aménager un port fluvial dans le cadre du grand Paris. Vu le nombre d’investisseurs qui lorgnaient dessus depuis la fermeture de la pâte, voilà au moins une opération qui en bout de course ne coûtera rien aux contribuables. Le CG recouvrera sa dépense et sera sans doute même bénéficiaire.
Le coup de pouce du département, le vote unanime du 11 décembre n’en constitue pas moins une première qui bouscule les dogmes libéraux de gauche et de droite, même s’il n’y a eu dans la région que le député UMP Gilard pour s’indigner : « Tout le monde va demander la nationalisation ! ».
L’opération doit permettre de reprendre immédiatement 150 à 200 salarié-e-s et, à terme, un total de 250 sur les 330 ex-M-real. Vu le niveau de technicité, l’embauche est quasiment assurée, mais ce n’est qu’après la signature définitive qu’on saura qui précisément, et à quelles conditions.. Un succès donc, dans un contexte bien particulier. Et un nouveau patron, ce sont de nouvelles bagarres en perspective pour regagner les anciens acquis. Et peut-être pour commencer, afin d’obtenir l’embauche des trois du « comité de réindus » !
Lors de la visite de Bernard Thibaud, et 10 mois plus tard celle de son successeur Thierry LePaon, Thierry Philippot a conclu son discours ainsi : « Nous, les travailleurs et travailleuses de cette papeterie que nous n’appelons plus M-real, nous avons fait tout ce qui nous est possible, par tous les moyens à notre disposition. Alors que des centaines et des centaines d’entreprises ont licencié depuis un an, alors qu’au moins 1000 emplois par jour disparaissent dans le pays, je forme le vœu que notre flambeau soit repris par d’autres, et que cela débouche sur un grand mouvement pour l’emploi qui fasse réfléchir les possédants et les licencieurs ! »
Pierre Vandevoorde
Annexes, pour un débat avec le PCF
LE PCF ET LA DEPARTEMENTALISATION/NATIONALISATION
La version floue : temporaire, définitive ? Va savoir…
« Si nous avons réussi avec succès une “départementalisation”, qu’attend l’État pour oser les nationalisations ? Alizay ne doit pas demeurer l’exception. Une loi M-real obligeant un groupe industriel à vendre un de ses sites dès lors qu’un repreneur crédible est identifié doit être votée très rapidement au Parlement. C’est un engagement qui a été pris par François Hollande lui-même à la papeterie. La réussite de ce combat, j’en suis certain, donnera de l’espoir à toutes celles et tous ceux qui aujourd’hui luttent pour sauvegarder leur outil de travail et leurs emplois, que ce soit chez Petroplus, à Florange ou ailleurs. »
Gaëtan Levitre tribune libre « l’Humanité » du 11 décembre
La version clairement gestionnaire sous des dehors combatifs
La départementalisation de la papeterie M-Real montre que
les pouvoirs publics peuvent se réapproprier des sites industriels, comme Florange par exemple. Oui mais, nationaliser Florange coûterait 1,1 milliard d’euros à l’État français et donc aux contribuables, affirme le gouvernement. « Le gouvernement ment ! » a dénoncé, jeudi soir, le député européen communiste Jacky Hénin. Cette nationalisation n’engagerait le budget de l’État qu’à hauteur de 40 %, ensuite il pourrait revendre ses parts
et faire ainsi des bénéfices. « Et de toutes les façons, a poursuivi l’élu communiste aux côtés des salariés de M-Real depuis
trois ans, les richesses de la nation doivent servir aux salariés
qui doivent, d’autre part, comme le prévoit le rapport Gallois,
être associés à la gestion de leur entreprise. »
Jacky Hénin à la fête à Alizay, « l’Humanité » du 24 décembre
M-real : RETOUR SUR DEUX QUESTIONS (publié sur NPA27)
Contribution à l’histoire de la lutte
Jeudi soir 20 décembre à la salle des Fêtes d’Alizay, nous avons partagé un grand moment d’émotion collective, nous avons savouré le succès après une longue lutte unitaire. Au cours de ces années, il s’est forgé entre les militant-e-s du PCF et du NPA une fraternité de combat. Elle ressort bien dans l’article publié sur le site de la section PCF Seine-Eure [2]
Mais on trouve encore une fois dans cet article deux affirmations qui, bien qu’elles aient été répétées de multiples fois, n’en sont pas pour autant conformes aux faits. C’est donc en toute camaraderie que nous prenons la peine d’y revenir un peu longuement par écrit pour mettre précisément les choses au point :
• « Gaëtan Levitre est à l’origine de la création du collectif pour le maintien et le développement de l’emploi » : Gaëtan en a été un participant dynamique, il a mis sa mairie à disposition chaque semaine et n’a pas ménagé son énergie, c’est indiscutable. Mais pourquoi vouloir absolument qu’il ait été à l’origine du collectif ? C’est le 28 octobre 2009, lors d’une réunion publique du PCF à Louviers, que Pierre Vandevoorde, du NPA, a lancé et expliqué L’idée de la nécessité d’un collectif unitaire autour de M-real, en présence de Thierry Philippot et Jean-Yves Lemahieu. Le 17 novembre, était lancé le « collectif pour le maintien et le développement de l’emploi chez M-real », en présence d’une centaine de personnes, à la mairie d’Alizay, en présence du PCF, du NPA, du PS, des Verts (et aussi du PRG et du MRC qu’on n’a jamais revus). Sa charte a été largement diffusée et présentée à la signature sur les marchés, supermarchés, dans les mairies, recueillant des milliers et des milliers de signatures. Ce fut un élément essentiel pour redonner aux M-real l’envie et le courage de se battre, après le coup de la fermeture de l’usine de pâte. Et cette charte, puisqu’il faut dire les choses, il y a suffisamment de témoins pour attester qu’elle a été pour l’essentiel rédigée par… Pierre Vandevoorde.
• « Gaëtan et Jacky Hénin ont commencé à construire l’idée de l’expropriation » : cette idée fut en fait défendue par le PCF pour la première fois lors de la journée portes ouvertes du 29 octobre 2011, où la machine fut remise en marche sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes. Dans son discours, Gaëtan en a alors appelé à l’"expropriation de l’usine à des fins d’utilité publique » (Philippe Poutou, en visite ce jour là, argumenta dans le même sens). Jacky Hénin affinera l’argumentation lors de sa visite du 3 novembre ; puis ce sera le conseil municipal extraordinaire devant l’usine, pour aboutir au vote unanime du conseil général sur proposition de Gaëtan le 8 décembre…
Très bien. Mais c’est quand même 8 mois plus tôt, en mars 2010, que cette exigence apparaît pour la première fois dans le discours de Thierry Philippot au nom de l’intersyndicale à la fin de la marche pour l’emploi d’Igoville à Pont de l’Arche : « Ce qu’il nous faudrait, c’est une marche nationale pour l’emploi, une montée à Paris, pour exiger l’arrêt du baratin sur la réindustrialisation ! Pour exiger l’arrêt de tous les plans de licenciements, partout ! Pour exiger que l’Etat prenne ses responsabilités, reprenne les entreprises dont les actionnaires ne veulent pas, les exproprie et donne aux salariés les moyens de continuer la production par eux-mêmes ! Pour exiger le remboursement de toutes les aides publiques reçues par les entreprises qui licencient ! »
Mais si on veut être parfaitement exact, c’est encore 9 mois plus tôt, en mai 2009 (soit 29 mois avant le PCF !), que l’expropriation fait son apparition dans la lutte des M-real, dans le tract mensuel du NPA : « Un emploi pour chacun, c’est vraiment de ça dont nous avons besoin, et c’est possible :(…) par l’expropriation des actionnaires en cas de refus de préserver l’emploi, par la saisie de leurs avoirs et la nationalisation de l’entreprise sous le contrôle des travailleurs »
Cette revendication sera ensuite reprise, expliquée et développée régulièrement :
Juin 2010 : Il faut contraindre la direction de M-Real à remballer définitivement ses prétentions : soit elle redémarre l’usine de pâte, soit elle vend même si ce n’est qu’à l’euro symbolique. Et si nécessaire, l’Etat doit réquisitionner l’usine pour qu’elle redémarre sous le contrôle des travailleurs. Mais il faudra le leur imposer !
Tract spécial « marche pour l’emploi » du 30 juin 2011 : Le patron a besoin de nous, nous n’avons pas besoin de lui ! M-real veut partir Qu’il parte ! Mais l’outil de production reste. Les travailleurs savent s’en servir et toutes les compétences pour continuer l’activité sont là. L’Etat ou la Région pourraient se porter garants. Cette perspective n’a pas été retenue par les travailleurs l’an dernier. Aujourd’hui, si un groupe papetier solide est intéressé, tant mieux (même si il faudra se battre pour le maintien de tous les emplois).
Communiqué de presse du 5-10-2011 à 13h : LE DROIT A L’EMPLOI DOIT PASSER AVANT LE DROIT DE PROPRIETE ! Ce matin, les travailleuses et travailleurs du site étaient nombreux à exprimer leur colère lors de la distribution massive de tracts au rond-point d’Igoville. (…)Le patron a besoin de nous, nous n’avons pas besoin de lui ! M-real veut partir, qu’il parte ! Mais l’outil de production reste. Les travailleurs savent s’en servir et toutes les compétences pour continuer l’activité sont là.
Communiqué de presse du 18-10-2011 à 16h : ILS OSENT, ILS FERMENT ! INTERDISONS LES LICENCIEMENTS ! C’est inadmissible, le droit à l’emploi, à une vie digne, doit passer avant le droit de propriété ! M-real s’en va, mais la production de ce site peut continuer, avec tous les emplois. Toutes les compétences pour continuer l’activité sont là. Tous ceux qui disent soutenir ce dossier sont placés au pied du mur : l’Etat et la région ont les moyens de s’engager concrètement . Plutôt que de plier à chaque occasion devant les exigences des capitalistes, les pouvoirs publics et les élus pourraient, s’ils en avaient la volonté, imposer le gel des avoirs du groupe en France, le remboursement des subventions reçues, l’obligation de dépolluer. Ce midi, en assemblée générale, Les travailleurs et travailleuses du site, avec leurs syndicats CGT et CGC, avec le soutien du « collectif pour le maintien et le développement de l’emploi chez M-real », ont décidé de bloquer l’usine. Ils exigent que M-real soit contraint de céder l’entreprise à l’un des candidats à la reprise. Ils peuvent compter, comme depuis le début, sur notre soutien.
28 oct 2011 tract spécial « portes ouvertes » : CHEZ M-REAL COMME AILLEURS, REQUISITION DES BOITES QUI LICENCIENT ! Comme on le voit bien en ce moment à Alizay, l’usine appartient en réalité à celles et ceux qui produisent les richesses, qu’ils soient salariés directs de M-real ou pas, et pas aux actionnaires qui se les accaparent. Le droit d’existence de celles et ceux qui n’ont que leur travail pour vivre doit passer avant le droit de propriété, M-real doit être exproprié. LE PATRON A BESOIN DE NOUS, NOUS N’AVONS PAS BESOIN DE LUI !
L’ensemble de nos tracts est consultable sur notre site NPA27. Ces longs extraits visent à rappeler le chemin parcouru. Ce qui paraissait utopiste à la plupart des gens en mai 2009 est devenu une perspective réaliste, parce des militant-e-s l’ont porté avec opiniâtreté, et qu’à un certain moment, c’était ça dont les travailleurs avaient besoin. Qu’il nous soit permis d’y voir une bonne illustration de la validité de l’orientation du NPA et de l’utilité de notre parti.
TEAN mars 2010 M-real (27) : SUCCES DE LA MARCHE POUR L’EMPLOI
Le 15 mars, nous étions près de 500 à répondre à leur appel. Une réussite. Beaucoup de M-real, très remontés après une grève totale de 24h, mais avec pour la première fois des « administratifs », des anciens de l’usine, et aussi des délégations d’autres boîtes : Sealynx, Fonderie du Manoir, Renault Cléon... Derrière suivaient les partis, avec leurs têtes de liste aux régionales : 120 personnes dans le cortège du PCF (qui avait fait venir deux cars), puis le PS et ses élus, une poignée de drapeaux Verts, enfin le NPA à environ 70, qui, en particulier avec son slogan pour la restitution des subventions par les patrons, a fait entendre sa différence dans un cortège marqué par l’unanimité peu habituelle autour du slogan « Chez M-real, comme ailleurs, interdisons les licenciements ». En conclusion, un discours combatif de notre camarade Thierry Philippot au nom de l’intersyndicale CGT-CGC : « Ce qui nous manque, c’est la coordination des luttes (…). Il nous faut une marche nationale pour l’emploi, pour exiger l’arrêt du baratin sur la réindustrialisation, l’arrêt des plans de licenciements partout, pour exiger que l’Etat prenne ses responsabilités, reprenne les entreprises dont les actionnaires ne veulent pas, les exproprie et donne aux salariés les moyens de continuer la production par eux-mêmes ! (…) Nous voulons le redémarrage de l’unité de production de pâte à papier, nous défendons nos solutions alternatives comme la production d’électricité verte et de bioéthanol ! »