FIDH – Comment a évolué la situation dans le nord du Mali ces derniers mois ?
Moctar Mariko – La situation dans le Nord du Mali n’a pratiquement pas évolué pour nous. D’un point de vue humanitaire, on vient de m’informer qu’au Nord du Mali, depuis la mise en place du corridor, beaucoup de familles n’ont pas reçu un grain de riz.
Aussi, le droit à l’éducation est inexistant, les écoles ayant fermé. Le droit à la santé est également bafoué. Il n’y a plus de spécialistes dans les hôpitaux. Les personnes âgées et les personnes atteintes de diabète ou d’hypertension voient leur état de santé se dégrader, faute d’accès à des soins adaptés.
“La charia continue à être appliquée à Gao et à Tombouctou. Il n’y a plus de liberté de circulation.”
La charia continue à être appliquée à Gao et à Tombouctou. Il n’y a plus de liberté de circulation, les gens ne peuvent plus vaquer à leurs occupations. Et dès qu’un homme et une femme se promènent ensemble, on leur demande systématiquement s’ils sont mariés.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que la situation au nord Mali n’a pas vraiment évolué.
Quelle est le rapport de force entre les différentes factions au Nord en ce moment ?
Présentement au Nord du Mali, se trouvent le Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et « Ançar Dine » (Défenseur de l’Islam). Le Mujao est composé de milices arabes et de certains combattants d’origine Songhai. Ils occupent actuellement Gao et Tombouctou.
Ançar Dine est uniquement basé à Kidal.
Près de Gao, notamment dans le cercle de Ménaka, on trouve également des éléments du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Ils sont également présents aux frontières algériennes et burkinabées.
De ces trois forces en présence, l’on peut dire aujourd’hui que la plus dominante est le Mujao.
De quelle façon, ces différentes factions affectent la vie des populations ? Tout à l’heure vous me parliez des entraves à la liberté de circulation, etc... Est ce que vous auriez d’autres exemples ?
“Des exécutions sommaires sont toujours perpétrées. A Gao, un jeune a été tué par balle par le MNLA pour avoir refusé de leur donner son portable.”
Des exécutions sommaires sont toujours perpétrées. La section AMDH de Gao vient de me rapporter des informations selon lesquelles à Ménaka, un jeune homme a été tué par balle par des éléments du MNLA pour avoir refusé de leur donner son téléphone portable. Beaucoup d’exemples de ce genre nous ont été rapportés dans la région de Gao.
Le MNLA a été défait (par le Mujao) dans la ville de Gao. Ses hommes se sont donc repliés à la périphérie de la ville et s’attaquent maintenant à de paisibles pécheurs et agriculteurs pour survivre.
Indépendamment de cela, la charia est toujours en vigueur à Gao, à Tombouctou et à l’intérieur de ces deux régions. Et si les amputations ont cessé, la privation de liberté est vraiment totale.
Savez-vous pourquoi les amputations n’ont plus lieu ?
Parce que la population s’est révoltée. La jeunesse à Gao et à Tombouctou a commencé à protester contre ces amputations et contre la privation de liberté il y a déjà quelques mois. Ils ont arrêté les amputations, mais les gens ne peuvent toujours pas regarder la télé ou fumer des cigarettes. Ils sont des prisonniers. Mais la population est en train de s’organiser, et réfléchi aux moyens de faire barrage à ces imposteurs.
“Le Mujao corrompt les imams pour qu’ils expliquent aux jeunes que la chaira est compatbile avec la culture du Nord et avec la privation de libertés publiques”
Aussi, nous assistons à un phénomène très inquiétant : le Mujao fait de la récupération sur le terrain. Il tente de corrompre (avec de l’argent) les imams pour que ces derniers expliquent aux jeunes que la charia est compatible avec la culture du Nord et avec la privation de libertés publiques.
Avez-vous des informations sur comment ces jeunes et ces femmes se sont regroupés, ou organisés pour dénoncer les violations et faire en sorte qu’elles soient moindres voire qu’elles cessent totalement ?
Il s’agit ici de soulèvements spontanés. Les populations en avaient véritablement assez. Mais il semble que ces soulèvements aient été impulsés par des éléments de l’ethnie Songhai. Ce sont eux qui ont dit à la population qu’elle devait faire barrage aux exécutions et aux privations de liberté.
Et aujourd’hui, qu’en est il ? Ces soulèvements populaires perdurent-t-ils ?
Ces mouvements sont relativement nouveaux. Mais, comme je vous le disais, le Mujao tente de compromettre la jeunesse, notamment grâce à de l’argent et par l’intermédiaire de certains imams. Cela entraîne des divisions, détruit les liens entre les jeunes et affaiblit leur mouvement.
Si un jeune est en mesure de mobiliser tout un quartier contre les forces en présence, il suffit d’aller voir ses parents et de leur donner beaucoup d’argent pour qu’il se taise. Cet argent, le Mujao l’a notamment tiré de la libération des otages espagnols.
Le récent rapport de la FIDH et de l’AMDH « Crime de guerre au Nord Mali » a souligné la présence de groupes d’autodéfense et de milices armées créés ou réactivés pendant la crise. Ces groupes défendent les populations ou leurs groupes ethniques et se sont dans certains cas rendus responsables de violations contre les populations civiles touaregs dans les regions de Tombouctou et de Gao, avez-vous des éléments d’informations sur ces événements ?
Ces groupes sont aujourd’hui presque tous disloqués et se situent près de Mopti et Douentza, la zone tampon entre les zones occupées et le Sud du Mali. A l’heure actuelle, les milices présentes au nord sont pour leur quasi-totalité des milices arabes, très proches du Mujao. Ce sont même elles qui aujourd’hui alimentent le Mujao.
Ces groupes d’autodéfense, qui au départ prenaient automatiquement la défense des populations noires et qui souvent s’attaquaient à des petits camps de touaregs, ont disparu au Nord et se trouvent vers le Sud.
L’une de nos sections au Nord avait commencé une enquête car effectivement, on avait appris que ces groupes d’autodéfense en voulant protéger leurs ethnies avaient commis quelques exactions. Si il y a eu des exactions, notre section n’a malheureusement pas encore pu les documenter avec précision en raison de la dégradation de la situation dans cette zone.
Comme vous pouvez le constater dans le rapport, nous avions tenté d’approcher les dirigeants des groupes d’autodéfense Songhai et ils nous avaient dit que les camps qu’ils avaient attaqués étaient des camps militaires, et qu’ils les avaient considérés comme des combattants et non comme des populations civiles. On n’a pas vraiment pu approfondir cette enquête, mais nos sections sont sur place et essayent de travailler. Ce n’est pas facile avec l’occupation du terrain par le Mujao.
Le 18 juillet, le gouvernement malien a saisi le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) pour qu’une enquête soit ouverte. Le dossier a-t-il avancé ?
“La délégation de la CPI ne s’est pas rendue au Nord. Ils sont allés au sud, dans les camps de réfugiés.”
Tous les maliens sont inquiets et pensent que ce dossier ne va pas aboutir. Après la saisine, le procureur a envoyé une équipe d’analystes qui a interrogé presque toute la société civile et a pu joindre quelques victimes de viols et d’exactions. La délégation de la CPI ne s’est pas rendue au Nord. Ils sont allés au sud, dans les camps de réfugiés.
Mais depuis leur départ, c’est le statut quo et il est maintenant temps que cette procédure soit réactivée afin que les cœurs puissent se vider de leur rancœur. Tous les maliens, en particulier ceux du nord attendent que justice soit rendue.
Il est important que la CPI prenne à bras le corps la question de la lutte contre l’impunité avant que les populations du Nord ne décident de se faire justice elles-mêmes.
Le gouvernement d’union nationale a-t-il pris des mesures concrètes pour lutter contre l’impunité en dehors de la saisine de la CPI ?
Au Sud du pays, la justice tente de faire son travail. Et à chaque fois que nous apprenons des cas de torture, nous en informons le Ministère de la Justice. Les cas d’agression de journalistes et de citoyens font systématiquement l’objet d’ouverture d’enquête à Bamako. Mais ces dossiers, la plupart du temps, n’avancent pas. Est-ce dû à un manque de volonté politique ? Les juges ont-ils peur ? Difficile à dire, mais à chaque fois que nous, défenseurs des droits de l’Homme, les interrogeons sur l’avancement de ces dossiers, ils nous disent qu’ils font ce qu’ils peuvent.
Le Ministère de la Justice a créé une commission, dont l’AMDH est membre, pour documenter les violations des droits humains. Cette commission enquête actuellement au Sud et tous les mois, une réunion se tient au cabinet du ministre pour faire le point sur les informations récoltées.
Dans quelles conditions vos sections au Nord du pays travaillent-elles ?
D’un point de vue sécuritaire, la situation est très compliquée. Par exemple, lorsque que le MNLA était encore à Gao, ils sont allés chercher notre représentant à la suite à d’une déclaration qu’il a faite sur RFI dans laquelle il condamnait les exactions commises dans la ville.
Cependant, c’est notre bureau à Bamako qui continue d’envoyer des ordres de mission à nos sections au Nord pour vérifier et obtenir des informations du terrain. Nous sommes très régulièrement en contact avec eux, ce qui nous permet de vérifier les faits et d’écarter les rumeurs.
Quel est votre avis sur une éventuelle intervention internationale sachant que le Conseil de sécurité devrait très prochainement se prononcer sur cette question ?
Je pense que cette intervention serait la bienvenue même si elle ne pourra se faire sans dégâts collatéraux. Et elle doit se faire très rapidement, car comme je vous l’ai dit, le Mujao fait de la récupération et corrompt les populations. Des mariages sont organisés entre des éléments du Mujao et les populations civiles.
“Cette intervention ne doit pas commencer par Gao, ni par Tombouctou, mais par Kidal ou Tessalit car c’est là qu’Ançar Dine a concentré tout son armement.”
Cette intervention ne doit pas commencer par Gao, ni par Tombouctou, mais par Kidal ou Tessalit car c’est là qu’Ançar Dine a concentré tout son armement. Ils y ont parfois été rejoins par des combattants du MNLA qui ont changé de camps.
Si l’intervention commence par Kidal, il y aura beaucoup moins de dégâts car les positions des combattants sont beaucoup plus visibles. Contrairement à Gao ou à Tombouctou où elles sont au milieu des populations.
Il est vraiment temps d’agir. À Tombouctou, le Mujao a créé une prison pour femmes où toutes les nuits elles sont violées. Elles y sont amenées pour avoir porté un pantalon ou ne pas avoir porté le voile. C’est pour mettre fin à de tels actes de barbarie qu’une intervention est plus que jamais nécessaire.
Les aides alimentaires et médicales n’arrivent pas réellement à Gao et à Tombouctou et seule une partie de la population en profite. Si cela dure, les populations seront obligées de s’allier au Mujao pour survivre – car se sont eux qui contrôlent l’aide alimentaire. Cela est très inquiétant.
“Ançar Dine et le Mujao recrutent également des enfants. Voila comment ils procèdent : ils viennent vous voir à votre domicile, vous proposent de l’argent et vous proposent d’enseigner le Coran à votre enfant. Si vous refusez, on vous coupe les vivres.”
Ançar Dine et le Mujao recrutent également des enfants. Voila comment ils procèdent : ils viennent vous voir à votre domicile, vous proposent de l’argent et vous proposent d’enseigner le Coran à votre enfant. Si vous refusez, on vous coupe les vivres.
Il s’agit ici d’enfants âgés de 10 à 12 ans qui, une fois enrôlés, arrivent à peine à tenir leurs fusils. A Gao et à Tombouctou on peut les croiser fréquemment parmi les groupes armés. Ces derniers proposent également de l’argent pour épouser les jeunes filles. C’est une stratégie déjà éprouvée pour que se tissent de véritables liens entre les autochtones et les groupes armés, ce qui pourrait compromettre la réussite d’une intervention militaire, si elle était trop tardive.
Propos recueillis le 16 novembre 2012