Sur le soutien de Samir Amin à l’intervention française au Mali
Le texte de Samir Amin, qui défend l’intervention française, est avant tout contradictoire car dès le début, à la question de savoir si l’intervention française répond à la règle de la volonté de domination coloniale, il répond … oui et non, mais son texte n’est qu’un plaidoyer qui tente d’expliquer que la guerre de la France ne correspond nullement à cette volonté :
« j’appelle à la soutenir, sans néanmoins penser le moins du monde qu’elle apportera la réponse qu’il faut à la dégradation continue des conditions politiques, sociales et économiques, non seulement du Mali, mais de l’ensemble des pays de la région »
L’argument est étrange, Samir est bien conscient que la guerre que la France mène au Mali, et qu’il appelle à soutenir, ne règlera rien !.
Le rôle de l’islamisme
Samir fait plus une constatation du rôle que joue l’islamisme politique, considéré comme une force politique réactionnaire, qu’une analyse. Comprendre l’islamisme c’est d’abord comprendre son essor, lié évidemment à une misère sans nom, dans laquelle le capitalisme plonge les populations, mais aussi à l’absence de crédibilité d’une alternative politique à l’échelle internationale. Ce n’est évidemment pas un hasard si la montée de l’islamisme est concomitante avec la perte d’influence du socialisme quelles que soient ces variantes. L’alter- mondialisme a pu donner une bouffée d’oxygène face à l’offensive de la pensée unique libérale, mais il n’a jamais eu les capacités de mobilisation et d’organisation qu’ont pu avoir les organisations qui se réclamaient du socialisme. Ce point nous semble important car désormais, à tort et nous sommes bien d’accord là-dessus, l’islamisme dans certains cas revêt les habits de la contestation d’un ordre mondial injuste et représente une force d’attraction.
Cette remarque faite, les différents groupes djihadistes qui sévissent au Mali sont de parfaits réactionnaires doublés de maffieux qui contrôlent les trafics dont certains sont tout simplement odieux, puisqu’il s’agit de la mise en place de filières, empruntées par les africains, pour tenter de rejoindre l’Europe.
De l’OCRS au Sahelistan
Samir rappelle la création de l’Organisation Commune des Régions sahariennes (OCRS) qui voit le jour en 1957, mais sera abandonnée six ans plus tard. Il précise que du côté de la France il n’y a pas de danger de voir ce projet ressortir de nouveau :
« S’il y a peut être quelques nostalgiques du projet à Paris, je ne crois pas qu’ils soient en mesure de convaincre des politiciens dotés d’une intelligence normale de la possibilité de le ressusciter »….
Pour aussitôt ajouter que la création d’une entité politique du Sahel est un projet qui existe :
« Il est celui de la nébuleuse constituée par l’Islam politique en question et bénéficie du regard éventuellement favorable des États-Unis et dans leur sillage de leurs lieutenants dans l’Union européenne (qui n’existe pas) – la Grande-Bretagne et l’Allemagne ».
Donc pas de danger du côté de la France de voir ressusciter une entité politique du Sahel, mais du côté des US, de la GB, de l’Allemagne (et de Sarkozy qui est expressément cité) rien n’est moins sûr.
Tout cela est faux au niveau des faits. En effet, la diplomatie de Sarkozy a été de favoriser le MNLA, groupe nationaliste non islamiste qui, espérait-il, allait jouer le rôle de milice de sécurité contre AQMI au profit de l’impérialisme français. Pourtant le but affiché du MNLA, d’indépendance de l’Azawad, donc du découpage d’une partie du Sahel, n’a pas gêné outre mesure la diplomatie française qui préconisait des négociations. Un découpage qui va donc à l’encontre d’une grande entité politique du Sahel, volonté prêtée à Sarkozy
Mais surtout l’impérialisme, qu’il soit français ou anglo-saxon, n’a nullement besoin d’un redécoupage politique du Sahel pour s’approvisionner, le terme plus exact étant piller, les ressources énergétiques de la région. Ce que cherchent les pays riches, avant tout, c’est une stabilisation qui permette aux différentes multinationales d’exploiter en toute quiétude les ressources.
Expliquer, comme Samir le fait, que la France avec l’Algérie s’est opposée au projet des US, de la GB et de l’Allemagne de construire un Sahelistan, avec la complicité des djihadistes, est faux, là aussi.
En effet, avant l’intervention française, deux voies ont émergées et se sont affrontées. Celle de la France, et de son fan club qu’est la CEDEAO, était pour une intervention militaire directe et rapide ; ainsi Paris a mené une véritable offensive diplomatique pour entraîner la « communauté internationale » dans le soutien de son dessein. L’autre voie, celle de l’Algérie, fut de mener une diplomatie indépendante de négociations avec le MNLA, mais aussi avec Ansar Dine, groupe islamiste, pour trouver une solution politique et ainsi éviter une intervention militaire qui aurait été, inévitablement conduite directement ou non, par la France. Cette stratégie à été soutenue par les USA qui se sont battus au conseil de sécurité de l’ONU pour que les résolutions intègrent et priorisent la négociation politique. Des Etats-Unis qui, soit dit en passant, entretiennent des liens militaires importants avec l’armée algérienne.
La sous-estimation de l’impérialisme français en Afrique
L’erreur d’analyse sur la question du Sahara en côtoie une autre, qui est d’une certaine manière encore plus désastreuse, celle de la sous-estimation totale du danger que fait peser la politique de la France en Afrique. En effet, que dit Samir :
« La victoire constituerait un moyen important de restauration de la place de la France dans le concert des nations, au-delà même de l’Europe »
Pour nous expliquer aussitôt que :
« Les ambitions « coloniales » françaises – faire du Mali un État client à l’image de quelques autres dans la région – ne sont peut être pas absentes chez certains des responsables de la politique malienne de Paris. La Françafrique a toujours ses porte-parole. Mais elles ne constituent pas un danger réel, encore moins majeur »
La France ne représenterait plus un danger pour l’Afrique ; la Françafrique serait désormais marginalisée. Cette absence de danger n’est-il valable uniquement que pour le Mali, et dans ce cas, pourquoi ce pays serait-il le seul à échapper à ce danger ? Sinon, il serait intéressant de savoir de quand Samir date ce changement important dans la politique française qui, faut-il l’avouer, a échappé à beaucoup de militants anti-impérialistes tant en France, qu’en Afrique. A partir et surtout quels sont les éléments qui indiquent que la Françafrique n’est plus un danger réel.
Pourtant si l’on prend l’histoire récente de la France et ses interventions militaires : En février 2008 pour sauver la dictature de Deby (mais peut être que là aussi il eut fallu défendre cette opération militaire puisque les rebelles étaient soutenus par le régime islamiste soudanais) ou l’opération en soutien aux Forces Nouvelles en Côte d’Ivoire, pour installer Ouattara au pouvoir, sans parler de la Libye…. tout cela ne plaide pas en faveur d’un affaiblissement de la Françafrique, mais bien au contraire illustre parfaitement le rôle de ce pays qui n’a pas changé depuis des lustres. Et si Samir pensait que la Françafrique se termine tout simplement parce que Hollande la déclaré lors de son discours à l’Assemblée Nationale à Dakar, l’envoi récent de commandos spéciaux de l’armée française au Niger, pour protéger les sites de la multinationale française AREVA, devrait le faire changer d’avis.
Quand Samir analyse la situation du Mali et notamment fait remarquer que le président malien n’a quasiment aucune légitimité puisqu’il a été mis en place par la CEDEAO, il ne va pas jusqu’au bout et, de ce fait, ne pointe pas les responsabilités de la diplomatie française. En effet, c’est la France qui a mis au pouvoir le président malien afin d’éviter toute déstabilisation politique du Mali alors que, dans le même temps, une grande partie de la population et des organisations militantes de la société civile se battaient pour la mise en place d’une conférence nationale qui aurait permis un renouveau politique en rupture avec cette caste dirigeante corrompue, et peut être même, une rupture avec le FMI et la Banque Mondiale. Le coup d’état du capitaine Sanogo n’était pas un coup d’état préparé, mais une mutinerie qui a fait tomber Amadou Toumani Touré, ce qui en dit long sur le degré de décrépitude qu’avait atteint ce régime, avec comme conséquence immédiate, une vacance du pouvoir. C’est précisément cette vacance du pouvoir qui était dangereuse pour la France et la CEDEAO. D’ailleurs les organisations de la gauche radicale ont tenté de s’engouffrer dans la brèche, même si leur ligne politique pouvait être discutable mais c’est un autre débat, pour tenter de construire un autre Mali. La France et la CEDEAO dès le début avaient deux objectifs précis, rétablir l’ordre ancien au sud et notamment dans la capitale Bamako et sécuriser le nord. Force est de constater que ces deux objectifs sont en passe de réussir. L’état d’urgence est décrété dans tout le Mali, les organisations progressistes sont marginalisées et inaudibles, l’armée française occupe le nord du pays. Croire que c’est dans ces conditions que le Mali va pouvoir se reconstruire est une illusion.
Avant de parler de solution militaire, de savoir qui doit intervenir, il faut que l’intervention se fasse sur la base d’un projet politique qui ait une vraie légitimité dans la population, qui permette à l’Etat malien d’influencer et de diriger cette intervention et non de la subir. Unifier les populations sur des projets sociaux et économiques, particulièrement dans le nord du pays, est une impérieuse nécessité. En l’absence de solutions politiques élaborées par les populations maliennes et leurs organisations, c’est la France qui va orienter la construction du nouveau Mali, ce qui risque fort de ressembler comme deux gouttes d’eau à l’ancien Mali avec ces mêmes dirigeants politiques corrompus, avec la même soumission à la politique libérale, avec la même misère pour les populations et les mêmes risques d’éclatements de guerre et de djihadisme.
La question Touarègue
Il est également faux de dire que Modibo Kéita, le père de l’indépendance malienne, a géré positivement le problème touareg, comme le prétend Samir. Les réponses données n’ont été que bureaucratiques, brutales et centralisatrices ; ignorant délibérément les modes de vie de ces populations. Sous l’époque de Kéita, le nord Mali était sous occupation militaire, ce qui a engendré oppression et humiliation. Cette politique a eu comme conséquence de liguer la grande partie des touarègues contre Bamako alors que, lors de l’indépendance, une partie des populations touarègues s’était opposée au projet de l’impérialisme de De Gaulle autour de la construction de l’OCRS. Certes il était absolument indispensable d’éradiquer des pratiques d’esclavage et d’oppression qui survivaient chez certains touarègues sur d’autres communauté, notamment les Bella, mais cette lutte nécessaire ne pouvait pas justifier la mise au pas de cette population.
La principale erreur de cette position est qu’elle tente de trouver des solutions dans le cadre imposé et étriqué d’une lutte entre les intérêts néocoloniaux de la France et l’oppression cruelle et moyenâgeuse des djihadistes. Djihadisme ou capitalisme il faudrait choisir ! La politique de la France est coutumière de ces belles interventions humanitaires. Le Biafra, on se souvient tous de ces images effrayantes d’enfants affamés, mais qui se souvient de la politique de la France qui a alimenté en armes et argent ce conflit sécessionniste qui visait à affaiblir le Nigeria, pays islamique, qui prenait trop d’importance aux yeux de Paris. On peut aussi parler de cette campagne où chaque écolier français était invité à donner un paquet de riz aux Somaliens, qui n’a pas vu Kouchner, ministre de la France, déchargeant les sacs de riz. Mais se souvient-on que quelques semaines après ce sont des véhicules blindés occidentaux qui devaient renverser le régime des tribunaux islamiques pour sauver les populations ; résultats ils ont été remplacé par d’autres encore plus extrémistes, encore plus cruels : les Shebab. Au moment où de nouvelles révélations se font jour sur l’implication de la France dans le génocide rwandais, rappelons que l’opération Turquoise, elle aussi, a été présentée comme une opération humanitaire dont le but était d’éviter de nouveaux massacres. En fait elle n’a visé qu’à exfiltrer les génocidaires hutus au Zaïre, maintenant RDC, provoquant une guerre qui continue depuis 20 ans à l’est du Congo avec son cortège de massacres de viols et de pillages.
Non décidément, au Mali comme dans toute l’Afrique, la France ne fait pas partie de la solution, tout simplement, parce qu’elle fait partie depuis longtemps du problème.
Paul Martial
30/01/2013