Robert Pelletier – Le 26 février, 680 ex-salariéEs de Continental se présentaient devant le tribunal des prud’hommes de Compiègne. Pourquoi ?
Xavier Mathieu – Il s’agissait pour nous de contester le motif de nos licenciements par Continental et d’exiger des dommages et intérêts pour absence de motif économique. Nous sommes confortés dans notre démarche par la décision du Tribunal administratif d’Amiens d’annulation des licenciements de 22 représentants du personnel pour ce même motif. Le plus intéressant, c’est que le tribunal s’est appuyé sur les propres chiffres de la direction pour refuser ce motif. Si une loi interdisant effectivement la fermeture d’un site sans justification économique existait, le site de Clairoix n’aurait jamais fermé.
Chez PSA ou Goodyear, on entend parler de « PSE exemplaires » qui ne laisseraient personne sur le carreau. Qu’en est-il pour les Conti ?
Pour la direction, sur les 1 113 salariéEs du site, 91 % ont une « solution identifiée » et 588 seraient en contrat à durée indéterminée (CDI) ou déterminée (CDD) de plus de six mois ou en création d’entreprise, 108 en formation diplômante ou qualifiante, 115 dans une autre situation (retraite, projet personnel, invalidité…) et seulEs 100 personnes encore « en recherche » et accompagnées par le cabinet de reclassement. Pour nous c’est du bidon : 510 à 540 sont à Pôle emploi, environ 200 sont en CDI, une petite centaine ont créé une entreprise dont 70 % ont mis la clé sous la porte. Les autres sont en galère : intérim, CDD ou petite retraite… La majorité de ceux qui sont en CDI sont les cadres ou les salariéEs qualifiéEs. Les autres n’ont rien ou ont trouvé un emploi avec une grosse perte de salaire.
Avec le recul, quel bilan tires-tu de votre combat ?
Comme les gars de Goodyear, nous avons mené de front le juridique et la mobilisation. Avec un dossier identique (non-consultation de l’ensemble des instances représentatives du personnel), nous avons perdu devant le tribunal de Sarreguemines. À partir de ce moment, face au risque de tout perdre, nous n’avons pas fait appel. Les décisions de justice, ce n’est pas fiable. Les Goodyear ont raison de continuer tant que la justice leur donne raison et leur permet de gagner du temps. Malheureusement, il manque un gouvernement, un État qui appuient les revendications des salariéEs, imposent des solutions au patronat. Le système capitaliste a modifié les mentalités sur le long terme. L’individualisme, le sentiment d’avoir des choses à perdre ou à mettre en péril (crédits). Comme le disait Marx, c’est la société qui fait les hommes, les mentalités, pas le contraire. Si 80 % se déclarent mécontents du système, il manque la volonté de le faire. Il faudrait un mouvement comme le système, international.
On discute beaucoup des solutions, interdiction des licenciements, SCOP… Qu’en penses-tu ?
En ce qui concerne les SCOP, j’en vois bien la possibilité chez Fralib, mais pour des pneus, ça me paraît plus compliqué, surtout si une marque comme Goodyear refuse de céder son nom.
Pour les lois, c’est compliqué. Licenciements boursiers, économiques, on sait bien que les employeurs trouveront toujours des moyens de détourner les lois. Il faudrait que les salariéEs puissent contester les motifs économiques largement en amont des décisions de fermeture ou de licenciements. Le Tribunal administratif aurait interdit les fermetures de sites comme New Fabris, Molex ou autres.
Pour nous, le tribunal d’Amiens avait listé trois possibilités : le chômage technique, la répartition des pertes entre toutes les entreprises et la fermeture du site. Bien que le groupe n’ait quasiment jamais cessé de faire des bénéfices, c’est la 3e solution qui a été choisie, sans justification économique. Depuis, Continental a fait 6 milliards d’euros de bénéfices et, en juin 2012, ils ont dû renoncer à la vente de 5 millions de pneus car dans l’incapacité de les produire…
Que devient le groupe des Conti ?
On se réunit de temps en temps, comme lors de notre passage aux Prud’hommes où nous étions aux alentours de 400. Sinon, nous tenons des assemblées générales de 200 personnes pour les rendez-vous en préfecture. C’est plutôt bien pour une boîte fermée, quand on voit les difficultés pour réunir des salariéEs dans des entreprises où il y a des menaces de licenciements ou de fermetures. Nous restons plutôt fiers de notre combat. À des moments, on aurait pu prendre une autre direction. Mais personne ne peut dire que d’autres choix auraient donné de meilleurs résultats. On ne regrette rien.
Et toi, là-dedans ?
Pour moi, l’industrie, le travail manuel, c’est mort : zéro proposition. Les seules propositions concernent un métier des plus précaires : le cinéma. Aujourd’hui, ça ne me permet pas de vivre. Si je peux gagner 1 500 euros jusqu’à la retraite… pourquoi pas. Mais en même temps, c’est un milieu où tu n’es pas maître de ton destin. Suspendu au téléphone, dépendant des amiEs, des relations… Évidemment je me pose des questions sur ce que j’ai perdu dans ces années de luttes. La maîtrise de ma vie par exemple. Avec l’envie de retourner à la pêche, aux champignons. Penser, agir avec les autres, collectivement, mais aussi penser à soi.
Des regrets ?
Pas de regret pour tout ce que j’ai fait, ce que l’on a fait. Lutter, c’est magnifique, ça laisse des traces, beaucoup de souvenirs. Les mauvais s’effacent, il ne reste que les bons.
Propos recueillis par Robert Pelletier
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 186 (14/03/13).
COMMUNIQUÉ DU NPA. SOLIDARITÉ AVEC XAVIER MATHIEU
3 février 2012
La cour d’appel d’Amiens a condamné en appel Xavier Mathieu à 1200 euros d’amende pour avoir refusé le prélèvement de son ADN.
Rappelons qu’en première instance, X. Mathieu avait été relaxé par le tribunal correctionnel de Compiègne.
Le fichage ADN, qui a été largement étendu depuis sa mise en service en 1998, est un des moyens utilisés pour traiter les syndicalistes comme des délinquants et pour imposer leur fichage.
Ce harcèlement judiciaire démontre très clairement une volonté de casser un syndicaliste qui a résisté, avec l’ensemble des salariés, à la fermeture de Continental Clairoix.
Comme le dit X. Mathieu, dans cette affaire, ce ne sont pas les patrons qui détruisent des emplois qui sont poursuivis mais tous ceux qui entendent défendre leur droit à l’emploi et à la dignité.
Le NPA réaffirme toute on soutien militant à X. Mathieu.
Le 3 février 2012.
LES CONTI DE NOUVEAU EN DEUIL
Jeudi 19 janvier 2012
Mardi 17 janvier, un des anciens salariés licenciés de Continental-Clairoix (Oise) s’est donné la mort en se jetant sur les rails, à hauteur de l’ancienne usine. Toutes nos pensées vont à sa famille, ses proches et ses anciens collègues. C’est le deuxième suicide d’un salarié de Continental depuis la fermeture de l’usine en 2009. En juillet 2011, un de ses anciens collègues avait été retrouvé pendu chez lui.
Malgré leur combativité et leur unité, les Conti continuent de payer au prix fort la politique patronale et gouvernementale qui presse les salariéEs comme des citrons avant de les jeter pour aller s’enrichir ailleurs. Malgré leur lutte exemplaire et leurs indemnités de licenciement record, à ce jour, la plupart des ex-Conti n’ont pas retrouvé d’emploi. Il est bien difficile de se faire embaucher quand on s’est fait connaître du public en luttant contre les patrons voyous ! Ceux-ci n’ont quant à eux jamais été contraints de rendre des comptes à la justice et à l’État. Seuls des salariés (dont le leader Xavier Mathieu plusieurs fois harcelé par la « justice ») se sont retrouvés à la barre, condamnés à des amendes ou menacés de prison pour avoir osé refuser de se laisser faire.
Depuis le mois de juillet, une nouvelle étape est franchie : poussés par le désespoir, des anciens salariés en viennent à se suicider. Il est plus qu’urgent d’interdire les licenciements et de faire condamner les patrons véreux qui considèrent les travailleurEs comme des variables d’ajustement. Ces patrons et les gouvernements qui les servent sont directement responsables de ce drame.
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 132 (19/01/12).
RELAXE POUR XAVIER MATHIEU
Jeudi 12 janvier 2012
Plusieurs centaines de personnes se sont réunies devant la cour d’appel d’Amiens pour soutenir l’ex-leader des Conti, poursuivi pour refus de donner son ADN.
Quelque 300 militantEs se sont retrouvéEs devant la cour d’appel d’Amiens, mercredi 4 janvier, pour soutenir Xavier Mathieu et exiger sa relaxe. Cette cour a été saisie par le parquet en appel de la décision de relaxe prise par le tribunal de Compiègne concernant le refus de Xavier de se soumettre au contrôle ADN, en vue de son inscription sur le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg). Avant l’audience, des représentants de Continental et du Comité de lutte, de représentants nationaux du PCF, du PG, d’EÉLV, de LO, du NPA, de Solidaires, de la FSU ainsi qu’une représentante locale du Parti socialiste ont pris la parole. En revanche, l’absence de représentants nationaux du PS, de la CFDT et de la CGT a été remarquée. La Compagnie Jolie Môme, La Rabia et HK ont fait patienter les manifestantEs durant l’audience.
Le procureur s’acharne sur le porte-parole des Conti pour faire payer à ces salariéEs leur résistance à l’arbitraire patronal. Il s’agit, de plus, de faire appliquer l’obligation de se soumettre au prélèvement ADN, quel que soit le délit et d’entériner ainsi la criminalisation des révoltes sociales. Après avoir repoussé l’accusation de soumission au pouvoir d’État, le procureur écarte le témoignage de C. Hoareau, syndicaliste CGT, dispensé par un juge de prélèvement, et celui de C. Bourgain, chercheuse à l’Inserm, démontrant que le fichage ADN pouvait dériver en fichage médical ou racial. Rejetés également les arguments de M. Bonduel du Syndicat de la magistrature dénonçant l’utilisation du Fnaeg passé d’outil d’élucidation à celui de fichage et de sanction. Le procureur confirme sa demande de condamnation assortie d’une amende de 1 000 à 1 500 euros. M.-L. Dufresne-Castet, avocate des Conti et de Xavier, demande la confirmation de la relaxe. Elle dénonce tout d’abord la partialité du pouvoir multipliant les procès contre les salariéEs, autorisant le seul licenciement de Xavier comme représentant des salariéEs et lui imposant un prélèvement ADN. Délibérément et injustement puisque le contexte de l’action syndicale condamnée ne justifie pas d’inscrire Xavier dans un fichier de délinquants. Discriminatoire enfin parce que ce n’est pas Xavier comme prétendu délinquant qui est visé par la condamnation mais le porte-parole d’un combat syndical.
Enfin Xavier, fort ému, hésitant à monter une nouvelle fois au créneau, rappelle la lutte des Conti pour la sauvegarde de leurs emplois, pour leur dignité. Sur 1 100 travailleurs, seuls 200 ont, aujourd’hui, retrouvé un CDI. Xavier dénonce le saccage social que représentent ces emplois supprimés avec son cortège de vies brisées, les addictions à l’alcool, la drogue ou les antidépresseurs, les divorces et un suicide. « J’aurais aimé voir les dirigeants de Continental devant cette Cour. Le gouvernement avait pourtant promis de poursuivre et punir ces patrons voyous ». Xavier rappelle le fichage par le gouvernement de Vichy des juifs, des homosexuels, des tziganes, des communistes et son utilisation. Il conclut : « J’ai un patrimoine génétique. Il m’a été donné par amour par mes parents, il a été transmis par amour à mes trois enfants. J’ai un petit-fils aujourd’hui. Jamais je ne donnerai mon ADN autrement que par amour. » Résultat le 3 février.
Robert Pelletier
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 131 (12/01/12).