La mise en examen de l’ex-première secrétaire du PS dans l’affaire de l’amiante a permis de rappeler le rôle joué par l’État et les industriels dans ce scandale et la nécessité d’un procès que les victimes attendent toujours. Directrice des relations du travail de 1984 à 1987, au ministère du Travail, Martine Aubry devra répondre de l’inaction des pouvoirs publics face à l’un des plus gros scandales de santé publique de ces dernières décennies. Cette mise en examen fait suite à d’autres, notamment celles des industriels, des représentants de l’État et des personnalités scientifiques qui ont siégé au Comité permanent amiante (CPA), une structure de lobbying à laquelle les pouvoirs publics avaient confié le soin de définir ce qu’il était convenable de faire pour prévenir les risques liés à l’utilisation du matériau cancérogène.
Des mensonges mortels
De 1982 à 1995, le CPA, à l’instigation des industriels (dont Ferodo, Eternit et Valeo), a délibérément menti sur les risques liés à l’amiante, défendant un « usage contrôlé » du produit. Résultat : de très nombreux travailleurs, notamment dans les chantiers navals, le bâtiment ou l’industrie, ont été exposés à l’amiante et développent depuis plusieurs années et encore aujourd’hui des cancers mortels. 100 000 décès sont à craindre d’ici 2025. Pourtant la nocivité de l’amiante était connue depuis 1906. La logique du profit l’a emporté sur tout le reste, l’État se faisant complice des mensonges des industriels.
Reste à savoir si la responsabilité personnelle de Martine Aubry sera retenue. Celle-ci a démenti toute implication dans le dossier de l’amiante et toute participation aux travaux du CPA. Elle a fait appel de la décision de la juge d’instruction. Bien entendu, une bonne partie de l’élite politique s’est émue de cette décision, en soutenant l’ancienne première secrétaire du PS. De fait, si Martine Aubry devait voir sa mise en examen confirmée, d’autres personnalités politiques auraient du souci à se faire.
L’État complice
En 2004, le Conseil d’État a en effet reconnu la responsabilité des pouvoirs publics dans le dossier, du fait de leur non-intervention pour préserver la santé des administrés. En dehors d’un décret daté de 1977 qui autorisait l’usage de l’amiante tout en limitant un peu plus le niveau d’exposition, l’État n’a rien fait pendant des décennies, alors que s’accumulaient les preuves scientifiques que l’amiante est cancérigène. Il a fallu attendre 1997 pour que ce matériau soit interdit (sous un gouvernement de droite, d’ailleurs).
Du côté des victimes, la mise en examen de Martine Aubry a été perçue comme une nouvelle étape dans le déroulement d’une instruction qui dure depuis trop longtemps. La première plainte a été déposée en 1996 et cela fait seize années que les victimes encore en vie ou les ayants droit attendent la tenue d’un procès. La justice française a accumulé des retards inacceptables, alors qu’en Italie les industriels ont déjà été condamnés. Il devient urgent que toutes les responsabilités dans ce crime industriel en bande organisée soient actées et que soient jugés tous ceux qui ont privilégié leurs intérêts financiers ou politiques au détriment de la santé des populations.
Etienne Demille