Les groupes s’épiaient depuis un moment déjà, lorsque, abandonnant leur guerre des drapeaux, deux étoiles vertes d’un côté, trois étoiles rouges de l’autre, les partisans du régime syrien de Bachar Al-Assad et ceux de la rébellion syrienne en sont venus aux mains, donnant, vendredi 29 mars, à Tunis, un peu de fil à retordre aux organisateurs du Forum social mondial (FSM). « Dieu, la Syrie et Bachar ! », apostrophaient les uns, « Dieu, la Syrie, le peuple ! », scandaient les autres. Mais, surprise, le camp des pro-Bachar était surtout composé de Tunisiens nationalistes arabes, soutenus par le parti baasiste local.
« Je suis choqué, tous les jours les médias tunisiens attaquent la révolution syrienne... », soufflait, dépité de devoir battre en retraite, Oubada Abbous, un étudiant de 23 ans, originaire d’Idlib au nord-ouest de la Syrie, non loin d’Alep.
En Tunisie, pays qui a donné, le premier, le signal, des soulèvements arabes, le contraste est parfois, il est vrai, déroutant. Ainsi, quand une partie de la société tunisienne s’émeut chaque jour un peu plus du départ de nombreux jeunes partis faire le djihad en Syrie dans les rangs de groupes armés, d’autres défendent bec et ongles le régime de Bachar Al-Assad.
Finalement, la tension retombe une fois les fauteurs de trouble dispersés, mais les organisateurs du FSM veillent au grain. Le grand rendez-vous altermondialiste, qui s’est ouvert pour la première fois en terre arabe depuis le 26 mars, réunit, sur le campus universitaire Al-Manar de Tunis, des ennemis jurés. La délégation marocaine affiche la couleur sur sa tente, avec une banderole dénonçant la « propagande » du Polisario, à côté de Sahraouis pro-indépendantistes venus en nombre.
Un petit groupe d’opposants iraniens défile au nez et à la barbe de militants qui ont tendu un grand portrait de l’ayatollah Khomeyni. Les Algériens ne sont pas tous d’accord entre eux. Il y a ceux qui défendent un « pays démocratique », et ceux qui y dénoncent « les atteintes aux droits de l’homme » et l’empêchement fait par les autorités à des syndicalistes autonomes et à des militants contestataires de se rendre au FSM.
Partout, les nationalistes arabes dominent, ici, par exemple, avec un portrait de Saddam Hussein. Les islamistes aussi sont bien présents, studieux dans l’atelier consacré à l’islam politique et aux révolutions arabes, alors même que des voix se sont élevées, lors de l’assemblée des femmes, pour crier « A bas les Frères musulmans ! » Français, Italiens, Espagnols, les Européens ne sont pas en reste, tout comme les Africains et les Brésiliens, pour condamner, des piles de tracts à l’appui, la « dictature du capitalisme » et ses ravages.
AMBIANCE FÉROCE
Placé sous haute surveillance sécuritaire, ce forum, qui a laissé dans l’ensemble les Tunisois plutôt indifférents ou dubitatifs, est avant tout un mélange de couleurs et de sons où les chants traditionnels se mêlent à l’Internationale. On s’agglutine devant des stands qui exposent des tasses à l’effigie de Che Guevara et des assiettes au portrait de Chokri Belaïd, l’opposant tunisien de gauche assassiné à Tunis le 6 février.
Festive avant tout, l’ambiance se fait parfois féroce lorsqu’il s’agit de piétiner ou de brûler un drapeau israélien. Le lien unificateur entre tous, ici, reste la cause palestinienne, impossible à ignorer avec l’immense drapeau déroulé sur une façade du campus, les stands d’aide pour Gaza, et les nombreux slogans qui éclatent à tout moment. C’est par un dernier grand rassemblement pour la Palestine que le rendez-vous altermondialiste devait ainsi s’achever, samedi 30 janvier.
Isabelle Mandraud