New Delhi, correspondant régional
Les opérations de secours se poursuivaient, lundi 29 avril à Savar, à 30 km de Dacca, la capitale du Bangladesh, dans les décombres d’un immeuble de neuf étages abritant des ateliers textiles, qui s’était effondré mercredi 24, causant la mort de 377 personnes, selon un bilan provisoire.
Au-delà du drame humain et de ses conséquences politiques intérieures, le pire désastre industriel dans le secteur du textile et de l’habillement au Bangladesh promet d’avoir de lourdes répercussions sur la place de ce pays d’Asie du Sud, parmi les plus pauvres au monde, dans la chaîne mondiale d’approvisionnement.
Les exportations bangladaises de prêt-à-porter n’ont cessé de croître ces dernières années, jusqu’à atteindre 19 milliards de dollars (14,5 milliards d’euros) en 2012. Le Bangladesh se classe au deuxième rang mondial, après la Chine.
Une étude de McKinsey avait même présenté, en 2011, le Bangladesh comme idéalement placé pour devenir une « nouvelle Chine », à l’heure où les marques occidentales tendaient à se désengager partiellement des ateliers de l’empire du Milieu, handicapés par l’augmentation des coûts.
Mais l’expansion continue du secteur – qui fournit 45 % des emplois industriels du pays, alimente 80 % de ses exportations et contribue à son produit intérieur brut à hauteur de 15 % – s’est payée au prix de déplorables conditions de travail, dont l’effondrement du Rana Plaza, mercredi, est la tragique illustration.
Sur place, à Savar, chaque jour voit se répéter les mêmes scènes de corps brisés extirpés des gravats par des sauveteurs travaillant sans relâche dans l’espoir de retrouver des survivants. Dimanche, 2 430 personnes avaient été retrouvées vivantes, sur un effectif de plus de 3 000 ouvriers – principalement des femmes – présents dans les ateliers au moment de la catastrophe, laissant à penser que le bilan définitif pourrait approcher les 500 tués.
LES NORMES DE SÉCURITÉ INGNORÉES
Selon les témoignages des rescapés, des fissures étaient apparues dans l’immeuble la veille de la tragédie, mais les propriétaires des ateliers n’en avaient tenu nul compte, exigeant du personnel la poursuite du travail, au mépris des mises en garde lancées par la police chargée des sites industriels.
Une agence bancaire et plusieurs magasins, situés au premier étage, avaient, eux, jugé plus sage de fermer leurs portes. « Je n’appelle pas cela un accident mais un meurtre », a déclaré le ministre de l’information, Hasanul Haque Inu.
Le propriétaire de l’immeuble, Sohel Rana, a été arrêté, dimanche, par l’armée, alors qu’il tentait de franchir la frontière avec l’Inde. Son affiliation politique – il est un cadre du parti au pouvoir, Awami League – n’a pas suffi à le protéger. Il lui est reproché d’avoir ignoré les normes de sécurité au moment de la construction de l’immeuble. Au total, six personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles deux propriétaires d’usine et deux ingénieurs.
Le drame a alourdi le climat politique et social du Bangladesh. Vendredi et samedi, des émeutes ont éclaté à Dacca et à Chittagong – la grande cité portuaire du pays près de la frontière birmane – à l’instigation d’ouvriers exigeant des sanctions exemplaires contre les responsables de la tragédie.
LES SOCIÉTÉS ÉRTRANGÈRES MONTRÉES DU DOIGT
La controverse n’épargne pas les sociétés étrangères, détaillants et marques de prêt-à-porter, ayant inséré le Bangladesh dans leurs réseaux internationaux de sous-traitance. Un coût du travail jugé attractif – avec un salaire mensuel minimum d’environ 30 euros – a attiré, ces dernières années, bien des investissements étrangers.
Les articles portant la signature de marques, retrouvés dans les gravats, ainsi que les sites Internet des cinq usines logées dans l’immeuble – affichant la liste de leurs clients –, semblent indiquer que les ouvriers travaillaient pour Benetton, Walmart, Mango, Trimark.
Benetton a démenti avoir un quelconque rapport avec le Rana Plaza, tandis que Walmart affirme avoir diligenté une enquête interne. Le nom de Walmart avait déjà été cité lors de l’incendie, en novembre 2012, de l’usine Tazreen Fashion, dans la banlieue de Dacca, où 117 ouvriers avaient péri. La multinationale américaine s’était défendue en arguant qu’elle avait été abusée par un sous-traitant s’approvisionnant auprès de Tazreen Fashion.
La corruption locale et l’opacité de la chaîne de sous-traitance rendent souvent difficile les enquêtes sur les conditions de travail. Mais ONG et syndicats ouvriers reprochent aux grands groupes occidentaux de fermer trop aisément les yeux sur cette face noire des ateliers du Bangladesh, qui devra probablement attendre un certain temps avant de s’imposer comme une « nouvelle Chine ».
Frédéric Bobin