La parution de cette chronique a soulevé bien des interrogations. Maintenant que L’Humanité a publié la lettre que nous avons envoyée à la rédaction à ce sujet et que Roger Martin lui-même a tenu à clarifier sa propre position, il nous paraît utile et nécessaire de faire le point. L’article de Philippe Pivion a en effet beaucoup circulé.
Dans le courriel que nous avons envoyé à la rédaction de l’Humanité introduisant notre réponse, nous disions ne vraiment pas comprendre pourquoi une telle mise en cause de notre père avait été publiée dans ce quotidien et nous disions qu’« en plus de la parution de notre lettre nous aimerions bien avoir quelques explications. Nous avons en effet été autant surpris que choqués à la lecture de l’article. »
Dany Stive, journaliste à l’Humanité et responsable des pages « tribunes-idées », nous a répondu que, se trouvant en sous-effectif et les équipes étant réduites au minimum le Premier Mai, la vigilance de la rédaction avait été prise en défaut. « Les théories défendues par l’auteur du texte n’ont plus cours dans « l’Humanité » depuis longtemps. Nous allons donc passer votre droit de réponse sans tarder. Avec nos excuses. »
Après la parution de notre réponse dans l’Humanité du 23 mai (à nouveau en page 19), nous avons reçu un courriel de Roger Martin, auteur du roman Dernier convois pour Buchenwald. « J’ai pris connaissance aujourd’hui de la lettre que votre frère et vous-même avez adressée à l’Huma. (…) Je comprends parfaitement votre réaction. La lecture de mon livre, cependant, montre clairement que sa figure centrale, un jeune instituteur breton pacifiste ayant été gagné aux idées trotskistes, ne peut en aucune façon apparaître comme inspirée par votre père. » D’autant plus que « les références à votre père qui figurent dans la bibliographie sont sans équivoque. Voici ce qui est écrit noir sur blanc : « …je ne peux manquer de recommander les livres de David Rousset et Jorge Semprun, bien que je me sois gardé de les relire avant d’entreprendre ce travail, de crainte d’être paralysé par l’authenticité et la grandeur d’une œuvre nourrie de l’expérience concentrationnaire. »
« Pour la petite histoire, j’ai lu « Les Jours de notre mort » à 17 ans, en 1967, alors que je venais de quitter la JC pour la JCR et que je ne savais pas grand-chose du trotskisme. Cette lecture m’a alors bouleversé et je n’ai jamais cessé de la recommander, alors même que j’avais regagné les rangs de l’UEC puis du PC. »
Dont acte. Le personnage créé pour son roman par Roger Martin n’est en rien inspiré par notre père.
Nous reproduisons ci-dessous notre réponse à la chronique de Philippe Pivion et l’article de ce dernier.
A propos de David Rousset
Lettre à la rédaction de l’Humanité
L’Humanité a publié dans son édition du 2 mai 2013 un article de Philippe Pivion sur un livre de Roger Martin, Dernier convoi pour Buchenwald. L’auteur y affirme que notre père, David Rousset, « ressemble à s’y méprendre » à un « jeune trotskiste » arrêté par l’occupant pour son activité militante en direction des soldats allemands, puis « retourné et expédié à Buchenwald avec pour mission d’assassiner Marcel Paul, dirigeant communiste interné… ».
Nous considérons une telle mise en cause particulièrement indigne. Arrêté par la gestapo le 12 octobre 1943, notre père a été déporté à Buchenwald, ainsi que dans d’autres camps : Porta Westphalica, Neuengamme et les mines de sel de Helmstedt. Il a vécu la terrible condition du concentrationnaire jusqu’en avril 1945. Il avait alors perdu plus de quarante kilos, attrapé le typhus et souffrait d’une congestion pulmonaire. Il n’aurait pas survécu à un hiver de plus ni même à un retard dans son hospitalisation, après son rapatriement. Drôle de sort réservé par les nazis à l’un de leurs supposés agents !
Philippe Pivion affirme de plus que notre père n’aurait produit aucune « réflexion politique approfondie de ce que représentent le nazisme et Hitler ». Or David Rousset est l’auteur de deux œuvres majeures sur le nazisme et ses camps, devenues des classiques : L’Univers concentrationnaire (1946) et Les Jours de notre mort (1947). Rappelons aussi qu’avant-guerre déjà, le mouvement trotskiste se référait au livre de Daniel Guérin, Fascisme et grand capital. Italie-Allemagne (1936), un ouvrage qui lui aussi fit date.
Tout l’article de Philippe Pivion affiche des relents du stalinisme et de l’anti-trotskisme des années 1950. Comment comprendre qu’une telle tribune soit publiée, sans même un commentaire ou une prise de distance, dans les colonnes de l’Humanité en 2013 ?
Luc et Pierre Rousset
[Publiée dans l’Humanité du 23 mai 2013.]
Histoire : Résister dans l’enfer de Buchenwald
Dernier convoi pour Buchenwald, de Roger Martin, Éditions Le Cherche-Midi. 19 euros.
Une fois ouvert, on ne quitte plus le livre Dernier Convoi pour Buchenwald. Dans un style remarquable de fluidité, Roger Martin nous fait revivre les heures noires de l’Occupation et celles indicibles du quotidien de Buchenwald.
Robert Danglars, jeune trotskiste courageux, diffuse des tracts aux travailleurs allemands en uniforme de la Wehrmacht afin de fraterniser. Son réseau est démantelé, lui est dénoncé par un Français. En prison, il est retourné et expédié à Buchenwald avec pour mission d’assassiner Marcel Paul, dirigeant communiste interné, afin de décapiter l’organisation de résistance du camp et d’annihiler des perspectives politiques futures, la libération approche… Grâce à cette intrigue passionnante, Roger Martin revisite l’histoire de la résistance en Bretagne – et quelle histoire ! – et celle méconnue des militants trotskistes. Un travail remarquable.
Le héros ressemble à si méprendre à David Rousset, fondateur du Parti ouvrier international, qui, par faiblesse d’analyse ou parce que sa haine de Staline l’aveugle, ne produit pas une réflexion politique approfondie de ce que représentent le nazisme et Hitler. Il considère que les travailleurs de tous les pays font partie d’une seule et même classe ouvrière et qu’ils ne doivent que s’unir pour mettre à bas l’exploitation.
Dans cette logique, les militants trotskistes sont appelés à faire de l’entrisme comme ils l’avaient fait dans la SFIO et la CGT. Ils choisissent alors le Rassemblement national populaire, parti de Marcel Déat, classé à gauche sur l’échiquier de la collaboration, dans une confusion idéologique totale.
Cette dérive politique connaîtra son paroxysme avec un article publié le 22 juin 1944 dans le journal clandestin la Vérité, organe central de la IVe Internationale, sous le titre « Ils se valent ». Il fait le parallèle entre Hitler et Eisenhower et lance : « Refuse de te faire mobiliser dans “l’armée de libération”, prépare-toi à un nouveau juin 1936, tu éliras ton comité d’usine, ton soviet, pour te libérer toi-même de ton esclavage de prolétaire. » Cet article figure à côté d’un autre indiquant : « Parlons amicalement aux soldats allemands. Diffusons parmi eux des paroles de fraternisation », sous le titre « Nos alliés ».
Le mérite de Dernier Convoi pour Buchenwald est aussi de faire vivre le camp, d’en décrire les affres, et surtout de montrer cette résistance organisée qui permettra aux martyrs de se rendre maîtres du camp avant même l’arrivée des Américains, en s’appuyant sur les Allemands internés, ces hommes reclus, depuis une décennie pour certains, qui résistent encore et toujours derrière les barbelés, organisant des répartitions alimentaires pour ceux qui peuvent être sauvés, chapardant des armes, mettant sur pied un comité international. Roger Martin rend justice à ces hommes, à leur lutte pour la dignité humaine menée jusque dans l’enfer.
Dans cet ouvrage, vous suivrez pas à pas les méandres suivis par Robert Danglars, ses atermoiements. Vous vibrerez à la destinée des personnages, étoufferez à la narration des convois et palpiterez à la vie du camp de Buchenwald. Après le Complot de l’ordre noir, et Dès lors ce fut le feu, parus également au Cherche-Midi, c’est à nouveau du grand Roger Martin.
Philippe Pivion
[L’Humanité du 2 mai 2013]