Islamabad, envoyé spécial. Le jeune homme parle avec un entrain un peu forcé. Il se lance dans une harangue étudiée, calibrée, la voix grave allant chercher les tons entre l’exhortation et le courroux. Sous ses sourcils épais très noirs, son regard fixe la caméra, et l’on devine qu’il lit un prompteur. Le message a été enregistré à Londres, où l’orateur réside, avant d’être diffusé sur les chaînes de télévision du Pakistan.
Ainsi Bilawal Zardari Bhutto, 24 ans, s’est-il adressé à ses compatriotes durant la campagne pour les élections législatives du 11 mai. L’héritier de la dynastie Bhutto, président du Parti du peuple pakistanais (PPP), a fait son entrée dans l’arène électorale pakistanaise dans des conditions pour le moins uniques : à 8 000 km de distance !
L’éloignement physique de Bilawal Zardari Bhutto illustre l’effacement politique du PPP, qui n’a quasiment pas mené campagne alors que ce parti populiste rassemblait jadis des foules considérables. Quand ses têtes d’affiche s’appelaient Zulfikar Ali Bhutto et Benazir Bhutto, respectivement le grand-père et la mère de Bilawal, le PPP était une machine à mobiliser à l’efficacité redoutable. L’époque semble bien révolue.
DE PARTI NATIONAL, LE PPP N’EST PLUS QU’UN PARTI RÉGIONAL
Le parti n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même. A son absence des tréteaux de campagne – certes en partie justifiée par les menaces exercées par les talibans – s’est ajouté un recul cinglant au scrutin du 11 mai : en n’obtenant que 31 élus à l’Assemblée nationale (sur les 272 soumis au suffrage universel), le parti qui dominait la coalition gouvernementale sortante voit son capital de députés fondre de plus de la moitié par rapport au scrutin précédent (88 élus), en 2008. Sa base s’est rétrécie à sa place forte provinciale du Sind, le berceau du clan Bhutto. De parti national, le PPP n’est plus qu’un parti régional.
Est-ce le crépuscule de cette dynastie flamboyante d’Asie du Sud, version pakistanaise de la lignée des Nehru-Gandhi en Inde ? Pendant près de quarante ans, le PPP a dominé la politique pakistanaise en jouant sur une rhétorique populiste originellement teintée de socialisme ; le combat démocratique des civils contre l’« establishment » militaire et enfin l’adhésion sentimentale du public à une épopée familiale nourrie de martyrologie. Zulfikar Ali Bhutto a été pendu par un dictateur en 1979 et sa fille Benazir a été tuée dans un attentat fin 2007. Ces ressorts du ralliement au PPP se sont distendus à l’épreuve du pouvoir.
L’homme qui incarne ce déclin du parti est Asif Ali Zardari, le veuf de Benazir Bhutto. Président pakistanais depuis 2008, il personnifie la déliquescence politique et la dérive morale du PPP sévèrement sanctionnées le 11 mai. « M. Zardari a complètement détruit le parti, il a oublié l’idéologie de Zulfikar et Benazir », fustige Naheed Khan, l’ex-secrétaire particulière de Benazir Bhutto, récemment entrée en dissidence. Le principal reproche fait à M. Zardari est d’avoir laissé fleurir autour de lui une corruption galopante sur fond d’incompétence dans la gestion de l’économie. « Son équipe n’est qu’une bande d’extorqueurs », tempête Aamir Mansoor, homme d’affaires dans le secteur des hydrocarbures.
« LES AMIS PERSONNELS D’ASIF ALI ZARDARI ONT PRIS LE POUVOIR »
Autre complainte rituelle entendue au sein du PPP, M. Zardari a éloigné les lieutenants historiques de son épouse assassinée au profit de ses fidèles. « C’est un parti différent, estime Rashed Rahman, le directeur de la rédaction du quotidien Daily News. La vieille garde a été écartée et les amis personnels de M. Zardari ont pris le pouvoir. »
Symptôme de cette « zardarisation » du PPP, la propre sœur de M. Zardari, Faryal Talpur, joue un rôle croissant au sein du parti. Elle a ainsi supervisé les investitures des candidats au scrutin du 11 mai. Selon la rumeur, le fils du président, Bilawal Zardari Bhutto, vivrait mal la tournure prise par les affaires du parti, en particulier l’éviction des réseaux de sa mère au profit de ceux de son père. Ses états d’âme expliqueraient qu’il ait préféré demeurer à Londres. A l’heure de la défaite, le PPP pourra-t-il faire l’économie d’une crise interne ?
Si le bilan de M. Zardari suscite une critique assez générale, certaines voix s’élèvent néanmoins pour souligner que son talent manœuvrier a tout de même permis d’instaurer un précédent. Le gouvernement du PPP aura achevé son mandat de cinq ans (2008-2013), ce que nul autre gouvernement civil n’était parvenu à faire au Pakistan.
« Il a réussi la performance de survivre au pouvoir dans un environnement hostile où l’armée et l’institution judiciaire n’ont cessé de chercher à l’affaiblir », relève Ali Dayan Hasan, le directeur de Human Rights Watch (HRW) au Pakistan. Dans l’immédiat, le prix de cette habilité est lourd. Pour autant, il ne faudrait pas enterrer le PPP trop vite. L’histoire pakistanaise est riche de disgrâces et de réhabilitations.
Frédéric Bobin