A Dacca, au Bangladesh, 200 000 personnes sont sorties manifester le dimanche 5 mai, dans un immense brouhaha, paralysant une bonne partie de la ville. Quelques jours auparavant, le 24 avril, il y avait eu l’effondrement d’un immeuble abritant des ateliers textiles qui a fait un millier de morts parmi les ouvriers, pour un premier bilan. Nous aurions pu conclure, sans hésiter, que les deux événements sont liés et que la manifestation a été naturellement produite par une vague de colère, contre les criminelles conditions de travail infligées aux travailleurs. Très violente, elle a fait au moins 37 morts, un poste de police, des véhicules et des magasins ont été incendiés.
Cela peut paraître surréaliste, mais son moteur n’avait rien à voir avec le sort des victimes du mépris patronal, qui sont royalement ignorées, contre toute attente. La foule a envahi la rue, à l’appel du Allama Shah Ahmad Shahi, pour réclamer notamment une nouvelle loi sur le blasphème, pour que « les athées soient pendus » et pour la fin de la mixité entre hommes et femmes. Des préoccupations, à tous points de vue, bien plus importantes pour Hefazat-e-Islam, l’organisation concernée. Les patrons Bengalais peuvent être tranquilles et leurs clients occidentaux de même.
Les affaires peuvent continuer à l’abri du bruit religieux qui couvre les râles des enfants soumis à une exploitation inhumaine, au milieu des produits toxiques interdits par la réglementation internationale, durant plus de 14 heures par jour, pour quelques dollars par mois, sans jours de congé, sans sécurité sociale et sans même un simple contrat de travail.
Ce blasphème à l’encontre de l’humanité, contre la vie et contre la dignité, n’est pas à l’ordre du jour des fatwas et ne le sa probablement jamais. Allama Shah Ahmad Shahi et Hefazat-e-Islam ne pouvaient pas ne pas mesurer l’ampleur de la tragédie qui a frappé leurs concitoyens. Mais, ils n’ont de toute évidence pas été sensibles à l’ambiance macabre et à l’émotion qui a envahi la ville. Sinon, avec leur capacité de mobilisation, ils auraient pu lourdement peser en faveur d’une remise en cause de l’esclavage institutionnalisé, du moins introduire, dans leur plate-forme de revendications, un point qui concernerait la barbarie qui règne sur le marché du travail. Alors nous en venons à renforcer notre compréhension de l’apparent paradoxe qui fait que les pays de l’OTAN préfèrent des gouvernements islamistes pour les « indigènes » quand, dans le même temps, ils développent l’islamophobie chez eux.
Youssef al-Qardaoui, le muphti de l’alliance atlantique, n’est décidemment pas une exception isolée. Il n’est que la tête de proue d’une entreprise, qui provoque des questionnements chez certains « démocrates », du fait de l’incompatibilité, communément admise, entre le discours de Washington et de ses satellites et les alliances avec la Confrérie des Frères musulmans et le Wahhabisme. Tout est cohérent, pour qui sait voir. Le Hamas palestinien s’engage contre la Syrie aux côtés de l’OTAN, par Qatar, où son chef jouit d’un exil doré, et Al Saoud interposés, au nom de ce « printemps » dont rêve désormais tout Frère en mal de pouvoir.
A l’instar de notre MSP * national qui s’est découvert une vocation d’opposant.
Nazim Rochd
* MSP (Mouvement de la société pour la paix), parti politique islamiste algérien se revendiquant des Frères musulmans et prônant un « islam modéré ». (Note LCR-Web)